b) M. Patrice VIDON, Président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle

Mercredi 7 Février 2001

M. Patrice Vidon - Les actions de la CNCPI. La Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle s'attaque à trois principaux chantiers : la question du recrutement et du renouvellement générationnel dans les cabinets de conseils ; la nécessité de faire mieux connaître le métier de conseil en propriété industrielle en communiquant auprès du grand public et des pouvoirs publics et la reconnaissance du caractère juridique de la profession de conseil.

Evolution statutaire de la profession. Dans la droite ligne des conclusions du rapport Nallet, les conseils en propriété industrielle qui le désirent devraient pouvoir s'organiser en interprofession avec les avocats, pour mettre à la disposition des entreprises des pôles de compétences juridiques. Alors que ce type d'organisation est possible dans la plupart des grands pays, pour l'instant la loi française l'interdit. Certains avocats, à tort, ne sont pas très favorables à une telle évolution. Il conviendrait, au préalable, de confirmer le caractère juridique de la profession de conseil, au besoin en organisant des formations particulières, dans le but d'aboutir à la mise en place d'un droit de « co-plaider » déjà octroyé aux conseils allemands -les conseils en propriété anglais pouvant même plaider seuls, sans recours aux avocats-. (Un exposé plus précis de cette question, qui couvre également la question du privilège de confidentialité entre les conseils et leurs clients, a été adressé par la suite par M. Vidon)

La situation française en matière de propriété industrielle. Les études chiffrées de l'Observatoire des Sciences et Techniques montrent que la balance des brevets européenne se dégrade, le nombre de brevets en vigueur en Europe d'origine européenne étant même passé en-dessous de la barre des 50 % (43 %). Au sein de l'ensemble européen, il existe de surcroît un problème typiquement français : 14.000 demandes de brevets autochtones environ sont déposées chaque année en France, contre plus de 20.000 au Royaume Uni et 53.000 en Allemagne.

Le rapport de M. Didier Lombard a souligné que le déficit en dépôts de brevet concernait surtout les entreprises de moins de 100 salariés, et, au sein de celles-ci, des entreprises indépendantes qui ne sont pas filiales de groupes. La situation allemande est très différente. Mais il faut dire qu'outre-Rhin, le système juridictionnel jouit d'une très bonne image, ce qui n'est pas le cas en France. Le rapport « Propriété industrielle et coût des litiges », récemment publié par le ministère de l'industrie, montre que le retard français n'est pas lié à un problème de coût mais de confiance dans le système : importance des délais de jugement, absence de motivation des décisions -liée à l'inexistence de spécialistes auprès des juridictions- faiblesse de la doctrine jurisprudentielle en matière de propriété industrielle et montant trop faible des dommages et intérêts octroyés. Au total, le système juridictionnel français n'accorde pas aux titulaires de droits de propriété industrielle la sécurité juridique nécessaire. C'est un facteur dissuasif.

Face à cette situation, on a du mal à percevoir clairement quelle est la politique française de la propriété industrielle, ni la vision française de ce que devrait être la politique européenne de propriété industrielle.

La question de la traduction des brevets européens. En ce qui concerne la question de la traduction des brevets européens, la CNCPI s'oppose au Protocole de Londres, et craint la marginalisation définitive du droit français des brevets s'il venait à être signé. La position complète de la Compagnie est exposée dans un mémorandum qui sera adressé prochainement.

Le rapport de M. Didier Lombard indique que 28 entreprises déposent 30 % des brevets d'origine française déposés par des personnes morales. Ce sont bien évidemment des entreprises très performantes de classe mondiale, auxquelles on n'a rien à apprendre. Ces grandes entreprises font pression auprès des pouvoirs publics pour abaisser le coût de gestion de leur portefeuille de brevets, souvent très important. Mais ce coût est le même pour leurs concurrents. En revanche, il existe une fracture économique entre ces entreprises, qui travaillent en langue anglaise et dont l'objectif est l'accès aux brevets à moindre coût, et l'énorme masse des autres entreprises françaises qui, le plus souvent, n'ont pas recours à la propriété industrielle non pas en raison de son coût, mais pour des raisons culturelles. Ce sont ces autres entreprises qui pâtiraient de la suppression des traductions de brevets en langue française.

