20. Audition de M. Claude Lefrou, président, accompagné de M. Jean-Louis Verrel, secrétaire général de la mission d'expertise interministérielle sur les inondations de la Somme (13 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Claude Lefrou, président de la mission d'expertise interministérielle sur les inondations de la Somme.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Claude Lefrou et Jean-Louis Verrel .

Tout le monde a déjà entendu parler de la mission Lefrou, qui existait même avant notre Commission d'enquête. Vous avez rendu un premier document le 31 mai dernier, en prenant la précaution de dire qu'il ne s'agissait que d'un rapport d'étape. Pouvez-vous commenter ce rapport ?

M. Claude Lefrou - Notre mission est interministérielle, commandée par quatre ministres, Environnement, Intérieur, Equipement, Agriculture et composée de membres des Inspections générales de chacun des ministères. J'en assure la coordination. Notre cahier des charges était assez complet et il ne nous était pas possible de répondre à toutes les questions dans le délai fixé à la fin du mois de mai. Nous avons donc remis un rapport d'étape, qui correspond à nos connaissances actuelles ; des précisions devront encore être apportées dans les mois qui viennent. Notre rapport définitif devrait être disponible au début de l'automne ; il fournira notamment une évaluation des dégâts, ce que nous ne sommes pas capables de faire aujourd'hui. Pour les inondations de l'Aude, je rappelle que nous avions encore des incertitudes sur l'évaluation des dégâts six mois après la catastrophe.

Il nous a été demandé de caractériser l'événement, notamment sa cause. Il est évident que l'inondation est due à une pluie exceptionnelle. En effet, depuis que des observations sont effectuées à Abbeville, c'est-à-dire 1945, les quantités n'avaient jamais été aussi importantes entre octobre et avril : il est tombé le double de ce qu'il tombe normalement durant la période. La première cause est donc une pluie jamais connue au niveau du bassin. La plus récente inondation datait de 1994-1995 : les quantités d'eau avaient été importantes mais la différence est que les pluies ont été cette année plus abondantes et qu'elles ont concerné l'ensemble du bassin, alors qu'elles n'avaient concerné que la partie aval du bassin en 1994-1995.

De plus, l'événement a concerné un bassin à la géologie particulière. La même quantité de pluie est tombée en Bretagne mais dans cette région l'eau ruisselle, ce qui permet une évacuation plus importante. Au contraire, le bassin de la Somme est très perméable, du fait de la craie. Il se constitue donc une nappe qui accueille la quasi-totalité de l'eau, qui ne ruisselle pas comme en Bretagne. L'eau s'accumule donc dans la nappe, qui se vide en permanence dans les rivières. Plus la quantité d'eau accumulée est importante, plus le niveau de la nappe est élevé et plus le débit de sortie de cette nappe est fort. A la fin du mois de février, le niveau de nappe était de l'ordre de grandeur de celui de 1994-1995. A l'époque, au cours de l'automne, Abbeville était la seule ville à avoir reçu des quantités d'eau élevées, contrairement au Centre et à l'Est. En 2000-2001, les quantités ont été plus importantes et elles ont concerné l'ensemble du bassin. De janvier à avril, tout le bassin a été concerné dans les deux cas mais les quantités ont été supérieures en 2000-2001 par rapport à 1994-1995.

Il est possible de simuler le fonctionnement du système en prenant l'exemple de trois réservoirs. Le premier est constitué par les premiers décimètres du sol ; il s'agit de la zone du sol agricole, dans laquelle les plantes puisent leur eau. Le troisième réservoir est celui de la nappe d'eau souterraine, où l'eau remplit tous les vides de la roche. La partie intermédiaire, appelée zone non saturée par les géologues, est remplie à la fois d'air et d'eau. En été, l'évapotranspiration est supérieure à la pluie. Tout ce qui est tombé sur le sol est donc repris par les plantes et l'évapotranspiration. Evidemment, la façon dont ce réservoir fonctionne est variable d'une année à l'autre en fonction de la sécheresse ou de l'humidité. Toutefois, du mois de mai au mois de novembre, ce réservoir n'est pas plein et il ne se produit donc aucune infiltration vers la zone inférieure.

