c) Une obligation éducative malmenée

Ces analyses amènent votre rapporteur à dresser un bilan sévère des conditions de mise en oeuvre de l'obligation éducative.

Il en tire deux principales conclusions.

L'intégration scolaire reste l'exception

Si la mise en oeuvre du plan « Handiscol » a certes permis, dans certains départements, une amélioration de la situation, l'intégration scolaire reste encore l'exception.

Le poids du secteur spécialisé demeure en effet prépondérant dans la mise en oeuvre de l'obligation éducative : il prend en charge près des deux tiers des enfants et adolescents handicapés.

A l'inverse, l'intégration scolaire individuelle en milieu ordinaire reste l'exception. Tout se passe en effet comme si le développement de l'intégration collective se faisait peu ou prou au détriment de l'intégration individuelle. De fait, moins de 20 % des jeunes handicapés sont ainsi scolarisés. Aussi, comme le déplorait M. Michel Fardeau dans son rapport précité et sur la base d'estimations différentes, « 7 % seulement des jeunes handicapés sont scolarisés en milieu ordinaire, ce qui signifie que plus de 90 % sont accueillis dans des structures plus ou moins ségrégatives ».

Cet état de fait tient sans doute, votre rapporteur l'a déjà souligné, beaucoup moins aux difficultés rencontrées par les jeunes handicapés en raison de leur handicap qu'à l'inadaptation persistante du système éducatif dans l'accueil des jeunes handicapés.

L'absence de toute scolarisation reste encore trop fréquente

Compte tenu des freins existants à l'intégration scolaire et des difficultés rencontrées par le secteur médico-éducatif, l'obligation éducative n'est pas toujours effective.

Votre rapporteur déplore alors très vivement que l'absence de toute scolarisation demeure encore trop fréquente.

Celle-ci reste néanmoins difficile à évaluer. Les auditions organisées par votre commission ont ainsi mis en évidence de forts clivages entre le ministère de l'Education nationale et le monde associatif.

Le monde associatif, se fondant sur une enquête réalisée par un collectif d'associations à l'initiative de l'ANCE, avance le chiffre de 38.000 enfants et adolescents handicapés non scolarisés. Selon cette enquête, fondée sur une extrapolation au plan national d'observations locales, 25.000 enfants accueillis dans des établissements du secteur médico-social ne seraient pas scolarisés et 13.000 autres enfants seraient en attente de solutions éducatives et de soins.

Le ministère de l'Education nationale infirme cette estimation et fait état d'une enquête conjointe des inspecteurs d'académie et des directeurs départementaux des affaires sanitaires et sociales qui conclut à un manque de 6.636 places d'intégration collective dans les écoles et dans les établissements médico-éducatifs à la rentrée 2001.

Il n'appartient pas à votre commission de trancher ce débat statistique. Votre rapporteur observe toutefois que ces évaluations divergentes ne sont pas pour autant contradictoires. L'une se fonde sur la réalité de la scolarisation, tandis que l'autre se borne à évaluer le manque de places. Or, ce n'est pas forcément parce que l'enfant est accueilli que sa scolarisation est effective.

Il n'en demeure pas moins que l'absence de scolarisation est trop souvent une réalité.

Il s'avère ainsi que les jeunes handicapés pris en charge par un établissement ou un service spécialisé ne sont pas toujours scolarisés.

Scolarisation des enfants handicapés pris en charge par un établissement
ou service d'éducation spécialisée (au 1 er janvier 1998)

en unités

Etablissement spécialisé

Service autonome

TOTAL

Non scolarisés

23.869

2.145

26.014

Scolarisés en établissement spécialisé

72.267

488

72.755

Intégration partielle dans un établissement de l'Education nationale

3.956

1.171

5.127

Scolarisation à temps plein dans un établissement de l'Education nationale

8.146

8.330

16.476

TOTAL

108.238

12.134

120.372

Source : Mission d'étude en vue de la révision de la loi d'orientation du 30 juin 1975, avril 2002.

Ces données, certes un peu anciennes, montrent que près de 22 % des enfants pris en charge dans le cadre de l'éducation spéciale ne sont pas scolarisés.

