D. AUDITION DE M. RENÉ BERNARD, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES COMMUNAUTÉS ÉDUCATIVES (ANCE)

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le Président, vous présidez l'Association nationale des communautés éducatives, l'ANCE, qui oeuvre depuis plus d'un demi-siècle dans le secteur de l'éducation des enfants handicapés. Nous avons tout naturellement souhaité vous entendre à l'occasion de cette journée d'auditions sur l'insertion sociale des personnes dites handicapées. Nous vous recevons avec d'autant plus d'intérêt que vous venez de publier une enquête particulièrement instructive sur les difficultés de scolarisation des enfants.

Je vous propose de nous présenter brièvement, en guise de propos liminaire, les actions de votre association, avant que notre rapporteur et les autres commissaires vous posent leurs questions. Comme vous le savez, cette audition sera retransmise sur Public Sénat et je souhaite qu'elle demeure suffisamment vivante. Je souhaite, pour cela, que vous autorisiez vos auditeurs à vous interrompre, pour vous poser telle ou telle question.

Vous avez la parole.

M. René BERNARD - Merci monsieur le Président. Mon collègue François Martin et moi-même avons assisté à une partie des discussions de la matinée et approuvons le principe d'un dialogue vivant, de préférence à un exposé ex catedra . En tant qu'enseignants de formation, nous sommes assez sensibles à cette façon de travailler.

L'Association nationale des communautés éducatives est une association de professionnels oeuvrant dans les secteurs social, médico-social voire dans celui de la justice. Elle rassemble des personnes physiques travaillant dans les établissements, lesdits établissements eux-mêmes et les associations de caractère privé qui gèrent ces établissements. Nous représentons à peu près un tiers du secteur médico-social en France, à côté du secteur public et d'autres secteurs associatifs. Nous sommes une association issue de l'Education nationale. Notre fondateur, Louis François, Inspecteur général de l'Education nationale, est décédé en début d'année. C'était un grand président, qui dirigeait également le Comité français pour l'UNESCO lorsque, à la demande de la Fédération internationale des communautés éducatives, qui a aujourd'hui un statut d'organisme non-gouvernemental auprès de l'Union européenne, il a créé l'Association nationale des communautés d'enfants. En effet, la création de l'Association remonte à l'immédiat après-guerre, époque à laquelle beaucoup d'enfants connaissaient des difficultés suite au conflit mondial. Il y a une vingtaine d'années, l'ANCE est devenue l'Association nationale des communautés éducatives, élargissant ainsi son action.

C'est une association constituée d'associations, c'est-à-dire qu'elle ne gère pas d'établissements ni de services, ce qui nous confère une position propre à ne jamais nous placer en conflit avec nos adhérents et à ne jamais défendre les intérêts de nos établissements. Nous souhaitons être un lieu de rencontres, de débats et d'élaboration sur les pratiques professionnelles. Nous souhaitons également travailler à la formation des professionnels qui travaillent dans les établissements et services du secteur. Nous gérons un institut de formation des travailleurs sociaux à Echirolles, dans l'Isère. Nous souhaitons également être une force de proposition auprès des pouvoirs publics dans les domaines des personnes en situation de handicap ou d'inadaptation.

S'agissant de nos axes de travail dans tous ces domaines, nous avons publié en 1996, une charte des références déontologiques des professions du social. Nous poursuivons aujourd'hui ce travail, dans la mesure où la déontologie est un objet en constante évolution. Pour donner plus de poids à ces références déontologiques et aux avis donnés par le Comité national des avis déontologiques, que préside d'ailleurs M. Martin, l'ANCE remet ces références à un comité de suivi des références déontologiques, qui est constitué par les associations du secteur qui le souhaitent. Simultanément, nous souhaitons une reconnaissance officielle de son activité, notamment par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité.

Nous avons également un travail sur la démarche qualité dans le travail social et sur l'évaluation. Nous menons en parallèle deux campagnes : l'une sur la formation et la scolarisation des enfants et adolescents handicapés ; l'autre sur le développement des centres médicaux psycho-pédagogiques (CMPP), qui sont des structures de prévention et de cure ambulatoires, tellement nécessaires pour le maintien et le développement de l'intégration scolaire.

