III. UNE CROISSANCE PLUS SOUTENUE PEUT ÊTRE ATTEINTE À DE STRICTES CONDITIONS

On examinera, dans un premier temps, les conditions de réalisation de ce scénario de croissance à 3 %. Puis, on mettra en évidence les conséquences d'un tel scénario sur le taux d'épargne et le niveau d'endettement des ménages et des entreprises. Une croissance du PIB de 3 % sur 2004-2007 permettrait une baisse importante du chômage, qui s'établirait à 6,8 % à l'horizon de la projection, en admettant toutefois une hypothèse de baisse graduelle du taux de chômage structurel.

A. UN SCÉNARIO QUI SUPPOSE UNE PROGRESSION PLUS VIGOUREUSE DE LA DEMANDE INTÉRIEURE MAIS AUSSI UNE BAISSE DU CHÔMAGE STRUCTUREL

La croissance serait tirée par une consommation des ménages, et un investissement des entreprises, plus dynamiques que ceux modélisés dans le compte central. Pour que la croissance s'accélère sans qu'apparaissent de tensions inflationnistes, il est nécessaire de poser l'hypothèse d'une baisse progressive du taux de chômage d'équilibre (c'est-à-dire du taux de chômage n'accélérant pas l'inflation).

1. Une croissance du PIB de 3 % par an suppose une progression plus dynamique de la consommation et de l'investissement

Comme dans le scénario précédent, la croissance est tirée par la demande intérieure. Il faudrait, dans cet exercice de simulation, que la consommation des ménages progresse de plus de 3 % par an sur 2004-2007, et que l'investissement des entreprises progresse de plus de 4 % par an, sur la même période, pour que la croissance du PIB atteigne les 3 %.

CROISSANCE DU PIB ET DE SES PRINCIPALES COMPOSANTES
(variation en %)

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

Croissance projetée

1,8

0,9

1,8

3

3

3

3

Consommation des ménages

2,7

1,7

1,6

3,5

3,3

3,1

3,4

FBCF des SNF-EI

3,3

- 0,7

0,4

4,4

5,1

4,8

4,3

Dépenses publiques croissance en volume

1,9

2,7

1,9

1,2

1,0

1,3

1,2

Une consommation des ménages qui progresserait de 3,3 %, en moyenne, sur 2004-2007, serait particulièrement dynamique, eu égard aux standards historiques. Dans la deuxième moitié des années 1980, la consommation des ménages avait progressé de 2,9 %, en moyenne, chaque année ; le chiffre équivalent pour la deuxième moitié des années 1990 est de seulement 2,3 %. La progression de l'investissement des entreprises projetée sur 2004-2007 apparaît, en revanche, moins exceptionnelle ; elle serait en moyenne de 4,7 % par an. Ce niveau a été dépassé tant dans la période de croissance de la deuxième moitié des années 1980 (+ 6 % par an), qu'au cours de la période 1995-2000 (+ 5,2 % par an).

Toutefois, la progression de l'investissement des entreprises serait soutenue, dans ce scénario, par une augmentation de l'investissement en logement des ménages plus rapide que dans le compte central. L'investissement des ménages progresserait, en effet, de 3,6 % par an sur la période 2003-2007.

Cela dit, c'est le dynamisme de la consommation qui contribue, principalement, à élever la croissance par rapport au compte central. Le surcroît de consommation conduit à une augmentation du PIB d'environ 0,7 point, par an, par rapport au compte central. L'augmentation de l'investissement n'améliore la croissance du PIB, par rapport au compte central, qu'à hauteur de 0,04 point de PIB par an.

La dynamique de la demande intérieure serait freinée par le faible rythme de croissance des dépenses publiques. Celles-ci ne progresseraient que de 1,2 % par an, en moyenne, sur la période 2003-2007. Cette projection de dépenses publiques tient compte, comme pour le compte central, des objectifs contenus dans le programme pluriannuel de finances publiques, présenté par le Gouvernement pour la période 2004-2006. On extrapole les tendances passées pour l'année 2007. Le modèle intègre cependant les retombées positives sur les dépenses publiques de la plus forte croissance du PIB. En particulier, les dépenses d'assurance chômage sont moins élevées, et les charges d'intérêt de la dette sont moins fortes que dans le compte central, surtout en fin de période (en raison d'une baisse plus prononcée des déficits publics). Ces deux effets expliquent que la progression des dépenses publiques soit un peu plus faible dans ce scénario de croissance à 3 % que dans le compte central.