A partir du mois de novembre, le premier réservoir est plein. Le ruissellement est donc possible, ainsi que les infiltrations. On enregistre une augmentation relative de l'eau par rapport à l'air dans la zone non saturée. L'eau atteint alors la nappe dont le niveau monte et dont le débit de sortie augmente aussi. Lors des années exceptionnelles, le réservoir amont est toujours plein, le ruissellement peut être plus important et l'eau descend toujours dans la zone non saturée. En revanche, dans de telles circonstances, le niveau de la nappe atteint des niveaux exceptionnels, ainsi que le débit de sortie dans les sources souterraines. De plus, il apparaît des sources temporaires, qui coulent dans des valons normalement secs, et qui contribuent à accroître le débit des eaux superficielles. Au cours des premières pluies d'automne, l'impact est donc nul et le débit du cours de la rivière peut continuer à descendre. En revanche, à partir de novembre ou de décembre, on constate une augmentation progressive du débit de la rivière, sans que le ruissellement ne soit pour autant très important.

A la fin de l'année 1995, les niveaux des nappes étaient élevés, avant de décroître par la suite, notamment en raison d'années sèches qui n'ont pas permis de l'alimenter de nouveau. Au contraire, dans les deux années qui ont précédé l'automne 2000, l'humidité a été relativement importante. Le niveau de la nappe est donc remonté, chaque fois à un niveau supérieur à celui de l'année précédente. A la fin de l'été 2000, le niveau de nappe était déjà relativement élevé et bien plus élevé que les années précédentes. C'est dans ces conditions que se sont accumulées les pluies exceptionnelles au cours des sept mois qui ont suivi.

En février, le niveau des nappes était élevé mais nous n'avons enregistré aucune inondation. Ce n'est qu'à la fin du mois de mars que les inondations sont intervenues, sachant qu'il est tombé trois fois les quantités normales de pluie en mars et deux fois en avril. Cette accumulation de pluie sur un niveau de nappe à la limite du débordement a fait que les débits des rivières ont été supérieurs à la capacité d'écoulement, notamment du canal de la Somme et de la rivière Somme. C'est à la fin mars et au début du mois d'avril que nous avons dépassé un seuil au-delà duquel les rivières n'étaient plus capables d'écouler dans leur lit mineur les débits qui se présentaient. L'eau a donc débordé dans le lit majeur, en passant par-dessus les berges et les digues. Le lit majeur a été envahi, sachant qu'il contient un réseau de fossés qui a pour fonction de ramener l'eau dans le bief inférieur. Toutefois, compte tenu d'un entretien insuffisant de ces fossés et de la construction d'ouvrages par-dessus, limitant ainsi les capacités d'écoulement, les fossés et les affluents n'ont pas été capables de ramener dans le bief aval, l'eau qui débordait du bief amont. Il s'est donc accumulé environ 90 millions de m 3 dans le lit majeur.

Lorsque la pluie s'est arrêtée au début du mois de mai et que l'évaporation s'est développée, la nappe a continué à se déverser dans la rivière avec des débits qui sont restés constamment élevés, environ 100 m 3 /seconde à Abbeville. Comme la nappe continuait à alimenter la rivière, la possibilité d'éliminer l'eau qui s'était accumulée était relativement faible, d'autant plus que les ouvrages dont nous parlons continuaient à réduire les possibilités. Durant cette période, certains obstacles ont été supprimés par le Génie, en accord avec les services de l'Equipement et le Conseil général, afin de faciliter la décrue et l'évacuation des eaux.

