D. LES RYTHMES DE L'ADAPTATION DES ESPÈCES

Les débats sur la biodiversité et l'intensification de l'effet de serre entraînant des changements climatiques posent aussi la question de l'adaptabilité des espèces animales ou végétales. Certains considèrent que le rythme du changement climatique permettra l'adaptation des espèces à travers notamment leur migration, mais d'autres insistent sur la difficile compatibilité entre le rythme du changement climatique et ceux de l'adaptation des espèces , notamment celui de leur migration.

C'est ainsi que dans son ouvrage « La Terre menacée. Un laboratoire à risques » (47 ( * )) , Stephen H. SCHNEIDER a contesté fortement la possibilité d'une adaptation des espèces face aux changements climatiques à venir.

Il a relevé que des découvertes récentes fondées sur l'étude des sols et des sédiments terrestres avaient remis en cause les théories formulées par DARWIN dans « L'origine des espèces » où il supposait que les diverses espèces s'étaient déplacées ensemble préservant ainsi la biodiversité. En effet, pendant les périodes de transition entre les ères glaciaires et les ères interglaciaires, les déplacements d'espèces ont suivi des rythmes inégaux et des directions différentes. C'est ainsi que, même si les essences d'arbres se déplaçaient, les forêts anciennes disparaissaient. Or, le taux moyen de changement des températures de l'ère glaciaire aux temps interglaciaires a été évalué à environ 1°C tous les mille ans. Même si le temps de réaction des différentes espèces est propre à chacune d'entre elles, ce rythme du passé n'a rien à voir avec ceux que provoquerait un futur changement rapide du climat, estimé à plusieurs degrés par siècle actuellement, sans compter que, par rapport aux âges reculés, les taux d'extinction seraient renforcés par la fragmentation des habitats, les diverses pollutions et l'introduction d'espèces exotiques dans de nouveaux habitats.

Compte tenu de ces éléments, l'adaptation à un changement climatique important devrait s'étendre sur plusieurs siècles alors même que le réchauffement actuellement envisagé interviendra sur une durée bien plus brève .

En outre, la survie des espèces animales dépend non seulement de la température mais encore de la végétation et de la préservation de la communauté biologique à laquelle elles appartiennent ; la survie de certaines espèces isolées d'autres espèces ne pouvant être envisagée.

Pour illustrer ces difficultés, Stephen H. SCHNEIDER évoque la quasi-élimination de la loutre de mer américaine de la côte Ouest des États-Unis d'Amérique par les chasseurs de fourrure. Cette réduction de la population des loutres de mer entraîna la prolifération des oursins qui constituent la base de leur alimentation ; les oursins décimèrent les forêts de varechs géants, créant des fonds marins désertiques. En réaction, la protection ultérieure des loutres provoqua la diminution de la population d'oursins et la réapparition du varech ainsi que du poisson. Autre exemple, toujours dans l'ouest des États-Unis : l'élimination des loups a entraîné la prolifération des coyotes puis la mise au point de programmes pour limiter le nombre de ceux-ci, ce qui entraîna la multiplication des renards qui menaça les populations de gibier d'eau ; d'où les projets de réintroduction de populations de loups. Ces exemples illustrent qu' il est difficile de connaître a priori les équilibres entre espèces et donc l'impact des modifications apportées à leurs conditions d'existence.

Au-delà de ces exemples d'adaptation, il doit être rappelé que les ressources biologiques globales sont estimées à environ 10 millions d'espèces vivantes dans les seules forêts tropicales humides . Dans ces conditions, Stephen H. SCHNEIDER a relevé qu'avec un taux de destruction des forêts de 1 % par an, ce sont environ 27.000 espèces qui seraient condamnées par année, c'est-à-dire 74 par jour et 3 par heure ; sans compter que certaines des espèces qui disparaissent n'ont pas encore été identifiées , ce qui rend impossible l'appréhension de l'importance même de la disparition. Evidemment, la réduction de la superficie de la surface de la forêt tropicale ne fera qu'accentuer ce rythme déjà très impressionnant et sans commune mesure avec le taux d'extinction naturel qui devrait être, chaque année, d'une espèce pour un million. En outre, il peut être souligné que si d'importantes déforestations n'ont pas, par exemple, entraîné de grands nombres de disparitions d'espèces d'oiseaux en Amérique du nord-est, c'est parce qu'il s'y trouve peu d'espèces endémiques, alors que c'est tout le contraire dans les forêts tropicales. Stephen H. SCHNEIDER ne manque pas de rappeler que ce « massacre planétaire est accompli par une seule espèce, l'homme , décidée à accroître sa population et à améliorer sa situation économique ».

Enfin, votre Rapporteur fait siennes les considérations conduisant Stephen H. SCHNEIDER à rappeler que « l'interconnexion des écosystèmes dépasse les échelles discrètes qui caractérisent les entreprises privées, les Etats-nations, ou les pratiques de différentes disciplines . La gestion de l'environnement doit se faire à l'échelle du système géré ». Et aussi que : « Les problèmes d'environnement les plus graves du XXI ème siècle ne se limiteront pas à la destruction des habitats, ni à la destruction de la couche d'ozone, ni à la pollution chimique, ni à l'invasion d'espèces exotiques ni aux changements climatiques considérés séparément : le grand problème sera celui de la synergie entre tous ces facteurs ».

La réflexion sur les changements climatiques, et la diversité des thèmes abordés dans le présent rapport rejoignent ces préoccupations.

A partir des études menées sur les papillons et les oiseaux migrateurs , M. Denis COUVET, du Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d'Oiseaux (CRBPO) du Museum national d'histoire naturelle , a rappelé qu'il avait été observé que, sur vingt ans, les périodes de migrations avaient varié de dix jours environ.

A cet égard, il peut être relevé que certaines migrations sont liées à la durée du jour et à la température, que tout ajustement des périodes de migrations d'une espèce peut interagir sur les périodes de migration d'une autre espèce et qu'une adaptation des espèces au changement de milieu requiert un effectif de population suffisant.

Pour sa part, le CRBPO a constaté de brusques changements dans l'implantation d'espèces d'oiseaux.

Face à ces modifications, M. Denis COUVET a noté que les changements climatiques en eux-mêmes ne sont pas nécessairement une cause d'extinction d'espèces, mais que le changement climatique peut constituer la dernière atteinte portée à l'espèce.

Il a insisté sur la dépendance de l'homme par rapport aux autres espèces et sur la nécessaire conservation de la biodiversité malgré le changement climatique, plus importante que le changement climatique en tant que tel.

* (47) Hachette littératures. 1999.

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