C. PROPOSITIONS

La réglementation française des télécommunications devra à coup sûr être revue d'ici deux ans, tant pour prendre en compte la révision des directives européennes que l'émergence de nouvelles problématiques. Dans cette perspective, votre rapporteur souhaite formuler plusieurs propositions.

1. La refonte du cadre réglementaire : la révision des directives européennes

Jusqu'au mois dernier, le cadre réglementaire européen des télécommunications était constitué des directives « libéralisation » de la Commission, visant à ouvrir le secteur à la concurrence et, d'autre part, des directives et des décisions « harmonisation » du Parlement européen et du Conseil, visant à rapprocher les législations nationales et fixant au 1 er janvier 1998 la libéralisation complète du secteur.

La Commission a procédé au réexamen du cadre réglementaire en 1999, afin d'adapter le cadre actuel à l'évolution des marchés et des technologies, dans la poursuite de plusieurs objectifs : baisse des prix, accroissement de la qualité et du caractère innovant des services de communications électroniques. Un « paquet réglementaire », composé de huit propositions de textes, destinées à remplacer les vingt cinq en vigueur, a finalement été adopté le 12 juillet 2000 par le collège des commissaires. Leur examen par le Conseil et le Parlement a débuté sous présidence française du Conseil de l'Union européenne et s'est poursuivi sous présidence suédoise, avant d'être largement finalisé sous présidence belge, en décembre 2001.

Ces huit propositions de textes sont les suivantes :

- directive relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et les services de communications électroniques ;

- directive relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques ;

- directive relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion ;

- directive concernant le service universel et les droits des utilisateurs à l'égard des réseaux et services de communications électroniques ;

- directive concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques ;

- règlement relatif au dégroupage de l'accès à la boucle locale ;

- décision du Parlement européen et du Conseil relative à un cadre réglementaire pour la politique en matière de spectre radioélectrique dans la Communauté européenne ;

- directive de la Commission relative à la concurrence dans les marchés des services de communications électroniques.

Les quatre premières propositions de directives (cadre, autorisation, accès, service universel), ainsi que la décision « spectre », ont fait l'objet d'un processus de codécision, qui s'est achevé par une position commune des Etats membres en décembre et leur adoption formelle par le Conseil le 14 février 2002 . En revanche, la directive sur la protection des données personnelles n'a pas encore été examinée par le Parlement européen en seconde lecture. L'ajustement du délai de sa transposition sur celui des autres directives devrait toutefois garantir une date d'application commune à tous les textes.

Quant à la directive relative à la concurrence , qui sera prise par la Commission elle-même et n'occasionnera donc pas de négociations au sein du Conseil, elle n'a pas encore été présentée à ce dernier. Cette directive, relative à la libéralisation du secteur, consolidera les directives existantes prises par la Commission depuis la directive services 90/388/CEE, en application de ses compétences propres en matière de règles de concurrence (article 86 du traité). Cette directive vise à clarifier les dispositions concurrentielles et à réaffirmer l'obligation d'abolir tout « droit exclusif ou spécial » sur les marchés des services de communications électroniques (y compris par satellite).

La portée politique de la directive relative au service universel explique qu'elle fasse l'objet d'une analyse approfondie et spécifique ci-dessous dans les développements du rapport relatifs au service universel.

Enfin, pour éviter toute redondance, on ne reviendra pas sur le règlement relatif au dégroupage de l'accès à la boucle locale , déjà adopté et transposé en droit français, et dont la mise en oeuvre a fait l'objet d'un bilan ci-dessus.

L'économie générale des directives, qui constituent ce qu'il est convenu d'appeler le « paquet Télécoms », s'articule autour de trois axes : une libéralisation encadrée par la régulation ; une harmonisation sans « communautarisation » des marchés de télécommunications, des limites au développement de ces derniers.

a) Une libéralisation encadrée : la consécration des autorités de réglementation nationales

La Commission européenne considère que l'industrie des communications électroniques se distingue par son caractère fortement capitalistique et par l'importance des économies d'échelle et qu'il n'est, de ce fait, pas prédisposé à la concurrence. Dans cette optique, la transition d'une situation monopolistique à une situation concurrentielle peut prendre du temps et des situations oligopolistiques s'installer, voire durer.

L'organisation de cette transition de tous les réseaux vers la concurrence est confiée, par la directive-cadre, aux autorités de réglementation nationales (ARN), dont elle exige que les Etats membres garantissent « l'indépendance » et « l'impartialité du processus de décision ». La directive fait aussi obligation aux ARN d'organiser une consultation lorsqu'elles prennent des décisions affectant des tiers.

La directive-cadre établit également, en son article 4, un droit de recours contre les décisions des ARN. Après d'âpres discussions portant sur l'objet des recours (la Commission souhaitant y inclure les faits de la cause, d'autres Etats membres, tels le Portugal, entendant le limiter à la procédure), le Conseil est finalement parvenu, lors du compromis du 6 décembre 2001, à un texte précisant que les Etats membres veillent à ce que les faits de la cause soient dûment pris en compte et que des mécanismes d'appel efficaces existent.

Ainsi encadrés, les pouvoirs des ARN se trouvent renforcés par le « paquet Télécoms ». Outre la résolution des litiges intervenant entre entreprises, les ARN se trouvent chargées de prendre toutes les mesures visant à instaurer un marché ouvert et concurrentiel, dans le respect des principes de proportionnalité et de neutralité technologique.

Notamment, la directive relative à l'accès prévoit que les ARN ont le pouvoir d'imposer, aux opérateurs désignés comme « puissants sur le marché », des obligations en terme de respect des principes de transparence, de non-discrimination, de séparation comptable, de contrôle des prix et de comptabilisation des coûts.

L'entreprise « puissante sur le marché » est définie, à l'article 13 de la directive-cadre, comme se trouvant, individuellement ou conjointement avec d'autres, « en position de force économique qui lui permet de se comporter, dans une mesure appréciable, de manière indépendante de ses concurrents, de ses clients et, en fin de compte, des consommateurs ». La notion de domination conjointe , en particulier, est une innovation importante. On observe ici une déclinaison encore plus approfondie que lors du précédent paquet réglementaire des concepts propres du droit de la concurrence (position dominante...) vers le droit spécifique des télécommunications.

