2. Deux illustrations d'un ralentissement de la croissance américaine

Une contraction de l'économie américaine, associée à une dépréciation du dollar, aurait des effets très négatifs . C'est l'enseignement de deux variantes qui invitent, en outre, à porter une attention toute particulière au niveau des gains de productivité, et aux bénéfices d'une meilleure efficacité économique. Ces différents éléments sont illustrés par deux variantes, où un ralentissement marqué affecte la productivité aux Etats-Unis (- 1,5 point par rapport au scénario central, soit un retour à des gains de productivité de 1 % l'an) et, à un moindre titre, dans le reste du monde.

Les deux variantes ici présentées diffèrent par la vitesse de correction des anticipations des agents.

Dans la première, les agents économiques s'adaptent graduellement à des gains inférieurs à ce qu'ils anticipaient.

Variante avec des gains de productivité inférieurs
et correction graduelle des anticipations
(Ecarts en % par rapport au compte central)

2002

2003

2004

2005

2006

ETATS-UNIS

PIB

- 1,3

- 1,8

- 2,1

- 2,4

- 2,6

PIB potentiel

- 1,5

- 1,9

- 2,3

- 2,8

- 3,2

Demande intérieure

- 1,6

- 2,4

- 3,0

- 3,6

- 4,2

Investissement

- 1,4

- 3,8

- 4,8

- 5,8

- 6,9

Taux de change

- 1,9

- 3,6

- 5,1

- 6,7

- 8,6

Balance courante ( en milliards de dollars )

13,0

28,8

45,5

66,1

87,8

Inflation

0,2

0,3

0,4

0,5

0,7

Taux d'intérêt à court terme

0,0

0,1

0,2

0,5

0,9

ZONE EURO

PIB

- 0,6

- 1,1

- 1,7

- 2,4

- 3,3

PIB potentiel

- 0,5

- 1,0

- 1,4

- 1,8

- 2,3

Demande intérieure

- 0,2

- 0,3

- 0,5

- 0,6

- 0,7

Investissement

0,6

1,6

2,3

3,0

3,8

Taux de change contre le dollar

3,5

6,8

10,2

13,8

18,4

Balance courante ( en milliards de dollars )

- 4,1

- 9,1

- 15,7

- 27,0

- 39,5

Inflation

- 0,3

- 0,5

- 0,6

- 0,8

- 1,0

Taux d'intérêt à court terme

- 0,3

- 0,6

- 1,0

- 1,6

- 1,9

JAPON

PIB

- 0,4

- 0,7

- 1,1

- 1,6

- 2,0

PIB potentiel

- 0,5

- 1,0

- 1,5

- 2,0

2,5

Demande intérieure

- 0,4

- 0,8

- 1,3

- 1,9

- 2,6

Investissement

0,3

0,5

- 0,1

- 0,7

- 1,5

Taux de change

- 1,4

- 2,7

- 3,9

- 5,1

- 6,6

Balance courante ( en milliards de dollars )

- 3,5

- 5,2

- 4,8

- 2,2

4,2

Inflation

0,1

0,1

0,1

0,1

0,2

Taux d'intérêt à court terme

- 0,1

-

-

0,1

0,2

PAYS ÉMERGENTS

PIB

- 0,3

- 0,5

- 0,7

- 1,0

- 1,2

Demande intérieure

- 0,4

- 0,6

- 0,9

- 1,2

- 1,6

Balance courante ( en milliards de dollars )

1,7

0,7

- 1,5

- 3,2

- 5,5

Source : FMI, World Economic Outlook. Octobre 2001

L'investissement décline progressivement, mais nettement, aux Etats-Unis sous le double effet du ralentissement de la demande intérieure et d'un resserrement des taux d'intérêt.

Le PIB potentiel se réduisant plus vite que la croissance effective, des tensions inflationnistes surviennent, amplifiées par la dépréciation du dollar.

Dans la zone euro, la dégradation de l'activité, modérée les premières années, est plus prononcée qu'aux Etats-Unis en fin de période, du fait de performances extérieures très défavorables, consécutives à l'appréciation du taux de change.

La réduction des taux d'intérêt de court terme parvient à limiter l'ampleur du repli de la demande intérieure -l'investissement en ressort plus dynamique-, mais l'écart entre les taux courts américains et européens ne freine pas la dépréciation du dollar.

La réduction de la croissance effective est plus ample que celle de la croissance potentielle, situation inverse à celle de l'économie américaine.

Hormis les risques associés à un ralentissement des gains de productivité, cette exploration délivre un message fort. La dépréciation du dollar handicape la croissance de la zone euro et la désinflation qui s'ensuit en Europe, si elle soutient la demande intérieure, n'est pas suffisante pour contrecarrer les enchaînements récessifs liés à l'appréciation de l'euro, lorsque les taux d'intérêt reculent modérément en Europe et dans le contexte d'un fort ralentissement de l'économie américaine.