En Europe, le coût d'obtention et d'entretien d'un brevet est d'environ de 4.000 à 5.000 francs par an et par pays, sur 10 ans, ce qui n'est pas un coût excessif, en regard du monopole temporaire qui est la contrepartie dans ces pays.

Je ne crois pas que le coût soit un élément réellement dissuasif et nous contestons l'analyse du coût des brevets faite par le chapitre III du rapport de M. Didier Lombard. Ainsi l'étude économétrique de E. Duguet et I. Kabla, parue dans les Annales d'économie et de statistiques, montre-t-elle que l'élasticité du dépôt de brevets au coût est nulle.

A mon sens, le facteur le plus important est celui de l'acculturation des entreprises petites et moyennes, particulièrement dans la « nouvelle économie », ou encore dans le secteur de la sous-traitance, et celui de la confiance dans le système juridictionnel.

Le besoin de réforme du système juridictionnel. En France, les litiges de brevets relèvent de dix tribunaux de grande instance, qui ne disposent pas, dans leur grande majorité, de chambres spécialisées. Il conviendrait de réfléchir à l'échevinage des magistrats de ces juridictions avec des spécialistes de la propriété industrielle, à la création de chambres spécialisées, ainsi qu'à l'instauration d'un droit de « co-représentation » ou de « co-plaider » pour les conseils en propriété industrielle.

Dans les pays anglo-saxons, les juges motivent de manière très précise leurs décisions portant sur des litiges de propriété industrielle, et tranchent souvent en opportunité économique, démarche étrangère aux juges français. Il conviendrait de placer des praticiens de la propriété industrielle auprès des juges et d'organiser des réseaux de magistrats permettant une confrontation des méthodes française, anglaise, allemande et américaine de jugement en la matière.

M. Francis Grignon - Quelle est l'importance stratégique des brevets ?

M. Patrice Vidon - Le système des brevets, qui existe depuis deux siècles, repose sur un pari : il donne un droit exclusif, temporaire et conditionnel à son détenteur, en échange d'une divulgation de son innovation, propre à diffuser l'information et à favoriser, dans l'économie, les fertilisations croisées. Le pari inhérent au brevet est que l'effet positif de contagion de l'innovation sur le reste de l'économie sera supérieur au « verrouillage » qui découle du droit exclusif temporaire conféré au breveté. Ce pari a, jusqu'à présent, toujours été gagné. Il existe d'ailleurs des mécanismes légaux permettant de surmonter des blocages éventuels. Ainsi, une entreprise peut se voir octroyer une « licence obligatoire » si elle apporte la preuve qu'elle exploitera un brevet qui n'est pas exploité par son détenteur.

La propriété industrielle est devenu un enjeu économique majeur, à la fois entre entreprises, mais également entre pays et régions du Monde, car elle permet de réguler les actifs immatériels de l'entreprise, qui en sont devenus la première richesse (voir article de P. Vidon intitulé « Le chantier de la régulation du commerce international par les droits de Propriété Intellectuelle » paru dans l'Annuaire Français de Relations Internationales en mai 2000, ainsi que l'intervention de P. Vidon retranscrite dans les Actes du colloque sur les brevets du 14 septembre 2000 au Sénat). Dans le concert des nations, les Etats Unis d'Amérique et le Japon ont une vision stratégique de la propriété industrielle et semblent défendre mieux leurs intérêts que l'Europe..

