Audition de M. Victor SCHERRER,
Président de l'Association nationale des industries agro-alimentaires (ANIA)

(10 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Scherrer, merci d'avoir répondu à notre invitation. Je rappelle que vous êtes Président de l'Association Nationale des Industries Agro-alimentaires et M. Mangenot, ici présent, est votre Directeur général.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Scherrer et Mangenot.

M. le Président - Nous vous demanderons de nous parler, à votre niveau, en fonction de l'ensemble de vos connaissances, de ce problème des farines animales utilisées dans l'alimentation bovine et des conséquences qui peuvent être tirées par rapport à l'ESB qui s'est développée dans le cheptel de notre pays.

M. Victor Scherrer - Monsieur le Président et Messieurs les Sénateurs, je voudrais commencer par une mise en perspective qui me paraît extrêmement importante pour le sujet qui nous intéresse.

L'Association Nationale des Industries Alimentaires regroupe 31 professions, organisées sous forme de syndicats ou fédérations, directement impliquées dans l'alimentation humaine mais pas dans l'alimentation animale.

Nous sommes des acteurs majeurs dans une chaîne alimentaire, dont nous sommes un maillon extrêmement important situé en fin de chaîne. Derrière nous se trouvent les distributeurs et les consommateurs.

L'alimentation animale est regroupée dans différents syndicats qui ne font pas partie de l'ANIA.

Nous avons un petit syndicat, la Fédération des Aliments pour Chiens, Chats, Oiseaux et Animaux de compagnie, mais je ne pense pas que cela nous intéresse aujourd'hui.

Il est extrêmement important que vous sachiez qu'en notre qualité de producteurs d'aliments pour la consommation humaine, l'alimentation pour bétail constitue en quelque sorte les fournisseurs des fournisseurs de nos fournisseurs. Il existe souvent deux, trois ou quatre échelons de transformation dans ce domaine.

Je vous rappelle, et vous le savez, puisque nous avons eu l'occasion à plusieurs reprises de souligner l'importance du modèle alimentaire français et de l'industrie alimentaire française, nous sommes, de loin, la première industrie française. Je souligne également que nous sommes la première industrie alimentaire en Europe.

Par ailleurs, avec, actuellement, 10 % de parts du marché mondial des aliments transformés, nous sommes le numéro un devant les États-Unis. Notre modèle alimentaire n'est pas simplement quantitatif mais avant tout qualitatif.

Si, chaque jour, nous arrivons à exporter l'équivalent de « deux Airbus » et environ 172 GF par an, cela signifie qu'à l'instant présent, dans le monde entier, les consommateurs votent en faveur, et achètent, des produits alimentaires français, parce qu'ils sont bons mais aussi parce qu'ils sont sûrs.

En tant qu'industriel, et porte-parole des industriels, je précise que nous savons à quel point la sécurité sanitaire des aliments est au coeur même de notre préoccupation ; c'est notre fonds de commerce. Pour ceux qui produisent des marques, dans ce domaine, le moindre incident constitue une véritable perte de valeur pour la marque.

Nous avons eu l'occasion, quand nous avons été auditionnés par Messieurs les Sénateurs Huriet et Descours, en 1998, ensuite par M. Félix Leyzour, début 2000, d'indiquer à quel point cette préoccupation est capitale. J'allais presque dire, si ce n'est par vertu c'est certainement par pragmatisme, que la sécurité sanitaire des aliments est au premier rang de nos préoccupations.

Concernant cette question des farines animales, nous n'en sommes pas un acteur. Nous ne sommes pas impliqués mais, comme toujours, quand un problème arrive en amont, il se cristallise au niveau de celui qui appose sa marque, à savoir au niveau du transformateur final et parfois même du distributeur. C'est à notre égard que le consommateur fait porter son jugement, ou ses critiques, ou que les médias agissent. Vous savez alors à quel point les marques sont en première ligne.

S'agissant des mesures restrictives concernant les farines animales, l'industrie alimentaire a pris acte des mesures successives qui ont été éditées par les Pouvoirs publics, en particulier les deux ou trois fédérations de première transformation qui, elles-mêmes, sont le plus en contact avec les éleveurs.

Nous avons notamment comme adhérant le Syndicat National des Industriels de la Viande, c'est-à-dire la quinzaine de grands industriels qui, en quelque sorte, transforment la viande. Je crois d'ailleurs que vous avez eu l'occasion d'en visiter certains. Nous avons aussi, directement en contact avec l'élevage, la Fédération Nationale des Industries Laitières.

Ces deux fédérations et l'ensemble de l'industrie de transformation ont pu prendre acte des mesures prises qui ont abouti à l'interdiction des protéines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage.