CONTRIBUTIONS À LA CROISSANCE DU PIB

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

Croissance projetée

1,8

0,9

1,8

3

3

3

3

Consommation des ménages

1,5

0,9

0,9

1,9

1,8

1,7

1,9

FBCF des ménages hors EI

0

0

0,1

0 ,2

0,2

0,2

0,2

FBCF des SNF-EI

0,4

- 0,1

0,1

0,5

0,6

0,6

0,5

Dépenses des administrations

0,8

0,7

0,6

0,4

0,4

0,5

0,4

Variations de stocks (contribution)

- 0,9

- 0,7

0

0

0

0

0

Demande intérieure

1,6

0,8

1,6

3

3

3

3

Solde extérieur

0,2

0,1

0,1

0

0

0

0

L'accélération de la croissance à partir de 2004 s'accompagnerait d'une diminution importante du chômage à moyen terme. L'évolution de l'emploi étant plus rapide que celle de la population active, le nombre de chômeurs diminuerait d'environ 200 000 par an. Le taux de chômage serait ramené à 6,8 % de la population active en 2007, contre 9,1 % en 2002. Quatre années de croissance à 3 % ne seraient cependant pas suffisantes pour revenir au plein emploi, même en admettant que le plein-emploi corresponde, en France, à un taux de chômage de 5 % de la population active, taux qui est, en soi, élevé, d'autant qu'il inscrit dans un contexte de faible participation au marché du travail.

Les hypothèses relatives aux gains de productivité sont les mêmes dans le scénario central et dans cette variante. Par conséquent, les écarts en matière d'emploi résultent uniquement du différentiel de croissance entre les deux scénarios.

2. La croissance serait équilibrée grâce à une baisse du taux de chômage structurel

L'accélération de la croissance à partir de 2004 ne s'accompagne pas de tensions franches sur les prix. L'inflation n'augmente que de 0,2 point par rapport au scénario central (1,8 contre 1,6 point). L'absence de tensions inflationnistes plus marquées peut surprendre. En effet, dans cette variante, la croissance excède nettement le niveau de la croissance potentielle et ce, plusieurs années durant. Or, la croissance potentielle est définie, théoriquement, comme la croissance maximale qu'une économie puisse connaître sans résurgence de l'inflation.

Cette apparente contradiction peut se dénouer à condition de supposer, comme le fait l'OFCE, qu'une diminution graduelle du taux de chômage d'équilibre se produise. Cette hypothèse implique que les entreprises ne sont pas confrontées à des pénuries de main-d'oeuvre et qu'aucune pression importante à la hausse des salaires ne se manifeste.

EVOLUTION DU CHÔMAGE, DES COÛTS SALARIAUX UNITAIRES ET DE L'INFLATION (en %)

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

Taux de chômage

8,8

9,1

9,3

8,7

8,1

7,5

6,8

Coûts salariaux par unité produite

3,6

2,9

0,5

1,3

1,4

1,7

2,1

Prix à la consommation

1,4

1,5

1,6

1,7

1,8

1,9

1,9

A l'appui de l'hypothèse de l'OFCE, on peut souligner que la baisse du chômage encourage généralement des inactifs à entrer sur le marché du travail (travailleurs « découragés », jeunes prolongeant leurs études...). Les entreprises peuvent embaucher au sein de cette population d'inactifs, et continuer ainsi à trouver du personnel, quand bien même les chômeurs recensés à l'ANPE seraient peu employables.

Le taux de chômage structurel a pu également diminuer suite à des réformes structurelles du marché du travail (conditions d'indemnisation du chômage, Plan d'aide au retour à l'emploi, prime pour l'emploi). Ces mesures ont pour point commun d'inciter davantage de personnes à entrer, ou à rester, sur le marché du travail.

On observe aussi une tendance durable à la modération salariale en France, qui suggère une diminution du taux de chômage d'équilibre. Une étude récente du FMI 4 ( * ) montre économétriquement que les salaires réels ont progressé moins vite que la productivité globale des facteurs dans la décennie 1990. D'après cette estimation, le salaire réel horaire aurait cru de seulement 0,5 % par an sur la période (soit une hausse de 6 %), tandis que la productivité globale des facteurs aurait progressé de 1,4 % par an. De surcroît, cette progression des salaires réels de 6 % en dix ans a été concentrée sur la période 1990-1993 (+5 %). Ce résultat est cohérent avec les évolutions observées récemment : le rythme élevé de créations d'emplois à la fin des années 1990 ne s'est, en effet, accompagné d'aucune augmentation sensible des salaires. Il est intéressant de noter que les revendications salariales sont restées très modérées, alors même que l'imposition des revenus a eu tendance à augmenter sur la période (nonobstant les baisses d'impôts intervenues récemment).