Enfin, en matière de relation avec les bassins voisins, il faut rappeler que l'eau de la Somme vient du bassin de la Somme et que l'eau circule toujours du haut vers le bas. En dehors des ouvrages de navigation, elle ne peut donc pas passer d'un bassin à l'autre. Les seules relations qui existent sont ces ouvrages de navigation, qui sont constitués d'un certain nombre de paliers horizontaux. Chaque fois qu'un bateau passe une écluse, l'eau descend d'un bief dans l'autre. Pour que le principe puisse fonctionner, il faut donc alimenter ce que les spécialistes de la navigation appellent le bief de partage, situé sur le point haut. Dans le cas du Canal du Nord, le bief de partage peut être alimenté à partir de l'Oise ou de la Somme pour le versant Sud et à partir de la Sensée ou de la Somme pour le versant Nord, grâce à des pompes installées à chacune des écluses.

Des consignes de fonctionnement des ouvrages font que l'alimentation se fait plutôt à partir de l'Oise en période de basses eaux, afin de ne pas réduire le débit de la Somme. Au contraire, en période de hautes eaux, la consigne d'exploitation est de pomper dans la Somme pour alimenter le bief de partage. Il n'est donc pas possible que l'eau soit passée du bassin de la Seine au bassin de la Somme, compte tenu de l'exploitation prévue. Il est vrai que dans le dernier bief du canal du Nord avant la traversée de la Somme, il existe le déversoir d'Epénancourt, dans lequel sont passés des débits importants. Toutefois, l'eau présente dans ce déversoir provient des écluses mais aussi des affluents de la Somme.

M. le Président - L'eau du déversoir est évacuée en cas de montée trop forte du niveau du canal du Nord.

M. Claude Lefrou - Plus le niveau de l'eau est élevé dans les affluents et plus le débit de ce déversoir est important. Certains ont pensé qu'il s'agissait d'eau en provenance du bassin de la Seine.

M. le Président - De plus, le bief de Ham a été vidangé par hasard le 23 mars, alors qu'une information aurait dû être effectuée auparavant. En tout, 650 mètres de canal ont été mis à sec pour faire des réparations. Ces travaux étaient prévus depuis plusieurs mois. Pour les gens qui ont vu l'eau partir, il était difficile de s'empêcher de faire le lien.

M. Hilaire Flandre -Les quantités d'eau étaient ridicules.

M. le Président - En effet, 350.000 m 3 ne représentent rien par rapport aux quantités en cause dans les inondations. Toutefois, les gens ne font pas ces calculs.

M. Hilaire Flandre -Il faut leur expliquer.

M. Claude Lefrou - Le système est compliqué et il n'est donc pas facile de l'expliquer. Les schémas qu'il est possible de trouver par ailleurs sont très difficiles à comprendre.

La première conclusion est que la nappe ayant une grande inertie, nous avons toutes les chances de nous retrouver à un niveau de nappe exceptionnel à la fin de l'été prochain. Les risques d'inondation pour l'hiver prochain sont donc plus importants que lors d'une année normale. Il faut prendre des précautions pour l'hiver prochain.

M. Jean-François Picheral - Il faut prendre ces précautions dès cet été.

M. Claude Lefrou - Jusqu'à présent, les nombreuses informations disponibles (Météo France, BRGM, service des ministères de l'Environnement, de l'Equipement...) n'étaient pas regroupées. Or, en faisant la synthèse de toutes ces sources, il est possible de comprendre comment fonctionne le système et de définir des scénarios d'évolution, en fonction d'hypothèses quant aux quantités de pluie qui peuvent tomber. Il est donc possible de définir des seuils d'alerte. Le 12 février, après la réception d'une information du BRGM, le préfet de la Somme avait écrit à certains maires pour les prévenir du haut niveau de la nappe et des risques d'inondation qui en découlaient. Pour autant, personne ne savait à quoi correspondaient ces risques et personne n'a pris de dispositions pour traduire l'information de façon opérationnelle.