M. Paul BLANC, rapporteur - Lors de notre première audition de la journée, nous avons accueilli un représentant de l'Education nationale, M. Brison, qui a contesté votre chiffre de 40.000 enfants handicapés non scolarisés. Comment êtes-vous arrivé à ce chiffre ?

M. René BERNARD - Les évaluations sont effectivement très compliquées dans ce domaine particulier. En décembre 1999, un collectif d'associations de la région Rhône-Alpes s'est fait l'écho de la synthèse régionale des commissions départementales de l'éducation spéciale selon laquelle 822 enfants de la région n'avaient pu bénéficier d'une prise en charge adéquate, faute de places ou d'équipements. Les associations rhône-alpines ont engagé des démarches auprès du DRASS de la région, qui a répondu qu'il ne pouvait faire qu'avec les moyens dont il disposait, c'est-à-dire avec le budget que lui accorde la loi de finances votée par le Parlement. Il ajouta que, pour obtenir une augmentation de cette enveloppe, il était nécessaire d'en adresser la requête directement à l'Etat, pour pouvoir satisfaire des demandes qu'il ne contestait d'ailleurs pas. C'est alors que l'une de ces associations, membre de l'ANCE, nous a demandé de prendre le relais au niveau national afin de donner une audience nationale à cette démarche et d'avoir un meilleur impact sur les pouvoirs publics. Aujourd'hui c'est un collectif de quatorze grandes associations et services qui travaillent ensemble.

Cette extrapolation nationale s'est avérée peu aisée. Nous sommes donc partis des chiffres dont nous disposions, c'est-à-dire ceux de la région Rhône-Alpes, pour obtenir, en fonction de la pondération relative de la région en France, une estimation nationale de 10.000 enfants handicapés non scolarisés. A ce stade, nous avons souhaité intégrer des distinctions entre des handicaps lourds, comme l'autisme ou des handicaps émergents, comme les troubles développementaux du langage (la dysphasie). Nous nous sommes appuyés sur un rapport de l'Inspection générale de l'Education nationale et de l'Inspection générale des Affaires sociales qui, à partir d'une enquête conduite sur neuf départements, établit que 32 % des jeunes accueillis dans des instituts médico-éducatifs ne bénéficient pas de scolarisation. En extrapolant ces données au plan national, nous sommes arrivés au chiffre de 25.000 enfants environ accueillis dans des établissements ou services du secteur médico-social, qui ne sont pas scolarisés.

Comme nous n'étions pas en mesure, en tant qu'associations, de réaliser un travail quantitatif, l'ANCE a mené une enquête auprès de plusieurs commissions départementales de l'éducation spéciale. Nous avons ainsi vu apparaître de nouvelles causes à la non scolarisation et à la non-prise en charge. Parmi ces causes figure la déscolarisation, c'est-à-dire les enfants dont les parents n'ont pas accepté l'orientation prononcée par la commission départementale de l'éducation spéciale. Nous sommes également confrontés à la situation d'enfants en milieu hospitalier ou soignés à domicile, et qui ne sont pas toujours scolarisés. Il faut également évoquer le cas des enfants qui relèvent de la justice. A ce sujet, il y a sans doute un problème de coordination entre le ministre de l'Education nationale et celui de la Justice, pour que des enfants se trouvant dans des établissements de justice bénéficient tous d'une scolarisation. Il existe également des cas de déscolarisation comme thérapie et la situation particulière des enfants de migrants, dont la scolarisation constitue quelque chose d'extrêmement aléatoire, je veux ici parler des enfants des gens du voyage.

Le ministre de l'Education nationale a contesté, non pas la situation, mais les chiffres avancés. Effectivement, personne ne peut aujourd'hui prétendre avancer des chiffres incontestables, ni le ministre de l'Education nationale, ni les associations. Cette incapacité constitue, en soi, un élément non négligeable du problème.

