VI. LES ENJEUX GÉOPOLITIQUES DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Les changements climatiques qui risquent de survenir au cours du XXI ème siècle ne pourront manquer de modifier une partie de la donne géopolitique, voire géostratégique.

Les ressources en eau, l'agriculture, la santé, les déplacements de population risqueraient d'en être affectés.

Même une esquisse de ces évolutions dépasserait le cadre du présent rapport ; cependant, ces aspects doivent tout de même être schématiquement évoqués pour mémoire.

A. L'EAU

Deux évolutions opposées sont à redouter. Tout d'abord, le risque que la montée du niveau des océans vienne submerger certains territoires, notamment des îles situées au milieu du Pacifique ; certains Etats craignent même une submersion totale et ont cherché à obtenir des territoires en concession de la part d'Etats voisins.

Au sein même des négociations climatiques, ces Etats îliens se sont regroupés -OSIS- pour faire entendre leur voix au niveau international.

Même si la montée du niveau des océans n'est ni rapide, ni instantanée, la très faible altitude de ces îles peut les rendre vulnérables à l'occasion d'une conjonction entre et des événements climatiques extrêmes. Il pourrait alors suffire de quelques heures pour provoquer des dommages irrémédiables.

Dans nombre d'autres pays, des territoires côtiers présentent également une grande vulnérabilité ; c'est le cas des deltas ou des villes situées en bord de mer sur de mauvais terrains que des précipitations accrues pourraient fragiliser.

L'autre menace liée à l'eau provient de sa rareté croissante .

Déjà actuellement, nombre de conflits d'apparence politique, ethnique, culturelle, se révèlent être sous-tendus par des oppositions irréductibles pour accéder à la première des richesses, l'eau.

Il en a été ainsi des conflits entre le Kirghizistan et le Tadjikistan pour les ressources de l'Amou-Daria et du Syr-Daria, entre l'Angola et la Namibie , et entre l'Afrique du Sud , le Botswana , le Zimbabwe et le Mozambique.

Pour s'en tenir à quelques exemples, le Moyen-Orient , qui fournit en grande partie le pétrole, c'est-à-dire l'or noir de la civilisation industrielle, est déchiré par les querelles relatives à l'or bleu, c'est-à-dire l'eau.

Ces conflits concernent le monde entier car ils remettent en question périodiquement la sécurité des approvisionnements énergétiques.

Il suffit de rappeler que les deux-tiers des pays arabes disposent de moins de 1.000 m 3 par habitant et par an , soit le niveau du seuil des crises chroniques (52 ( * )) , que 40 % de l'eau israélienne proviennent des territoires occupés depuis 1967, le Golan et la Cisjordanie dont 90 % de l'eau est utilisé au profit d'Israël. De plus, l'occupation du sud-Liban par Israël de 1988 à 2000 lui permettait de contrôler une partie des eaux du fleuve Litani. A l'origine, la fondation même de l'Etat hébreu reposait sur l'idée d'une population nombreuse regroupée sur des terres arides et qui devait développer une agriculture intensive, donc forte consommatrice d'eau.

Par ailleurs, la Jordanie dépend d'Israël pour un approvisionnement minimal en eau.

En fait, Israël, la Syrie du sud, le Liban du sud, la Jordanie et les territoires palestiniens connaissent déjà un état de pénurie d'eau.

De son côté, le Nil voit ses eaux convoitées par l'Ouganda, la Tanzanie, le Kenya, le Zaïre, le Burundi, le Rwanda, l'Ethiopie, le sud de l'Erythrée et l'Egypte, ce qui a pu justifier l'appellation de « vallée de la discorde » pour la Vallée du Nil.

D'autant plus que la plupart de ces pays connaissent une explosion démographique se traduisant par une multiplication de leur population par trois ou par quatre de 1950 à 2000. L'ensemble de ces Etats rassemble aujourd'hui plus de 200 millions d'habitants.

Comme souvent, une sorte de compétition se déroule entre l'utilisation de la terre pour l'agriculture, le développement des villes, l'arbitrage entre l'usage de l'eau pour la production de céréales ou les usages urbains.

Quant aux eaux du Tigre et de l' Euphrate , elles opposent la Turquie, l'Irak, la Syrie et l'Iran. La très grande richesse en eau de la Turquie peut lui laisser espérer jouer dans cette région un rôle analogue à celui joué, grâce au pétrole, par l'Arabie Saoudite au Moyen-Orient.

Pour sa part, l'Irak se sent encerclé par l'Iran, la Syrie et la Turquie d'où provient l'essentiel de sa capacité en eau.

Derrière ces conflits liés à l'eau existent des divergences sur les concepts de frontière et de souveraineté, sur le droit international de l'eau (53 ( * )) .

Au cours de ses auditions, votre Rapporteur a été très frappé par le nombre de personnes soulignant l'importance primordiale de la question de l'eau pour le XXIème siècle.

Liée ou non aux changements climatiques, cette préoccupation risque de devenir prééminente.

Ont en particulier attiré l'attention sur ce point, par exemple :

- M. Michel PETIT du GIEC ,

- le Professeur Maurice TUBIANA de l'Académie des Sciences , pour qui ce problème sera le problème majeur du XXIème siècle , même s'il épargne en partie l'Europe ;

- M. Yves CARISTAN, Directeur général du BRGM  ;

- M. René LERAY, de la Commission européenne qui estime que la rareté de l'eau sera plus que jamais porteuse de conflits ;

- M. Jean SALMON, de la F.N.S.E.A. qui voit dans l'accès quantitatif à l'eau l'enjeu du prochain siècle ;

- M. Ghislain GOSSE, de l'I.N.R.A. , qui note que, même en Europe, dans de nombreuses régions, l'activité agricole ne sera pas prioritaire pour l'usage de l'eau.

Pour M. René LERAY, comme pour votre Rapporteur, des formules nouvelles de coopération interétatiques doivent être imaginées autour de l'eau en plaçant celle-ci au centre de solutions à d'autres problèmes liés, par exemple, aux frontières ou aux migrations de populations...

* (52) Au-dessus de 1.700 m 3 /an/habitant = abondance

Au-dessous de 1.700 m 3 /an/habitant = crises périodiques

Au-dessous de 1.000 m 3 /an/habitant = crises chroniques

Au-dessous de 500 m 3 /an/habitant = pénurie

* (53) Rapport sur « le Moyen-Orient et l'eau » du sénateur André DULAIT et de François THUAL par le Centre de Réflexion et d'Etude sur les Problèmes Internationaux (C.R.E.S.P.I.), juin 2000, 87 pages.

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