CLÔTURE DU COLLOQUE

30. Intervention de M. Jacques OUDIN

L'eau a été définie comme patrimoine commun de la nation dans la loi de 1992. Cette loi et celle de 1964 ont toutes deux été votées à la quasi unanimité par le Parlement. Il n'y a donc aucune raison a priori pour que l'élaboration de la nouvelle loi ne fasse pas l'objet d'un même consensus républicain . L'environnement national et européen s'est néanmoins beaucoup transformé depuis le vote de la dernière loi. Aujourd'hui, les questions sont multiples : nous devons nous interroger sur les ambitions, le type de cohérence et les moyens que nous allons accorder à la politique de l'eau.

Pour rester synthétique, je formulerai cinq constats et je tacherai de présenter cinq axes fondamentaux de cohérence que nous recherchons.

1. Tout d'abord, le bilan environnemental est peu satisfaisant dans le domaine de l'eau . Si l'état des grands corridors fluviaux semble se stabiliser ou s'améliorer, il n'en est pas de même du réseau secondaire, du " petit chevelu " et du littoral dont la qualité s'avère préoccupante sur certains secteurs. Une politique volontaire et ambitieuse de reconquête de la qualité de l'eau me paraît nécessaire.

2. Ensuite, il faut reconnaître que la France a accumulé des retards d'investissements considérables face aux objectifs et contraintes fixés au niveau européen. Certes, les investissements ont crû et ils ont été accompagnés d'une forte hausse du prix de l'eau. Toutefois, un délai de vingt ans au moins sera nécessaire pour respecter les exigences communautaires, en suivant le rythme d'investissement actuel. Seules 38% des agglomérations concernées par l'échéance du 31/12/1998 de la directive " eaux résiduaires urbaines " sont jugées conformes. En outre, les besoins chiffrés s'élèvent à 500 milliards de francs : 350 pour les travaux neufs et 150 pour l'entretien et le renouvellement.

3. Par ailleurs, les changements du paysage économique imposent d'adapter le système législatif dans le domaine de l'eau . Les pratiques agricoles ont évolué, de nouvelles substances chimiques sont apparues et les exigences de la consommation se sont également renforcées.

4. Du reste, l'opinion publique est aujourd'hui davantage sensibilisée aux enjeux environnementaux que par le passé . Les consommateurs sont devenus très exigeants sur la qualité de l'eau qui leur est distribuée. Ils s'intéressent également de près au coût de leur facture et à sa lisibilité. Enfin, ils veillent à la préservation du patrimoine aquatique. En outre, cette prise de conscience généralisée se traduit par la médiatisation croissante de tous les dysfonctionnements en matière environnementale. A ce jour, il paraît donc nécessaire d'associer davantage les citoyens aux prises de décision. La directive cadre européenne se prononce également en faveur de cette disposition. Cependant, personne n'a encore souhaité indiquer les moyens à mettre en oeuvre pour satisfaire cet objectif.

5. Enfin, il paraît clair que le système de redevances doit être mis en conformité avec les dispositions constitutionnelles . Le principe est inattaquable, toutefois je reste sceptique sur les conséquences qui peuvent en résulter. De toute évidence, gouvernement et instances parlementaires doivent se concerter davantage sur ce sujet, afin qu'un accord puisse être défini.

Pour être efficace et cohérente, la future loi sur l'eau devra s'inscrire pleinement dans le cadre des orientations fixées par les directives européennes. La transcription du texte communautaire dans le droit français devra s'attacher à reprendre cinq axes de cohérence majeurs :

1. Tout d'abord, nous devons parvenir à maintenir un juste équilibre entre décentralisation et centralisation.

Bien entendu, personne ne remet en cause le principe d'unité de la République. Néanmoins, les modes de gestion ont évolué : les citoyens et les collectivités ont acquis un rôle majeur. Ils souhaitent mener une gestion adaptée aux contraintes locales. Il va de soi que nous pouvons nous réjouir du rôle conféré au Parlement. Pourtant, nous rejetterons cette disposition si elle cède le véritable contrôle des redevances au ministère des Finances .