A l'issue du Conseil Télécommunications des 4-5 avril 2001, les quinze Etats membres ont décidé d'introduire dans la proposition de directive cadre le concept de « dominance collective ». Les ARN apprécieront, selon la méthode du faisceau d'indices, si deux ou plusieurs entreprises exercent une dominance collective, à partir des lignes directrices de la Commission et d'une liste de critères répertoriés en annexe II du texte : degré de maturité du marché ; croissance stagnante de la demande ; faible élasticité de la demande ; homogénéité du produit ; structures de coûts semblables ; absence d'innovations technologiques ; absence de capacités excédentaires ; liens informels entre les entreprises ; possibilités réduites de concurrence par les prix... Le marché des mobiles, par exemple, sur lequel le nombre d'opérateurs est limité, devrait se trouver particulièrement affecté par cette disposition.

Afin d'apprécier les positions respectives des entreprises sur le marché, les ARN se voient dotées du « droit de recueillir des informations auprès des acteurs du marché », y compris confidentielles. Cette procédure (annuelle) d'analyse du marché ne prévoit pas de seuil de parts de marché caractérisant la position dominante, même si, dans ses lignes directrices, la Commission estime qu'au-delà de 40 % de parts de marché, une présomption de position dominante pèse sur l'entreprise.

En France, l'ART dispose déjà de pouvoirs étendus. Mais certains d'entre eux devraient se voir accrus par la transposition des directives (pouvoirs de recueil d'information, contrôle des entreprises exerçant une certaine puissance de marché...).

Au total, loin d'être remis en cause, comme on l'entend parfois dire, le principe de la nécessité d'une régulation sectorielle des télécommunications a été réaffirmé par les récentes négociations communautaires. Le Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars a en outre rappelé qu'en mai 2003 devrait être achevé le processus de transposition en droit interne de ces directives, soit dans un an à peine.

b) Une harmonisation poussée, sans aller jusqu'à la « communautarisation »

Le parti pris sous-jacent du « Paquet Télécom » est de garantir la réalisation d'un véritable marché intérieur des télécommunications, sans pour autant imposer à ce dernier une réglementation communautaire trop rigide.

Car certaines propositions de la Commission, si elles avaient été retenues, auraient entraîné un risque de « sur-réglementation » du secteur.

La vivacité des débats autour de l'article 6 de la directive-cadre en est un bon révélateur. Dans le projet originel de la Commission, repris par le Parlement européen en première lecture, un droit de veto pour la Commission était institué sur toute décision des ARN concernant les fréquences, la définition des marchés et la désignation d'opérateurs significativement puissants sur ces marchés, ou relative aux obligations imposées à ces opérateurs en terme d'accès. La réticence du Conseil à l'égard de ce droit de veto a finalement conduit la Présidence belge à élaborer un texte de compromis , avalisé par le Parlement européen en seconde lecture, et reposant sur les trois aspects suivants :

- veto de la Commission, encadré par une procédure de « comitologie » consultative, pour la définition des marchés et la désignation des opérateurs significativement puissants ;

- simples remarques de la Commission pour les mesures imposées aux opérateurs SMP dans le cadre de la directive accès ou service universel ;

- non-inclusion des fréquences dans le champ d'application de l'article 6.

La France peut se féliciter de ce compromis, très proche de la position qu'elle défendait, même si elle aurait préféré encadrer le droit de veto de la Commission par une comitologie réglementaire plutôt que consultative 62 ( * ) .

Le droit de veto de la Commission sur les décisions des ARN se trouve ainsi cantonné. L'indispensable coordination des décisions des autorités réglementaires nationales empruntera d'autres voies, plus souples, prévues dans les directives-cadre et accès. Outre l'harmonisation informelle existant déjà entre les ARN, réunies au sein du groupe des régulateurs indépendants (GRI), actuellement sous présidence du régulateur français, la nouvelle directive prévoit une procédure d'information : si une ARN envisage d'adopter une mesure qui aura « un impact significatif sur le marché », elle informe ses homologues et la Commission, cette dernière et les autres ARN disposant d'un mois pour réagir.

L'harmonisation des pratiques européennes est également encouragée par la directive relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques. En effet, le système de l'octroi de licences individuelles, devenu dominant dans les pays de l'Union européenne, aboutissait, d'après la Commission, à une ceratine hétérogénéité, qu'elle jugeait nuisible au développement du marché intérieur. Plusieurs opérateurs se plaignaient en effet de la multiplicité de procédures en découlant. La directive « autorisation » organise donc de manière uniforme les procédures d'autorisation dans les différents Etats membres et prévoit la délivrance d'une autorisation générale (valable dans tous les Etats membres de l'Union européenne), au titre de laquelle, d'ailleurs, les Etats membres perçoivent, d'après la directive, auprès des entreprises des redevances destinées à financer l'activité des ARN , ce qui est cohérent avec le droit français actuel, mais pas avec sa pratique (cf ci-dessous les propositions relatives au budget de l'ART).

De même, la décision relative au spectre radioélectrique participe de ce mouvement vers une plus grande harmonisation européenne. Actuellement, le spectre est géré par l'Union internationale des télécommunications (UIT) ainsi que, à l'échelon européen, par la Conférence européenne des administrations des Postes et des Télécommunications (CEPT) réunissant 43 pays. La décision « spectre » crée un « comité du spectre radioélectrique » ainsi qu'un groupe de hauts fonctionnaires pour la politique du spectre, composé de représentants des Etats membres ; ce groupe conseillera la Commission sur les moyens d'harmoniser les modalités d'utilisation du spectre (à des fins commerciales ou non) et sur la meilleure répartition des fréquences. Ce groupe évaluera également la nécessité d'élaborer des propositions européennes communes afin de les faire valoir lors de négociations internationales.

Plus largement, l'esprit qui préside au « Paquet Télécom » est de renforcer l'harmonisation réglementaire entre Etats membres, sans basculer dans l'imposition de normes communautaires. Ainsi, pour atteindre cet équilibre délicat, la Commission se réserve le droit de prendre des « mesures d'harmonisation contraignantes » dans le cas où elle constate des divergences entre les réglementations nationales qui font obstacle au marché unique européen. Elle est également assistée par un « comité des communications », composé de représentants des Etats membres, où circule l'information sur les activités réglementaires nationales, et par un « groupe à haut niveau pour les communications », groupe consultatif qui réunit des experts désignés par les ARN. Ces deux instances, créées par la directive « cadre », seront les chevilles ouvrières de la finalisation du marché intérieur des communications électroniques, laquelle repose sur l'interopérabilité des réseaux.

c) L'encadrement du développement du marché des télécommunications

La nouvelle catégorie juridique de « communications électroniques » retenue par la Commission recouvre à la fois les télécommunications proprement dites et les services de communication audiovisuelle, c'est-à-dire tous les réseaux terrestres et satellitaires, avec ou sans fil : réseau téléphonique public commuté, réseau Internet, télévision par câble, réseaux mobiles et terrestres de radiodiffusion.