M. Paul BLANC, rapporteur - Ne pensez-vous pas qu'il soit un peu abusif de comptabiliser les enfants qui se trouvent dans des établissements médico-éducatifs comme des enfants non scolarisés ?

M. René BERNARD - J'attire votre attention sur la nécessaire distinction entre l'éducation et la scolarisation, qui sont deux choses différentes. Ces établissements du secteur médico-éducatif, comme vous le savez, sont sous la tutelle du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, et pas sous celle du ministre de l'Education nationale.

M. Paul BLANC, rapporteur - Des enseignants sont tout de même affectés dans ces établissements.

M. René BERNARD - Ils ne le sont pas toujours ! Le problème est complexe. Certaines grandes associations, jusqu'à une date récente, avaient refusé de signer des conventions avec l'Education nationale pour avoir des enseignants mis à disposition. Aujourd'hui, les mêmes associations ont plutôt tendance à demander des enseignants, ce qui me paraît une bonne évolution. Toutefois, il y a effectivement un certain nombre d'établissements dans lesquels on ne trouve aucun ou très peu d'enseignants. Il arrive que, dans certains de ces établissements, le ratio soit d'un instituteur public pour soixante enfants en grande difficulté ! C'est tout le problème de l'intégration, sur lequel reviendra François Martin tout à l'heure.

Nous concevons qu'en fonction du projet personnalisé d'un enfant, il soit possible de dire que cet enfant ne peut pas suivre, aujourd'hui, une scolarisation à temps plein. Mais c'est une autre chose que de dire qu'un enfant ne peut aller en classe qu'une ou deux demi-journées par semaine en raison du manque de personnel enseignant.

M. Paul BLANC, rapporteur - Il faudrait donc peut-être que la loi impose une présence obligatoire d'enseignants dans ces établissements.

M. René BERNARD - C'est effectivement dans ce sens que s'inscrit notre action.

Il serait également intéressant d'aborder le thème de la formation de ces enseignants, puisque environ 20 % des enseignants affectés dans les établissements ou les services spécialisés n'ont pas de formation ad hoc . Ils ne sont que des enseignants généralistes, n'ayant pas de préparation à travailler avec un enfant en situation de handicap ou d'inadaptation.

Pour en revenir aux chiffres, il est exact, M. le rapporteur, que le fait qu'ils soient issus d'extrapolations les rend contestables.

M. Paul BLANC, rapporteur - J'ai bien noté que votre mode de calcul ne correspondait pas tout à fait à celui du ministre de l'Education nationale.

Nous avons évoqué les divers établissements, et notamment les instituts médico-éducatifs (IME) et les instituts médico-professionnels (IM Pro). Sans tenir compte de l'amendement Créton, estimez-vous que notre pays a aujourd'hui de vrais besoins en matière d'établissements de ce type ?

M. René BERNARD - Pour répondre à cette question, je me fonderai sur l'étude commandée par la DRES du ministère de l'Emploi et de la Solidarité au Centre technique national d'études sur les handicaps et les inadaptations (CTNERHI), qui a été publiée en mars 2001. Cette étude est beaucoup plus large que celle que nous avons conduite nous-mêmes puisque seuls dix départements n'y ont pas répondu et que le CTNERHI a dépouillé plus de 250 documents qu'il a reçus. Cette enquête établit que 13.000 enfants se trouvent dans une situation de non prise en charge et de non scolarisation et met également en évidence un certain nombre de difficultés. On observe d'abord, ces dernières années, une double évolution qui consiste à réduire les établissements spécialisés pour créer des SESSAD en procédant à des redéploiements, à réduire les internats au profit des demi-internats.

Or, nous nous rendons compte que la demande n'a pas suivi la modification de l'offre et qu'aujourd'hui, nous devons faire face à des difficultés dans bien des cas.

M. François MARTIN, Secrétaire général adjoint - En ce qui concerne les IMP et les IM pro, il est assez difficile de répondre directement à la question de savoir si l'équipement est adapté ou non.

Je vous propose trois éléments d'explication.

D'abord, on observe une très grande disparité géographique.

