III. UN ARTICLE POUR QUOI FAIRE ?

Une approche intuitive conduit à valider le concept de déficit excessif ou de dette excessive. Mais, il est beaucoup plus ardu d'en préciser les contours. Pris sous un certain angle, un déficit donné sera jugé excessif alors qu'une autre approche le révèle soutenable ou approprié. Tout dépend évidemment du critère adopté.

Pour apprécier si le pilier du pacte de stabilité et de croissance relatif aux déficits et dettes excessifs est approprié, il faut se référer aux objectifs que poursuit le pacte en prévoyant une règle de limitation des déficits publics. Dans la logique du pacte, il s'agit de prévenir les externalités négatives des politiques budgétaires nationales et de sanctionner les Etats qui ne respecteraient pas les obligations mises à leur charge à cette fin.

Ces objectifs sont théoriquement fondés - v. supra - . Pour autant, les risques de déstabilisation de la zone par les politiques budgétaires nationales ne doivent pas être surestimés et la naïveté de politiques budgétaires nationales aggravant un ralentissement économique ne doit pas être sous-estimée.

A. QUELLES PROBABILITÉS POUR DES EXTERNALITÉS NÉGATIVES EFFECTIVES ?

L'interdépendance économique entre les Etats de la zone euro fonde le principe d'une discipline budgétaire commune destinée à prévenir les « externalités négatives » des politiques nationales pour les partenaires. En théorie, ces externalités sont soit directes, à travers les effets de diffusion d'une relance budgétaire sur l'activité des partenaires, soit indirectes, à travers les variables monétaires ou les prix.

Imaginer des interdépendances est une chose, les mesurer en est une autre. Or, plusieurs éléments conduisent à estimer que les occurrences, où des interdépendances négatives surviendraient, sont finalement plutôt réduites, soit qu'elles aient peu de chance de produire des effets importants, soit qu'elles puissent aisément être combattues. Enfin, loin d'être systématiquement indésirables, les externalités liées aux politiques budgétaires nationales peuvent être utiles et les difficultés posées aux partenaires par l'évitement de déficits excessifs au sens du pacte ne doivent pas être sous-estimées.

1. Le pacte de stabilité et de croissance n'est pas l'alpha et l'oméga de la discipline budgétaire en Europe

Il convient d'abord de rappeler que le pacte de stabilité et de croissance ne constitue pas l' alpha et l' oméga du cadre de la discipline budgétaire en Europe . Il n'en est que la partie émergée. Deux sources alternatives de discipline des politiques budgétaires nationales doivent être rappelées.

La première relève de règles communes qui sont, d'une part, l'interdiction de monétiser les dettes publiques et, d'autre part, la prohibition des pratiques de renflouement mutuel entre Etats. Ces deux « interdits » conduisent à placer les autorités budgétaires nationales en situation de responsabilité puisqu'elles savent ne pas pouvoir compter sur l'assistance des autorités monétaires ou des partenaires. Ils n'appellent pas les mêmes commentaires. Autant l'interdiction de la monétisation des déficits et dettes publics peut être considérée comme un compromis équilibré entre les recommandations contradictoires des écoles keynésiennes 22 ( * ) et néoclassiques, autant la prohibition de principe des accords de renflouement paraît constituer la négation même d'une solidarité budgétaire qu'il faudrait plutôt encourager. La justification souvent donnée à cette règle est qu'elle est censée prévenir les situations d'aléa moral dans lesquelles un agent reporte sur un tiers sa responsabilité. Mais, si tel était l'objectif poursuivi, il suffirait d'interdire les accords systématiques de renflouement et non les renflouements occasionnels.

La seconde source de discipline budgétaire peut être qualifiée de naturelle . Les orientations données aux politiques budgétaires nationales ne sont jamais indifférentes. Les erreurs se paient et les bonnes politiques budgétaires sont récompensées. Or, l'adoption de l'euro et l'intégration économique européenne renforcent ces lois du genre. L'accentuation des phénomènes de concurrence consécutive à l'adoption de l'euro n'a pas été limitée à la sphère marchande. Les positions financières des Etats font l'objet de processus d'étalonnage de la part des agents et conditionnent la qualité des politiques de finances publiques des Etats. Il existe ainsi des règles naturelles de discipline budgétaire qui s'imposent aux politiques nationales.