Par ailleurs, le système décentralisé des agences doit être impérativement préservé. Leur action est appréciée par les élus locaux, à tel point qu'ils sont devenus des défenseurs farouches des agences de l'eau. Certes, la décentralisation peut être cadrée par certaines institutions. Toutefois, si nous créons de nouveaux organismes, leur rôle, leur composition et leur mode d'intervention doivent être clairement précisés. A cet égard, si une instance de régulation s'avère nécessaire dans le domaine de l'eau, les missions et le rôle à confier au Haut Conseil restent à débattre.

2. Ensuite, il faut instaurer un recours plus systématique à l'analyse économique afin d'étudier les incidences financières des réformes envisagées sur les secteurs concernés et pour déterminer leur influence sur le financement ultérieur de la politique de l'eau.

L'article 5 de la directive nous engage à recourir à l'analyse économique pour optimiser le couple coût-efficacité et pour calculer au plus près la récupération des coûts. Or le projet de loi sur l'eau ne prévoit pas d'avancée significative dans ce domaine. De plus, le bilan actuel de l'évaluation et de l'analyse économique dans ce secteur accuse un réel retard. Le tableau général de nos connaissances mérite d'être amélioré, tant pour l'évaluation des besoins, des répercussions des modifications des redevances et des flux financiers.

3. Par ailleurs, il convient de conserver une certaine mutualisation des finances de l'eau. Certes, les pollueurs doivent être les payeurs lorsqu'ils sont bien identifiés. Mais ce principe doit être appliqué dans son contexte social, économique et environnemental, notamment en référence à l'article 9 de la directive cadre.

4. Nous devons également préserver l'autonomie et les capacités d'intervention des instances de bassin . Elles doivent en particulier conserver leur liberté de choix et d'orientation en fonction des contraintes du terroir, seule garante d'une gestion de l'eau concertée et acceptée de tous. Les grandes orientations peuvent être fixées au niveau national, mais les débats d'orientations locales doivent se tenir au niveau des différents bassins afin de respecter les spécificités locales.

5. Enfin, il est impératif de promouvoir une politique d'investissements efficace .

Il n'y aura pas d'investissement dans le domaine de l'eau si la capacité financière des Agences de l'eau n'est pas maintenue. De même, les collectivités doivent être encouragées à poursuivre leurs actions dans le domaine de l'eau, qu'il s'agisse des régions, des départements, des communes ou des structures intercommunales. Ce soutien passe nécessairement par un développement de la contractualisation. Enfin, il devient nécessaire de mieux cerner les besoins en matière d'investissements afin d'optimiser et planifier les actions à entreprendre. Le principe " l'eau paye l'eau " doit être également clarifié ; les évolutions qu'a connu la TGAP de par le passé suscitent quelques craintes à cet égard.

Pour conclure, je souhaiterais formuler quelques observations sous forme de propositions :

- mieux connaître : observer et évaluer l'état actuel, les objectifs et les moyens ;

- mieux informer , c'est le rôle des collectivités, mais aussi des entreprises ;

- mieux agir pour maintenir les capacités d'intervention des agences, mieux répartir les ressources, développer la contractualisation et accélérer l'achèvement des SAGE,

- mieux légiférer pour mieux appliquer les directives européennes.

Le débat d'aujourd'hui précède les discussions parlementaires. Je pense qu'il pourra les enrichir. Je souhaite que cette loi soit un texte d'apaisement, de dynamisme et d'avancées, non de conflit. Elle doit préserver l'autonomie des collectivités locales, l'efficacité des structures locales telles que les agences de l'eau et permettre à tous les concitoyens de bénéficier d'une eau et d'un environnement de qualité.

31. Intervention de M. Jean-François COLLIN , directeur de cabinet, ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement

Le Gouvernement ne cherche absolument pas à diviser ou à alimenter les conflits avec ce projet de loi sur l'eau. Au contraire, il souhaite qu'un débat positif puisse être instauré . La loi sur l'eau en cours de préparation va constituer une pierre supplémentaire à un édifice déjà existant. Bien entendu, les précédentes lois de 1964 et de 1992 ne sont pas remises en cause. Elles sont simplement complétées et mises à jour .

Voilà déjà trois ans que le ministère est engagé dans le processus de dialogue et de concertation autour de la future loi. Il s'accorde encore quelques semaines, nécessaires et profitables, avant de dégager les termes d'un accord et finaliser l'élaboration du texte.

Quels sont les objectifs et la philosophie du texte ?