Nous devons être en mesure de construire des scénarios pour savoir à partir de quel moment nous risquons de nous retrouver dans la même situation. Nous devons aussi être capables d'avoir une idée de l'évolution de cette situation. En effet, il existe un décalage entre la pluie qui tombe et ses conséquences. Avec un modèle permettant de combiner toutes les données, en fonction de la pluie qui est tombée, nous devons être capables de dire si un problème va survenir dans un mois ou si le délai est plus important. Dans tous les cas, il faut pouvoir anticiper. Evidemment, l'outil sera encore relativement rudimentaire à la fin de l'année. Par la suite, nous pourrons mettre au point des outils plus sophistiqués qui nous permettront d'atteindre une précision plus grande.

Deuxièmement, l'une des causes de renforcement du risque et des durées des inondations est le drainage du lit majeur. Nous avons donc pris certaines dispositions en urgence. Toutefois, d'autres actions peuvent encore être menées au cours de l'été prochain. Une conception parfaitement rationnelle de la gestion du lit majeur nécessite la réalisation d'études hydrauliques et des décisions politiques quant aux zones qui resteront inondées et celles que l'on souhaite protéger ; il s'agit donc d'une approche à plus long terme, qui ne peut pas être suivie dès l'été prochain. En revanche, il est possible de restituer rapidement à certains fossés leur capacité d'écoulement normale ; il est aussi possible de retirer les canalisations qui sont sous les ponts, mais également d'installer des buses sous des routes pour accroître les capacités d'écoulement.

Pour autant, se pose le problème de la maîtrise d'ouvrage de ces travaux. La gestion du réseau hydrographique est assurée par des associations syndicales autorisées ou par certains syndicats intercommunaux dont les moyens financiers sont limités. Jusqu'à présent, ces acteurs engageaient des travaux mais pas à une échelle suffisante. Il faut donc trouver des maîtres d'ouvrage disposant des moyens financiers et techniques pour intervenir rapidement. Le Département a d'ailleurs déjà annoncé son intention de s'engager dans cette voie.

Pour sa part, le canal est un ouvrage qui fait partie du domaine public fluvial de l'Etat. Dans le cadre de la loi de décentralisation, il a été transféré à la Région, qui en a donné la concession au Conseil général. Ce dernier a consacré 10 millions de francs par an à son exploitation et à son entretien, ce qui est supérieur à ce que l'Etat mettait en oeuvre auparavant. Ce canal a souffert durant les inondations, notamment les berges, les digues et les ouvrages de génie civil. Des travaux de restauration doivent donc être effectués si l'on souhaite qu'il puisse continuer à jouer son rôle d'écoulement, au moins au même niveau que cette année, voire à un niveau supérieur si des travaux de renforcement sont effectués...

Le canal dispose d'une branche maritime, qui se termine à Saint-Valéry et qui constitue l'exutoire du bassin. Les ouvrages de Saint-Valéry ont permis d'évacuer toute l'eau qui arrivait à ce niveau. Ainsi, le canal maritime a pu ne pas déborder. Le problème d'évacuation ne se situe donc pas à ce niveau pour les eaux du bassin de la Somme. Toutefois, en période normale de hautes-eaux, le niveau du canal est en permanence supérieur à celui de la mer. Les portes de l'écluse de Saint-Valéry sont donc ouvertes, ce qui permet à l'eau de s'écouler par gravité. En période de vives-eaux, c'est-à-dire de fortes marées, pour éviter l'introduction d'eau de mer dans les terres, les portes doivent être fermées à Saint-Valéry durant quelques heures. Cette procédure n'a pas d'impact à long terme sur l'ensemble du bassin ; en revanche, elle fait remonter l'eau d'environ 30 centimètres à Abbeville tant que les portes sont fermées.