Le « Paquet Télécoms » prend acte de cette convergence entre télécommunications, radiodiffusion et informatique, et de la densité croissante du maillage des communications électroniques. Il prend également la mesure des limites de l'extension des marchés.

Les diverses technologies évoquées sont complémentaires mais sont concurrentes pour l'utilisation de ressources « rares » : les fréquences et les numéros. Pour gérer ces limites intrinsèques, la directive-cadre confie aux ARN la mission d'attribuer et d'assigner ces ressources rares. Deux possibilités sont prévues pour l'attribution des fréquences : la mise aux enchères ou la tarification administrative. Si l'assignation du spectre s'est faite aux enchères, la Commission indique que les Etats membres peuvent autoriser les entreprises à échanger leurs droits d'utilisation de fréquences radioélectriques avec d'autres entreprises. Ce « négoce des fréquences » restera sous le contrôle du régulateur.

Les ARN doivent également détenir la maîtrise de l'assignation des ressources nationales de numérotation ainsi que de la gestion du plan national de numérotation pour tous les services de communications électroniques accessibles au public.

Les textes européens ne s'appliquent qu'aux infrastructures et excluent de leur champ les contenus . Notamment, ont pu être maintenues les dispositions introduites par la France et préservant les spécificités du secteur audiovisuel justifiées par l'intérêt général (défense du pluralisme des opinions et de la diversité des contenus).

D'autre part, la protection de la vie privée est assurée par la directive concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée, laquelle actualise la précédente directive sur le sujet (n°97/66/CE) pour couvrir les nouvelles formes de communications électroniques et assigner des limites aux communications non sollicitées.

Le texte traite notamment, en son article 13, de l'envoi massif de courriers électroniques non sollicités à des fins de prospection commerciale. Cette technique dite de « spamming », ou « pollupostage », pourrait être soumise à un système de consentement préalable explicite (« opt in ») ou respecter des listes d'opposition (« opt out »). Le Conseil est parvenu à arrêter une position commune le 21 janvier 2002, dont il est difficile d'imaginer si elle sera validée par le Parlement européen en seconde lecture : le consentement préalable est requis, sauf dans le cas où l'entreprise avait déjà établi un contact antérieur avec l'abonné. De même, sur la question controversée de la durée de conservation des données personnelles au nom de la protection de l'ordre public et de la sûreté de l'Etat, le Conseil voudrait autoriser les Etats membres à prendre à cette fin des mesures législatives (du type de celles adoptées par la France dans la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne), tandis que le Parlement européen préfère, à une approche globale, un examen au cas par cas des entorses à la protection de la vie privée.

Le « Paquet Télécoms » offre donc un nouveau cadre réglementaire qui, bien que souple, renforce le pouvoir d'intervention des autorités régulatrices, pour les mettre en mesure de s'adapter aux situations de marché et à leur évolution. Elles devront être en mesure d'imposer réellement les objectifs communautaires de libéralisation et d'harmonisation.

Cette évolution doit rapidement être transcrite dans le droit français.

2. De nouvelles problématiques

a) La téléphonie mobile et la santé publique

Les consultations menées par votre rapporteur auprès des missions économiques de la France à l'étranger le montrent : tous les Etats membres de l'Union européenne sont confrontés à une certaine inquiétude de leur population quant à la possible existence d'un risque pour la santé dû aux émissions des équipements de téléphonie mobile (stations de base et terminaux). La plupart des Etats membres d'ailleurs, sont en train de transcrire dans leur droit national la recommandation du Conseil du 12 juillet 1999 fixant, en vertu du principe de précaution, des valeurs maximales d'exposition du public. En droit français, les recommandations européennes ont été intégrées dans les cahiers des charges des opérateurs mobiles et une circulaire du 16 octobre 2001 est venue préciser la réglementation applicable.

En France, les rapport d'experts et notamment le rapport 63 ( * ) remis par le groupe d'experts animé par le Docteur Zmirou au directeur de la Direction générale de la Santé, en janvier 2001, montrent qu'en l'état actuel des connaissances, il n'existe pas , en-dessous des niveaux recommandés par la Commission européenne du 12 juillet 1999, d'effets sanitaires avérés des rayonnements électromagnétiques .

A ce sujet, le Dr Zmirou indique dans son rapport écrit « ...compte tenu des niveaux d'exposition constatés, le groupe d'experts ne retient pas l'hypothèse d'un risque pour la santé des populations vivant à proximité des stations de base ».

De plus, les champs électromagnétiques émis par les antennes relais sont très au-dessous de ces normes européennes, d'après les mesures réalisées par l'Agence nationale des fréquences 64 ( * ) , présentées par le Secrétaire d'Etat à l'industrie le 19 décembre 2001 et effectuées suivant un protocole particulièrement rigoureux.

Pourtant, des inquiétudes se développent ici ou là, qu'il s'agisse de la population ou de certains élus locaux. L'association PRIARTEM 65 ( * ) a recensé le nombre croissant de communes (une quarantaine) ayant édicté des arrêtés pris, semble-t-il, sans fondement juridique et imposant, dans la plupart des cas, des distances de 100 à 300 mètres entre une antenne-relais et une zone d'habitation.

Un rapport en cours de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur ce sujet devrait très prochainement faire un bilan approfondi de cette question. Aussi votre rapporteur ne la développera-t-il pas davantage, malgré l'importance de ce sujet, attendant avec intérêt les conclusions de l'Office.

Mais il n'est pas à exclure que, si l'inquiétude du public s'accroît, et même en l'absence de faits scientifiquement avérés , compte tenu du climat émotionnel créé par les précédents du sang contaminé, des farines animales et de l'amiante, le développement de la téléphonie mobile ne s'en trouve un jour affecté.

L'interprétation exagérée du principe de précaution pourrait alors devenir un facteur de paralysie et interdire tout développement de nouvelles technologies dans notre pays. Cette évolution serait particulièrement inquiétante. Il faut donc prendre garde à ne pas attiser les peurs et à conserver sa lucidité de jugement.