Le Gouvernement a, bien entendu, fixé plusieurs objectifs au texte de loi en préparation.

• Tout d'abord, il souhaite réaffirmer et préciser le contenu de la notion de service public de l'eau et de l'assainissement .

L'eau, en tant que bien nécessaire à la vie, ne peut pas être traitée comme un bien de consommation quelconque. Elle est en outre une ressource naturelle dont la loi de 1992 fait un élément du patrimoine commun de la Nation . La spécificité de l'eau doit se traduire dans un certain nombre d'actes et de dispositions législatives. Le fait de considérer que l'eau relève du service public comporte en effet plusieurs conséquences. Par exemple, les conditions de garantie d'accès de tous à l'eau potable doivent être prévues, quels que soit le lieu géographique ou la situation sociale du citoyen. De même, il faut mettre en place une facturation de l'eau aussi proportionnelle que possible au volume d'eau consommé afin de limiter les gaspillages. La loi de 1992 a déjà instauré ce principe général, l'existence d'une part fixe ne relevant que d'une tolérance vis-à-vis de cette règle. Les conditions d'établissement de la part fixe doivent donc être encadrées très précisément par la loi .

Par ailleurs, le bon fonctionnement du service public de l'eau doit être assuré grâce à l'exercice de la démocratie locale, c'est-à-dire du débat local ouvert et transparent . Chacun d'entre nous doit être en mesure de comprendre et s'approprier les questions liées au service public de l'eau et de l'assainissement. Enfin, les outils d'une meilleure régulation du système doivent être définis. Ils pourront l'être par le Haut Conseil dont les pouvoirs doivent être précisés. En effet, on peut attendre de cette instance qu'elle devienne un véritable outil de transparence, de connaissance et d'information pour l'ensemble des partenaires de l'eau.

• Ensuite, la loi a pour ambition de réformer le régime des redevances .

La redéfinition du système des redevances ne remet absolument pas en cause l'existence des agences de l'eau. Au sein du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, nous sommes attachés à ces institutions. Elles ont largement démontré leur pertinence au cours des années. Nous souhaitons plutôt conforter leur existence et améliorer l'efficacité de leur travail . La loi a ainsi pour objectif de donner une assise constitutionnelle aux ressources dont ces agences bénéficient aujourd'hui.

Nous souhaitons également renforcer l'efficacité du système mutualiste des agences . Pour y parvenir, le gouvernement a décidé de rendre les redevances des agences incitatives à la réduction des pollutions. Les redevances ne doivent pas être uniquement conçues comme un moyen d'alimenter le budget de ces dernières. Elles doivent être considérées elles-mêmes comme un élément de mise en oeuvre du principe " pollueur payeur ".

La loi n'envisage pas de diminuer le niveau des ressources des agences , c'est-à-dire leurs capacités d'intervention. Ces ressources ne seront donc ni augmentées ni abaissées. Toutefois, le maintien des ressources ne signifie pas pour autant le maintien des équilibres actuels. La charge doit être redistribuée plus équitablement . Il n'est pas normal que les usagers domestiques contribuent comme actuellement à près de 90 % au budget des agences de l'eau. Supprimer le coefficient de collecte, rendre redevables les services d'assainissement pour la pollution domestique, créer de nouvelles redevances telles que celle assise sur les excédents d'azote, sont autant de mesures permettant de mieux appliquer le principe pollueur-payeur et de répartir de manière plus équitable les contributions des différents usagers de l'eau .

• Enfin, la loi doit préciser le rôle des uns et des autres dans la définition et la mise en oeuvre de la politique de l'eau.

Le Gouvernement ne souhaite pas remettre en cause les compétences des agences de l'eau et des Comités de bassin. Ceux-ci doivent rester des espaces de débat et de concertation . C'est toutefois au Parlement, détenteur de la légitimité que confère le suffrage universel, qu'il appartient de définir les grandes orientations de la politique nationale de l'eau. Les agences de l'eau ont quant à elles comme mission d'adapter ces orientations aux spécificités des bassins pour mettre en oeuvre cette politique de l'eau.

Je souhaiterais répondre à un certain nombre de critiques formulées contre le projet de loi.

• Tout d'abord, le texte est accusé de mal retranscrire voire de contredire la directive cadre sur l'eau .