M. le Président - Jusqu'à présent, tout s'est bien passé.

M. Claude Lefrou - Il est possible de concevoir un autre ouvrage à Saint Valéry ou en amont, permettant d'éviter cette répercussion. L'eau serait stockée dans les basses terres, tant que les portes seraient fermées, avant d'être vidée dans la mer lors du retrait de cette dernière. Cette solution doit être étudiée et un choix doit être effectué pour savoir ce qui doit être inondé afin de protéger Saint-Valéry. Techniquement, nous pouvons faire quelque chose dans ce domaine.

Par ailleurs, il existe un contre-fossé le long du canal dont le double objectif est de récupérer les eaux d'infiltration du canal, mais aussi les eaux des basses terres environnantes. Ce fossé est muni de portes à la mer qui sont ouvertes lorsque le niveau du fossé est supérieur à celui de la mer et qui sont fermées lorsque le niveau de la mer est supérieur. Toutefois, le fossé étant situé nettement plus bas que le canal, les portes sont fermées beaucoup plus longtemps. Par conséquent, l'évacuation de ces eaux qui ne passent pas dans le canal est donc limitée. Les capacités de ce fossé pourraient être améliorées en modifiant l'ouvrage à la mer mais aussi en ajoutant une pompe permettant d'évacuer les eaux. Si le contre fossé était aménagé jusqu'à Abbeville, nous devrions pouvoir faciliter l'écoulement des eaux stockées en rive gauche du canal de cette ville. Cela pourrait permettre d'éviter à ces quartiers d'être noyés, ou au moins d'évacuer plus rapidement les eaux qui s'y sont accumulées.

Évidemment, parmi les dégâts qui n'ont pas encore pu être évalués, il faut citer les routes, inondées ou qui ont subi les effets de la remontée du niveau de la nappe. Parallèlement, d'autres équipements publics ont souffert, comme les réseaux d'eau, d'assainissement, de gaz, d'électricité. Des terrains de sport ont aussi été touchés. De nombreux équipements publics sont donc à réparer ; certains sont assurés alors que d'autres ne sont pas assurables. Les collectivités ont donc ces dépenses à leur charge, le problème étant de savoir si elles ont les moyens de les assumer seules ou si elles ont besoin d'une aide.

Concernant les dommages aux activités économiques, nous avons identifié des difficultés entre ce qui est indemnisable au titre des calamités agricoles ou des procédures de catastrophe naturelle. Certaines difficultés proviennent du fait que les gens étaient mal assurés, notamment contre les pertes d'exploitation, mais aussi parce que des dommages ne sont pas pris en compte dans le cadre des procédures existantes. En effet, certaines activités économiques ont souffert des conséquences des inondations sans avoir été inondées. Elles ne sont donc pas indemnisables, même si elles bénéficiaient d'une assurance contre les pertes d'exploitation. De même, dans le domaine agricole, certaines pertes ne sont pas prises en compte au titre des calamités. Les conséquences de l'événement ne sont d'ailleurs pas limitées à la seule inondation. Dans l'ensemble du bassin, des problèmes ont été rencontrés du fait de la saturation des sols ; les semis n'ont pas pu être faits à la période habituelle. Il faut donc tenir compte de l'événement mais aussi de ses conséquences en dehors de la zone inondée elle-même.

Le dernier problème pour lequel nous n'avons pas pu faire des propositions précises est celui des habitations. En effet, lorsque nous avons rédigé notre rapport, les maisons étaient encore nombreuses à être inondées. Dans ce domaine, il faut tout d'abord se demander si elle étaient correctement assurées. Il faut ensuite se demander s'il faut les reconstruire à l'identique ou s'il est possible d'améliorer leur capacité de réaction aux inondations. Enfin, certaines personnes doivent-elles être déplacées ? Il est évident que pour les deux dernières solutions, les indemnités des assurances ne seront pas à la hauteur des dépenses nécessaires. Nous devons donc imaginer des systèmes d'aides complémentaires si nous souhaitons réduire la vulnérabilité des habitations.

