24. Audition de M. Bernard Rousseau, président de France Nature Environnement (14 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Bernard Rousseau, président de France Nature Environnement.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bernard Rousseau .

Monsieur Rousseau, vous êtes le président de France Nature Environnement. De quelle structure s'agit-il exactement ?

M. Bernard Rousseau - France Nature Environnement est une fédération nationale d'associations de protection de la nature et de l'environnement. Il s'agit aussi bien d'associations nationales -comme la Ligue pour la protection des oiseaux ou Espaces naturels de France- que régionales -comme Nord Nature ou la FRAPMA- ou départementales. France Nature Environnement regroupe au total 130 organisations. Notre objectif est de réduire ce nombre en favorisant les regroupements régionaux. L'idéal serait en effet de ne plus avoir qu'une trentaine d'organisations.

Si nous comptons toutes les associations fédérées directement ou indirectement par France Nature Environnement, cela représente environ 3.000 organisations et 90.000 adhérents. Au niveau du « chevelu » associatif, nos adhérents sont probablement sept ou huit fois plus nombreux mais nous n'avons pas d'estimation exacte de leur nombre. Dans un seul département, on peut en effet trouver 300 à 400 associations environnementales à un titre ou à un autre.

L'action de France Nature Environnement se situe au niveau national. Nous avons une assemblée générale annuelle, un conseil d'administration et un président élu chaque année. Pour ce qui me concerne, je suis président depuis trois ans.

Nous tirons nos ressources de cotisations, d'expertises associatives, d'aides du ministère de l'Environnement et des autres ministères -dans le cadre des emplois-jeunes notamment. Notre fédération joue un rôle d'animation au niveau national. Elle assure l'interface entre les différents acteurs. De manière générale, je dirais qu'aujourd'hui, les organisations non gouvernementales sont de plus en plus sollicitées et par de plus en plus de monde. J'en veux pour preuve la référence du président de la République à France Nature Environnement lors de son discours d'Orléans, ville dans laquelle se situe notre siège administratif.

Nous sommes organisés en réseaux thématiques transversaux par rapport aux associations fédérées et à leurs militants. Il existe, par exemple, un réseau sur le milieu naturel, un autre sur la chasse et la protection des grands carnassiers et d'autres sur les déchets, la santé, l'énergie ou l'eau, chacun d'entre eux étant animé par un pilote et par un directoire désignés par le conseil d'administration de France Nature Environnement. J'ai personnellement la responsabilité du réseau Eau qui regroupe environ 250 spécialistes associatifs sur cette problématique. La plupart d'entre eux participent aux conseils d'administration des agences de l'eau, des comités de bassin ou des commissions départementales des carrières. Les membres du mouvement associatif français sont d'ailleurs de plus en plus souvent sollicités pour participer à des structures de concertation dans lesquelles ils rencontrent des socioprofessionnels, des élus ou des représentants de l'administration. Nous jouons donc un rôle de régulation à ce niveau.

Concernant les problèmes d'inondations, ils relèvent bien évidemment des compétences du réseau Eau. A ce titre, je me suis moi-même occupé longuement du problème de la Loire. J'ai notamment travaillé sur les différents plans Loire et sur les problèmes d'inondations. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'écrire des articles dans diverses publications sur ce sujet.

M. le Président - Nos investigations portent sur les inondations de la Somme. Quelle appréciation portez-vous sur ces inondations ?

M. Bernard Rousseau - Ce problème est complexe. Il n'existe pas de solution simple. Pour s'en convaincre, il suffit de recenser l'abondante littérature en la matière. D'excellents auteurs ont en effet répertorié les précédentes crues. Le premier problème est donc sans doute celui de la mémoire humaine. En règle générale, on a tendance à rechercher des références dans l'histoire. Par rapport aux évènements climatiques, l'échelle d'observation humaine n'est souvent pas adaptée pour élaborer des référentiels fiables.