Certes, la possibilité de scolarisation diffère profondément selon le type de déficience. L'idée d'une scolarisation obligatoire peut ainsi apparaître assez illusoire, notamment pour les jeunes les plus gravement handicapés et, en particulier, les polyhandicapés.

Mais il semble pourtant que ce déficit de scolarisation aille bien au-delà de cet éventuel « minimum incompressible » comme l'a montré l'enquête conjointe de l'IGEN et de l'IGAS.

Scolarisation des enfants et adolescents handicapés accueillis
en établissement d'éducation spéciale en 1996

en unités

Types d'établissements d'éducation spéciale

Pour déficients intellectuels

Pour polyhandicapés

Instituts de rééducation

Pour déficients moteurs

Pour déficients visuels

Pour déficients auditifs

Pour sourds et aveugles

Nombre d'enfants ou d'adolescents pris en charge

72.559

2.515

15.068

7.583

2.337

6.593

1.454

Non scolarisés

23.036

2.314

593

1.848

296

379

112

Scolarisés :

49.523

201

14.475

5.735

2.041

6.214

1.342

dont à temps plein dans l'établissement

45.425

104

11.233

4.373

1.465

3.924

905

dont à temps plein ou partiel dans un établissement de l'éducation nationale

4.098

97

3.242

1.362

576

2.290

437

Source : Enquête IGEN/IGAS, mars 1999.

Cette enquête concluait ainsi à la non-scolarisation de 26 % des jeunes handicapés accueillis en établissement, mais mettait surtout en évidence le fait que certains jeunes qui pourraient être scolarisés ne l'étaient pas. De fait, 24 % des jeunes handicapés moteurs et 8 % des jeunes handicapés sensoriels ne l'étaient pas.

On peut dès lors en conclure que « les modalités de scolarisation dans les établissements spécialisés, en particulier dans le secteur médico-social, sont unanimement considérées comme extrêmement hétérogènes, parfois inexistantes ou très insatisfaisantes » 60 ( * ) .

Votre rapporteur juge cette situation inadmissible.

Certes, il relève que la non-scolarisation tient aussi pour une large part aux dysfonctionnements du système d'orientation qui laissent un grand nombre d'enfants ou d'adolescents dans l'attente d'une place dans une école, un service ou un établissement.

Certes, il observe également que, comme le soulignait M. René Bernard, les conditions de prise en charge dans le secteur spécialisé évoluent : « On observe (...) ces dernières années, une double évolution qui consiste à réduire les établissements spécialisés pour créer des SESSAD en procédant à des redéploiements, à réduire les internats au profit des demi-internats. Or, nous nous rendons compte que la demande n'a pas suivi la modification de l'offre et qu'aujourd'hui, nous devons faire face à des difficultés dans bien des cas ». Ainsi, depuis 1999, 342 nouveaux SESSAD auraient été créés, portant leur nombre à 942.

Mais, paradoxalement, cette évolution récente n'est pas non plus sans soulever de nouvelles difficultés.

D'abord, le développement des services se heurte à des limites. M. François Martin, secrétaire général adjoint de l'ANCE, observait ainsi devant votre commission : « En ce qui concerne les services, il est globalement possible de dire qu'ils sont en phase avec les demandes des familles. Ils permettent l'accompagnement et constituent l'outil technique médico-éducatif et pédagogique indispensable à la réalisation de la politique d'intégration scolaire. A nos yeux, ils présentent toutefois trois insuffisances : ils sont globalement en nombre insuffisant ; ils sont beaucoup trop inégalement répartis géographiquement ; ils devraient comporter obligatoirement des enseignants spécialisés ».

Ensuite, la transformation progressive des établissements en services ne règle pas tous les problèmes. Subsistent notamment une très grande disparité géographique dans l'implantation des structures et une très grande disparité de la prise en charge selon les handicaps.

Toujours est-il que les graves difficultés actuellement constatées pour la mise en oeuvre de l'obligation éducative appellent aujourd'hui des réponses fortes.

* 60 Comme le relevait la mission d'étude en vue de la révision de la loi d'orientation du 30 juin 1975.

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