Cette critique me semble totalement infondée. C'est, à l'inverse, le texte européen qui s'inspire largement du modèle institué en France depuis des années, modèle qui n'est pas remis en cause par le projet de loi. De nombreux principes définis par la directive existent ainsi déjà en France et seront confirmés dans le futur projet de loi . La gestion intégrée par bassins versants, le principe de récupération des coûts sur l'usager c'est-à-dire le principe selon lequel " l'eau paye l'eau ", le principe " pollueur-payeur ", sont autant d'éléments que la loi française reprend. En ce qui concerne la non affectation budgétaire des taxes telle que la TGAP que certains jugent contraire au principe de récupération des coûts, je voudrais signaler que cette expérience a notamment permis de multiplier par trois le budget du ministère de l'environnement en cinq ans et se traduit donc par un meilleur financement des politiques environnementales, et non l'inverse.

• Par ailleurs, je note que l'avant-projet de loi suscite la crainte d'une recentralisation .

Cette critique me semble tout aussi injustifiée. Le Haut Conseil n'est ainsi pas du tout conçu comme une instance de recentralisation de la politique de l'eau. Il permettra surtout de mettre à la disposition de tous les informations relatives à l'eau, son coût, son marché. Au contraire, ce Haut Conseil permettra de dégager les éléments d'un débat local et décentralisé plus riche que celui d'aujourd'hui, et aidera les collectivités locales dans les relations avec les compagnies délégataires.

Je rappelle également que le projet de loi comporte un titre composé uniquement de mesures de décentralisation , en particulier la création d'un domaine public fluvial décentralisé. Nous proposons également de donner des compétences accrues aux collectivités, qui le désirent, dans le domaine de l'assainissement non-collectif. Enfin, accorder au Parlement le pouvoir de se prononcer sur les grandes orientations de la politique de l'eau répond au besoin naturel d'une cohérence nationale dans ce domaine et ne saurait constituer une mesure recentralisatrice.

• Enfin, d'aucuns craignent que cette loi anime une double guerre : géographique entre la campagne et la ville, catégorielle entre les différents types d'usagers .

Le rééquilibrage des charges ne va pourtant pas être aussi redoutable que ce que l'on pourrait concevoir. Si la loi est votée, elle aboutira à diminuer d'un milliard de francs par an environ la contribution pesant sur les usagers domestiques, à augmenter celle des industriels de 300 millions de francs et celle des agriculteurs de 700 millions de francs . Je précise qu'il s'agit d'ordres de grandeur. Il est vrai que cette question alimente un profond débat. Pourtant, il me paraît important de rappeler que les agriculteurs représentent aujourd'hui 70 % de la consommation nette totale d'eau et ne contribuent qu'à hauteur de 1 % au budget des agences soit 100 millions de francs par an. Ils reçoivent en outre 1,1 milliard de francs par an des agences. Cette proportion ne me paraît pas justifiée d'autant plus que les agriculteurs sont les principaux responsables de pollutions coûteuses à résorber, telles que celles par l'azote et les produits phytosanitaires.

Les usagers agricoles et l'ensemble de nos concitoyens payent aujourd'hui le prix d'une politique agricole conduite depuis trente ans qui a encouragé des pratiques peu respectueuses de l'environnement . Les agriculteurs sont d'ailleurs les premières victimes de la dégradation des sols et de la qualité de l'eau. Ils ont donc tout intérêt à voir la politique agricole et la politique de l'eau se modifier. Après cette réforme, la contribution des agriculteurs au budget des agences de l'eau pourrait ainsi passer de 1 à 8 % du total . Ces chiffres démontrent que la proportionnalité rigoureuse entre importance des pollutions et montant des redevances, probablement irréaliste, n'a pas été recherchée.

La concertation doit encore être poursuivie : elle seule permettra de parvenir à des solutions . Les prochaines étapes du projet sont aujourd'hui relativement claires : le projet de loi devrait être adopté en Conseil des Ministres en fin d'année. Il pourrait ensuite être discuté à l'Assemblée au mois d'avril 2001 . Je suis plutôt confiant quant à l'avenir de ce texte. Il est légitime et normal que le gouvernement soit interrogé sur ce projet. J'espère que nous parviendrons au consensus, d'autant plus que cette loi est souhaitée et attendue par tous.

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