Cette tendance nouvelle à la modération salariale peut résulter des anticipations des agents relatives à l'évolution des prix (anticipation de stabilité des prix). Elle peut s'expliquer aussi par des réformes visant à intensifier la concurrence sur le marché des biens et services. Une concurrence plus intense réduit les marges de manoeuvre des entreprises dans la conduite de leur politique salariale. L'existence d'un taux de chômage élevé pèse également sur la formation des salaires. Dans un contexte de chômage élevé, le pouvoir de négociation des syndicats est plus réduit. De plus, les préférences syndicales peuvent évoluer, en ce sens que les syndicats peuvent choisir de privilégier les créations d'emplois au détriment des salaires.

Enfin, il est probable que le passage aux 35 heures ait, un temps, accentué cette tendance : beaucoup d'entreprises ont, en effet, négocié des accords de réduction du temps du travail, prévoyant un gel, ou une modération, des salaires pendant plusieurs années.

Toutefois, la perspective d'un abaissement progressif du taux de chômage d'équilibre ne fait pas l'unanimité. Certains économistes considèrent que le chômage structurel se situe en France à un niveau élevé (8 % ?), et qu'il bride le potentiel de croissance de l'économie 5 ( * ) . Il est toutefois difficile, au vu de l'histoire économique récente, de soutenir que le taux de chômage structurel de l'économie française serait de l'ordre de 10 %, comme cela a pu parfois être affirmé dans le passé 6 ( * ) .

Si le chômage structurel est effectivement de l'ordre de 8 % de la population active, ce scénario de croissance rapide, sans tensions inflationnistes, n'est plus réaliste.

Un facteur important joue en défaveur de la thèse de la baisse du taux de chômage structurel : la faiblesse des gains de productivité, perceptible depuis plusieurs années. On a déjà relevé, dans la section précédente de ce chapitre, ce ralentissement marqué des gains de productivité. Or, l'expérience américaine de la dernière décennie suggère qu'une accélération des gains de productivité est un élément central d'une stratégie d'élévation du potentiel de croissance non inflationniste de l'économie. Les statistiques fédérales américaines mettent en évidence une forte montée des gains de productivité depuis 1995. Dans l'ensemble des secteurs marchands non agricoles, le taux de croissance annuel de la productivité horaire du travail aurait été, en moyenne, de 2,15 % entre 1995 et 1999, contre 1,1 % entre 1972 et 1995. Au contraire, les gains de productivité ont décéléré en France dans la période récente. Ils s'élevaient à 2,5 % par an , en moyenne, sur la période 1974-1984, mais ne progressaient plus qu'à un rythme égal, ou inférieur, à 1 % par an à la fin des années 1990 (+0,9 % en 1999, +1 % en 2000, +0,6 % en 2001).

La question de l'élévation des gains de productivité est d'autant plus cruciale que l'on doit s'attendre, à moyen-long terme, pour des raisons démographiques, à une moindre progression de la population active, ce qui devrait peser sur les perspectives de croissance de l'économie française.

Dans la projection, les gains de productivité retrouvent leur tendance de long terme (de l'ordre de 2 % par an). Mais il n'est pas sûr, vu le retard accumulé ces dernières années, que cette remontée soit suffisante pour permettre une baisse significative du taux de chômage structurel.

La clé de la remontée des gains de productivité réside dans une reprise franche de l'investissement productif en France. Votre Délégation a adopté récemment un rapport, relatif aux déterminants de l'investissement, qui expose les grandes orientations de politique économique qu'il conviendrait de suivre pour encourager l'investissement des entreprises 7 ( * ) .

L'allègement de la pression fiscale pesant sur les investissements y contribuerait déjà fortement. Des estimations montrent en effet que l'imposition supportée par un investissement est, en France, supérieure de six points à la moyenne européenne. Un partage équilibré de la valeur ajoutée, entre salaires et profits, est également souhaitable pour faciliter le financement des investissements, ce qui plaide en faveur d'une poursuite de la modération salariale. La dépense publique, bien orientée (investissement en infrastructures, dépenses de recherche), peut être un facteur de dynamisme de l'investissement privé. Il convient donc de préserver ces dépenses favorables à la croissance, et de faire porter l'effort, nécessaire, d'assainissement des finances publiques sur les dépenses de fonctionnement des administrations publiques. Plus généralement, l'investissement productif est encouragé par un environnement macroéconomique stable et prévisible.

