E. DES RELATIONS ENTRE LES MAGISTRATS ET LES AVOCATS OSCILLANT ENTRE L'INDIFFÉRENCE ET LE CONFLIT

La mission n'a pas souhaité aborder le thème de l'évolution des métiers de la justice en limitant son champ d'investigation aux seules difficultés éprouvées par chaque catégorie de professionnels. En effet, les acteurs qui gravitent autour et au sein de l'institution judiciaire n'exercent pas leur métier indépendamment les uns des autres .

La mission s'est donc intéressée aux interactions et à la nature des relations que tissent ces professionnels entre eux.

A cette occasion, il est apparu que le malaise et le découragement observés au sein de chaque catégorie de professionnels étaient également perceptibles à travers leurs relations.

Les magistrats et les auxiliaires de justice se sont toujours efforcés de collaborer et d'entretenir des rapports cordiaux. Cette situation a perduré dans de nombreuses juridictions, ainsi qu'a pu le confirmer Mme Entiope, présidente du tribunal de grande instance de Marseille. Pour autant, la mission n'a pu ignorer le constat dressé par un grand nombre de magistrats et d'avocats d'une certaine dégradation du climat liée à une méconnaissance réciproque et à des antagonismes marqués.

1. Une méconnaissance réciproque des professionnels du droit

a) L'absence de culture commune

Au Royaume-Uni, il existe des liens forts entre les avocats et les magistrats, ces derniers étant principalement recrutés parmi des juristes expérimentés. Ces métiers se chevauchent et sont souvent exercés par les mêmes personnes.

Tel n'est pas le cas en France où il existe peu de passerelles entre les fonctions de magistrat et d'avocat 166( * ) . De même, le recrutement et la formation relèvent de filières distinctes et étanches.

Il est toutefois à noter qu'avant la réforme de 1958 ayant créé l'ENM, la situation était différente puisque magistrats et avocats bénéficiaient d'un enseignement commun avant d'intégrer leurs fonctions.

Le magistrat délégué à la formation entendu par la mission au cours de son déplacement à Bordeaux a regretté la brièveté du stage en juridiction effectué par les élèves avocats 167( * ) , qui ne permettait pas à ces derniers de comprendre le milieu des magistrats.

En parallèle, un délégué de la promotion des auditeurs de justice 2000 a jugé trop court le stage avocat 168( * ) accompli durant la scolarité à l'Ecole nationale de la magistrature. Il a expliqué qu'une telle durée ne permettait pas de suivre le véritable cheminement d'un dossier, non plus que d'aborder l'ensemble du contentieux traité par le cabinet d'avocats.

Comme l'a confié un magistrat entendu par la mission, ce stage, qui intervient en fin de parcours et juste avant l'examen de sortie, est parfois « négligé » ou du moins parfois accompli par les auditeurs de justice avec une rigueur moins grande que le stage en juridiction.

Plusieurs interlocuteurs rencontrés par la mission ont souligné que les jeunes générations de magistrats et d'avocats « ne se connaissaient plus, ce qui ne facilitait pas le dialogue entre eux ». L'augmentation du nombre d'avocats au sein d'un même barreau a d'ailleurs souvent été avancée comme le principal facteur d'explication de ce phénomène.

Il semble donc que les professionnels exercent leur métier de manière cloisonnée sans chercher à nouer des liens ni à connaître les métiers qui les entourent. L'opinion d'un autre délégué de la même promotion d'auditeurs est à cet égard significative, ce dernier ayant, contrairement à son collègue, jugé ce stage trop long après avoir considéré qu'un mois était suffisant pour appréhender le fonctionnement d'un cabinet d'avocats dans ses grandes lignes.

Un magistrat délégué à la formation a mis en garde contre le danger que les formations séparées dispensées à l'Ecole nationale de la magistrature, d'un côté, et dans les CRFPA, de l'autre, favorisent l'émergence de deux cultures spécifiques qui s'ignorent , voire qui se désignent mutuellement comme ennemies.