Par ailleurs, concernant la prévention réglementaire, il n'existait à l'époque aucun plan de prévision des risques inondations dans le département de la Somme. Toutefois, suite à la crue de 1994-1995, un atlas des zones inondables venait d'être établi sans avoir été encore diffusé. Cet atlas était basé sur une crue légèrement supérieure à celle de 1994-1995 ; en effet, personne ne pouvait imaginer les niveaux qui ont été finalement atteints. Aussitôt après la crue de 1995, des dispositions avaient été prises pour inclure dans les POS des dispositions tenant compte de cette inondation.

Devons-nous prendre dorénavant ce nouveau risque en compte ? La réponse renvoie au principe de précaution. Un tel risque est très exceptionnel puisque ce niveau de pluie est sans doute plus que centennal. Toutefois, dans le cadre de l'évolution climatique, on peut penser qu'il n'est pas déraisonnable de penser que cet événement constitue la référence à partir de laquelle des dispositions doivent être prises. Il faut pour cela faire quelques aménagements mais aussi protéger les habitations d'un risque de déversement du canal ou d'une inondation par le lit majeur. Parallèlement, il faut prévoir des systèmes de pompage pour évacuer les eaux de pluie et les eaux d'infiltration qui remontent du sous-sol.

Nous devons donc imaginer des dispositifs protégeant les zones inondables où des habitations seront maintenues. Tant que nous n'aurons pas réfléchi à tous ces éléments, nous pensons qu'il ne faut pas accorder de nouveau permis de construire dans les zones où le niveau de l'eau était supérieur à 50 centimètres. Cela peut se faire d'autant plus facilement que la pression foncière n'est pas très importante dans cette région.

M. le Président - Dans votre rapport, vous avez largement traité le cas d'Abbeville mais moins celui d'Amiens. Considérez-vous qu'il n'y a pas grand-chose à faire dans cette ville ? Plus précisément, avez-vous étudié l'ouvrage de la rue de Verdun, qui recouvre la rivière ?

M. Claude Lefrou - Personnellement, je ne connais pas la réponse à cette question. La seule impression que j'ai est qu'à Amiens, il était plus difficile d'imaginer des solutions.

M. le Président - La zone est nettement plus urbanisée et la rivière traverse la ville.

M. Claude Lefrou - A Fontaine-sur-Somme, nous avons souligné que certaines solutions étaient évidentes. Pour Amiens, le raisonnement n'est pas aussi simple. Même dans notre rapport définitif, je pense que nous n'aurons pas d'études qui nous permettront de proposer des solutions pour Amiens.

M. Jean-Louis Verrel - Certains des travaux sont évidents et leur lancement peut faire l'objet d'un consensus pour l'hiver prochain. En revanche, d'autres travaux méritent de faire partie d'un plan plus large, sur la base de différents scénarios et d'éléments de modélisation hydraulique.

M. le Président - Dans le rapport, vous dites à un moment : « la solution retenue consiste en... ». Cela signifie-t-il qu'une solution a déjà été retenue ? A-t-elle été chiffrée ?

M. Claude Lefrou - Non. Cette phrase ne concerne pas les solutions permettant de résoudre le problème des inondations mais à améliorer les chasses en baie de Somme. Il s'agit d'un projet qui a déjà été étudié et pour lequel une solution a été retenue. En fait, nous nous sommes demandé ce que la construction de cet aménagement, qui a pour objet de permettre aux bateaux de mer de remonter jusqu'au port Saint-Valéry, avait comme conséquences sur la possibilité d'évacuer l'eau lors d'inondations.

M. Jean-Louis Verrel - Nous devons préciser que cette solution n'a pas été retenue par la mission.

M. Claude Lefrou - Le projet existe et nous avons étudié son effet sur l'évacuation des crues.

M. le Président - J'ai l'impression que la porte à la mer pourrait être améliorée, notamment en s'inspirant des systèmes en vigueur aux Pays-Bas. Dans ce pays, l'ouverture de la porte est réglée en fonction du débit, ce qui permet de moduler la capacité d'entrée et de sortie.