Outre ces considérations relatives au niveau des gains de productivité, on peut s'interroger sur la portée des réformes intervenues sur le marché du travail depuis une dizaine d'années. Sont-elles suffisantes pour faire baisser substantiellement le chômage structurel ? Implicitement, la réponse retenue dans la projection est positive. Mais cette analyse n'est pas partagée par tous les experts. La direction de la Prévision suggère, avec prudence, que le taux de chômage structurel aurait pu diminuer de deux points dans les années 1990, passant ainsi de 10,5 à 8,5 % de la population active 8 ( * ) . Il resterait donc du chemin à parcourir avant que la France ne puisse retrouver le plein emploi sans reprise de l'inflation.

L'efficacité de mesures récentes, comme la prime pour l'emploi, ou le Plan d'aide au retour à l'emploi, apparaît incertaine. Nous manquons encore du recul nécessaire à une évaluation sérieuse des effets de la prime pour l'emploi sur l'offre de travail. Toutefois, une simulation réalisée, en 2001, par Laroque et Salanié, à l'aide d'un modèle, suggère que cet effet serait modeste, et que chaque entrée nouvelle sur le marché du travail aurait un coût élevé 9 ( * ) .

Il est également difficile d'évaluer l'efficacité du PARE : le retour vers l'emploi des chômeurs dépend fortement de l'état du marché du travail, de sorte qu'il est difficile de repérer un effet distinct du dispositif.

Par ailleurs, on ne peut éluder les questions posées par l'institution d'un salaire minimum légal à un niveau élevé en France. En empêchant l'ajustement de l'offre et de la demande de travail, le salaire minimum peut faire obstacle à l'embauche des travailleurs les moins qualifiés, qui ont la productivité la plus faible. Le salaire minimum introduit une rigidité dans le fonctionnement du marché du travail, ce qui est, dans une approche néoclassique, source de chômage structurel.

Dans ces conditions, l'effort d'allègement du coût du travail peu qualifié, mené depuis une décennie, mérite d'être poursuivi. C'est dans cette voie que s'oriente le Gouvernement, comme l'illustrent les mesures prises récemment : instauration, à l'été 2002, d'un nouveau contrat sans charges pour l'emploi des jeunes en entreprise ; réorientation des allègements de charges, consentis dans le cadre de la réduction du temps de travail, vers les salaires bas et moyens.

Enfin, un effort résolu pour améliorer la formation, initiale et continue, des salariés, et son adéquation aux besoins des entreprises, contribuerait aussi à la baisse du chômage structurel. La mobilité des salariés, entre secteurs et entre régions, devrait aussi être encouragée.

Débattue, la question de l'évaluation, et des mesures appropriées pour lutter contre le chômage structurel, conditionne le déroulement de ce scénario. D'autres conditions de réalisation de ce scénario tiennent aux comportements d'épargne des ménages et des entreprises.

* 4 Estevao M. et Nargis N., Wage moderation in France, IMF Working Paper, septembre 2002.

* 5 Voir Artus P. et Kaabi M., « A quel niveau se situe le NAIRU en France ? », CDC Flash, 11 février 2000 ; Cotis J.Ph., Méary R., Sobczak N., « Le chômage d'équilibre en France : une évaluation », Revue économique, vol. 49, n°3 mai 1998. Ces études évaluent, respectivement, le taux de chômage d'équilibre en France à 8 et 8,5 %.

* 6 D. Irac évaluait le taux de chômage d'équilibre à 10 % de la population active en 1999 (« Estimation of a Time-Varying NAIRU for France », Notes d'études et de recherche de la Banque de France, n°75, juillet 2000). P. Richardson proposait une estimation du chômage structurel de 9,5 % en 1999 (Richardson et al., « The Concept, Policy, Use, and Measurement of Structural Unemployment : Estimating a time varying NAIRU across 21 OECD Countries », Document de travail de l'OCDE, n°250, juin 2000).

* 7 « L'investissement des entreprises, clé d'une croissance durable », rapport présenté par M. le Sénateur Joseph Kerguéris, et adopté par la Délégation le 29 octobre 2002 (rapport n°35, 2002-2003).

* 8 Cf. Rapport économique, social, et financier », annexé au projet de loi de finances pour 2003, tome 1, p. 82.

* 9 Laroque G. et Salanié B.  « Institutions et emplois : le marché du travail des femmes en France » (2001). Ces auteurs considèrent que la PPE devrait, sur un effectif étudié de 5,3 millions de personnes, entraîner l'entrée sur le marché d'environ 9 000 personnes supplémentaires. Le coût budgétaire de chaque entrée supplémentaire sur le marché du travail est élevé, et est évalué à 140 000 euros.

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