Dans ce contexte, nous avons constaté la complexité, le nombre d'intervenants dans le secteur de l'alimentation animale et parfois une certaine opacité, sans que ce terme soit négatif, ou une difficulté d'information. De ce fait, cela rejaillissait souvent sur nous, en termes de produits finis, tout au long de la chaîne.

Nous avons donc pensé que la meilleure façon de regagner la confiance des consommateurs n'était pas de considérer que nous n'étions pas acteurs, et pas impliqués, et qu'il était nécessaire de remonter vers l'amont.

Cette réflexion a été lancée assez tôt et a d'ailleurs abouti, fin juin 2000, à une prise de position très ferme de notre part. Voyant que, notamment avec le Syndicat National de l'Alimentation pour le Bétail, nous ne parvenions pas à établir une sorte de liste exhaustive et positive de tous les ingrédients permis dans l'alimentation pour le bétail, nous avons publié une véritable charte d'engagement de l'industrie alimentaire dans laquelle, parmi les 10 points rendus publics, le point n° 2 était d'obtenir du secteur de la nutrition animale un programme d'amélioration de la sécurité de l'alimentation du bétail. Notre ambition était d'obtenir cette liste exhaustive et positive de tous les ingrédients permis dans cette alimentation pour le bétail.

Notre deuxième engagement était, à la date du 28 juin 2000, d'exiger des Pouvoirs Publics qu'ils consacrent les moyens nécessaires à la mise au point de méthodes permettant un dépistage systématique et fiable de l'ESB pour tous les animaux entrant dans la chaîne alimentaire.

A l'époque, ces mesures étaient considérées comme irréalistes, trop coûteuses, etc. En fait, nous nous réjouissons de constater qu'actuellement, pour le point n° 2, les farines animales sont interdites et, pour le point n° 3, que le dépistage systématique est considéré actuellement comme un objectif qui doit être atteint le plus rapidement possible.

Concernant les farines animales et l'alimentation du bétail, nous avons décidé, malgré les difficultés rencontrées dans le dialogue avec l'amont, de travailler avec tous les acteurs de la chaîne de production d'aliments pour le bétail afin de pouvoir avancer dans trois domaines.

Le premier de ces domaines consiste à déterminer les modalités de choix et de contrôle de tous les ingrédients entrant dans la composition des aliments fabriqués et commercialisés par les fabricants d'aliments pour animaux d'élevage. D'autre part, il faut spécifier tous les moyens mis en oeuvre pour contrôler et éviter la présence de contaminants indésirables.

C'est le premier thème sur lequel nous travaillons actuellement et sur lequel nous voulons aboutir.

Le deuxième thème a l'ambition d'aller jusqu'à une liste positive et exhaustive de tous les ingrédients incorporables dans un aliment pour le bétail. Cela dit, bien que l'on nous fasse comprendre que ce souhait est trop ambitieux, il restera notre objectif. En revanche, nous commencerons par un examen de toutes les matières premières ou de tous les additifs qui peuvent, à l'analyse, être non souhaitables (même s'ils sont permis), soit parce qu'ils peuvent comporter certains risques, soit parce qu'ils peuvent être perçus, par le consommateur, comme tels.

Cette discussion, nous l'espérons, aboutira, avec les fabricants d'aliments pour le bétail, à un retrait volontaire, même s'il n'est pas obligatoire, de tous les ingrédients jugés indésirables.

Par ailleurs, j'ai parlé d'opacité et je maintiens ce terme. Nous croyons profondément qu'en bout de chaîne les industriels regagneront la confiance du consommateur par une transparence aussi grande que possible ; il ne s'agit pas d'une transparence angélique.

Vous savez que tous les 18 mois ou deux ans, cette opération portes ouvertes consiste à proposer aux consommateurs de venir constater, dans nos usines, la manière dont nous travaillons. Nous voudrions que cette transparence remonte en amont et que les fabricants d'aliments pour le bétail puissent travailler avec nous, et au sein de leurs installations, à un effort d'information beaucoup plus important et qu'il en soit de même au niveau de l'élevage.

Voilà où nous en sommes. Il existe une prise de conscience de notre amont et nous avançons vers ce travail qui nous permettrait d'atteindre ces trois objectifs.

M. le Président - Nous allons procéder à des questions qui seront posées par l'ensemble de nos collègues et auxquelles nous vous demanderons de répondre directement pour plus de clarté.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Président Scherrer, permettez-moi de m'associer aux propos de bienvenue du Président Dériot.