La brevetabilité des logiciels et des méthodes d'affaires. Les Américains favorisent actuellement la brevetabilité -déjà acquise en droit aux Etats-Unis et en fait en Europe- des logiciels, ainsi que des méthodes d'affaires. Dans ce dernier domaine, l'équilibre entre l'effet de contagion de l'innovation et le verrouillage octroyé aux détenteurs de brevets est discuté, même s'il n'y a pas de raison de croire le potentiel des connaissances y soit moins infini qu'ailleurs. L'Office américain des brevets a octroyé des protections portant sur des méthodes d'affaires, faisant le pari qu'une régulation a posteriori permettrait de corriger d'éventuels abus. C'est ainsi que le brevet d'Amazon.com sur la méthode commerciale dite du « One clic » a pu être délivré. Mais pour ces méthodes d'affaires, comme pour l'industrie du logiciel et les biotechnologies, la domination est largement américaine. En conséquence, l'ouverture d'une possibilité de breveter ce type d'activités confère à l'économie américaine un avantage relatif auquel il convient de réfléchir avant de s'engager dans cette voie.

Le brevet communautaire. S'agissant du brevet communautaire, c'est une étape attendue par les déposants, qui exigent davantage d'homogénéité. La constitution d'un système régional est une évolution positive. Toutefois, il faut que le Règlement en cours soit équilibré. En outre, les Européens devraient, en contrepartie de l'instauration d'un instrument qui va faciliter l'accès à leur marché, exiger des Américains -revendicatifs en matière de définition des normes communautaires- la création d'un brevet régional nord-américain, qui couvrirait les pays adhérents à l'association de libre échange nord-américaine (l'ALENA).

Mercredi 23 mai 2001

M. Francis Grignon - M. Vidon, je vous remercie d'avoir bien voulu répondre à mon invitation. Pouvez-vous faire le point sur le coût des brevets, leurs procédures, le brevet communautaire, le problème de leur traduction, et l'efficacité de l'OEB ?

M. Patrice Vidon - L'Office Européen des Brevets. L'OEB est très dynamique. L'Office bénéficie d'un très gros budget -ses réserves atteignent six milliards de francs. C'est donc un partenaire majeur dans le paysage de la propriété industrielle en Europe.

L'OEB, en outre, mène une intéressante politique « extérieure » de Propriété Industrielle, qui fait encore trop défaut à Bruxelles. L'Office joue un rôle très important dans les procédures internationales PCT. Son caractère plurinational lui permet d'ailleurs de prétendre prendre à terme une place majeure dans l'unification mondiale des procédures administratives de propriété intellectuelle. Dans le même esprit, l'Office négocie des accords de coopération avec des pays Américains et Asiatiques pour leur offrir un accès à ses bases de données et à ses compétences en matière d'examen des titres de PI.

Le revers de ce dynamisme « politique » est cependant l'accumulation d'un certain retard dans le traitement des dossiers. La longueur des procédures est un vrai problème qui reste à résoudre (même s'il semble que de nombreux déposants s'en accommodent fort bien) : la sécurité juridique des tiers nécessiterait des délivrances rapides. Néanmoins, la qualité du travail de l'OEB n'est pas contestable, même s'il faudra être vigilant aux conséquences de la généralisation du programme BEST et de la forte croissance à laquelle l'Office va indéniablement devoir continuer à faire face.

Ceci étant, les logiques d'action de l'OEB risquent d'être parfois déphasée avec la politique communautaire (et inversement) si on n'établit pas un lien direct avec la Commission européenne. A cet égard, je suis tout à fait favorable au projet selon lequel la Commission serait fortement représentée au sein du Conseil d'administration de l'OEB, ce qui permettrait l'établissement d'un tel lien organique entre les deux structures. Les modalités de l'unification juridique de l'Europe de la P.I. constituent en effet une question politique importante, et une trop grande autonomie de l'Office peut l'amener à préconiser des mesures inspirées davantage par la recherche d'un confort administratif que par le souci de se mettre au service des intérêts réels (pluri-linguistiques, géo-économiques,..) du continent Ouest-Européen.

Le brevet communautaire : La CNCPI est actuellement en train de rédiger une prise de position sur le brevet communautaire, dont voici les quatre principales orientations :

- Nous y sommes bien entendu favorables, à condition d'aller vers un système hybride et plurilingue. Il convient en effet d'éviter l'erreur qui a été faite en matière de droit pénal européen, c'est-à-dire l'alignement sur le droit anglo-saxon (cf. les conclusions du Professeur Delmas-Marty). Et à condition également que les petits et les grands acteurs puissent en bénéficier de la même façon.

