C.  QUELS SÉNATEURS POUR UNE DEUXIÈME CHAMBRE   EUROPÉENNE ?

Les suggestions formulées à l'égard de la composition d'une deuxième chambre européenne portent à la fois sur le mode de désignation de ses membres et sur la répartition de ceux-ci entre les Etats membres. De plus, des réflexions ont été émises dans le sens d'une simplification des institutions parlementaires européennes.

1. Le mode de désignation

Pour la très grande majorité de ceux qui ont participé au débat sur la deuxième chambre européenne, celle-ci doit être, comme le proposait Alain Poher en 1989, « composée de représentants des parlements des Etats membres » . Pour les raisons mêmes qui ont été évoquées ci-dessus à l'appui de l'instauration d'une seconde assemblée à côté du Parlement européen, les structures qui paraissent « bonnes » , pour reprendre l'appréciation portée par Jean Monnet dans ses Mémoires, sont « une chambre des peuples élue au suffrage universel direct et un Sénat élu par les parlements nationaux » .

Mais certaines voix, plus rares, ont plaidé pour que les membres de la seconde chambre représentent également les forces régionales. C'est ainsi que les Amis de l'Europe , association présidée par Etienne Davignon, ancien vice-président de la Commission, ont souhaité que la chambre Haute permette aux forces régionales, dont l'importance politique va croissant, de se faire entendre. Daniel Cohn-Bendit est allé dans le même sens en demandant que les membres de la seconde chambre soient « choisis parmi les représentants des parlements nationaux et régionaux » . L'idée peut paraître séduisante dans la mesure où certaines de ces régions, tels les Länder allemands, voient leurs compétences entamées par les normes communautaires et peuvent, de ce fait, avoir une réelle légitimité à défendre une juste application du principe de subsidiarité. Toutefois, ainsi que le remarquaient eux-mêmes les Amis de l'Europe , une représentation régionale est extrêmement complexe à mettre en place en raison de l'hétérogénéité des statuts, des compétences et de l'importance des régions en Europe. Les difficultés que révèle l'expérience du Comité des régions sont particulièrement révélatrices à cet égard. Une implication et une participation plus forte des régions au système institutionnel de l'Union européenne nécessiteraient au préalable une harmonisation des régions sur le territoire de l'Union, ce qui ne paraît guère réaliste aujourd'hui.

Enfin, une tout autre conception est défendue par ceux qui appellent de leurs voeux une deuxième chambre composée de représentants des gouvernements des Etats. Cette conception, défendue par le président allemand, Johannes Rau, et tout récemment par le chancelier Gerhard Schröder, est totalement différente et pour la seconde chambre et pour le fonctionnement global des institutions de l'Union puisqu'il s'agit en fait de transformer le Conseil des ministres de l'Union en chambre représentant les Etats nationaux, à l'image du Bundesrat allemand. L'objectif n'est à l'évidence pas le même que celui qui est recherché par la mise en place d'un Sénat émanant des parlements nationaux, et il s'agit alors davantage de poser les bases d'un Etat fédéral que de renforcer la légitimité démocratique et de consolider l'identification des citoyens européens à leurs représentants dans le cadre d'une Fédération des Etats-nations.

Il semble apparaître un large accord pour laisser le soin à chacun des Etats membres de déterminer la désignation de ses membres au sein de la seconde chambre. Les raisons mêmes qui militent en faveur d'un Sénat européen amènent à considérer qu'il doit être composé de parlementaires nationaux. Mais il doit revenir à chaque parlement national de procéder à cette désignation selon la procédure de son choix. Et, si un Etat estime qu'il doit faire une place importante à l'expression des forces régionales, peut-être peut-il le faire en modulant la représentation de ses parlementaires entre les deux assemblées de son parlement. Rien n'empêcherait ainsi l'Allemagne de privilégier la représentation du Bundesrat afin de permettre aux Länder de participer aux travaux de la deuxième chambre européenne.

2. La répartition entre Etats

Le débat demeure plus ouvert en ce qui concerne la répartition des sièges entre les Etats. Beaucoup ont plaidé en faveur d'une répartition égalitaire, tels le président de la République tchèque, Vaclav Havel, ou le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, et des voix se sont fait entendre également en ce sens en Autriche ou au Portugal. Comme le déclarait le président Vaclav Havel, « alors que la première chambre, le Parlement actuel, refléterait la taille des différents Etats membres, la seconde renforcerait leur égalité : tous les Etats membres y auraient le même nombre de représentants. » Comme le soulignait en effet Daniel Cohn-Bendit, à l'instar du Sénat américain, la représentation de cette seconde chambre devrait être de type paritaire et non proportionnelle à la démographie de chaque pays, car « elle aurait pour mission de représenter les intérêts des différents Etats » .

Là encore, cependant, quelques propositions divergentes ont été formulées, quelquefois sous la forme interrogative. C'est ainsi que Joschka Fischer, évoquant une chambre des Etats, faisait remarquer que « Aux Etats-Unis, tous les Etats élisent deux sénateurs alors qu'au Bundesrat le nombre de voix varie » .

3. La recherche d'une simplification

Un des principaux reproches adressés à l'idée d'un Sénat européen tient à l'inconvénient de rendre encore plus compliquée la structure de l'Union en ajoutant une institution à l'ensemble de celles qui sont déjà en place. C'est pourquoi un certain nombre de propositions ont été formulées afin de rationaliser les institutions parlementaires européennes.

C'est ainsi que Christopher Patten, après avoir suggéré que la seconde chambre, constituée par des délégués des parlements nationaux, définisse ce qu'il est nécessaire de décider au plan européen, et ce qui doit être laissé à la libre appréciation des nationaux, ajoutait que « le Conseil économique et social, ainsi que le Comité des régions, seraient certainement appelés à s'y fondre » .

D'autres - et notamment Jean-Claude Mignon, parlementaire en mission, en 1995 - ont suggéré que les délégations nationales au sein de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe composent le noyau du Sénat de l'Union européenne. Déjà, les délégations nationales à l'assemblée du Conseil de l'Europe et à l'assemblée de l'UEO sont identiques ; pourquoi ne pas confier à ces mêmes parlementaires nationaux une troisième mission dès lors qu'ils représentent un Etat membre de l'Union ?

Mais le sort de l'assemblée de l'UEO fait l'objet actuellement de nombreuses réflexions. Le transfert des fonctions opérationnelles de l'UEO à l'Union européenne lui ont retiré en effet l'essentiel de son rôle au moment même où la politique de défense européenne prend corps. Le caractère intergouvernemental de cette politique empêche cependant que son contrôle soit exercé par le seul Parlement européen. On voit mal en effet le rôle que pourrait exercer ce dernier en matière budgétaire dès lors que le financement de la politique de défense demeure essentiellement un financement national. Il en découle donc fort logiquement l'idée de confier au Sénat européen les missions actuellement exercées par l'assemblée de l'UEO.

Enfin, certains remarquent que les parlements nationaux disposent déjà aujourd'hui d'un instrument de rencontre, de concertation et de débats : la COSAC. Mise en place en 1989, la COSAC s'est peu à peu affirmée, développant le dialogue entre les parlementaires et le Conseil de l'Union. Reconnue par le traité d'Amsterdam, elle est à présent en mesure d'adresser des contributions aux institutions de l'Union. Composée de représentants des parlements nationaux, chaque Etat étant représenté de manière paritaire, ne pourrait-elle être l'ébauche de ce Sénat européen ? Ne suffirait-il pas de lui adjoindre des compétences supplémentaires et d'affirmer son assise au sein des institutions reconnues par les traités ?

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