J'ai noté avec intérêt votre position concernant le livre blanc présenté récemment par l'Union Européenne, notamment sur la liste positive. Tant au niveau de la Délégation du Sénat à l'Union Européenne que de la Commission des Affaires Economiques et du Plan, nous avons souscrit à cette notion de liste positive.

Si ma mémoire est bonne, je ne pense pas que ce soit spécialement le souhait de la Commission européenne qui trouve que cette position sur la liste positive est un peu trop coercitive.

Sous la haute autorité de mes confrères vétérinaires, je crois me souvenir qu'il y a une quinzaine d'années, s'agissant des anabolisants, une non-liste positive, avec les différentes hormones, et les béta-agonistes, nous mettait régulièrement en porte-à-faux.

Où en êtes-vous dans vos négociations sur les listes positives ? Je précise qu'au niveau de cette assemblée nous sommes terriblement pour car il n'existe pas d'autre solution.

De même, où en êtes-vous en matière de garantie sur la traçabilité de la viande et vous satisfait-elle ? Par ailleurs, ne pensez-vous pas à d'autres méthodes et ne faudrait-il pas aller plus loin ?

Nous avons noté, au travers de la presse, que vous étiez très en avance concernant la systématisation des tests de détection de l'ESB. C'est bien, mais cela ne garantit que des animaux en pré-phase clinique, soit environ 6 mois avant l'apparition de la maladie.

S'agissant du débat qui montera en puissance jusqu'au 31 janvier de cette année, avec les problèmes d'élections aux Chambres d'agriculture, quelle est votre position concernant l'abattage sélectif ou total ?

M. Victor Scherrer - Je serais obligé de vous répondre avec une grande humilité mais aussi une grande fermeté. Concernant l'abattage sélectif, nous sommes incompétents. M. Spanghero, Président du Syndicat National des Industries de la Viande, peut sans doute avoir un avis mais, personnellement, en tant que Président de l'ANIA, je me déclare incompétent en la matière. Je pourrais vous donner un avis personnel mais il n'aurait aucune valeur.

Nous sommes profondément et exclusivement des industriels ; je ne sais donc pas répondre à cette question en tant que professionnel.

En revanche, concernant les tests, ainsi que je vous l'ai dit, notre sentiment est assez fort. Depuis plus d'un an, nous nous rendons compte que le remède profond et réel pour regagner cette confiance du consommateur, la mesure la plus importante, consisterait, pour autant que la science nous permettre d'avancer, à un moment déterminé, de tester (en tant qu'industriels utilisant souvent une viande transformée, par exemple pour les plats cuisinés) tout animal entrant dans la chaîne alimentaire.

Tout animal doit être testé idéalement (nous nous projetons dans l'avenir mais les horizons stratégiques se rapprochent) quand il est vivant, avant qu'il entre dans la chaîne alimentaire, par exemple en prélevant une goutte de sang, et en parvenant, dans des délais relativement courts et compatibles avec le processus industriel, à obtenir un résultat. Les questions d'abattage sélectif ou non prendraient alors un relief différent.

Nous avons demandé que les Pouvoirs Publics, dont c'est la tâche, et les organismes de recherche se coordonnent afin que, le plus rapidement possible, nous puissions atteindre cet objectif. En attendons, démarrons avec ce qui existe.

Nous savions qu'il existait trois tests. Nous en avons d'ailleurs beaucoup parlé avec M. Glavany, très tôt, et avec les différentes interfaces au niveau des Pouvoirs Publics. Nous avons souhaité que ces tests soient mis en pratique le plus rapidement possible et de façon pragmatique.

Nous avons récemment rappelé au ministre de l'Agriculture à quel point nous le souhaitions mais nous sentons que la situation n'évolue pas aussi rapidement que nous pourrions le souhaiter.

Nous sommes en relation avec les laboratoires. A l'ANIA, nous avons réuni les différents laboratoires : nous avons vu l'état de la situation, la « puissance de frappe » des laboratoires, et nous avons demandé qu'il existe un bon maillage entre les laboratoires publics et privés afin que, le plus rapidement possible, avec des règles déontologiques extrêmement strictes, en préservant aux Pouvoirs Publics les règles de déontologie qui doivent être appliquées et les contrôles, il soit possible d'y parvenir. Nous nous réjouissons que l'on atteigne le plus rapidement possible les 20 000 tests et plus.

Étant moi-même administrateur de l'INRA, je souhaite également que les grands organismes de recherche, ceux qui disposent des matériaux, et notamment des matériaux contaminés nécessaires aux chercheurs, travaillent dans le même sens. Nous pensons qu'en mettant le maximum de puissance et de coordination nous devrions arriver, à un horizon qui ne serait pas trop éloigné, à disposer de ces tests. On parle beaucoup des Allemands qui pourraient en disposer.