Cette disparité permet difficilement de porter une telle appréciation. Il y a des départements et des régions qui sont globalement assez bien équipés et d'autres qui ressemblent à des déserts, notamment vis-à-vis de certains handicaps précis ou de certaines difficultés.

Il faut ensuite souligner la très grande disparité entre les handicaps.

Il est toujours délicat de parler trop généralement du handicap, de l'intégration et de la scolarisation. Les modalités de scolarisation doivent obligatoirement être différentes et adaptées selon que l'on a affaire, par exemple, à un handicapé mental profond, à un handicapé moteur ou sensoriel doté de toutes ses facultés intellectuelles ou encore à un enfant présentant des troubles du comportement et de la conduite. Il s'agit de cas extrêmement différents et il n'est pas possible de regrouper tous les handicapés en une seule catégorie. La réalité est qu'il n'y a que des personnes vivant des situations de handicap, pour lesquelles la pédagogie spécialisée et la prise en charge spécialisée existent, mais selon des modalités d'application différentes.

Il y a enfin une évolution constante des établissements.

Certains ont démarré assez tôt et d'autres plus tardivement, mais il se construit généralement en leur sein un travail très important, pas toujours de scolarisation, mais d'éducation et de prise en charge médico-éducative. Ces établissements ont développé, petit à petit, une politique d'intégration scolaire, dans le cadre de laquelle ils se sont peu à peu transformés en services de soins et d'accompagnement et seront également amenés à se transformer progressivement en centres de ressources. Chaque établissement et chaque association gestionnaire l'ayant fait à son rythme, le mouvement est toutefois bien en marche et a connu une certaine accélération depuis deux ans.

En ce qui concerne les services, il est globalement possible de dire qu'ils sont en phase avec les demandes des familles. Ils permettent l'accompagnement et constituent l'outil technique médico-éducatif et pédagogique indispensable à la réalisation de la politique d'intégration scolaire. A nos yeux, ils présentent toutefois trois insuffisances : ils sont globalement en nombre insuffisant ; ils sont beaucoup trop inégalement répartis géographiquement ; ils devraient comporter obligatoirement des enseignants spécialisés.

S'agissant de cette troisième insuffisance, je précise que la présence d'enseignants spécialisés au sein de ces services d'accompagnement est prévue par l'annexe 24 du décret du 9 mars 1956 et que l'enseignant spécialisé est peut-être le meilleur interlocuteur pour favoriser l'intégration scolaire de l'enfant dans une école, un collège ou un lycée. Il est sans doute celui dont l'action aura le plus d'impact et qui saura le mieux expliquer les difficultés que rencontre un enfant et ses besoins d'intégration et de scolarisation.

Enfin, j'insiste sur le fait qu'il n'y a pas et qu'il ne doit pas y avoir concurrence entre les services et les établissements. La complémentarité s'impose. Certains enfants ont besoin, à un certain moment, d'un établissement spécialisé, avant de pouvoir accéder à une scolarisation ordinaire par l'intermédiaire d'un SESSAD. A l'inverse, un enfant pour lequel l'intégration serait quelque chose d'irréaliste doit pouvoir bénéficier à tout moment d'un institut spécialisé. Les passerelles sont quelque chose d'extrêmement important et la souplesse du fonctionnement doit être la règle.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous venez de faire allusion à l'intégration scolaire en milieu ordinaire, qui reste tout de même aujourd'hui très minoritaire. Quels sont à votre avis les obstacles les plus fréquents en la matière ?

M. François MARTIN - Je rappelle que l'intégration, en tant qu'objectif, ne nécessite pas les mêmes modalités selon l'enfant handicapé auquel on s'adresse. La nature et l'évolutivité de ses difficultés, la somme de ses potentialités, son âge, la disponibilité de sa famille et son domicile par rapport aux équipements existants sont autant d'éléments à analyser et à prendre en compte. En même temps, le souhait d'intégration représente actuellement un grand mouvement à caractère solidaire et humaniste : il s'agit de l'accès aux droits pour chacun. C'est certainement le fond de la réflexion en vue d'une nouvelle législation.