Les perspectives dessinées par cette variante sont assez sombres pour l'Europe. Les ressorts internes de son dynamisme y apparaissent faibles. A l'inverse, sa dépendance aux échanges extérieurs ressort si élevée qu'une appréciation de l'euro pénalise très fortement sa croissance lorsqu'elle est couplée avec une diminution de l'activité outre-Atlantique.

Ces enchaînements sont préoccupants compte tenu des questions soulevées par le niveau de la parité entre l'euro et le dollar. Votre rapporteur rappelle, en effet, qu'un certain consensus existe sur le diagnostic d'un dollar sur-évalué. Il est donc important d'approfondir la réflexion sur les conditions d'une correction satisfaisante de cette situation.

QUEL EST LE « BON » TAUX DE CHANGE DE L'EURO ?

La dépréciation de l'euro a suscité l'idée que l'euro serait sous-évalué. Qu'en est-il exactement ?

Répondre à cette question suppose de déterminer le « bon » taux de change de l'euro.

1. Les approches à partir de considérations de compétitivité.

La moyenne du taux de change réel sur longue période

On peut tout d'abord estimer que le bon taux de change est celui qui permet à une économie d'atteindre son niveau de compétitivité de longue période (tel qu'il résulte des effets conjugués du taux de change et du différentiel d'inflation).

Ainsi, on estime que pour ramener l'économie de la zone euro à son niveau de compétivité moyen de la période 1973-1998, il faudrait un euro compris entre 0,80 et 1,19 dollar.

Il est à noter que cette méthode débouche sur une fourchette très ample, qui varie selon l'indice de prix ou de coût utilisé pour appréhender la compétitivité, mais aussi, selon la durée de la période considérée.

Les parités de pouvoir d'achat (PPA)

On peut par ailleurs recourir à une analyse en termes de parités de pouvoir d'achat (PPA).

Selon la théorie des parités de pouvoir d'achat, s'il n'existe aucune entrave au commerce international (y compris en matière de coût du transport et de disponibilité de l'information), les divergences de prix de biens échangeables ne peuvent être que temporaires.

Le taux de change déterminé sur la base de la parité de pouvoir d'achat est celui qui permet de conserver un pouvoir d'achat identique lors de la conversion d'une monnaie dans une autre.

Le « bon » taux de change ainsi déterminé serait, selon l'OCDE, de 1 euro pour 1,05 dollar .

Ce taux peut légèrement varier selon la méthode utilisée.

Les coûts salariaux relatifs

Une autre approche en terme de compétitivité consiste à égaliser les coûts salariaux horaires relatifs.

Sur cette base, 1 euro vaudrait 1,01 dollar (chiffre avancé par le Conseil d'analyse économique dans son rapport Architecture financière internationale de 1999).

Là encore, ce chiffre doit être considéré avec prudence, compte tenu de l'imprécision de son évaluation.

Au total, une approche en terme de compétitivité conduit à un « bon » taux de change de l'ordre de 1 euro pour 1 dollar.

2. L'approche par la balance des paiements courants : des résultats incertains

Une seconde approche consiste à considérer que le bon taux de change est celui qui permet à l'économie, sur le plan interne , d'atteindre son taux de croissance potentielle (c'est-à-dire de croissance non inflationniste) et de supprimer le chômage conjoncturel , et, sur le plan externe , d'atteindre une cible de balance des paiements courants considérée comme optimale (en fonction d'objectifs d'épargne et d'investissement).

Les économistes appellent le taux de change ainsi défini le « taux de change d'équilibre fondamental ».

Le tableau ci-après fournit des estimations du taux de change d'équilibre fondamental de l'euro.

Estimations du taux de change d'équilibre fondamental de l'euro (en dollars)

Cible de déficit extérieur américain maximal (en % du PIB) 5 ( * )

1 %

2 %

Différentes estimations du

Wren-Lewis et Driver (1998)

-

1, 17 à 1,43

taux de change d'équilibre

CAE (1998)

1,19 à 1,26

1,07 à 1,15

fondamental

COE (2000)

-

1,24

Sources :

- Conseil d'analyse économique (CAE), Architecture financière internationale (annexe de Didier Borowski et Cécile Couharde).

- Centre d'observation économique (COE) de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, Modèles et diagnostics , 1 er trimestre 2000.

Ces résultats sont à considérer avec précaution .

En particulier, la détermination du «  bon »  niveau pour les cibles de balance des paiements courants repose avant tout sur des jugements qualitatifs impliquant une certaine subjectivité.

Le choc de productivité produirait des effets encore plus dommageables si les agents économiques y réagissaient très tôt . C'est l'objet d'une dernière variante. Dans un tel scénario, les corrections s'opèrent plus vite et plus brutalement. Le retournement du cycle est rapide et accusé. En outre, s'ajoutent à ce revirement deux chocs : une chute des marchés boursiers de 20 % et une appréciation de l'euro contre le dollar de l'ordre de 17 %.