- La question linguistique doit être attentivement résolue. L'Europe n'est pas un continent monolingue, et ne le sera pas à court terme, et encore moins par décret. Selon nous, il faut préserver un tri- ou un penta-linguisme intégral des textes des brevets délivrés, qui sera d 'ailleurs bientôt très facilité par les machines de traduction automatique. Cet objectif n'est pas un rêve, puisqu'on voit bien que la Scandinavie et la Hollande sont prêtes à renoncer, pour leur part, à leurs langues nationales.

Par ailleurs, il faut prêter attention aux liens entre mise à disposition d'un brevet dans une langue nationale et effets juridiques. Le projet actuel de Règlement, selon lequel le brevet sera délivré dans la langue de dépôt et sa traduction ne sera pas systématique, n'est pas satisfaisant de ce point de vue. Les articles 11, 44 et 58 du projet de règlement prévoient en effet qu'aucun dommage et intérêt ne serait appliqué tant que la traduction ne sera pas mise à disposition du contrefacteur allégué. La rédaction actuelle comprend toutefois un flou grave de conséquence, et une disposition inacceptable : le flou juridique tient à ce que rien n'est dit des droits acquis avant la production de la traduction, c'est-à-dire des investissements (industriels...) réalisés dans la période où la notification n'a pas encore eu lieu  (et à notre avis, l'intérêt de l'Europe est de reconnaître de tels droits acquis) ; la disposition inacceptable précise que les dommages et intérêts resteraient dus s'il s'avérait que le contrefacteur avait les moyens de comprendre le brevet dans la langue de délivrance : il est évident que cette disposition incitera les déposants à déposer leur demande de brevet en anglais ; en outre, cela dissuadera les entreprises d'investir dans une veille juridique qui leur rendrait difficile d'arguer qu'ils ignoraient l'existence d'un brevet.

- Enfin, le projet de Règlement ne dit pratiquement rien sur l'aspect juridictionnel. Nous demandons qu'il soit centralisé, plurilingue et hybride -alliant droit continental et droit coutumier-. Nous sommes également favorable à l'échevinage des juges (les magistrats professionnels étant assistés de « juges techniques ») et pensons, comme nos confrères allemands et britanniques, et comme l'Institut des Mandataires agréés à l'OEB (IMA), qu'il serait nécessaire que les Conseils en propriété industrielle ait un le droit de « co-représentation » devant ces futures juridictions.

Le coût des brevets : Les économistes, dont l'étude de E. Duguet et I. Kabla, ont démontré -et tout le monde maintenant en est d'accord- que ce n'est pas en agissant sur le coût des brevets que l'on convaincra les non déposants français (trois quarts des entreprises françaises) à utiliser les brevets. Toute l'expérience française des décennies écoulées le montre également. Tant Monsieur le Directeur de l'INPI (lors du colloque de l'AIPLA en mars dernier) que Monsieur Georges Vianès, chargé de Mission du Ministère de l'Industrie (lors de l'audition de la CNCPI en avril dernier) ont reconnu que l'objectif du projet de protocole de Londres, qui vise à faire baisser le coût d'obtention du brevet européen, n'est pas de stimuler le nombre de dépôts de brevets en France.

Il faudrait d'autres mesures, dont le gouvernement n'a pas présenté les contours à ce stade. Nous avons nous-mêmes un certain nombre d'idées sur le sujet. En particulier, je suis de plus en plus convaincu que la confiance des PME dans les brevets passe par une réforme audacieuse de notre système juridictionnel. Elle résultera également d'une meilleure explication des utilisations stratégiques de la propriété industrielle, à travers une sensibilisation continue, et peut-être l'introduction de débats publics controversés sur la propriété intellectuelle pour en faire un sujet vivant. La CNCPI a commencé à jouer un rôle important dans ce cadre.