Je n'ai pas nécessairement envie de parler d'obstacles, mais je vais tout de même évoquer ce point pour répondre à votre question. Cette affaire d'intégration opposée à la ségrégation est une affaire politique et culturelle. Le mouvement évoqué plus haut est en fait un changement de regard sur la personne handicapée et des modalités d'intervention qui sont en train de changer radicalement. Pour simplifier, je dirais que nous sommes en train de passer d'une logique de filières à une logique de parcours individuels pour la personne elle-même. En ce qui concerne les propositions, je voudrais en évoquer quelques-unes qui recouvrent en même temps les difficultés.

A l'heure actuelle, nous émettons deux souhaits majeurs.

Nous ressentons d'abord la nécessité d'instaurer dans notre pays un grand débat national sur la situation du handicap et sur l'intégration.

Qu'en est-il des résistances, des inerties diverses et des freins culturels ? Sans cette analyse précise, des avancées nouvelles seront difficiles. Qu'en est-il de ce consensus, voire de cette unanimité, que l'on retrouve peut-être un peu trop facilement dès qu'il s'agit de voter une loi à propos des personnes handicapées ? Cela voudrait-il dire qu'il n'y a pas réellement place à un débat contradictoire et qu'il ne s'agirait donc pas d'un sujet de débat socio-politique ? Nous le craignons !

Nous ressentons également la nécessité de favoriser localement la véritable mise en place d'une politique d'intégration.

L'échelon départemental nous semble actuellement le mieux adapté pour cette politique, sans pour autant exclure les autres acteurs locaux. Cette démarche indispensable sur l'ensemble du territoire se met en place progressivement dans un certain nombre de départements et l'action associative n'y est pas étrangère. Elle fait, par contre, défaut et de manière criante dans un certain nombre d'autres départements.

Des progrès urgents sont notamment à faire dans la formation des enseignants et des responsables de l'Education nationale à tous niveaux. Je pense à la plus grande précision des rôles nouveaux des commissions départementales de l'éducation spéciale ; à la création en grand nombre et au développement des services spécialisés d'accompagnement de l'intégration là où ils font cruellement défaut ; au fonctionnement et à l'utilisation de groupes Handiscol ; à la mise en place de services d'auxiliaires d'intégration à la vie scolaire, complémentaires des services spécialisés, existant ou à créer.

Outre le fait qu'il s'agit d'un problème culturel, c'est aussi un problème d'adaptation de l'école, dont la solution passera par la présence d'enseignants spécialisés là où ils sont nécessaires, mais également par une formation a minima des enseignants ordinaires leur permettant d'accueillir dans de bonnes conditions les enfants handicapés. Il ne s'agit pas pour eux de tout savoir sur le handicap de l'enfant, mais prioritairement de savoir travailler avec d'autres.

M. Paul BLANC, rapporteur - Cela implique un enseignement obligatoire dans les instituts universitaires de formation des maîtres.

M. René BERNARD - Oui, ainsi que dans la formation continue. En effet, une simple formation initiale au niveau de l'UFM ne suffit pas lorsqu'un enseignant se retrouve confronté pour la première fois, cinq ans après cette formation, à l'arrivée d'un enfant handicapé dans sa classe. A ce moment-là, il est bon de pouvoir faire appel à une aide pour accueillir cet enfant.

M. Nicolas ABOUT, président - La formation de base permet tout de même une approche du problème, sachant que les enseignants devront, par la suite, s'adapter à chaque déficience et que chacune de ces déficiences nécessitera probablement une remise à niveau de l'enseignant. Ce dernier ne peut être un expert dans tous les domaines du handicap, dans la mesure où les médecins ne le sont pas eux-mêmes. Bien souvent, ce sont les personnes handicapées elles-mêmes qui sont plus compétentes que les médecins qu'elles rencontrent !

Il faut donc, dans ce domaine, une formation très poussée et des enseignants formés aux différents types de handicaps sur une même commune, pour ce qui est des communes moyennes, pour pouvoir accompagner ces enfants.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez évoqué le plan Handiscol. Quel en est le bilan et que pensez-vous de l'utilisation des auxiliaires d'intégration scolaire, qui sont des emplois-jeunes ?

