PREMIÈRE PARTIE :


LES MOYENS D'INFORMATION ÉCONOMIQUE

DU CONGRÈS
CHAPITRE PREMIER :

LE CONGRÈS DES ÉTATS-UNIS : UN PARLEMENT PUISSANT, DONC BIEN INFORMÉ

I. QUELQUES APERÇUS DU CONGRÈS ET DE LA PROCÉDURE PARLEMENTAIRE AUX ÉTATS-UNIS

Avant d'exposer de manière détaillée les moyens d'information économique dont dispose le Congrès des États-Unis, il convient sans doute de planter le décor, c'est à dire de donner un bref aperçu des principes constitutionnels américains, ainsi que des prérogatives, de l'organisation et du fonctionnement du Congrès 32 ( * ) .

A. LES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS AMÉRICAINS

Imprégnés de la philosophie politique libérale du 18 ème siècle, notamment des idées de Locke et de Montesquieu, les Constituants américains étaient méfiants vis à vis du pouvoir, perçu davantage comme un mal nécessaire à la vie en société que comme un instrument de progrès. Cette appréhension, qui traverse encore aujourd'hui la culture politique américaine, contraste avec la vision européenne, notamment française, d'un Etat guidant le peuple vers un avenir meilleur.

En conséquence, les Constituants américains ont jeté les fondements de trois principes constitutionnels destinés à limiter la concentration du pouvoir  : la séparation des pouvoirs, l'équilibre des pouvoirs et des contre-pouvoirs et le fédéralisme.

Les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont séparés aux États-Unis.

Concrètement, le Président ne peut dissoudre aucune des deux chambres du Congrès, tandis que le Congrès ne peut pas renverser l'administration présidentielle, même s'il peut mettre le Président en accusation dans le cadre de la procédure d'impeachment .

En outre, le Congrès dispose du monopole de l'initiative législative : le Président des États-Unis ne peut pas formellement déposer des projets de loi.

Il peut, certes, effectuer des recommandations. Le discours annuel du Président sur l'état de l'Union contient ainsi des dizaines de suggestions de législation rédigées par les administrations fédérales, qui sont ensuite transmises à des parlementaires (en général des présidents de commission), susceptibles de les déposer en des termes identiques dans chaque chambre.

De même, certains Présidents s'investissent fortement dans la procédure législative, persuadant en personne les parlementaires indécis : ce fût par exemple le cas du Président Clinton pour la ratification de l'accord de libre échange Nord Atlantique (ALENA ou NAFTA en anglais).

Néanmoins, l'exécutif n'est aucunement maître de l'ordre du jour des assemblées. En outre, contrairement à la pratique constitutionnelle française, les ministres n'exposent pas le point de vue du gouvernement dans l'hémicycle.

En d'autres termes, les protagonistes des débats parlementaires ne sont pas le gouvernement, sa majorité et l'opposition, mais les seuls parlementaires. En outre, l'exécutif est constitutionnellement requis de mettre en oeuvre fidèlement ( faithfully ) les lois votées par le Congrès.

Cette configuration institutionnelle, dans laquelle le pouvoir exécutif ne peut formellement éclairer le législateur, explique que le Congrès ait sans doute davantage besoin d'information que d'autres parlements.

Le pouvoir législatif du Congrès est toutefois limité .

En premier lieu, le pouvoir législatif du Congrès est expressément limité par le contrôle de constitutionnalité exercé par la Cour suprême des États-Unis.

En particulier, le dixième amendement à la Constitution dispose que « les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux États-Unis par la Constitution ni refusés par elle aux États, sont réservés aux États respectifs ou au Peuple », et la Cour Suprême interprète cette disposition de manière de plus en plus large : depuis 1995, elle a censuré en tout ou partie d'une vingtaine de textes législatifs qui facilitaient les procédures judiciaires contre les États fédérés ou qui restreignaient de facto leurs prérogatives, comme le Gun-free School Zones Act , une loi qui interdisait les armes à feu autour des écoles.

Au delà du rôle de contre-pouvoir exercé depuis près de deux siècles par la Cour Suprême, les États-Unis, comme, dans une moindre mesure, la France, confient également de plus de plus en plus au système judiciaire le soin de trancher des débats de société, comme l'illustrent les procédures judiciaires engagées par des États fédérés ou par l'administration fédérale contre des fabricants de tabac ou d'armes à feu.

Par ailleurs, le Président des États-Unis dispose d'un droit de veto sur tous les textes adoptés par le Congrès.

Pour contrecarrer un veto présidentiel, le Congrès doit alors adopter de nouveau le texte concerné à la majorité des deux-tiers dans chaque chambre, ce qui est extrêmement difficile à réunir : le Président dispose donc d'un réel pouvoir de blocage. Le veto présidentiel est cependant d'un maniement délicat.

En effet, il s'agit d'un veto global, c'est à dire sur l'ensemble du texte : le Président ne peut pas opposer son veto à une ou plusieurs dispositions ponctuelles des textes qui sont soumis à sa signature.

Plus généralement, il convient de souligner que la séparation des pouvoirs n'est pas stricte. En effet, les différents pouvoirs se recoupent largement afin d'assurer l'équilibre des pouvoirs et des contre pouvoirs, d'une part, de favoriser la coopération entre les différentes institutions, d'autre part.