Notre ambition reste la même et, tant qu'elle ne sera pas atteinte, il restera, tant pour la viande bovine que pour l'élevage et la filière, un doute de la part des consommateurs.

De la même manière, la liste positive est l'une de nos ambitions. Actuellement, nous avons pris un ancien de chez Sanders qui, bien que n'étant pas membre de l'ANIA, connaît bien le secteur et est devenu une sorte de chargé de mission en recueillant toutes les attentes et en faisant des enquêtes au niveau de l'ensemble de la filière. Cela permettra, dès le mois de février, lors d'une réunion au sein de l'ANIA, avec l'ensemble des industriels de l'alimentation pour le bétail, d'essayer d'avancer le plus rapidement possible vers des étapes mais aussi cette ambition qu'est pour nous la liste positive.

M. Georges Gruillot - Monsieur le Président, nous avons bien compris votre volonté légitime d'allier à la meilleure qualité gustative des produits alimentaires exportés par la France la meilleure sécurité alimentaire possible sur le plan sanitaire.

Il n'y a pas de contestation entre ce que vous venez d'expliquer et ce que nous pensions déjà. Nous travaillons dans le même sens et cela devrait apporter des résultats. D'ailleurs, ils existent déjà puisque si nous avons exporté 172 GF de produits alimentaires français à l'étranger, ce n'est pas uniquement pour leurs qualités gustatives.

Toutefois, en France, on se rend compte que vous êtes sans doute moins reconnus qu'à l'étranger. Je suis choqué, quand je vais dans certaines grandes surfaces, en constatant que les produits carnés d'origine française sont parfois dédaignés au bénéfice de produit carnés d'autres pays d'Europe ou d'Amérique du Sud.

Quand on connaît la mécanique des choses, on sait que la sécurité sanitaire de ces origines est parfois contestable. Or, elle ne semble pas être très contestée en France par le consommateur. N'y aurait-il pas là, pour vous, un danger au niveau concurrentiel tout en présentant un danger sanitaire réel pour la France et que pensez-vous faire pour tenter de modifier l'opinion publique en France sur ce thème ?

M. Victor Scherrer - Je partage votre sentiment puisque j'ai eu l'occasion de connaître certains grands pays producteurs de viande bovine d'Amérique Latine.

Quelle que soit la qualité intrinsèque de ces produits, il est dommage de voir certaines enseignes de la grande distribution, ou certaines chaînes de restaurants, pratiquer cette fuite en avant plutôt qu'attaquer le problème à la racine. Remplacer le boeuf français par du boeuf argentin constitue une sorte d'échappatoire. Quelle que soit, par ailleurs, ma sympathie à l'égard de ce pays, cela ne me paraît pas être la bonne manière de régler le problème.

Concernant certaines enseignes de la grande distribution, je n'ai pas autorité pour en parler. Ce sont nos clients et vous savez à quel point les clients sont les rois dans la relation entre distributeurs et fournisseurs.

En revanche, concernant la démarche prise au niveau de l'ensemble de l'industrie alimentaire, je précise, bien que je ne sois pas spécialiste de la seule viande bovine en tant que telle, qu'elle consiste à être profondément pédagogique en s'attaquant réellement à la confiance du consommateur, en montrant des faits et en ayant une démarche de transparence et d'information.

Actuellement, il existe une campagne importante sur les questions de listéria ; je cite cet exemple qui pourrait être adapté. On pourrait indiquer qu'il existe un vrai problème sur les fromages à croûte fleurie et le meilleur moyen serait d'étiqueter les camemberts avec la mention « Peut être dangereux pour la santé ». Ce type de démarche serait semblable à celles des anglo-saxons.

Or, nous avons décidé de lancer une campagne d'information, avec l'accord de nos industriels laitiers : les médecins spécialisés et les magazines grand public indiqueront aux femmes qu'il est préférable, pendant une période de grossesse, d'éviter, entre autres, certains fromages et certaines charcuteries. La campagne est partie.

De la même manière, nous faisons distribuer, à nouveau par le corps médical s'il le souhaite, des thermomètres permettant à certaines personnes, notamment les personnes âgées, de connaître très clairement la température de leur réfrigérateur.