Il s'est d'ailleurs inquiété du regard de certains auditeurs de justice sur la profession d'avocat, principalement considérée comme « un obstacle à la vérité ».

Comme l'a confirmé la Conférence des bâtonniers, « en dehors des cas personnels, les avocats et les magistrats ne se parlent pas . »

Le président du CRFPA de Bordeaux a illustré la méconnaissance par les magistrats des réalités de la profession d'avocat en citant l'exemple de l'interprétation de l'article 700 du nouveau code de procédure civile permettant de mettre à la charge de la partie adverse tout ou partie des frais exposés, et non compris dans les dépens. Le montant des frais fixés par le juge est souvent très inférieur au montant réel des honoraires, ce qui témoigne de la difficulté des magistrats à appréhender les impératifs économiques imposés aux avocats.

Afin de remédier à cette situation, de nombreux interlocuteurs, à l'exception notable du Barreau de Paris, se sont prononcés en faveur de l'instauration d' un tronc commun de formation .

La mission, soucieuse de favoriser une meilleure connaissance réciproque des différents milieux professionnels, a donc jugé souhaitable la mise en place d'un tronc commun de formation entre les élèves avocats et les auditeurs de justice au cours de leur scolarité, ainsi que l'allongement des stages pratiques effectués tant par les avocats dans les juridictions que par les auditeurs dans les cabinets d'avocats.

Afin d'éviter un allongement de la scolarité à l'Ecole nationale de la magistrature, il pourrait être envisagé de supprimer le stage extérieur de dix semaines. De plus, la mission tient également à inviter les instances représentatives d'avocats et la Chancellerie à intégrer ce tronc commun de formation au nouveau dispositif de formation des avocats actuellement en cours d'élaboration.

En outre, la mission estime qu'un renforcement des formations continues croisées entre les avocats et les magistrats s'avère également indispensable.


Un rapprochement des CRFPA avec l'Ecole nationale de la magistrature devrait également permettre de renforcer ce mouvement en faveur d'une culture commune. Il convient également de relever une intéressante proposition du Conseil national des barreaux qui suggère que le magistrat délégué à la formation placé auprès de la cour d'appel soit désigné systématiquement comme membre du conseil d'administration du CRFPA.

Il convient donc avant tout de renforcer le dialogue entre ces deux professions.

b) La nécessité d'institutionnaliser les relations entre les magistrats et les avocats

La mission a, au cours de ses déplacements, pu constater que lorsque des commissions tripartites réunissant régulièrement les chefs de juridiction ou de cour et le bâtonnier de l'ordre des avocats étaient mises en place, rares étaient les tensions entre ces deux professions. Les interlocuteurs rencontrés par la mission ont d'ailleurs relevé l'intérêt d'établir des relations régulières souvent suffisantes pour dénouer certains problèmes.

M. André Ride, président de la Conférence nationale des procureurs généraux, a cité le cas de Lille où une réunion tripartite réunissait chaque semaine le président, le procureur et le bâtonnier, et avait permis de remédier aux tensions entre ces deux professions.

Force est de constater que dans la pratique, de nombreuses juridictions s'en remettent aux simples rapports de confiance et d'estime qui les unissent aux bâtonniers, ce qui ne permet pas toujours un suivi adéquat des relations entre professionnels au sein de la communauté judiciaire.

M. Jean-Paul Collomp, inspecteur général des services judiciaires, a fait état de cette situation devant la mission en relevant qu'il n'y avait « peut-être pas suffisamment de contacts institutionnels, c'est-à-dire de rencontres de travail entre le palais et le barreau ».

L'institutionnalisation d'une concertation systématique entre les chefs de juridiction et le bâtonnier pourrait favoriser la résolution de difficultés mineures entre les deux professions et éviter qu'elles ne deviennent des sources de tension préjudiciables au bon fonctionnement des juridictions.

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