M. Claude Lefrou - C'est exactement ce qui est prévu dans le projet. Ceci étant, l'effet concernera essentiellement Abbeville mais il ne permettra pas de supprimer le problème dans son ensemble. Nous ne pourrons donc pas faire l'économie du bassin intermédiaire que j'ai évoqué.

M. le Président - Quelle est la cascade des responsabilités, de la Région au Département ? Des conventions règlent-elles les relations ?

M. Claude Lefrou - Un transfert a été effectué entre l'Etat et la Région, dans le cadre de la loi de décentralisation. D'autre part, une concession a été signée par la Région au Département. De plus, dans la Somme, les relations entre la DDE et le Département sont particulières puisque la séparation n'a pas été faite. La DDE est donc à la disposition du Département et fait office de service technique.

M. le Président - La responsabilité technique ne revient donc pas au Conseil général mais à la DDE.

M. Jean-Guy Branger - Il s'agit d'une mise à disposition de la DDE au Département. L'organe responsable reste donc le Département. Les subdivisionnaires sont notés par le directeur départemental de l'équipement mais ils sont mis à la disposition du Département, sur la base d'une convention revue tous les ans.

M. Claude Lefrou - C'est la DDE qui fait les propositions techniques mais c'est le Département qui décide des fonds à affecter.

M. le Président - Dans la pratique, peu d'élus politiques sont capables de discuter des projets sur le plan technique.

M. Claude Lefrou - Le Département dispose de services qui contrôlent la DDE. Le Directeur général des services est un ingénieur du génie rural ; son adjoint est ingénieur des Ponts. Le Département a donc les moyens de contrôler la mise à disposition.

M. le Président - Lorsque l'on fait des travaux importants sur les chemins de halages et que les berges ne sont pas remises en état, qui en a la responsabilité ? A Fontaine-sur-Somme, des trous ont été creusés pour installer la fibre optique mais ils n'ont pas été remblayés. Cette dépense énorme a été financée sur fonds publics.

M. Claude Lefrou - Etes-vous certain que la dépense n'a pas été financée par l'opérateur de fibre optique ?

M. le Président - Je ne crois pas. Le Département est impliqué. Qui doit vérifier à la fin des travaux que tout a été remis en place ?

M. Jean-François Picheral - C'est celui qui paye qui doit vérifier.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Cela peut aussi être son conseil technique.

M. le Président - Comment fait-on lorsque les participations sont croisées et que l'on distingue trois maîtres d'oeuvre ?

M. Jean-Guy Branger - Le maître d'ouvre est toujours unique. C'est lui qui commande.

M. le Président - La dilution de la responsabilité est tout de même plus importante lorsqu'il y a trois maîtres d'oeuvre. Certaines populations locales souhaitent avoir des explications dans ce domaine. J'ai apprécié le ton très mesuré de votre rapport ; il permet de dire les choses sans « incendier » personne.

M. Claude Lefrou - De toute façon, personne n'avait imaginé ce qui s'est produit. Il y a six mois, nous n'aurions donc pas recommandé les actions que nous préconisons aujourd'hui. A posteriori, nous ne pouvons que constater que les responsabilités sont nécessairement partagées, en fonction d'une approche consensuelle du non-risque.

M. le Président - Quels sont vos axes de travail aujourd'hui ? Quels nouveaux points seront ajoutés à votre rapport définitif ?

M. Claude Lefrou - Des évaluations chiffrées seront effectuées, comme cela nous a été demandé, en fonction de toutes les expertises qui vont être réalisées. Pour autant, il est évident que des incertitudes subsisteront, d'autant plus qu'il est difficile d'obtenir des chiffres précis de la part des assurances. De plus, nous allons aider les services à élaborer le cahier des charges de l'Observatoire d'observation et de prévision. La mise en place de ce dernier dès l'hiver prochain nous semble indispensable. Nous devons aussi définir les informations qui doivent être fournies à l'Observatoire par Météo France, par le BRGM...