M. François MARTIN - De notre point de vue, Handiscol est une bonne idée. Il constitue un lieu de rencontre, d'évaluation et de débat prospectif. Il donne la parole aux usagers, aux professionnels, aux administrations et aux associations. Ce lieu de rencontre était donc nécessaire.

Par ailleurs, un certain nombre de rôles et de missions qui lui sont confiés relèvent ou auraient normalement dû relever des commissions départementales de l'éducation spéciale, qui n'ont pas pu ou su faire ce qui leur avait été demandé à leur création en 1975. Je pense par exemple à l'état des lieux constant des demandes et de la possibilité, pour un département ou pour une région, de répondre aux besoins. Les commissions départementales de l'éducation spéciale n'ont que rarement assuré cette tâche. Handiscol va en être chargé.

La principale difficulté pour Handiscol consiste en l'inégale mise en place et en l'inégal fonctionnement des groupes Handiscol en France. Dans certains départements, cette mise en place est purement formelle et ne présente donc que peu d'intérêt. Dans d'autres départements, des groupes de travail et une dynamique de réflexion permettent au contraire à cette structure d'être en mesure de faire avancer les choses. En tout cas, Handiscol constitue, à notre point de vue, un outil non pas directement au service des familles ou des parents à titre individuel, mais plutôt un outil institutionnel. A ce titre, on pourrait imaginer qu'Handiscol pourrait remplir deux missions qui ne sont pas inscrites dans les textes, mais qui pourraient tout de même lui être confiées. Handiscol pourrait ainsi être l'organe garant du service départemental d'auxiliaires d'intégration. Handiscol pourrait également être un centre de ressources au service des associations de parents, des professionnels et des administrations.

En ce qui concerne les auxiliaires d'intégration, ils constituent un progrès. Cette fonction d'aide s'exerce à deux niveaux : permettre la mise en situation d'intégration scolaire des enfants qui n'y étaient pas et améliorer les conditions d'accueil d'enfants qui étaient déjà en situation d'intégration scolaire.

C'est une fonction extrêmement délicate car elle repose sur le pari de confier l'enfant en difficulté à une personne supplémentaire avec l'objectif de permettre à cet enfant de conquérir son autonomie. Cela signifie que l'auxiliaire d'intégration scolaire se voit confier un rôle paradoxal qui consiste à aider encore un peu plus l'enfant afin de l'aider à devenir autonome. Les difficultés sont multiples : l'auxiliaire d'intégration scolaire ne doit pas faire écran ; l'auxiliaire d'intégration scolaire ne doit pas se substituer à l'enfant ; l'auxiliaire d'intégration scolaire ne doit pas se substituer à l'enseignant.

La Fédération nationale des associations d'aide à la scolarisation des personnes handicapées réalise dans ce domaine un travail très important. Le travail des auxiliaires d'intégration scolaire ne peut se faire que s'il existe, de façon institutionnelle, une liaison constante et quotidienne, non seulement avec l'enseignant, mais également avec les personnels qui dépendent des services spécialisés et qui interviennent aussi auprès de l'enfant. Si ces auxiliaires d'intégration scolaire ne font pas partie des services spécialisés, ils doivent néanmoins travailler en commun, dans le respect du projet pédagogique individuel de l'enfant. L'auxiliaire doit donc être, comme en grammaire, celui qui aide à conjuguer.

En ce qui concerne le financement, l'ANCE ne s'en préoccupe pas au premier chef, ce qui ne signifie pas qu'elle s'en désintéresse. Nous n'avons pas approfondi la question, mais il est clair que nous serions assez favorables à un financement public, et non pas au sponsoring. En outre, pour vous livrer le fond de notre pensée, nous trouverions logique que ce financement soit assuré par l'Education nationale, dans la mesure où il s'agit bien de l'affaire de l'Ecole.