Ce sont des mesures extrêmement pragmatiques mais nous prenons la situation à la base. Nous essayons d'expliquer, factuellement, le risque sur un certains fromages et de le reconnaître. Nous pouvons également dire au consommateur, parce qu'il le sait, qu'il a aussi un rôle à jouer dans la gestion de son réfrigérateur et que, par des mesures simples, il peut éviter certains risques qui sont inhérents au modèle alimentaire que nous avons voulu, à savoir où les aliments restent vivants. C'est ce que nous voulons préserver et c'est un enjeu.

Je l'ai récemment expliqué à plusieurs de nos ministres. Il ne faut pas s'y tromper. Vous avez raison de le souligner dans cet exemple de viande importée : ce qui est en jeu, au-delà d'intérêts économiques, c'est profondément un modèle alimentaire où nous lions certains produits avec des terroirs.

Je rappelle souvent que le mot terroir est intraduisible en anglais. Pour un Américain, le mot terroir n'a pas le sens que nous lui donnons. C'est donc ce qui est en jeu. Dans le phénomène de globalisation, il n'y aura plus, me semble-t-il, que deux modèles alimentaires : l'un anglo-saxon, avec cette pasteurisation radicale en fin de chaîne, afin que les aliments soient totalement stérilisés, et l'autre, un modèle alimentaire comme le nôtre, qui privilégie, et de loin, la variété, les produits vivants et évolutifs, et la liaison avec un terroir.

Cette question concernant l'importation est l'une des illustrations du rôle de pédagogie et du rôle factuel que nous devons avoir. Je pense, en effet, que le Syndicat National des Industriels de la Viande a pris, dans ce domaine, la tâche à bras-le-corps.

M. Paul Blanc - Aujourd'hui, avez-vous une connaissance précise de l'utilisation éventuelle, par les industriels de l'agro-alimentaire, d'abats ou de graisses d'origine animale qui auraient pu, ou pourraient encore, être utilisés dans les raviolis, les sauces ou d'autres produits ?

Vous avez fait un gros effort et il est interdit d'utiliser de tels produits. S'agissant des conserves, certaines peuvent avoir été fabriquées quelques années auparavant. Avez-vous une connaissance précise de ce qui aurait pu être utilisé dans ces conserves auparavant ?

La question sous-jacente, qui vient naturellement à l'esprit, est de savoir, en cas d'utilisation de tels produits, s'il faut éventuellement les « rappeler » comme cela se pratique pour les véhicules présentant un défaut ou pour certains lots de fromage présentant des cas de listériose ?

Je parle de conserves fabriquées avant l'interdiction : avez-vous une idée précise de leur quantité et envisageriez-vous, le cas éventuel, leur rappel ?

M. Victor Scherrer - N'étant pas directement industriel dans ce domaine, je dois questionner M. Mangenot.

Il existe sans doute dans le commerce, dans les stocks, puisque la durée de vie des conserves peut être de plus d'un an, des produits contenant des produits carnés incorporant des ingrédients actuellement interdits.

M. Paul Blanc - Avez-vous une estimation de leur quantité et vous paraîtrait-il opportun de les rappeler ? Vous pourriez indiquer que tout ce qui a été fabriqué avant une certaine date doit être repris.

M. Victor Scherrer - Nous n'avons pas d'estimation des quantités, mais nous pourrons l'avoir. Comme vous le savez, la complexité des rotations des produits et des stocks est considérable dans la grande distribution.

S'agissant des grands intervenants dans le domaine des plats cuisinés ou de la conserve, beaucoup de nos entreprises ont des procédures ISO 9002, HACCP, etc. Leur sensibilisation aux questions de traçabilité est telle, en dehors de cas éventuels de fraude (mais connaissant les intervenants et les marques, il est difficile de les imaginer prendre ce type de risques), s'il existait un risque réel, de type matériaux à risques incorporés, je pense qu'un industriel ferait lui-même volontairement le rappel.

Par ailleurs, avec la grande distribution nous avons, au mois de novembre, signé une véritable charte qui nous aide. Des réseaux de rappel existent mais l'un des problèmes est de parfois créer la panique. Il était, de loin, préférable de prendre des démarches volontaires et de coupler les systèmes d'alerte des fabricants et des grands distributeurs. Ceci permet de faire des rappels sélectifs sans entraîner des paniques disproportionnées comme pour le cas de la dioxine.

Dans le cadre de la procédure écrite, nous pourrions essayer de mesurer et vous donner des réponses précises. Actuellement, cela ne nous est pas possible. Comme nous l'avons indiqué à M. Glavany et à d'autres, nous ne pensons pas qu'il faille, dans ce domaine, créer actuellement un effet médiatique. En dehors des matériaux à risques, et en supposant que les procédures soient adaptées, je ne pense pas qu'il faille demander de retirer tous les stocks de produits carnés antérieurs à une certaine date.