Le principe de précaution, apparu au cours des années 1980, à l'occasion des débats relatifs aux problèmes internationaux d'environnement, a ensuite été appliqué à l'alimentation et à la santé. Innovation juridique majeure dans notre système, rappelons toutefois que ce principe ne consiste pas à renoncer aux bénéfices attendus du développement technologique mais à prendre des mesures pour que les risques induits par ce développement soient réduits de telle sorte que le risque résiduel puisse être socialement considéré comme acceptable au regard des avantages escomptés.

Le principe de précaution ne saurait être assimilé à l'exigence absolue du risque zéro, faute de quoi il serait inévitablement un obstacle au progrès.

b) La convergence

La convergence technologique, grâce à la numérisation et à la compression des contenus, entre les télécommunications et l'audiovisuel, est l'une des tendances les plus fondamentales de ces cinq dernières années, mais qui ne s'est pas encore complètement traduite sur le plan réglementaire . Même le projet de loi sur la société de l'information, déposé à l'Assemblée nationale le 14 juin 2001, et à la discussion très hypothétique, n'abordait qu'imparfaitement cet enjeu essentiel pour le développement de services multimédia sur tous les types d'infrastructures.

Le régime juridique des réseaux câblés , par exemple, à l'origine déployés pour offrir des services télévisuels, mais désormais utilisables pour le téléphone ou Internet, illustrent parfaitement un certain archaïsme de notre droit.

L'Association française des opérateurs de réseaux multimédias, l'AFORM, a indiqué à votre rapporteur qu'avec plus de 70.000 clients abonnés au téléphone via le câble, elle représentait de nouveaux entrants concurrençant France Télécom sur le marché des particuliers en téléphonie fixe, sur le segment de la boucle locale.

Le câble permettant la distribution de services téléphoniques, d'accès haut débit à Internet, ainsi que des services de radio et de télévision, les « réseaux de boucle locale multiservices » que sont devenus les réseaux câblés sont au confluent des secteurs des télécommunications et de l'audiovisuel. L'AFORM estime : « cette situation leur permet de constater la nécessité et l'urgence de l'adaptation de l'environnement législatif et réglementaire ».

Les opérateurs de réseaux câblés restent en effet soumis à des contraintes particulières, dues à leur activité historique de distributeur de services audiovisuels. Alors même que les textes communautaires oeuvrent pour la définition d'un régime unique d'autorisation et d'établissement des réseaux de communication électronique, quels qu'ils soient, l'AFORM s'inquiète de ce que « aujourd'hui encore, l'établissement des réseaux câblés en France passe par la procédure, complexe et totalement inadaptée, de la concession de service public et de l'autorisation communale : un même opérateur doit détenir autant d'autorisations qu'il y a de communes ou de groupement de communes sur lesquels il établit un réseau (article 34 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication audiovisuelle) .

« En revanche, l'établissement des réseaux de télécommunications passe par l'obtention d'une autorisation nationale délivrée par le Ministre des télécommunications conformément aux articles L33-1 et L34-1 du code des postes et des télécommunications ».

« C'est donc un régime de double autorisation qui est appliqué aux réseaux câblés multiservices , ce qui conduit immanquablement à créer des conditions de développement non équitables et discriminatoires par rapport aux autres réseaux de télécommunications ».

L'AFORM pointe en outre ce qu'elle estime être deux autres inégalités de traitement : la redevance d'occupation du domaine public, non réglementée en matière audiovisuelle et laissée à la libre appréciation des communes, qui donne lieu à des versements dix à vingt fois supérieurs à ceux encadrés par les textes d'application du code des postes et télécommunications, ainsi que l'instauration d'un seuil de concentration , prévu par la loi sur l'audiovisuel du 30 septembre 1986 modifiée, dans un souci de pluralisme, limitant la couverture d'un même câblo-opérateur à 8 millions d'habitants. Ce seuil, défini à une époque où les réseaux câblés étaient limités à l'exploitation de services audiovisuels, et en l'absence d'offres alternatives, n'existe ni pour les opérateurs de télécommunications, ni pour les opérateurs de satellite ou de télévision numérique terrestre.

Outre la question du régime juridique des réseaux câblés, c'est la frontière de compétence, parfois datée -notamment pour les réseaux câblés- du CSA et de l'ART qu'il faudrait moderniser.

3. Propositions

a) Mettre en oeuvre la portabilité des numéros

Le chantier de la portabilité des numéros de téléphone doit être relancé, car cette possibilité de conserver ses coordonnées téléphoniques en cas de changement d'opérateur et ou d'implantation géographique est non seulement un avantage important pour le consommateur, mais aussi un élément de fluidité concurrentielle.

Votre rapporteur estime qu'un « observatoire de la portabilité » 66 ( * ) , rassemblant, autour du régulateur, les associations de consommateurs et les opérateurs, doit être rapidement mis en place pour accélérer la généralisation de la portabilité à tous les types de numéros, et en particulier aux numéros mobiles.

En outre, le « numéro personnel », que l'abonné peut garder tout au long de sa vie, un peu comme sa propriété, avancée importante de la loi de 1996 pour les droits des consommateurs, doit être mis en oeuvre.

b) Renforcer l'ART

Consolider ses moyens matériels et humains

Un temps mal aimée par le Gouvernement issu des urnes en 1997, l'ART ne dispose pas de tous les moyens nécessaires à l'exercice de ses missions.

Dans un premier temps, il paraît nécessaire de renforcer la surface budgétaire de l'Autorité, soit en accroissant les crédits prévus pour elle dans le projet de loi de finances, soit en lui permettant -ce que prévoit d'ailleurs la loi de 1996- de percevoir d'autres types de recettes que la seule dotation de son ministère de rattachement.

En effet, l'article L.36-4 du code des postes et télécommunications, adopté en 1996, prévoit l'affectation au budget de l'Autorité de rémunérations pour services rendus ainsi que de taxes ou redevances. Il n'a pas été mis en oeuvre. L'ART ne dispose donc que de la seule dotation budgétaire du secrétariat à l'industrie.

Or, dans le projet de loi de finances pour 2002, par exemple, les crédits demandés pour l'ART s'élèvent à 16 millions d'euros, en progression de 4,9 % par rapport à 2001 . Toutefois, cette augmentation est sans commune mesure avec l'accroissement des missions de l'Autorité et les enjeux de la régulation dans le secteur des télécommunications, qui se traduit par une technicité croissante des décisions à adopter et une progression très importante de leur nombre.