Pour prendre le cas de la Loire, on n'a pas enregistré de crue majeure depuis 1866. La mémoire de ces évènements s'estompe donc progressivement et il faut chercher sur les berges des fleuves les marques des crues précédentes. Ces marques laissent souvent sceptiques les personnes qui ne les ont pas vécues. Dans le cas de la Loire, nous avons même noté que ces marques pouvaient être remises en cause par des personnes qui pensent que de telles crues ne pourront plus jamais se reproduire parce que le Massif central a été végétalisé et parce que l'on a construit des barrages.

Il faut aussi tenir compte des lits et des bassins versants. Ces derniers peuvent en effet restituer les crues, mais de manière différente. Dans la Loire par exemple, l'abaissement du lit du fleuve peut favoriser le passage des crues. De ce fait, des crues qui auraient pu déclencher autrefois un état d'alerte n'ont plus aucune conséquence et l'on a tendance à perdre la mémoire du danger. Mais nous avons également noté que l'abaissement du lit de la Loire avait des inconvénients -qui ne se révèlent pas dans les crues petites ou moyennes mais qui peuvent se révéler lors de crues importantes- comme la végétalisation des parties qui ne sont plus submergées. En outre, du fait de l'abaissement du lit de la Loire, certaines digues de protection se sont retrouvées « suspendues » et se sont affaiblies. Leur risque de rupture s'est donc considérablement aggravé. Or il vaut toujours mieux une inondation programmée plutôt qu'une inondation due à la rupture d'une digue.

M. le Président - Quel jugement portez-vous sur la politique d'aménagement des cours d'eau en France ?

M. Bernard Rousseau - De manière générale, l'action en faveur des fleuves me semble délaissée. Pendant longtemps, le discours officiel avait pour seule orientation le développement urbain. On a souvent tendance, en effet, à penser que si une commune située en zone inondable émet des règles de non-urbanisation, cela sera pénalisant pour son développement économique. Le problème, c'est que notre société ne sait pas raisonner selon une échelle temporelle d'un siècle et demi. Au fond, si nous nous occupons des inondations, c'est parce que la nature nous rappelle à l'ordre. Mais c'est avant l'inondation qu'il faut conduire une stratégie de développement, en décidant notamment de ne pas urbaniser certaines zones, ce qui pose toutes sortes de problèmes.

Il existe un autre débat sur ces inconvénients qui peuvent apparaître de manière aléatoire mais je n'ai pas la prétention d'apporter des solutions en la matière. Je sais seulement que la politique d'aménagement des fleuves n'a pas pris en compte ce risque. Ainsi, dans le bassin de la Loire, tous les fossés qui servent à évacuer les eaux après les crues ont été calibrés en fonction de la plus forte crue décennale. Par conséquent, s'il y avait une inondation importante, nous risquerions d'avoir dans cette région des eaux stagnantes.

Dans la Somme, il y a peut-être aussi eu un défaut d'entretien ou de prospective. Des zones humides ont été urbanisées alors qu'elles n'auraient pas dû l'être. On peut aussi noter la surprenante variabilité du climat, qui est peut-être liée à l'effet de serre. Mais comme des incidents de cette nature se sont déjà produits par le passé, il faut en transmettre la mémoire pour en tenir compte dans les schémas d'aménagement des communes.

M. le Président - Vous avez évoqué l'effet de serre. Quel est votre sentiment sur les changements climatiques actuels ? Sommes-nous en train de vivre un changement profond ? Des inondations exceptionnelles telles que celles de la Somme pourraient-elles se reproduire plus fréquemment ?

M. Bernard Rousseau - Si l'on observe la série de catastrophes qui ont affecté notre pays, on pourrait avoir tendance à conclure en ce sens mais, comme ces évènements se sont déjà produits par le passé, je ne pense pas que l'on puisse conclure de façon aussi directe. Toutefois, de plus en plus de scientifiques se rallient à l'hypothèse du changement climatique. On observe en effet des sécheresses surprenantes dans certaines régions et une réalimentation rapide des nappes phréatiques dans d'autres. Ces phénomènes pourraient très bien se reproduire, ce qui nous amène à nous poser la question suivante : socialement, serait-il acceptable qu'une crue de la Loire détruise le potentiel économique acquis depuis cent ans ? Cela serait bien sûr inacceptable. Nous devons donc réfléchir à des solutions.