M. Paul Blanc - Je parle uniquement des produits qui pourraient contenir des produits à risques.

Concernant la traçabilité, vous avez beaucoup insisté sur ce problème et sa nécessité. Concrètement, pensez-vous qu'elle doit aller jusque dans la composition d'une boite de raviolis et doit-elle se traduire par l'étiquetage : jusqu'où pensez-vous devoir aller dans le cadre de l'étiquetage de vos produits ?

M. Victor Scherrer - Le problème de l'étiquetage est un aspect fascinant : le consommateur et les médias ont toujours envie d'en savoir plus. Or, une étiquette a une certaine dimension : plus vous allez loin, plus le caractère devient petit et on vous reproche alors de présenter une étiquette illisible. J'entends couramment ce type de reproche.

Il faudra, avec le législateur, que nous parvenions à trouver un juste milieu. Nous avons décidé de manière volontaire, la loi ne nous l'imposant pas, d'étiqueter les allergènes. Même si seulement 1 % de la population est sensible à un type d'allergène, nous l'étiquetterons en le soulignant ou en le mettant en gras.

En matière de traçabilité, il ne faut pas oublier l'existence d'organismes, de labels, etc. Concernant un certain type de label, il contient déjà (en supposant que tous les opérateurs, certificateurs et contrôleurs, soient de bonne foi ; la DGCCRF a un nombre important de fonctionnaires, et plusieurs vétérinaires sont ici présents) des procédures de contrôle qui devraient être efficaces et adaptées. La traçabilité, en dehors de son aspect médiatique et à la mode, deviendra en soi une condition sine qua non de la confiance du consommateur.

Concernant l'exemple des allergènes, il faudra gagner de la place sur l'étiquette car cette inscription nous semble indispensable.

S'agissant de la traçabilité, il faut savoir où s'arrêter. Nous travaillons avec la DGCCRF et la Direction Générale de l'Alimentation, ce qui nous permettra d'arriver à un bon équilibre. Les distributeurs se posent également la question : pourquoi ne pas indiquer sur l'étiquette la durée de vie de ce produit après ouverture ?

Nous arrivons à un équilibre relativement bon sachant qu'il est de notre intérêt, en matière de traçabilité, d'en indiquer le plus possible. Il faut savoir où s'arrêter car, à la limite, nous pourrions remonter jusqu'à la composition des aliments du bétail constituant la partie carnée d'une boite de raviolis.

M. Jean Bernard - On lit, sur ces étiquettes, des mentions telles qu'adjuvants, antioxydants, etc. suivis de lettres et de chiffres. Peut-on se référer à une nomenclature de ces produits pour savoir ce que c'est ?

M. Victor Scherrer - Tout ceci nous est imposé par la réglementation. J'observe les industriels et je constate qu'ils se battent dans les « tranchées boueuses » de la micro-économie. Actuellement, nous avons intérêt, vis-à-vis du consommateur, à présenter des indications claires et lisibles.

Nous avons vu, à l'occasion de la bataille sur les organismes génétiquement modifiés, que la presque totalité des industriels a supprimé toute une série de produits pouvant contenir des OGM. Nous nous orientons plutôt vers un effort de clarté et de lisibilité ; toutefois, nous devons respecter la réglementation et le Législateur, en final, donne son avis sur la question d'étiquetage.

M. Gérard Miquel - Monsieur le Président, ma question concerne la traçabilité. Vos diverses unités industrielles utilisent des produits d'origine carnée en quantité très importante. Dans ces quantités, pourriez-vous nous dire quel est le pourcentage de produits importés ?

En effet, cette question me paraît importante pour ce qui concerne tous les produits d'origine carnée et leurs dérivés. La France est le premier consommateur, par personne, de gélatine. Or, il semblerait que nous n'ayons pas les quantités de matière première nécessaire pour fabriquer toute la gélatine que nous consommons. Si nous voulons donner les renseignements précis sur la traçabilité, nous devons être certains des produits que nous achetons dans les divers pays de l'Union Européenne ou à l'extérieur de celle-ci.

Je me pose un certain nombre de questions. Si la France a mis en place des mesures de prophylaxie, de suivi sanitaire des animaux, très sévères et très strictes, ce n'est pas le cas dans tous les pays de l'Union Européenne. Par ailleurs, que dire d'autres pays où ces mesures n'en sont qu'aux balbutiements ?

La traçabilité, oui, mais il faut remonter suffisamment en amont pour donner des assurances précises aux consommateurs. Je voudrais donc avoir quelques indications sur les pourcentages de produits importés et sur leurs origines.