Outre l'institution du veto présidentiel, on peut ainsi signaler que la distinction entre le pouvoir réglementaire et le pouvoir législatif n'est pas claire. Certes, la Cour suprême a jugé inconstitutionnelle en 1983 la procédure apparue dans les années 1930, consistant à déléguer à l'exécutif la faculté de légiférer par ordonnances soumises à la ratification du Congrès.

Néanmoins, en sens inverse, le Congressional Review Act de 1996 dispose que les agences fédérales doivent informer le Congrès de la publication de nouveaux règlements et que le Congrès dispose alors de soixante jours pour apposer son veto sous la forme d'une résolution adoptée dans les mêmes termes par les deux chambres.

Procéduralement complexe, et sujet à son tour au veto présidentiel, ce veto législatif n'a jamais été mis en oeuvre : sur les douze mille règlements soumis au Congrès entre 1996 et 1999, seuls sept ont donné lieu à des propositions de résolution, et aucune de ces propositions n'a été adoptée par les deux chambres 33 ( * ) . Néanmoins, cette procédure fournit au Congrès des informations utiles sur l'activité réglementaire de l'exécutif.

De même, l'autorité du Président des États-Unis sur les administrations fédérales est étroitement limitée par la précision de la législation, qui contient souvent des directives très détaillées ; par le contrôle étroit du Congrès sur le fonctionnement de l'administration ; enfin par la procédure de confirmation des nominations .

En effet, si le Président dispose d'un pouvoir d'initiative en matière de nomination et pourvoit librement son cabinet, la désignation des ministres, ainsi que des plus hautes personnalités du monde judiciaire et de l'administration (à partir de l'équivalent de chef de service) ne devient effective qu'après ratification par le Sénat à la majorité des deux-tiers.

Cette procédure de confirmation n'est aucunement une formalité : près de la moitié des nominés confirmés entre 1984 et 1999 ont du attendre plus de cinq mois avant de pouvoir prendre leurs fonctions, et beaucoup ont vécu leurs auditions de confirmation comme un véritable procès.

En effet, les nominés doivent justifier de leur probité personnelle, mais aussi de leur gestion passée : les fonctionnaires qui n'ont pas mis en oeuvre les préconisations du Congrès dans le cadre de leurs précédentes fonctions, ou qui n'ont pas accédé avec diligence à des demandes d'information du Congrès, passent ainsi de « mauvais moments », d'autant plus que ces auditions sont publiques, et que les parlementaires cherchent souvent à s'y montrer à leur avantage en adoptant un ton résolument critique. De même, les Sénateurs profitent souvent de ces auditions pour extorquer aux nominés des engagements précis en termes de gestion.

La procédure de confirmation constitue donc un levier considérable pour l'information et le contrôle du Congrès sur les administrations fédérales, en incitant les hauts fonctionnaires à la transparence et à la coopération vis à vis des parlementaires, et surtout en ancrant l'idée que l'administration n'est pas au service de l'exécutif, mais des citoyens, et doit donc rendre des comptes à leurs représentants.

Au total, les occasions de conflit entre l'exécutif et le Congrès sont fréquentes.

Au cours des années 1981-2000, ces conflits furent d'ailleurs d'autant plus intenses que le Président et la Chambre des représentants ont été pendant dix-huit ans sur vingt de bords politiquement opposés : la majorité de la Chambre fut démocrate sans interruption de 1954 à 1994, notamment pendant les mandats présidentiels de R. Reagan (1981-1989) et de G. Bush (1989-1993), puis les deux chambres du Congrès furent républicaines pendant les trois quarts du mandat de B. Clinton (1993-2000).

En d'autres termes, les États-Unis ont connu vingt années de cohabitation quasiment ininterrompue.

La configuration observée depuis l'élection de G.W. Bush (Présidence et Congrès tous deux républicains, même si la majorité républicaine du Sénat ne tient qu'à la voix supplémentaire du vice-Président, qui est aussi le Président de droit du Sénat) est ainsi historiquement atypique.

Quoi qu'il en soit, le Président et le Congrès disposent l'un contre l'autre d'un pouvoir d'empêchement .

L'opinion publique est alors à la fois le témoin, l'enjeu et l'arbitre de leurs conflits. Elle en est l'enjeu et le témoin car les débats parlementaires sont publics et largement diffusés à la télévision. Elle en est aussi l'arbitre, car la partie qui utilise son pouvoir de blocage sans parvenir à convaincre l'opinion publique du bien fondé de sa position est politiquement perdante.

En conséquence, le Congrès et le Président sont souvent condamnés à s'entendre , de sorte que les débats législatifs sont souvent très pragmatiques.

* 32 Pour des compléments, par exemple sur le mode d'élection des membres du Congrès, cf. notamment Claire-Emmanuelle Longuet, « Le Congrès des États-Unis », Que sais-je n°2446, 1989.

* 33 La plupart des informations de cette partie relatives à la procédure parlementaire sont extraites de l'ouvrage de référence de W.J. Oleszek, « Congressional Procedures and the Policy Process », 5 ème édition, CQ Press, 2001.

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