a) Des contraintes gages d'économies pour les collectivités publiques
Parmi les justifications des avantages fiscaux, on cite souvent les coûts supplémentaires supportés par les propriétaires pour négliger l'intérêt de l'État qui est de favoriser un mode de gestion économique et « écologique ». Or au vu des observations faites au cours de cette enquête, il s'agit d'un argument non moins important.
(1) Compenser les surcoûts
L'exemple des couvertures en ardoise est bien connu :
l'Administration a tendance à préférer, aux ardoises plus
légères et simplement agrafées; des ardoises plus
épaisses et cloutées, qui si elles sont trois fois plus durables
sont aussi cinq fois plus chères... Cependant, ce n'est pas, du point de
vue économique, un bon calcul comme l'a montré M. François
Cailleteau dans son rapport précité, puisque,
indépendamment des accidents toujours possibles -tempête
incendie-, on ne tient pas compte de l'actualisation des sommes à
avancer.
D'une façon générale, la doctrine actuellement en vigueur
consistant à exiger que l'on fasse appel aux techniques d'origine,
même si le recours à une technique moderne ne serait pas visible,
est une source de surcoûts importants. Le recours aux techniques
d'origine est parfois justifié par l'importance du bâtiment
lui-même ; il permet aussi la conservation de savoir-faire. Mais il
ne devrait pas être systématique.
(2) Favoriser un mode de conservation et de gestion économe des deniers publics
Si
l'avantage fiscal est donc pleinement justifié de ce seul fait comme il
est d'ailleurs à l'étranger, la lourdeur de notre pression
fiscale rend nécessaire l'octroi d'avantages fiscaux plus importants
qu'ailleurs. C'est d'autant plus indispensable qu'il faut compter avec
l'évolution des mentalités et l'apparition d'une nouvelle
génération de propriétaires, moins attachés
à la conservation du bien et donc moins enclins à faire les
sacrifices, certes gratifiants mais néanmoins lourds, que suppose la
conservation d'un monument historique important.
Une conclusion s'impose à l'issue de la présente
enquête : la propriété et l'initiative privées
sont souvent un mode de gestion plus efficace du point de vue de la
conservation et de la mise en valeur des monuments historiques que la gestion
publique.
En fait, l'on se trouve dans deux cas de figure.
S'il s'agit d'un monument
de taille relativement modeste
et comme le démontrent les
problèmes du Centre des monuments nationaux,
la gestion publique est
nécessairement plus onéreuse
: à la
différence d'un château privé qui peut n'ouvrir que
quelques dizaines de jours par an, se contenter d'un personnel restreint voire
largement saisonnier, et en tous cas polyvalent, le château public doit
supporter des
coûts fixes liées à la rigidité des
conditions de travail
, sans que pourtant la qualité du service
offert au visiteur soit sensiblement supérieure, bien au contraire.
A ces coûts fixes de gestion s'ajoute la nécessité de
faire vivre le monument par des animations à laquelle échappent
les monuments historiques privés les plus modestes
, ne serait-ce que
parce les photos de famille des propriétaires et quelques bouquets de
fleurs suffisent à offrir aux visiteurs ce supplément d'âme
dont les pierres ont souvent besoin.
En revanche, dans le cas d'un château du Centre des monuments nationaux,
il faut à la fois entretenir des équipes à l'année,
en dépit des éléments de souplesse liés aux
personnels sur contrat, réinventer une vie de château,
créer des évènements, souvent coûteux, et au retour
sur investissement des plus problématique.
S'il s'agit d'un monument plus important
,
c'est bien sûr la
puissance publique qui a les moyens d'entretenir et de mettre en valeur un
équipement de rayonnement régional voire national
,
même si l'initiative privée peut prendre le relais
et
gérer des monuments importants : la société
Culture espace,
qui gère le musée de l'automobile de
Mulhouse, a pris la responsabilité du Palais des papes.
Ferney-Voltaire
L'histoire commence au printemps 1999 lorsque Mme Catherine
Trautmann, ministre de la culture décide d'acquérir les domaines
de Ferney-Voltaire et ses collections pour un montant de 1,829 388 €
(12 millions de francs). La propriété avait été
classée dans son intégralité, le château et ses
dépendances, ainsi qu'un domaine de près de 8 hectares en
1958.
L'organe créant la fonction, on s'est immédiatement
préoccupé de trouver une vocation aux monuments. Il fut alors
demandé à M. Hervé Loichemol, directeur d'une association
dénommée « Le Nouveau Fuzier », qui
développait une activité d'animation culturelle et de
théâtre autour des oeuvres de Voltaire, d'entreprendre une
étude de faisabilité et de définir un projet culturel.
Parallèlement, M. Loichemol est nommé administrateur
à mi-temps du monument dont la gestion a été
transférée au Centre des monuments nationaux.