L'homologue britannique de l'ART, l'OFTEL, dispose de 200 collaborateurs (136 à l'ART) et d'un budget, qui a augmenté de 80% en cinq ans, de 30 millions d'euros, soit deux fois plus que l'ART. Le RegTp allemand (également en charge, il est vrai, des questions postales) emploie 220 personnes. Le régulateur danois dispose de 191 emplois et d'un budget de 20 millions d'euros, le régulateur irlandais a 95 agents et 20 millions d'euros de budget, de même que les régulateurs belge et suédois.

Rapporté au nombre d'habitants, le budget de l'ART est un des plus faible des régulateurs européens des télécommunications : ce ratio est, en effet, de 0,27 euro par an et par habitant, contre 0,34 euro en Espagne, 0,45 euro en Italie et 0,56 euro en Grande-Bretagne.

Certains proposent 67 ( * ) d'aller plus loin et de donner à l'ART une véritable autonomie budgétaire pour couper son lieu de dépendance financière avec le Gouvernement, et plus précisément le ministre chargé des télécommunications.

Votre rapporteur estime que cette voie doit être explorée, au moyen de plusieurs pistes :

l'affectation directe à l'ART de recettes autres que la seule dotation du ministère chargé de l'industrie , comme cela est prévu à l'article L.36-4 du code des postes et télécommunications. Ainsi, par exemple, l'ART pourrait percevoir le montant de certaines redevances, liées aux activités de télécommunications ;

une relative autonomie pour la détermination de la dotation annuelle du Gouvernement dans le cadre, par exemple, d'un droit de tirage pluriannuel négocié avec la direction du budget, le cas échéant en fonction de critères objectifs (croissance du marché des télécommunications, indices d'activité, nombre de saisines...).

Accentuer ses pouvoirs

L'ART dispose déjà d'une panoplie étendue de pouvoirs, parmi lesquels un pouvoir d'arbitrage et de sanction. Mais deux des moyens à sa disposition semblent devoir être accentués.

Pouvoir de contrôle : Le régulateur doit pouvoir s'assurer, au moyen notamment des obligations de séparation ou de transparence comptable imposées à l'opérateur dominant, de l'absence de subventions croisées entre activités en position dominante ou entre monopole et activités en concurrence. En outre, il doit pouvoir vérifier l'orientation des tarifs sur les coûts et la non discrimination, dans la fourniture des services intermédiaires, entre les conditions que l'opérateur historique se fait à lui-même ou à ses filiales et les conditions qu'il ménage à ses concurrents, acheteurs de ces prestations intermédiaires.

Pour ce faire, la réglementation issue de la loi de 1996 a imposé des obligations de séparation comptable prévues, dans leur principe, à l'article 18 du cahier des charges de France Télécom approuvé par le décret n° 96-1225 du 27 décembre 1996, et, de façon plus détaillée, à l'article 13-1 de l'autorisation d'exploitation qui lui a été délivrée (arrêté du 12 mars 1998) qui décrit les comptes que France Télécom doit individualiser (interconnexion, liaisons louées, service téléphonique au public, réseau général, réseau d'accès commuté, autres activités).

Mais, malgré les efforts réels de l'ART pour asseoir ses décisions sur des modèles économiques réels et accroître la transparence de sa méthodologie, il semble que, dans un certain nombre de cas, lorsqu'elle est liée au « bon vouloir » de l'opérateur historique, faute de base réglementaire plus précise, l'information de l'ART ne soit pas toujours optimale . Ainsi, par exemple, un concurrent fait remarquer qu'on peut déceler, dans les motivations de ses décisions, la trace de certaines difficultés rencontrées dans l'accès à l'information :

Il ressort de la lecture des décisions de l'ART que celle-ci n'a jamais eu accès aux modèles économiques de France Télécom, et qu'au lieu de se limiter à sa tâche de « contrôle », elle a dû construire pour elle-même de nouveaux modèles , nécessairement dégradés par rapport à ceux de l'opérateur historique.

En effet, on peut lire dans la décision n° 99-779 du 30 septembre 1999 : « L'Autorité a ainsi progressé dans la constitution d'un modèle opposable et transparent comme elle s'y était engagée, notamment par une meilleure description par France Télécom des caractéristiques de ses réseaux locaux. », mais aussi : « En second lieu, s'agissant des zones non rentables, l'Autorité a utilisé, pour le coût prévisionnel [du service universel] de l'année 1999, un modèle représentant l'économie d'un opérateur déployant un réseau de télécommunications en France, permettant d'allouer ses coûts et recettes entre zones. Le modèle utilisé a été amélioré notamment en ce qui concerne les sources d'informations disponibles pour allouer les coûts entre classes de densité. » Un an après, le 29 novembre 2000, on lit encore, dans sa décision n° 00-1271(sic) : « L'Autorité considère ainsi disposer d'un modèle opposable et transparent comme elle s'y était engagée, notamment grâce à une meilleure description par France Télécom des caractéristiques de ses réseaux locaux. »

Les obligations de séparation comptable et d'information de l'ART devraient être renforcées . Dans le futur cadre juridique issu des nouvelles directives communautaires, ces obligations pourront porter sur tout opérateur en position dominante sur un marché de télécommunications : ainsi, les obligations de séparation comptable pourront être imposées, en fonction du développement du marché, à France Télécom mais aussi à ses filiales ou à tout autre opérateur, ce qui est un progrès important.

Ensuite, la réglementation française a été élaborée dans une période antérieure au dégroupage de la boucle locale . Elle doit donc être adaptée à la situation nouvelle. L'ART indique avoir effectué des demandes d'information sur ses coûts en la matière à France Télécom, en dehors d'un cadre réglementaire contraignant. Il conviendrait de rendre la fourniture de telles informations obligatoire et non dépendante de l'agrément de France Télécom, en adaptant, en conséquence, la réglementation.

Votre rapporteur estime d'ailleurs que l'exemple du secteur de l'électricité pourrait utilement inspirer les réformes à mener dans le secteur des télécommunications.

En effet, pour des raisons diverses 68 ( * ) , il n'a pas été procédé, pour EDF non plus que pour France Télécom, d'ailleurs, à une séparation juridique entre l'opérateur et ses infrastructures de réseau, qui sont, en droit de la concurrence, des « infrastructures essentielles » c'est à dire non duplicables et donc nécessaires à l'activité des opérateurs nouveaux entrants qui sont ses concurrents. Dans ce contexte, une séparation juridique peut apparaître à première vue comme le moyen le plus efficace de garantir l'absence de différence de traitement entre l'opérateur historique et les nouveaux entrants pour l'utilisation de ce réseau.