M. Victor Scherrer - Votre question est statistiquement assez complexe.

Comme je l'ai dit la semaine dernière à M. Fabius, qui a paru en être surpris, dans notre secteur nous sommes les mal aimés de la statistique. Alors que nous sommes la première industrie française, nous reportons au ministère de l'Agriculture, de la Forêt et de la Pêche mais pas de l'Alimentation. Nous concernant, les statistiques les plus récentes de l'INSEE datent de décembre 1999. C'est un débat intéressant.

Nous nous sommes efforcés de bâtir un corps de statistiques internes. Nous essayerons de vous donner une réponse concernant le pourcentage mais, pour cela, nous devons questionner la Fédération des plats cuisinés, la Fédération de la viande, etc.

J'ai essayé de vous répondre, concernant les viandes importées, en indiquant que dans plusieurs secteurs nous nous apercevons que le fait de pouvoir faire référence, sans esprit protectionniste, à des matières premières d'origine française représente généralement un plus pour le consommateur. Dans ce domaine, je connais de nombreux secteurs où nous sommes assez fiers de pouvoir indiquer que 95 % des matières premières proviennent du territoire national ou de l'Union Européenne.

Au niveau de la plupart de nos entreprises, pour autant que je sache, concernant la chaîne alimentaire (mais c'est aussi valable dans d'autres secteurs comme l'automobile) il s'agit de chaînes de confiance formalisées par des procédures de type HACCP ou ISO 9002 qui sont contraignantes. Vous savez aussi qu'à nouveau, dans l'industrie alimentaire, nous avons intérêt à être relativement sûrs de nos fournisseurs.

Dans des secteurs de type plats cuisinés et autres, je pourrais vous indiquer le nombre exact d'établissements certifiés ISO 9002 ou disposant des procédures HACCP qui font de la traçabilité le socle même du processus. Nous vous fournirons ces deux données.

M. Roland du Luart - Je vous remercie, Président Scherrer, pour vos explications. Si je comprends bien, vous avez été un précurseur en ce sens que, dès juin 2000, vous avez demandé au ministère de l'Agriculture d'organiser le dépistage de la maladie de l'ESB de manière systématique. Par ailleurs, toujours en juin 2000, vous avez demandé au secteur de la nutrition animale de vous fournir la liste des ingrédients utilisés.

Pour quelles raisons, dès juin 2000, souhaitiez-vous avoir ces informations alors que le Gouvernement ne réagissait pas et que la crise n'avait pas éclaté ?

M. Victor Scherrer - Nous sommes, notamment depuis les deux dernières années, confrontés à une remise en question de la sécurité sanitaire des aliments en France. C'est peut-être un paradoxe car nous sommes l'un des pays où, dans l'ensemble, cela ne fonctionne pas trop mal. J'avais repris, ici même, les comparaisons des taux de mortalité alimentaire aux États-Unis et en France et nous avions constaté que nous nos résultats ne sont pas mauvais.

Cela dit, le consommateur nous remet en cause depuis deux ou trois ans. S'agissant du rôle de l'ANIA, nous nous sommes dit que devant cette remise en cause, et notamment devant une forte pression médiatique qui est légitime, nous n'avions plus que deux attitudes : nous pouvions gémir en disant que nous faisons des efforts, que les médias ne se comportent pas bien vis-à-vis de nous, etc. et l'attitude inverse consistait à montrer ce que nous faisons de bien ou ce que nous allions faire de mieux encore.

Cela a été notre démarche et toutes les fédérations et entreprises, depuis Danone jusqu'à la plus petite, ont estimé que c'était la bonne solution ; il faut également aller vers plus de transparence et admettre que tout n'est pas parfait. Des secteurs sont plus opaques que d'autres et certains, comme celui de la viande, sont plus sensibles et plus difficiles. Toutefois, partout nous avons constaté que nous pouvions faire des efforts, tant en termes de substances (traçabilité, etc.) que d'information.

Avec ce raisonnement, nous nous sommes aperçu que les secteurs les plus sensibles, après les crises de type listéria et dioxine, seraient concernés par l'ESB. Nous avons fait réaliser, en 2000, une grande enquête, très lourde, par BVA, consistant à mesurer les véritables appréhensions du consommateur à très court terme et à moyen terme. La réponse est claire : un consommateur sur deux considère qu'il est insuffisamment informé concernant son alimentation et que cette information doit être apportée par les Pouvoirs Publics mais aussi par les industriels.

La première crainte qui se détache pour les trois à quatre prochaines années est l'ESB. Nous ne pouvons pas dire « ce n'est pas nous ». S'agissant de son alimentation, la première crainte du consommateur concerne l'ESB et la seconde les OGM.