Le protocole de Londres : Nous sommes toujours opposés à la signature du protocole de Londres, pour l'heure et en l'état. Dans ce cadre, nous sommes anxieux quant au travail réalisé par la Mission Vianes, et, je regrette que les débats de fond n'ait pas encore tous eu lieu, même si certains points ont été clarifiés (l'inefficacité du protocole à augmenter les primo-déposants, par exemple). Nous avons posé 12 questions à la mission de concertation de M. Georges Vianès : face à un certain nombre de ces questions, la mission a juxtaposé les positions du MEDEF, mais l'analyse et la confrontation au fond des arguments des uns et des autres reste à conduire.

Tout le monde semble bien d'accord que le protocole de Londres ne permettra pas aux français de rattraper leur retard, pour des raisons de culture nationale (peu sensible aux coûts). En revanche, il est très probable qu'il entraînera une croissance importante des dépôts de brevets d'origine non européenne. Nous estimons à 66.000 dépôts, soit la moitié du nombre total de dépôts actuels à l'OEB, le potentiel de dépôts supplémentaires d'origine américaine et japonaise. C'est considérable et dangereux : l'Europe seraient ainsi colonisée par les brevets des autres continents sur son propre territoire

La suppression des traductions -qui serait au demeurant peu significative en regard des frais d'entretien et de défense d'un portefeuille de propriété industrielle (moins de 10 % pour une PME)- sert d'autres intérêts, dont certains sont indubitablement respectables mais ne sont pas une priorité, et entraînerait des effets secondaires extrêmement dommageables tels que l'effet « repoussoir » d'un système des brevets « anglo-saxonnisé » pour les PMEs françaises, le déséquilibre de la balance européenne des brevets, le déséquilibre juridique et linguistique du système européen des brevets.

Nous considérons en effet que les petites entreprises qui ne connaissent pas le brevet, et que nous essayons quotidiennement de convaincre depuis des années, seraient encore plus rebutées par un système rendu encore plus opaque.

En outre, ce protocole conduirait à l'affaiblissement définitif du poids de la filière française de la PI en Europe. Quels seront les experts sollicités pour les 93 % de brevets non traduits en français et s'appliquant sur le territoire français ? Il est clair que les entreprises s'adresseront de préférence à des cabinets de conseil anglo-saxons.

M. Francis Grignon - Ils sont cependant plus chers que les français.

M. Patrice Vidon - Les différences de coût que vous soulignez ne me paraissent pas exactes, mais elles traduisent déjà qu'on veut nous placer en seconde catégorie, ce qui est parfaitement injustifié. En fait, les plus gros déposants étant non européens, cela a pour effet, d'ores et déjà, un lissage des prix. C'est en particulier sur la veille juridique -beaucoup plus importante que les litiges, qui sont proportionnellement rares- que les cabinets anglosaxons seront préférés aux français. En outre, ces cabinets appliqueront le droit anglosaxon, ce qui aura pour effet un alignement du système européen sur ce droit, alors que nous plaidons pour un système juridique européen hybride. Le dépérissement de la filière français signifiera l'affaiblissement de la culture française de PI, et donc une certaine marginalisation de notre pays dans ce domaine.

M. Francis Grignon - Le MEDEF et la CGPME sont pourtant favorables au protocole de Londres et disent qu'il ne posera pas de problème...

M. Patrice Vidon - Je suis surpris de la position officielle de la CGPME, l'enquête que nous avons réalisée nous-mêmes à l'hiver 97-98 auprès des PME fournissant des indications inverses. Quoiqu'il en soit, c'est aux politiques de se faire leur propre opinion. Ce sujet n'est pas un sujet technique : il y a là une véritable politique macroéconomique à mener. Il faut éviter de faire l'Europe de l'alignement sur le plus fort !

Formation des Conseils. Sur la formation des spécialistes en propriété intellectuelle, tous les pays ont à peu près la même formation. La France est à un très bon niveau de ce point de vue.