Plusieurs opérateurs de télécommunications ont d'ailleurs indiqué qu'ils privilégiaient une solution de ce type, face au blocage du dégroupage de la boucle locale. Votre rapporteur s'est donc interrogé sur l'opportunité d'imposer à France Télécom une filialisation de son réseau.

A la réflexion, ce type de « démantèlement », par ailleurs très lourd à mettre en oeuvre, et qui n'est pas sans conséquences sur le personnel, ne comporte pas que des avantages 69 ( * ) . Ses objectifs peuvent être atteints par d'autres moyens.

Ainsi, dans le domaine électrique, la loi a-t-elle doté la CRÉ de très larges pouvoirs de contrôle de la comptabilité analytique d'EDF -notamment-.

C'est d'ailleurs le texte du Sénat, renforcé par rapport aux propositions initiales, qui a été retenu, dans la loi définitivement promulguée le 10 février 2000, pour le titre V relatif à la dissociation comptable et à la transparence de la comptabilité des producteurs d'électricité.

Il est ainsi prévu, à l'article 25 de la loi, des obligations strictes de dissociation comptable entre production, distribution, fourniture d'électricité et autre activités, ces comptes distincts étant rendus publics. En outre la CRÉ approuve, après avis du Conseil de la concurrence, d'abord les règles d'imputation comptable retenues, ensuite les périmètres des activités dissociées et enfin les principes déterminant les relations financières entre les activités distinctes.

Le Sénat a veillé à ce que son contrôle porte sur ces trois « étages », qui sont autant d'étapes-clés pour la détermination d'une comptabilité dissociée. Elle est ainsi dotée de pouvoirs plus étendus que l'ART, puisqu'elle intervient sur la détermination des comptes dissociés et contrôle la ventilation des coûts entre les différentes activités des opérateurs dominants, ce qui est tout à fait stratégique pour veiller à l'absence de traitement discriminatoire, de subvention croisée, ou encore à l'orientation des prix sur les coûts. En outre, en cas de carence de l'opérateur concerné, elle peut fixer elle-même les principes de séparation comptable, en vertu de l'article 37 6° de cette même loi.

La CRÉ dispose aussi d'un droit étendu de communication de toute information économique, financière ou comptable (article 27) pour la mise en oeuvre de ses pouvoirs. Ses agents sont dotés d'un large droit d'investigation général (article 33) et peuvent se voir dotés d'un pouvoir d'enquête approfondi auprès des opérateurs du secteur électrique (article 33, I).

La CRÉ n'a pas hésité à mettre ces pouvoirs en oeuvre pour accélérer la mise en place d'une comptabilité dissociée et transparente d'EDF. Ainsi, comme l'indique son rapport annuel 70 ( * ) , après avoir invité EDF à proposer des principes d'affectation comptable, et les avoir refusés, (après avis du Conseil de la Concurrence), elle a fixé elle-même les règles en la matière, par une délibération du 15 février 2001, qui a permis la publication de comptes dissociés en juin 2001. En octobre 2001, elle a, en outre, entamé un audit de la comptabilité d'EDF.

Loin d'être un point technique, la connaissance et le contrôle des coûts par le régulateur sont des éléments essentiels de son information, qui lui permettent d'agir en fonction de facteurs objectifs et le protègent des aléas liés à la bonne volonté de l'opérateur historique pour la communication d'information. Trop souvent, l'ART est contrainte d'agir un peu « à l'aveuglette », faute d'une connaissance comptable, financière ou économique suffisante, et ne dispose pas d'un pouvoir d'orientation comptable préalable similaire à celui de la CRÉ.

Pouvoir d'injonction. Pour assurer l'effectivité des décisions de l'ART, talon d'Achille du système français de régulation, non seulement d'après les opérateurs nouveaux entrants, mais aussi d'après la Commission européenne, il semble nécessaire de lui confier des pouvoirs d'injonction pour la mise en oeuvre de ses décisions.

Si l'ART dispose de pouvoirs importants de sanction, ces derniers sont un peu comme des « représailles massives », à la mise en oeuvre heureusement exceptionnelle, alors qu'une « riposte graduée » serait nécessaire, pour assurer l'effectivité de ses décisions, au quotidien. Faute de quoi, ces dernières, si elle demeurent inappliquées, risquent d'entamer la crédibilité du régulateur.

Plusieurs acteurs du secteur estiment que l'ART devrait se voir dotée du pouvoir d'imposer une astreinte pour l'exécution d'une décision. Après réflexion, votre commission se range à cet avis, car cette réforme en apparence anodine est à son sens susceptible de renforcer considérablement l'efficacité de la régulation.

L'exécution concrète des décisions du régulateur est en effet parfois entravée ou retardée par des contingences touchant au choix d'organisation interne de l'opérateur historique, qu'il s'agisse de l'allocation des moyens humains nécessaires, ou de contraintes liées au système d'information, qui sont souvent mis en avant par France Télécom, et qui pourraient constituer, en fait, des manoeuvres dilatoires. Si l'Autorité disposait de pouvoirs d'injonction, dans le respect des garanties procédurales, non seulement en terme d'obligations de résultat, mais également en terme d'obligations de moyens, l'effectivité de ses décisions s'en trouverait certainement renforcée.

Confirmer son coeur de compétence

Compte tenu de la convergence technologique, il semble souhaitable d'harmoniser les régimes juridiques applicables aux réseaux câblés, dans le cadre fourni par le code des postes et télécommunications , et ce, afin de résoudre les difficultés liées à l'existence d'un double régime juridique des réseaux câblés. Il s'agirait d'établir clairement la distinction entre la régulation des contenus, relevant du CSA, et la régulation des réseaux, relevant de l'ART.

Pour éviter toute sur-réglementation, il paraît opportun d'avoir un cadre juridique commun à l'ensemble des réseaux, indépendamment des services transportés. La réglementation des télécommunications est le cadre le plus adapté pour fournir un régime d'autorisation, et d'attribution des fréquences associées, identique pour l'ensemble des réseaux. En effet, un réseau audiovisuel est un réseau de télécommunications (au sens du 2° de l'article L.32 du code des postes et télécommunications) qui ne diffère en rien d'un réseau de télécommunications traditionnel, si ce n'est par la nature des services transportés.