2. Les probabilités de survenance d'externalités négatives effectives ne doivent pas être surestimées

Il convient d'esquisser une évaluation concrète des risques de survenance d'externalités négatives effectives.

Il apparaît d'abord que l'éventualité de voir se produire un creusement très important des déficits publics est plus élevée pour les petits pays de la zone très ouverts sur l'extérieur que pour les grands pays.

On a fait plus avant le constat que l'un des facteurs qui explique l'efficacité inégale de la politique budgétaire est le plus ou moins grand degré d'ouverture extérieure des économies de la zone euro. On peut en conclure que le degré de contagion non désirée d'une politique budgétaire vers les partenaires est lui-même variable.

Pour les petits pays très ouverts, l'effet de diffusion vers l'extérieur d'une relance budgétaire est, théoriquement, plus élevé que pour les grands pays de la zone. Or, c'est aussi pour ces pays que la politique budgétaire doit être, comparativement, plus active pour atteindre un objectif donné de stabilisation économique.

Pour les grands Etats relativement peu ouverts, l'efficience de la politique budgétaire réduit la nécessité de politiques très actives.

On pourrait s'inquiéter de cette situation puisqu'elle combine des effets plus forts de contagion extérieure de la politique budgétaire de certains Etats avec la probabilité plus grande de voir ces mêmes Etats recourir à des relances plus massives. On pourrait y voir une justification d'un strict encadrement des politiques budgétaires.

Toutefois, cette approche reviendrait à mésestimer des ordres de grandeur qu'il faut toujours conserver à l'esprit lorsqu'on souhaite évaluer les externalités de la politique budgétaire des « petits pays ».

On peut d'abord raisonner à partir du poids économique des Etats de la zone euro et de la valeur d'un « déficit excessif » dans chaque Etat, au sens du pacte de stabilité et de croissance, c'est-à-dire un déficit supérieur à 3 % du PIB

On observe alors que les PIB des Etats ne sont pas comparables et que les « déficits excessifs » ne le sont pas davantage.

PIB des Etats de la zone euro et valeur, par Etat, du « déficit excessif » du pacte de stabilité et de croissance

(en milliards d'euros courants pour 2001)

PIB

Déficit excessif 1)

Belgique

266,6

8

Allemagne

2 050,7

61,5

Grèce

168,9

5,1

Espagne

774,8

23,2

France

1 412

42,4

Irlande

110,4

3,3

Italie

1 337,4

40,1

Luxembourg

19,9

0,6

Pays-Bas

431,3

12,9

Autriche

212,3

6,4

Portugal

176,5

5,3

Finlande

127,7

3,8

Zone euro

7 088,5

212,7

1. Pour la simplicité des choses, on considère qu'un « déficit excessif » est égal à 3 % du PIB.

On peut en déduire plusieurs conclusions.

A partir du tableau d'équivalence des « déficits excessifs », on peut d'abord constater que l'impact d'un déficit excessif constaté dans un Etat sur la zone euro est extrêmement variable.

Tableau d'équivalence des déficits publics par Etat

(en %)