M. Paul BLANC, rapporteur - Si je vous ai bien compris, vous placez les commissions départementales de l'éducation spéciale au coeur du dispositif en charge des enfants handicapés, tout en soulignant qu'elles mériteraient peut-être d'être réformées. Comment verriez-vous l'organisation de tous ces acteurs, l'Education nationale, la DDASS, les départements et les communes autour des commissions départementales de l'éducation spéciale ?

M. René BERNARD - C'est effectivement une question très importante, mais qui ne relève pas forcément de l'ANCE. Toutefois, il est exact que la scolarisation des enfants et adolescents handicapés repose, comme vous le soulignez dans votre question, sur un dispositif complexe qui fait intervenir une multitude d'acteurs. Pour les familles, c'est un véritable parcours du combattant dans lequel les plus démunis ont beaucoup de mal à être acteurs du projet de leur enfant. Encore faut-il qu'elles aient trouvé le bon interlocuteur. Or, lorsque les familles se trouvent devant un aréopage de professionnels, même les plus aguerris ont bien du mal à analyser l'offre qui leur est faite et à juger de sa corrélation avec les besoins de leur enfant.

D'une manière générale, les problèmes dans leur complexité ne peuvent être traités valablement qu'au plus près du terrain. Nous pensons que les administrations locales compétentes devraient recevoir, sous la responsabilité du préfet, des enveloppes financières globales qui leur permettraient d'apporter des réponses au plus près des familles. L'idée de guichet unique a souvent été évoquée, dans la mesure où la multiplicité actuelle des structures et des sources de financement du système éducatif pour les enfants handicapés rend les procédures longues et complexes. Les promoteurs sont parfois contraints à une ingénierie financière qui ne devrait pas être de leur ressort. Comme dans d'autres domaines apparaît ainsi la nécessité de confier à un guichet unique le soin de récapituler la totalité des moyens et de rassembler les financements. Toutefois, nous craignons cette pratique bien française qui consiste à créer de nouveaux dispositifs et à les empiler sur les précédents dispositifs. Ainsi, les commissions départementales de l'éducation spéciale, créées par la loi du 30 juin 1975, n'ont jamais eu les moyens de faire ce pour quoi elles ont été créées, c'est-à-dire rassembler et mettre en forme les données qui permettent une vision prospective et préparer les évolutions nécessaires.

Le ministère de l'Education nationale et le ministère de l'Emploi et de la solidarité n'ont pas les moyens de satisfaire ce qui constitue, pour nous, le préalable, c'est-à-dire l'exigence d'une évaluation claire, précise et reconnue par tous du besoin. Cela signifie rendre lisibles et exploitables les informations collectées par les commissions départementales de l'éducation spéciale. Ces dernières ont été informatisées, ce qui a pris dix ans. Cela signifie qu'entre les commissions départementales de l'éducation spéciale qui ont été informatisées les premières et celles qui l'ont été les dernières, les informatiques ne communiquent pas !

Il s'agit également de mettre en place un langage commun qui permette à l'Administration et aux usagers de communiquer. A l'heure actuelle, les usagers dressent le constat qu'il manque tel ou tel nombre de places dans tel ou tel département, et l'Etat répond par l'annonce de l'investissement de telle somme d'argent. Or, ce montant ne comporte aucun élément d'information quant au nombre de places supplémentaires qu'il permettra de financer. Nous sommes donc prêts à travailler, comme c'est d'ailleurs notre vocation, avec les ministères, vis-à-vis desquels nous jouons d'une certaine manière un rôle de poil à gratter !

M. Paul BLANC, rapporteur - Ma pratique de ces questions m'a conduit à constater les problèmes inhérents au passage de l'enfance à l'âge adulte. En effet, arrivée à l'âge de la majorité, la personne handicapée passe de la CDES à la COTOREP, entre lesquelles il n'y a pas beaucoup de ponts. Or, l'individu, lui, est toujours le même de sa naissance jusqu'à sa mort ! Avez-vous quelques idées sur les articulations qui pourraient être établies entre la CDES et la COTOREP ?