En corollaire, pour tenir compte de l'évolution technologique des réseaux, intégrant voix et données, il serait judicieux de supprimer la catégorie réductrice du « service téléphonique au public » (qui fonde le régime actuel de licence individuelle) au profit d'un régime uniforme de droits et d'obligations pour les fournisseurs de « services de télécommunications au public », avec, le cas échéant, une réévaluation des droits et des devoirs applicables aux opérateurs.

c) Mettre en oeuvre le dégroupage

Les retards de déploiement de la boucle locale radio mentionnés ci-dessus rendent encore plus nécessaire la mise en oeuvre effective du dégroupage, faute de voir perdurer un nouveau monopole de fait sur le segment de l'accès à Internet à haut débit, les offres ADSL de France Télécom occupant aujourd'hui tout le marché.

A cet égard, il est surprenant de constater que, lors du récent comité interministériel d'aménagement du territoire de Limoges le 9 juillet dernier, l'Etat ait décidé de stimuler la concurrence pour l'accès au haut débit en mettant en face de l'offre de France Télécom - EDF (via l'utilisation du réseau électrique) et les collectivités locales !

Curieuse conception des dynamiques de marché ! Ne vaudrait-il pas mieux mettre en oeuvre le dégroupage en laissant les opérateurs privés déployer leurs offres sur le territoire, plutôt que d'inciter les collectivités locales et deux entreprises publiques à développer des services qui ont vocation à se phagocyter ? Est-il légitime de faire financer ces infrastructures par les collectivités locales ?

Pour faciliter la mise en oeuvre du dégroupage, votre rapporteur ne dispose pas de solution miracle, mais d'un faisceau de pistes. Plusieurs voies d'amélioration peuvent être tracées :

le renforcement de l'action, entamée, de l'ART via une baisse, engagée, des prix sur le fondement d'un droit de regard comptable renforcé (cf. proposition ci-dessus), et la mise en oeuvre effective, via un nouveau pouvoir d'injonction (cf. ci-dessus) de ses décisions ;

l'action de la Commission européenne, qui reste un recours -sur le moyen terme- pour les opérateurs en matière de droit de la concurrence ;

une ferme détermination de l'actionnaire majoritaire de France Télécom, l'Etat, à voir entrer en vigueur le décret de septembre 2000.

Peut-on se satisfaire, en effet, des conclusions d'une toute récente étude sur le dégroupage (mars 2000) réalisée par un cabinet de consultants à la demande de la Commission 71 ( * ) , selon laquelle, en France, l'un des principaux facteurs de blocage du dégroupage soit, à côté du prix et des conditions techniques, le « comportement » de l'opérateur historique ?

Dans la monographie de son annexe 4 consacrée à la France, cette étude estime 72 ( * ) que l'obstacle principal pour obtenir l'accès au dégroupage de la boucle locale est l'attitude qualifiée par le triptyque « nier, retarder , dégrader » de l'opérateur historique, qui reflète, d'après les opérateurs nouveaux entrants, une stratégie de discrimination et de non transparence destinée à protéger son avantage -déjà apparent- de « premier arrivé » sur le marché des accès à haut débit.

C'est indéniablement une ombre portée sur l'oeuvre de libéralisation conduite par l'Etat, tuteur et actionnaire majoritaire de France Télécom, alors que -nous l'avons vu- son action en ce domaine se situe globalement dans la moyenne européenne. Aussi, au regard des engagements pris par la France devant l'Union Européenne, peut-on se satisfaire du blocage du dégroupage ? La question est d'importance.

d) Rénover la procédure d'homologation tarifaire

Derrière le sujet -apparemment technique- de l'homologation des tarifs de France Télécom se cache, en fait, un sujet d'une particulière importance pour l'équilibre concurrentiel.

Cette question, qui divise les opérateurs, a d'ailleurs subrepticement surgi, fin 2000, dans le débat législatif, lors de la discussion d'un projet de loi autorisant le Gouvernement à ratifier une cinquantaine de directives par ordonnances 73 ( * ) , à la suite du vote d'un amendement sur cette question par l'Assemblée nationale.

Finalement, cet amendement -à l'objet parfaitement étranger à celui du projet de loi- avait été repoussé par la commission mixte paritaire entre l'Assemblée nationale et le Sénat, à l'initiative du rapporteur pour avis de la Commission des Affaires économiques, notre collègue Ladislas Poniatowski.

Qu'est-ce que l'homologation tarifaire ?

La loi de 1996 et le cahier des charges de France Télécom prévoient que les tarifs de ses services relevant du service universel, ou bien pour lesquels il n'existe pas de concurrence, font l'objet d'une homologation systématique. La procédure d'homologation inclut un avis public de l'ART (article L.36-7 -5° du code des postes et télécommunications) préalablement à l'homologation par le ministre chargé des télécommunications. L'avis de l'ART est uniquement consultatif. Le silence du ministre vaut homologation (1 mois de délai). En cas d'avis négatif de l'ART, le ministre peut passer outre et homologuer le tarif de France Télécom. Le cas s'est déjà produit. Les concurrents peuvent alors saisir le Conseil de la concurrence s'ils estiment ce tarif anticoncurrentiel.

Il s'agit, en quelque sorte, d'un contrôle concurrentiel ex ante , le Conseil de la concurrence intervenant quant à lui ex post .

Cette procédure d'homologation pose deux questions :

- quelle autorité doit en être chargée ?

- quel est le champ des services qu'il faut soumettre à l'homologation ?

A ces deux questions, les réponses varient considérablement suivant les parties interrogées.

Rappelons tout d'abord le but de cette procédure. S'agissant du service universel , ce contrôle permet de vérifier le caractère « abordable » des prix, qui est une obligation légale. En outre, en raison de la dominance de France Télécom sur de nombreux marchés, ses prix de détail peuvent constituer un levier très efficace pour élever des barrières à l'entrée des concurrents. C'est pour ce motif qu'y sont également soumis les services pour lesquels n'existe pas de concurrence .

La position de France Télécom

France Télécom estime que cette réglementation, définie en 1996 dans le but de mettre en place la concurrence dans le secteur des télécommunications, doit évoluer pour tenir compte du changement du contexte, et aussi du bilan qui peut être fait de son application.

L'opérateur estime que si l'esprit de cette réglementation était d'empêcher France Télécom d'abuser de sa position pour pratiquer des tarifs élevés là où il n'y a pas concurrence, sa pratique relève d'un contrôle de concurrence ex ante jugé lourd et contraignant . France Télécom estime qu'« en dehors des tarifs de base du service universel, les autres tarifs ne devraient plus faire l'objet d'une homologation préalable, mais seulement d'une transmission à l'ART pour information , sachant que l'ART a l'obligation de saisir le Conseil de la concurrence si elle estime que telle offre de France Télécom est abusive au regard du droit de la concurrence. Les tarifs de base du service universel pourraient même être contrôlés uniquement au travers d'un « price cap » 74 ( * ) pluriannuel, méthode plus souple que l'homologation au cas par cas ».