Personnellement, je pense que nous avons besoin d'une prise de conscience pour favoriser le traitement de cette question. Le problème, c'est que nous avons un lourd « passif » dans ce domaine. On a urbanisé à outrance, sans respecter les principes élémentaires de précaution et la situation risque d'être longue à rétablir. C'est un travail de longue haleine, mais je ne vois pas d'autre solution. Il faut travailler au cas par cas et le plan Loire est un bon exemple de ce qui peut-être fait. C'est en effet grâce à la mobilisation des associations que ce plan a pu être établi. Nous avons pu développer une réflexion sur les savoir-faire, les méthodes et la manière de travailler. Des groupes de ce type devraient, peut-être, être créés dans des zones particulièrement vulnérables.

M. Hilaire Flandre - A vous écouter, il existerait deux types de société : la première serait marquée par le principe de précaution et le risque zéro ; la seconde accepterait le risque. Or, si nous avions opté pour le premier choix, nous aurions laissé la Gaule telle qu'elle est décrite dans les manuels d'histoire. Elle serait toujours un pays de forêts et de marécages.

M. Bernard Rousseau - Si vous avez vu dans mon point de vue une invitation à la première de vos propositions, c'est que je me suis mal exprimé. Pour moi, le risque zéro n'existe pas. Malheureusement, dans la région de la Loire, certains élus locaux ont utilisé cet argument, contribuant ainsi à l'accréditer. Or, notre société ne doit pas seulement se préoccuper du court terme ; elle doit aussi prendre en compte le risque aléatoire à long terme. Il faut donc inverser la tendance et étudier sérieusement les problématiques avant que les catastrophes se produisent, pour en minimiser les conséquences sociales et économiques.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Ma question porte sur la gestion des bassins, en particulier ceux de la Seine, de l'Oise et de la Somme. Pensez-vous que cette gestion est suffisamment coordonnée ? Pensez-vous qu'elle ait pu avoir une influence sur les inondations de la Somme ?

M. Bernard Rousseau - Nous avons un dispositif de gestion des bassins avec les Agences de l'eau. Malheureusement, leurs compétences ne sont pas suffisamment précises en matière d'inondations. De plus, j'ai l'impression que la gestion inter-bassins est très peu développée, ce qui n'est pas une bonne chose. Il semble en effet qu'il y ait des problèmes d'interface entre ces bassins. C'est d'ailleurs pour cela que France Nature Environnement a réclamé, dans le cadre de la nouvelle loi sur l'eau, de nouveaux outils transversaux, pour faire face notamment aux inondations.

Quant aux rumeurs faisant état d'un déversement des eaux du bassin de la Seine dans celui de la Somme, je ne me prononcerai pas sur ce sujet. Il s'agit en effet d'une question scientifique très complexe. Je crois savoir qu'un rapport a été publié sur ce sujet. Je crois également savoir qu'il n'y a pas de connexion entre les deux bassins. J'attends donc d'avoir tous les éléments en main pour me faire une opinion. Ce qui est sûr, c'est que nous devons faire progresser la gestion inter-bassins et qu'il faut lancer des politiques transversales. C'est d'ailleurs pour cela que je suis favorable au Fonds national de solidarité pour l'eau.

M. Hilaire Flandre - Est-il possible d'envisager que des nappes d'eau souterraines puissent interférer les unes par rapport aux autres ? Le fait de conserver des nappes d'eau importantes en Champagne pour protéger Paris peut-il avoir des conséquences sur le niveau des nappes de Picardie ?

M. Bernard Rousseau - A mon sens, seuls les géologues peuvent répondre à cette question. Mais il faut bien voir que les quantités d'eau présentes dans ces nappes sont considérables. Certaines d'entre elles représentent jusqu'à 10 milliards de m 3 d'eau. A une telle échelle, l'homme ne peut donc avoir aucune influence.

M. le Président - Merci Monsieur Rousseau pour votre intervention. Vous nous avez apporté quelques éclaircissements précieux. Nous nous permettrons peut-être, si vous nous y autorisez, de reprendre contact avec vous avant de rédiger notre rapport.

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