Belgique

Allemagne

Grèce

Espagne

France

Irlande

Italie

Luxembourg

Pays-Bas

Autriche

Portugal

Finlande

Belgique

3

0,4

4,7

1

0,6

7,2

0,6

40,2

1,9

3,8

4,5

6,3

Allemagne

23,1

3

36,4

7,9

4,3

55,7

4,6

309

14,3

29

34,8

48,1

Grèce

1,9

0,2

3

0,6

0,4

4,6

0,4

25,6

1,2

2,4

2,9

4

Espagne

8,7

1,1

13,7

3

1,6

21

1,7

116

0,5

10,9

13,1

18,2

France

15,9

2,1

25,1

5,5

3

38,4

3,2

213

9,8

20

24

33,2

Irlande

1,2

0,2

1,9

0,4

0,2

3

0,2

1,7

0,8

1,6

1,9

2,6

Italie

15

1,9

23,7

5,2

2,8

36,3

3

202

9,3

18,9

22,7

31,4

Luxembourg

0,2

0,03

0,3

0,08

0,04

0,5

0,04

3

0,4

0,3

0,3

0,4

Pays-Bas

4,8

0,6

7,6

1,7

0,9

11,7

0,9

64,8

3

6,1

7,3

10,1

Autriche

2,4

0,3

3,3

0,8

0,4

5,8

0,4

32,4

1,5

3

3,7

5

Portugal

1,9

0,2

3

0,6

0,4

4,6

0,4

25,6

1,2

2,4

3

2,1

Finlande

2,3

0,2

2,2

0,5

0,3

3,4

0,3

19,1

0,9

1,8

2,1

3

Zone euro

0,1

0,9

0,07

0,3

0,6

0,05

0,6

0,008

0,2

0,09

0,07

0,05

Un déficit de 3 % en Allemagne représente 0,9 point du PIB européen, mais pour le Luxembourg 0,008 point de PIB. En cumulant, les déficits excessifs des quatre plus grands pays (Allemagne, France, Italie, Espagne), on observe qu'ils représentent 2,4 % du PIB européen. Pour les autres pays, ce poids atteint 0,60 point du PIB européen, ce qui, à l'évidence, représente un faible enjeu.

On note de surcroît que l'impact sur la dette publique européenne 23 ( * ) d'une situation de « déficit excessif » dans l'un des Etats de la zone euro varie aussi considérablement.

Impact par Etat d'un déficit excessif sur la dette publique
en Europe

(en pourcentage de la dette publique de la zone euro en 2001)

Belgique

+ 0,17

Allemagne

+ 1,3

Grèce

+ 0,07

Espagne

+ 0,5

France

+ 0,9

Irlande

+ 0,06

Italie

+ 0,8

Luxembourg

+ 0,02

Pays-Bas

+ 0,3

Autriche

+ 0,1

Portugal

+ 0,1

Finlande

+ 0,08

Zone euro

+ 4,5

Si un déficit excessif en Allemagne se traduit par une augmentation de la dette publique européenne de 1,3 %, l'impact d'un tel déficit sur la dette n'est pas significatif pour la plupart des pays. Il n'apparaît tel que pour la France, l'Italie et, dans une moindre mesure, l'Espagne.

Cette donnée confirme encore l'importance très relative des « déficits excessifs » se produisant dans les petits pays de la zone.

Quant à l'impact direct des déficits excessifs sur les partenaires, une même observation est valable. Au demeurant, plus généralement, on peut douter de la réalité de cette catégorie d'externalités. A supposer qu'un déficit dans un pays donné exerce des effets indésirables chez un partenaire, par exemple si celui-ci est en situation de surchauffe, il est toujours loisible à ce dernier d'adopter une politique budgétaire nationale restrictive afin de compenser ces effets indésirables.

Il apparaît ainsi que, telle qu'elle est définie par le pacte, la notion de déficit excessif ne présente pas de pertinence réelle pour la plupart des pays de la zone euro. En revanche, la position budgétaire des grands Etats appelle une attention particulière, et pour les autres, c'est au regard de leur capacité à freiner d'éventuels enchaînements inflationnistes qu'il faut apprécier leur politique budgétaire.

Par ailleurs, la survenance d'externalités négatives directes, résultant des politiques budgétaires, enfreignant la règle du déficit excessif paraît assez improbable puisque le partenaire est libre de les compenser.

De ce point de vue, outre les phénomènes de concurrence fiscale ou les pratiques non coopératives, comme dans le cas de l'attribution des licences UMTS, les politiques procycliques qui, au nom du respect du critère de 3%, viendraient aggraver la situation économique des grands Etats, apparaissent autrement préjudiciables. Une telle aggravation ne manquerait pas d'exercer des effets négatifs marqués chez leurs partenaires.

* 22 Les recommandations du courant keynésien sont synthétisées dans le schéma dit « ISLM » qui conclut à une efficacité maximale de la politique budgétaire lorsque les déficits sont financés par création monétaire.

* 23 La dette publique européenne s'élevait en 2001 à 4 784,7 milliards d'euros, soit 67,5 % du PIB.

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