Plus généralement, France Télécom juge que « la vigueur de la concurrence » dans les télécommunications incite à traiter de plus en plus ce secteur selon les règles du droit commun de la concurrence et à « faire rapidement disparaître de la réglementation les éléments d'asymétrie qui y avaient été insérés pour passer d'une situation de monopole à une situation de marché concurrentiel ».

Le Gouvernement n'est pas loin de partager certaines des vues de France Télécom, puisque dans sa réponse écrite à votre rapporteur, il estime qu'il y a lieu de réaffirmer la légitimité d'un contrôle des tarifs du service universel mais « d'en préciser les objectifs (il s'agit en priorité de garantir le caractère abordable des tarifs du service universel) et la portée ». De plus, en ce qui concerne le contrôle des tarifs des services pour lesquels il n'y a pas de concurrents sur le marché, le Gouvernement juge qu'il y a lieu « d'en revoir les modalités », à la lumière de la nouvelle directive sur le service universel et les droits des utilisateurs.

Le Conseil de la concurrence

De son côté, le Conseil de la concurrence a indiqué à votre rapporteur qu'il n'était pas favorable à la suppression de l'homologation tarifaire mais qu'il était ouvert à un changement de ses modalités : « L'ensemble du secteur des télécommunications ne semble pas connaître une concurrence suffisante pour que la procédure d'homologation des tarifs de l'opérateur dominant, instaurant un contrôle a priori de ces tarifs, soit supprimée. Toutefois, cette procédure d'homologation pourrait être encadrée et rendue plus transparente dans ses méthodes. Cette amélioration de la transparence pourrait être complétée par une meilleure définition, éventuellement évolutive, du périmètre du service universel, afin que l'opérateur France Télécom dispose de la liberté commerciale de répondre aux offres de ses concurrents dans les services où la concurrence est estimée suffisamment intense. Parallèlement à ces améliorations de l'homologation, l'encadrement tarifaire pourrait constituer une alternative à cette procédure, en privilégiant la diffusion du progrès technique et des gains de productivité du secteur des télécommunications, à des conditions de coûts favorables pour les consommateurs et les entreprises, plutôt que le niveau du prix de vente ».

Les opérateurs concurrents

L'association qui regroupe les principaux concurrents de France Télécom, l'AFORST, juge quant à elle indispensable le maintien de l'homologation tarifaire ex ante mais est ouverte à un renouveau de ses modalités d'application.

« La procédure d'homologation des tarifs est un garde-fou qu'il faut conserver tant qu'une concurrence effective n'est pas formellement identifiée et prouvée.

« Toutefois, l'AFORS Télécom ne s'oppose pas à la neutralisation de l'homologation tarifaire d'un service de France Télécom dès lors qu'un tiers objectif et indépendant, l'ART, certifie l'existence d'une concurrence effective sur le marché concerné, et en informe le ministre chargé des télécoms, après une consultation publique et transparente ».

Dans la proposition de l'AFORST, le champ de l'homologation tarifaire pourrait être souplement défini, après débat contradictoire entre France Télécom et ses concurrents, supervisé par l'ART. Des procédures accélérées seraient mises en place pour les segments de marché les plus concurrentiels.

Position de l'ART et directives communautaires

L'ART est, elle aussi, favorable à un remaniement des textes législatifs et réglementaires pour simplifier les modalités d'exercice du contrôle tarifaire. Cette évolution est d'ailleurs cohérente avec les orientations des directives communautaires en cours d'adoption définitive.

l'ART propose de recentrer l'homologation tarifaire sur ses deux objectifs principaux :

- le caractère abordable du service universel et le respect de ses principes essentiels (péréquation géographique, existence de tarifs sociaux pour les plus démunis). L'Autorité souhaite l'instauration d'un mécanisme de « price cap », c'est-à-dire d'objectifs tarifaires globaux, complété par un contrôle individuel sur certains tarifs (par exemple l'abonnement au service téléphonique, et les tarifs du service de renseignements) ;

- la prévention de comportements anticoncurrentiels pouvant naître de la mise sur le marché de nouvelles offres par l'opérateur historique. Tant qu'une situation de concurrence effective n'est pas atteinte, l'ART souhaite le maintien d'un contrôle ex ante et individuel des tarifs, dont la responsabilité lui serait confiée, ce qui mettrait fin à la situation actuelle, un peu lourde, de « double homologation » : avis de l'ART, théoriquement consultatif, mais du fait de son expertise technique et de sa publicité, de facto décisif, avant approbation par le ministre.

Votre commission et votre groupe d'étude « Poste et télécommunications » soutiennent ces propositions qui sont équilibrées et qui ont le mérite d'être cohérentes avec les évolutions des directives communautaires. En effet, la directive concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques prévoit des dispositions spécifiques sur le contrôle tarifaire, alors que les Etats étaient jusqu'alors libres du choix des outils nationaux tendant notamment à assurer le caractère « abordable » du service universel.

* 62 La distinction entre les deux procédures de comitologie est précisée dans la décision 1999/468/CE du Conseil du 28 juin 1999.

* 63 Disponible sur le site Internet du ministère de la Santé.

* 64 Mesures dont les résultats sont disponibles sur le site Internet de l'Agence : www.anfr.fr.

* 65 Pour une réglementation des implantations d'antennes relais de téléphonie mobile, www.priartem.fr.

* 66 Dont la mise en place est actuellement envisagée par l'ART

* 67 Par exemple le groupe Cégétel.

* 68 Voir pour plus de détails le rapport n°82 de notre collègue Henri REVOL , Sénat, 1999-2000, sur le projet de loi de modernisation de l'électricité.

* 69 Ainsi par exemple il aboutirait au paradoxe d'un affaiblissement du contrôle de l'ART, plus lâche sur les filiales de France Télécom que sur la maison mère.

* 70 Disponible sur le site www.cre.fr

* 71 Etude du cabinet Squire Sanders disponible sur le site : www.europa.eu.int/com/dgs/competition/index_en.htm.

* 72 page 122.

* 73 Loi du 3 janvier 2001.

* 74 Objectifs tarifaires globaux.

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