M. François MARTIN - Pas directement ! En revanche, en guise de réponse, je souhaiterais évoquer ce que nous appelons les centres de ressources. Ces derniers concernent les enfants, mais pourraient tout aussi bien s'adresser aux adultes de façon comparable. Il manque encore aux centres de ressources une définition précise. Les centres de ressources sont un outil au service des familles, des services, des professionnels et du grand public, auxquels ils distribuent des renseignements, de la documentation technique et de l'information en général. Notre opinion est la suivante. Avant de créer une structure nouvelle, il faut s'interroger sur l'existence et la valorisation d'outils déjà existants et capables de répondre à un certain nombre de besoins.

Parmi ces outils existants, nous en avons recensé trois.

Il y a d'abord les commissions départementales de l'éducation spéciale.

Leur rôle implique une capacité à informer, à renseigner et à aiguiller directement les familles en difficulté.

Il y a aussi les équipes relevant des centres spécialisés.

Ces services du secteur médico-social et médico-éducatif ont une capacité à diagnostiquer, à répondre techniquement, à accompagner la réflexion et à participer au traitement. Les établissements et services résolument tournés vers l'intégration représentent un formidable ensemble de centres de ressources. Pourquoi ne pas les utiliser davantage ? Il s'agit pour eux d'une piste d'évolution très intéressante.

Il y a enfin les groupes Handiscol.

Grâce à leur structure départementale et la variété de leur composition, ces groupes comportent en eux-mêmes toutes les ressources dont peuvent avoir besoin une famille, une équipe d'accompagnement ou un service concerné par la démarche de scolarisation en milieu ordinaire.

M. Paul BLANC, rapporteur - Il faudrait les regrouper pour mieux les coordonner !

M. François MARTIN - En effet ! Dans le fonctionnement que je connais de certains groupes Handiscol, la commission départementale de l'éducation spéciale est complètement associée au travail d'Handiscol et est même le principal fournisseur d'informations. Si Handiscol a les moyens d'accomplir le travail souhaité, c'est-à-dire l'adéquation des propositions de traitement et de prise en charge aux besoins locaux, c'est une possibilité. Le fait est que les Commissions départementales de l'éducation spéciale n'en ont que rarement été capables.

Je souhaiterais revenir sur l'idée d'obligation de l'intégration scolaire. Nous ne considérons pas l'intégration scolaire de la personne comme un dogme, mais comme un objectif. La scolarisation en milieu normal est un premier pallier en vue de l'intégration sociale. La situation de l'intégration scolaire est parfois, malheureusement, le résultat de la volonté forcenée d'une famille. Il ne s'agit pas de juger ces familles, mais de les comprendre et de les aider. Toutefois, les enfants, quels qu'ils soient, ne doivent pas faire les frais de cette intransigeance. L'ANCE, qui n'est pas une association gestionnaire de structures, mais un mouvement d'idées, ne parle pas des limites de l'intégration, même si elle sait qu'elles existent. L'ANCE parle plus volontiers des bonnes conditions de l'intégration, en essayant de se placer du point de vue de l'enfant.

Cette situation d'intégration vaut la peine d'être vécue à deux conditions.

Que l'enfant se sente bien car il y a, en situation d'intégration scolaire, des enfants qui souffrent du rythme, du regard des autres et des conditions qui leur sont données, ce qui est inacceptable.

Que l'enfant soit en situation de progresser. Ce progrès ne s'entend pas uniquement sur le plan social et éducatif, mais également sur le plan scolaire, c'est-à-dire qu'il y fasse des apprentissages.

De notre point de vue, si ces deux conditions ne sont pas réunies, la place de l'enfant est davantage dans un centre spécialisé, même pour une durée limitée.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je trouve très intéressant ce point de vue, que je partage pleinement.

M. Nicolas ABOUT, président - Je remercie les deux intervenants et je crois que la conclusion qui vient d'être faite est essentielle. Elle pose clairement l'objectif de maintenir toujours la possibilité de progresser. Le reste ne consiste qu'en une somme d'outils, l'idée étant d'intégrer les personnes en leur offrant toujours la possibilité de progresser.

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