Deux nouvelles pistes nous semblent cependant pouvoir être développées pour la décennie à venir :

- la formation juridique et judiciaire des Conseils. Nous comptons d'ailleurs mettre en place, dans ce but, une formation à la procédure civile et à la plaidoirie, pour accompagner notre activité croissante dans ce domaine (procédure orales à l'INPI et à l'OEB, pratique des tribunaux de commerce), et préparer une meilleure collaboration avec les avocats au sein de structures interprofessionnelles ;

- la formation à l'économie et à la stratégie d'entreprise pour accroître la dimension stratégique de nos conseils.

Réforme statutaire des Conseils. Statutairement, nos cabinets français sont pénalisés par rapport à nos concurrents anglosaxons, sur trois plans :

- nous ne pouvons pas opposer à une requête judiciaire le privilège de confidentialité sur les informations sensibles qui nous sont confiées par nos clients ;

- nous ne pouvons pas aisément mettre en place des structures juridiques interprofessionnelles avec des avocats, pour offrir une gamme complète de services aux grands clients internationaux, comme le font les cabinets anglosaxons ;

- nous ne possédons pas le droit de co-représentation devant les instances judiciaires spécialisées, à la différence de nos confrères allemands et britanniques.

Il est nécessaire que nous puissions très vite avancer sur au moins deux de ces trois points, pour éviter la marginalisation.

En parallèle, pour préserver la filière française, il est impératif de défendre l'ensemble du système juridique français :

- en ne signant pas le protocole de Londres -si ce protocole était signé, la profession serait déstabilisée, et la France ferait un mauvais accord pour toutes les raisons déjà mentionnées ;

- en soutenant la production doctrinale en français ;

- en améliorant notre système juridictionnel.

M. Francis Grignon - Si le protocole de Londres était signé, quels aménagements souhaiteriez-vous voir appliqués au droit français ? Avez-vous actualisé vos calculs de coût moyen d'un brevet européen ?

M. Patrice Vidon - Cette hypothèse est bien malheureuse, et je ne la souhaite pas. Signer le Protocole de Londres, c'est se mettre en position inconfortable :

- favoriser les prises de droits des plus gros déposants actuels, essentiellement non européens ;

- fragiliser la filière française de la propriété industrielle.

Il faudrait donc prendre des mesures compensatoires complémentaires, en plus de celles qui sont déjà nécessaires du fait du retard français.

Tout doit notamment être fait pour faire déposer davantage de brevets aux entreprises françaises, et ceci par quatre moyens :

- inciter les entreprises françaises à dépenser davantage en recherche et développement (on sait que la R&D ne représente que 1,9 % du PIB en Europe, alors qu'elle de 2,7 % aux USA et de 3,1 % au Japon !) ;

- l'amélioration de la sensibilisation à la Propriété Industrielle dans les grandes écoles (la CNCPI va d'ailleurs lancer prochainement un « prix de la propriété industrielle » auprès des étudiants) ;

- la réforme du système juridictionnel français ;

- la création de débats publics sur ce sujet.

Mais on ne rattrapera pas notre retard sur un coup de baguette magique, et la douche du Protocole de Londres serait glacée quoiqu'il en soit.

Le Protocole de Londres est en outre muet sur deux sujets cruciaux qui nécessiteront des débats, et ne pourra pas quoiqu'il en soit les résoudre de façon satisfaisante :

- définir précisément l'effet juridique d'un brevet non traduit, lequel ne devrait permettre aucune mesure d'interdiction ni dommage et intérêt pour tout acte intervenu entre la date de dépôt du brevet et son éventuelle traduction. Reste que, même dans ce cas, l'accord actuel aurait quand même pour effet de créer une multitude de « droits potentiels » qui deviendraient effectifs dès production d'une traduction ;

- définir quelle sera la nature et l'effet juridique des traductions substitutives partielles que le Gouvernement semble vouloir subventionner. Mais nous ne vous cachons pas là non plus que nous sommes inquiets des conséquences à court et long terme de cette éventualité un peu invraisemblable.

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