Variante avec des gains de productivité
inférieurs et correction immédiate des anticipations
(Ecarts en % par rapport au compte central)

2002

2003

2004

2005

2006

PIB mondial

- 1,2

- 1,6

- 1,8

- 2,1

- 2,3

ETATS-UNIS

PIB

- 2,2

- 2,7

- 2,8

- 2,8

- 2,6

PIB potentiel

- 1,6

- 2,1

- 2,6

- 3,1

- 3,5

Demande intérieure

- 3,3

- 4,2

- 4,5

- 4,6

- 4,6

Investissement

- 2,7

- 7,0

- 7,7

- 8,2

- 8,4

Taux de change

- 7,1

- 7,3

- 7,4

- 7,9

- 8,7

Balance courante ( en milliards de dollars )

40,1

86,4

119,3

144,2

160,5

Inflation

0,5

0,1

- 0,1

- 0,1

0,1

Taux d'intérêt à court terme

- 0,4

- 0,7

- 0,5

- 0,1

0,1

ZONE EURO

PIB

- 1,0

- 1,4

- 1,8

- 2,4

- 3,0

PIB potentiel

- 0,5

- 0,9

- 1,4

- 1,8

- 2,3

Demande intérieure

0,7

0,7

0,6

0,3

-

Investissement

1,2

2,6

2,6

2,7

2,8

Taux de change contre le dollar

17,8

17,7

17,5

17,6

17,9

Balance courante ( en milliards de dollars )

- 9,5

- 35,3

- 55,2

- 72,6

- 88,2

Inflation

- 1,6

- 0,8

- 0,5

- 0,4

- 0,3

Taux d'intérêt à court terme

- 1,6

- 1,9

- 2,2

- 2,3

- 2,3

JAPON

PIB

- 1,0

- 1,5

- 1,8

- 1,9

- 2,0

PIB potentiel

- 0,5

- 1,0

- 1,6-

- 2,1

- 2,7

Demande intérieure

- 1,4

- 2,0

- 2,4

- 2,6

- 2,8

Investissement

- 0,9

- 2,3

- 2,7

- 3,0

- 3,1

Taux de change

- 6,2

- 6,2

- 6,4

- 6,6

- 6,8

Balance courante ( en milliards de dollars )

- 2,3

- 2,3

- 1,5

1,8

10,1

Inflation

0,4

0,0

- 0,1

- 0,1

- 0,1

Taux d'intérêt à court terme

- 0,2

- 0,2

- 0,2

-

0,1

PAYS ÉMERGENTS

PIB

- 0,5

- 0,7

- 1,0

- 1,2

- 1,3

Demande intérieure

- 0,5

- 1,0

- 1,3

- 1,5

- 1,8

Balance courante ( en milliards de dollars )

- 6,4

0,5

- 0,3

0,1

2,0

Source : FMI, World Economic Outlook. Octobre 2001

Votre rapporteur souhaite mettre en évidence deux composantes de ces simulations :

• Le ralentissement des gains de productivité amplifie les effets négatifs des chocs financiers qu'elles comportent.

Dans un précédent exercice, le FMI avait testé les effets d'une chute de la bourse américaine de 20 % accompagnée d'une dépréciation du dollar de 10 %. Ses résultats étaient déjà significatifs, mais ils l'étaient beaucoup moins que lorsque s'ajoute à ces événements une réduction du rythme des gains de productivité.

Impact sur la croissance d'une chute de 20 % de la Bourse américaine et d'une dépréciation de 10 % du dollar,
selon le FMI sans choc de productivité

La première année

Trois ans plus tard

Etats-Unis

- 1,9

- 0,4

Zone euro

- 1,3

- 0,5

Source : FMI.

• L'appréciation de l'euro pénalise d'autant plus l'économie européenne qu'elle intervient dans un contexte de ralentissement de l'économie américaine et que les taux d'intérêt en Europe baissent moins.

Votre rapporteur, qui estime toutefois que la sensibilité de l'économie européenne à une appréciation de l'euro devrait faire l'objet d'approfondissements, en tire une conclusion. En effet, une « appréciation réussie de l'euro » suppose, semble-t-il, qu'elle provienne d'une croissance européenne dépassant une croissance américaine vive. Il importe donc que l'Europe s'engage à dans une politique résolue de croissance ce qui, aux yeux de votre rapporteur, suppose qu'elle opère les réformes structurelles sans lesquelles une croissance rapide et durable ne saurait y être atteinte.

* 5 L'estimation du taux de chambre d'équilibre fondamental euro/dollar dépend notamment de la cible de déficit courant attribuée aux Etats-Unis.

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