D. CONDITIONS DE TRAVAIL : PEUT-ON ÊTRE FONCTIONNAIRE ET ÉDUCATEUR ?

Entendu par la commission d'enquête, M. Philippe Chaillou, président de la chambre spéciale des mineurs de la Cour d'appel de Paris s'est ainsi interrogé : « je vais (...) poser des questions peut-être un peu iconoclastes : peut-on être éducateur et fonctionnaire ? Un fonctionnement administratif n'est-il pas absolument contradictoire avec cette implication qu'il faut avoir au quotidien ? »

M. Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, a pour sa part répondu très clairement qu'« on ne peut pas respecter le statut du personnel tout en gérant la mission de service public. » Le Père Guy Gilbert a été plus direct : « Un jour, une inspectrice de la DDASS me disait : « Monsieur l'abbé, et les 35 heures ? » Je lui ai répondu : « Vous me parlez des 35 heures. Tous les jeunes que vous me donnez ont connu des éducateurs qui font les 35 heures. Ils passent (...) Le dernier môme que j'ai eu a vu quatre éducateurs ; il ne les connaît plus (...) Un jeune a dit ceci : « Tu fermes ta gueule, l'éducateur. On te voit trois heures par jour dans ton bureau. L'éducateur, ici, c'est le curé, parce qu'il est là et qu'on peut sonner à sa porte même la nuit. » »

1. La PJJ traverse une véritable crise d'identité.

Selon Mme Claire Brisset, Défenseure des enfants : « J'ai rencontré des personnes qui ne savent plus vraiment pourquoi elles sont là 130 ( * ) . Sont-elles là pour aider à punir un adolescent qui a commis un acte que la société ne peut pas accepter, et aider à le remettre sur le droit chemin, ou sont-elles là pour ne pas punir ? Certaines personnes au sein même de la PJJ n'ont pas intégré la dimension psychologique de la sanction. [...] Cela témoigne d'un profond malaise [...] et d'un sentiment de perte d'identité de ce service. »

Selon le cabinet CIRESE : « par manque de moyens, un certain nombre de forces éducatives, dont la PJJ, adoptent une stratégie d'évitement du risque de confrontation avec les jeunes. On s'adresse alors aux sujets les moins difficiles, en laissant de côté le noyau le plus dur. Dès que les mesures sont trop nombreuses, il y a un effet mécanique et l'on se contente de remplir son temps de travail en s'occupant des cas les moins lourds . »

Face à cette démotivation, existe depuis 1992 un « accompagnement d'équipe », qui consiste en une intervention auprès des équipes en place, soit pour résoudre une difficulté de fonctionnement ou une situation de crise, soit pour accompagner des changements importants dans les pratiques des services. 26 services en ont bénéficié en 2000. C'est encore insuffisant pour pallier « l'absence d'un temps de parole, régulier et intégré au projet de service », dénoncée par le comité technique paritaire national.

La commission juge indispensable d'assurer un accompagnement obligatoire des professionnels qui évoluent dans un contexte émotionnel fort et parfois violent .

Comme le cabinet CIRESE, la commission souhaite que soit prévue une vraie gradation pour les professionnels, que les enjeux soient réels pour donner envie à des personnels d'aller au contact de jeunes qui les rejettent : « une gratification est nécessaire pour inciter des éducateurs à se consacrer à ce public. Cette dernière peut être financière, mais cela ne va pas très loin 131 ( * ) ; elle doit surtout être morale, et donner aux intéressés le sentiment d'appartenir à un corps professionnel de valeur et d'être reconnus au titre de leur spécialisation ».

* 130 A titre d'exemple, au 1er septembre 2000, 215 agents de justice étaient employés par la PJJ. Sur les 448 au 1er juillet 2001, 67 démissions étaient enregistrées.

* 131 Les revalorisations des primes des personnels travaillant dans les postes les plus difficiles, notamment en hébergement, sont ensuite étendues à l'ensemble des personnels, au mépris de la finalité-même de ces primes.

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