Parallèlement, des mesures complémentaires peuvent être prises en matière de débit. En effet, le bassin est très bien couvert en matière de climatologie et d'hydrogéologie ; il l'est beaucoup moins en matière de débit.

M. le Président - Les points d'observation ne sont pas assez nombreux.

M. Claude Lefrou - En effet, les points d'observation ne sont pas assez nombreux. Nous pouvons donc compléter le dispositif. De plus, il faut pouvoir disposer d'un endroit permettant de rassembler l'information et de la traiter rapidement. Nous allons aider à la mise en place de cet outil. Enfin, des expertises et des travaux seront effectués au cours de l'été. Notre rapport bénéficiera de ces avancées.

M. le Président - Pour l'instant, il faut donc affirmer que des mesures doivent être prises avant l'automne, afin de ne pas connaître une nouvelle situation difficile si la pluviométrie était encore une fois supérieure à la normale. Pour l'instant, nous sommes en dessous de la normale puisque, au cours des cinq dernières semaines, les pluies ont été inférieures de 30 % aux niveaux habituels.

M. Claude Lefrou - Toutefois, il y a encore beaucoup d'eau dans la rivière.

M. le Président - D'ailleurs, les nappes continuent à déborder.

M. le Rapporteur - Nous parlons des causes mais derrière les causes, nous recherchons les responsabilités. En 1992, aucun état des lieux n'a été effectué sur la situation du canal. C'est d'ailleurs la même chose pour les collèges et pour tous les autres équipements. Depuis 1992, les travaux sont pourtant passés de 2 à 3 millions à 12 millions de francs par an. Il semble donc difficile d'assumer la responsabilité étant donnés les efforts qui ont été consentis au cours de ces dernières années.

M. Jean-Guy Branger - L'intervention de M. Claude Lefrou a été très intéressante. En effet, elle permet de comprendre l'essentiel. Je suis élu de Charente-Maritime, département qui possède 90.000 hectares de marais. Partout, je constate que le bon sens est le même. Quelles que soient les responsabilités, et sans faire de procès à l'Etat ou à mes collègues élus, l'eau doit normalement se jeter dans la mer. Si le chevelu puis les canaux sont entretenus, nous devons constater une bonne évacuation de l'eau vers la mer. Parallèlement, il faut adapter les écluses à la hauteur de la mer et des fleuves. L'ensemble du réseau hydraulique est-il bien entretenu ? Chacun fait-il ce qu'il doit faire ?

Par ailleurs, il semblerait qu'il ne soit pas facile de faire réaliser des travaux et de faire collaborer des associations syndicales. D'ailleurs, lors des assemblées, les séances sont plutôt houleuses, chacun se renvoyant la responsabilité des problèmes constatés. C'est humain. Je rappelle que nous disposons d'un organisme départemental, qui travaille pour l'Etat, pour le département, pour les associations de marais, pour les communes. Dans ce domaine, le Conseil général est l'autorité compétente. Il faut donc une harmonisation et une cohérence au niveau du département. Cela est nécessaire ; sinon, les mêmes problèmes se reposeront. L'instauration d'une bonne coordination constituerait une première piste de réflexion.

M. Claude Lefrou - La question des réseaux et des fossés du lit majeur est sous la responsabilité des associations de riverains ou de syndicats intercommunaux qui consacrent peu de moyens à l'entretien. Le Conseil général avait essayé d'inciter au développement de cet entretien, sans succès. Il faut donc réfléchir à une approche institutionnelle plus rigoureuse du type de celle que vous proposez.

M. Jean-Guy Branger - Le problème d'entretien est évident.

M. le Président - M. Claude Lefrou, nous vous remercions de votre participation.

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