Au début de l'année 2000 est créée l'association
« L'auberge de l'Europe », destinée à assurer
la gestion et l'exploitation d'un centre culturel de rencontre - le projet
reçoit un avis favorable de la commission compétente qui accepte
de lui accorder le label. La nouvelle association reprend une partie des actifs
et du passif du nouveau fuzier qui redevient une simple compagnie dramatique.
En décembre 2000 est signé le contrat triennal d'objectif du
centre culturel de rencontre. En sont signataires l'État, le CMN, la
région Rhône-Alpes, la commune de Ferney-Voltaire, et le
président de l'association. On note que le Conseil général
de l'Ain et la communauté de communes de Gex ne sont pas signataires.
Plus grave pour la suite,
le contrat ne comporte pas d'annexes
financières précises
comme il est d'usage et renvoie à
des discussions annuelles. L'association est de type fermé et comporte
seulement six membres titulaires pour un Conseil d'administration de huit
membres, auxquels sont invités avec voix consultatives les
représentants des collectivités publiques participant. En fait,
le vrai pouvoir est détenu par un « comité de
suivi » composé des représentants des
collectivités apportant des financements.
La dualité entre structures de décisions officielles et
officieuses
va susciter un certain flou
dans la gestion quotidienne
et rendre incohérente la gestion d'un organisme par suite de conflits
entre le président de l'association et son directeur. A partir de
là, l'association ne s'adapte tardivement à un contexte
marqué par la non-obtention d'un certain nombre de subventions. Le
conflit s'envenime entre M. Loichemol et son directeur, qui est licencié
en décembre 2001 pour cause réelle et sérieuse, ainsi que
quatre autres agents de l'association, qui avaient pris le parti de ce dernier
dans une lettre ouverte critiquant violemment la gestion du projet par le
directeur de l'association.
En avril 2002, trois des quatre cadres licenciés sont
réintégrés dans la mesure où ils
bénéficiaient des protections légales en tant que
délégués du personnel et délégués
syndicaux.
A partir du mois de décembre 2001 le ministère de la culture
procède à un certain nombre d'inspections : une
première évaluation des conditions de gestion de management du
projet de centre de rencontres est confié au directeur régional
adjoint des affaires culturelles de la région Rhône Alpes et
à l'inspecteur général du Centre des monuments
historiques. Au début de l'année 2002 l'association
elle-même demande un rapport d'audit au cabinet KPMG qui évalue le
déficit accumulé en deux années d'exercice à
180 000 € (1,2 million de francs). En avril 2002, le directeur
de cabinet du ministre de la culture, Mme Catherine Tasca, demande à
l'inspecteur général des affaires culturelles d'établir un
rapport sur l'Auberge de l'Europe qui est confié à
M. Jean-François de Canchy. Quelques jours plus tard, le 9 avril
2002, le bureau de l'association décide de déclarer la cessation
de paiement de l'Auberge de l'Europe auprès du DGI de Bourg en Bresse.
Le Centre des monuments nationaux a pris des dispositions pour assurer
« en direct » la gestion du château. Il semble
à la lecture du rapport de l'inspection générale que
l'essentiel de la responsabilité de la crise incomberait au directeur
administratif, même si le président de l'association n'a pas vu
venir la crise sociale.
A titre de référence, on peut mentionner qu'en Autriche, le
château de Schönbrunn est concédé depuis 1991 ce qui
montre que l'initiative privée peut gérer des monuments
très importants, améliorer l'accueil du public sans renoncer
à l'entretien du monument.
Un exemple caractéristique des risques de la gestion publique est le cas
de
Ferney-Voltaire
. Il s'agit d'une
opération
que votre
rapporteur spécial estime tout à fait
justifiée dans
son principe
, eu égard à l'importance symbolique de
l'endroit, mais dont la leçon principale est que les interventions
culturelles de l'État peuvent, lorsqu'elles sont improvisées, se
révéler coûteuses.
Lorsque l'État achète pour 18.293.882 €
(12 millions de francs) un château -avec sa collection-, il commence
par prévoir 45.734.705€ (30 millions de francs) de travaux
ainsi qu'un budget de fonctionnement de plusieurs millions de francs par an.
L'affaire n'aurait jamais attiré l'attention, si ce budget n'avait pas
cru de façon explosive -par suite des ambitions de certains des
responsables de l'association du centre de rencontre, sans que ses sources de
financement soient verrouillées-
au point d'entraîner la mise
en règlement judiciaire de l'association de gestion
.
Ainsi, même s'il est difficilement concevable dans un pays comme la
France de concéder des monuments musées aussi
emblématiques que Chambord, l'Arc de triomphe ou des châteaux
musées comme Pau ou Fontainebleau, l'expérience de la concession
d'un monument important est une voie à expérimenter.