III. LES FAIBLESSES PERSISTANTES DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA DROGUE ET LA TOXICOMANIE EN FRANCE AUJOURD'HUI

Malgré les efforts qui ont été accomplis par la présidente de la MILDT depuis 1998, pour mettre fin aux dysfonctionnements dénoncés par la Cour des Comptes dans son rapport particulier, il demeure des faiblesses, d'ordre structurel pour la plupart, dans l'organisation de la mission et dans la mise en oeuvre de la politique générale de lutte contre la drogue et la toxicomanie.

A. LA DÉFINITION DU CHAMP DE COMPÉTENCES DE LA MILDT

On peut d'abord s'interroger sur la pertinence de la définition du champ d'action de la MILDT. En effet, le domaine de compétence de la MILDT s'étend depuis 1999 à l'ensemble des pratiques addictives : la consommation abusive de l'ensemble des drogues, qu'elles soient licites (alcool, tabac, médicaments psychoactifs, produits dopants) ou illicites (cannabis, cocaïne, héroïne, ecstasy et autres drogues de synthèse).

Le plan triennal du gouvernement a principalement axé l'extension de l'appellation « drogues » au tabac et à l'alcool mais les moyens consacrés aux soins restent bien en-deçà des besoins, alors même que le nombre de personnes relevant des centres spécialisés est en constante augmentation tout comme le nombre d'injonctions thérapeutiques 5 ( * ) . L'objectif affiché de ce plan triennal est de traduire le concept de « pratiques addictives » en organisant mieux la complémentarité des prises en charge et des acteurs. La réorganisation de l'offre de soins figure également parmi les priorités du plan triennal de lutte contre la toxicomanie et de prévention des dépendances. Les plus récentes enquêtes réalisées auprès des jeunes conduisent en effet à penser que, dans dix ans, les mêmes structures auront essentiellement à traiter de polyconsommations. De même, les toxicomanies évoluent. On assiste aujourd'hui à une relative désaffection des toxicomanes pour l'héroïne, tandis que la consommation des substances psychostimulantes est en augmentation. Les polytoxicomanies associant le plus souvent de manière aléatoire substances illicites et substances licites prennent de l'ampleur. Le dispositif français a été lent à percevoir ces évolutions.

Pour autant il convient de continuer à faire une nette distinction entre la consommation de produits licites et celle de produits illicites afin de ne pas rendre les objectifs de lutte contre la drogue et la toxicomanie illisibles. En effet, l'action de l'Etat souffre, en matière de lutte contre la toxicomanie, de la contradiction entre les impératifs sanitaires et sociaux de l'aide aux toxicomanes et ceux de la répression liée à l'interdit de l'usage des drogues. En incluant dans le champ d'action de la MILDT l'ensemble des pratiques addictives, le risque est de brouiller davantage cette frontière déjà bien floue.

Votre rapporteur spécial s'inquiète également du risque de banalisation de la consommation de certaines drogues et de la « diabolisation » d'autres produits. A cet égard, votre rapporteur spécial ne peut que déplorer les errements des pouvoirs publics en matière de dépénalisation du cannabis notamment. Il existe actuellement une tendance à relativiser les dangers du cannabis tout en aggravant la portée du risque lié à la consommation de produits légaux. En premier lieu l'alcool. A partir de là, le sophisme veut que si une drogue comme l'alcool n'est pas interdite, il n'y a aucune raison pour que le cannabis le soit. Ce raisonnement très répandu aujourd'hui n'est pas acceptable aux yeux de votre rapporteur spécial.

En outre, votre rapporteur spécial s'inquiète des propos tenus par le ministre délégué à la Santé, M. Bernard Kouchner, qui déclarait partager le sentiment du conseil national du sida (CNS) quant à la dépénalisation de l'usage des drogues. Dans un avis publié le 6 septembre 2001, le CNS, composé de 23 membres (médecins, juristes, religieux, responsables associatifs...), avait recommandé, à la quasi unanimité, la levée de l'interdiction pénale de l'usage personnel de stupéfiants quels qu'ils soient - y compris l'héroïne - dans un cadre privé, en dehors donc de toute structure collective. Il s'agirait ainsi de lever les freins au traitement des toxicomanes incarcérés et de faciliter les programmes expérimentaux pratiquant la distribution, sous contrôle médical, de stupéfiants tels que l'héroïne. Le CNS a en outre motivé sa prise de position par l'inefficacité des peines prononcées à l'encontre des auteurs, au regard des objectifs de santé publique et par l'amplification des risques sanitaires à laquelle peut participer l'action répressive. Votre rapporteur ne partage évidemment pas cette analyse de l'échec de l'action répressive.

Alors que M. Bernard Kouchner déclarait lors de la dernière conférence nationale de la santé, le 27 mars 2001 : « J'ai déjà eu l'occasion de dire que je n'étais pas favorable à la dépénalisation du cannabis en tant que telle », il s'est pourtant rangé à l'avis du CNS et a déclaré : « Je pense qu'il ne faut pas poursuivre pour usage personnel et réformer la loi de 1970 . ».

Votre rapporteur estime que la prise de position du ministre délégué à la Santé constitue un signal permissif à l'égard des usagers de drogues, effectifs ou potentiels. À l'heure notamment où les pouvoirs publics tentent de sensibiliser l'opinion publique sur les dangers de l'alcool ou de la drogue au volant, il s'agit d'un message anti-pédagogique.

* 5 L'injonction thérapeutique, relancée par une circulaire conjointe Santé-Justice du 28 avril 1995, constitue une alternative aux poursuites judiciaires et s'adresse prioritairement aux personnes dépendantes. Elle consiste dans l'obligation pour le prévenu de suivre un traitement de désintoxication et d'accepter une surveillance médicale permanente. Elle permet de combiner plusieurs impératifs : un nécessaire rappel à la loi, une indispensable orientation vers les structures de prise en charge sanitaire et sociale et un encadrement suffisant pour permettre une prise en charge socio-éducative soutenue.

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