Nous n'avons pas le choix : que nous l'acceptions, ou non, le consommateur et les médias ne nous lâcheront plus sur ces sujets. Nous avons donc approfondi et, pour répondre à votre question, nous avons pensé qu'en matière d'ESB il fallait prendre en compte deux points : l'origine, l'alimentation animale et les farines, et, d'autre part, la conséquence, à savoir la nécessité pour tout animal entrant dans la chaîne alimentaire de subir un test systématique même si nous savions, au mois de juin, que ces tests n'étaient pas, en l'état, disponibles.

Des débats très animés ont eu lieu entre nous car nous estimions prendre un très grand risque. Quand cela a été rendu public, le 28 juin dernier, nous avons « mis les pieds dans le plat ». Ceci a été exacerbé à l'occasion du SIAL où la question nous a échappé et a pris des dimensions plus politiques sur lesquelles nous n'avons pas à nous prononcer.

Nous avons, dans ce domaine, un point qui restera un sujet de fierté : nous avons été les premiers à le demander et à avoir, dans ce domaine, un volontarisme dont certains aspects, sans se retourner contre nous, nous obligeront à rendre compte et à montrer les progrès accomplis.

C'est pourquoi ce printemps nous ouvrirons nos usines et, par rapport à ces 10 engagements remis aux autorités et au personnel politique, etc., nous demanderons à être jugés. Nous bâtirons une sorte de baromètre et nous referons, chaque année, une étude BVA comportant les mêmes questions afin de vérifier si nous avons progressé.

Voilà pourquoi nous pensions que si nous ne touchions pas les points sensibles de ce domaine, nous ne pourrions pas progresser.

M. Jean-François Humbert - Monsieur le Président, je m'associe aux félicitations que vous adressait notre collègue M. du Luart. Vous parlez de la période 1999/2000. Antérieurement à ces années, avez-vous eu l'occasion de prendre des précautions, des décisions ou de donner des recommandations à vos entreprises adhérentes, à vos 31 professions, toutes n'étant pas concernées de la même manière ?

Un deuxième élément vient compléter la question de notre collègue M. Miquel. Il souhaitait obtenir des statistiques sur les importations de matières premières en vue de fabriquer, en France, des produits finis livrés aux consommateurs. Pourrions-nous savoir, si possible, si des produits finis sont fabriqués à l'extérieur de nos frontières et distribués dans notre pays ?

Même si l'on importe moins de denrées alimentaires, pour fabriquer des produits finis, venant de pays particulièrement concernés par la maladie de la « vache folle », il faudrait savoir, dans le même temps, si des produits ne sont pas fabriqués à l'extérieur de nos frontières et dans quelles conditions.

M. Victor Scherrer - Concernant les produits finis, je vous propose de vous donner ultérieurement les statistiques qui seront demandées profession par profession.

Avons nous attendu ? Dans cette démarche datant de trois ou quatre ans, nous avons commencé à nous dire que ne pas prévoir consiste déjà à gémir. Il nous fallait donc commencer par un aspect volontaire et la réalisation de guides de bonnes pratiques.

Certaines professions, notamment celle de la charcuterie qui est une profession sensible, ont commencé à élaborer des guides de bonnes pratiques qui, sans avoir un aspect obligatoire, sont fortement recommandés par chaque profession à ses adhérents : 30 guides de bonnes pratiques ont permis de grands progrès.

Par ailleurs, nous avons fortement incité nos adhérents à lancer des procédures de certification de type ISO 9002. Il ne faut pas nous vanter de ce que nous avons fait, mais nous sommes, en Europe, actuellement les premiers au niveau du nombre de sites certifiés ISO 9002 ou dans lesquels des procédures de contrôle des risques ont été mises en oeuvre.

Nous avons un contact très régulier avec la DGCCRF et, actuellement, cet organisme considère que dans une entreprise qui a mis en oeuvre ces guides de bonnes pratiques, la procédure HACCP ou la norme ISO 9002, il peut arriver un accident ; toutefois, quand il survient, on suppose que l'entreprise est de bonne foi alors que la DGCCRF n'est généralement pas complaisante.

Nous avons commencé et enfin, il faut le dire, dans certains cas, nous avons des cahiers des charges qui, depuis plusieurs années, excluent totalement les farines animales de l'alimentation du bétail destiné à la production de viande entrant dans certains types de produits.

M. le Président - Merci de votre intervention et d'avoir répondu à l'ensemble des questions qui vous ont été adressées par nos collègues. Nous essayerons de faire le meilleur usage de toutes vos informations.

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