N° 200

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 5 mars 2003

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée du 14 au 22 février 2003 dans quatre pays de la Corne de l'Afrique ( Erythrée , Djibouti , Ethiopie et Soudan ),

Par MM. André DULAIT, André BOYER, Didier BOULAUD, Mmes Paulette BRISEPIERRE, Hélène LUC et M. Louis MOINARD,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. André Dulait, président ; MM. Robert Del Picchia, Guy Penne, Jean-Marie Poirier, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Ernest Cartigny, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Paul Dubrule, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Jean Faure, André Ferrand, Philippe François, Jean François-Poncet, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean Puech, Yves Rispat, Roger Romani, Henri Torre, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Afrique.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Une délégation de six sénateurs de la commission des affaires étrangères , de la défense et des forces armées s'est rendue, du 14 au 23 février 2003, successivement en Érythrée, à Djibouti, en Éthiopie et au Soudan . Conduite par M. André Dulait, président de la commission, elle était composée de Mmes Paulette Brisepierre, Hélène Luc, et de MM. André Boyer, Didier Boulaud et Louis Moinard.

Les trois premiers pays visités appartiennent à la zone traditionnellement dénommée « Corne de l'Afrique » , car elle constitue une avancée du continent africain dans l'océan Indien. La Somalie, qui appartient également à la Corne, a été exclue du déplacement du fait de l'absence d'Etat qui y prévaut actuellement.

La délégation s'est également brièvement rendue au Soudan pour faire le point sur le processus de paix , qui semble progresser, entre le gouvernement et la rébellion sudiste .

Hormis son implantation de longue date à Djibouti, la France est largement absente de cette région, et la commission sénatoriale des affaires étrangères a voulu, par ce déplacement, tout d'abord marquer son intérêt pour cette zone largement méconnue dans notre pays, alors que ses atouts géostratégiques se sont encore renforcés dans la situation prévalant après le 11 septembre 2001.

La commission a également voulu prendre la mesure de l'intérêt que suscite la France dans cette région, et il est grand. Notre pays est très attendu, tant par sa langue et sa culture que par sa coopération civile et militaire, mais il est, hélas, peu présent.

Alors que notre implantation militaire à Djibouti, forte de 2.800 hommes, est unanimement reconnue par les pays voisins comme un gage sans égal de stabilité, la délégation a ressenti, lors de ses nombreux entretiens, l'incompréhension suscitée par la grande discrétion de notre pays en dehors de ce point d'appui. Ces interrogations sont encore accrues par la spécificité de la période actuelle, cruciale pour l'évolution du processus de paix découlant de l'accord d'Alger signé en 2000 entre l'Erythrée et l'Ethiopie, comme pour la perspective d'une possibilité de paix civile au Soudan, pour la première fois depuis l'indépendance de ce pays, en 1956.

L'intérêt accru manifesté par les grandes puissances, au premier rang desquelles les Etats-Unis, pour cette région peut contribuer à y renforcer ces processus de paix, après des décennies de tension, mais cette évolution positive reste encore virtuelle. La France se doit donc de l'appuyer, par tous les moyens à sa disposition.

La délégation tient, enfin, à exprimer sa vive gratitude à l'ensemble du personnel diplomatique en poste dans les différents pays où elle s'est rendue et dont la parfaite connaissance des enjeux de cette région l'a beaucoup éclairée.

CORNE DE L'AFRIQUE ET SOUDAN :
PRÉSENTATION HISTORIQUE

La Corne de l'Afrique, pointe avancée du continent africain dans l'Océan Indien, au sud de la péninsule arabique, regroupe, du nord au sud, l'Erythrée, l'Ethiopie, Djibouti et la Somalie.

Ce dernier pays a été exclu de l'itinéraire de la mission sénatoriale, du fait de la carence étatique qui y prévaut actuellement. Cependant, les luttes qui s'y déroulent entre diverses factions, conjuguées à l'indépendance de fait proclamée en 1991 par le Somaliland -Etat non reconnu sur la scène internationale- sont suivies de près par les pays voisins. Chacun d'entre eux y poursuit sa propre stratégie, souvent peu lisible, ce qui concourt à faire de la Somalie un indéniable foyer d'instabilité régionale.

Par ailleurs, la délégation a souhaité prolonger son périple par un bref séjour au Soudan, car ce pays partage avec ses voisins de la Corne une communauté de destin géographique, historique et politique.

Aujourd'hui, la France est, hormis son implantation à Djibouti, largement absente de cette région, alors que l'intérêt stratégique de celle-ci s'est encore renforcé dans le contexte international qui s'est dessiné après le 11 septembre 2001. En effet, la rive ouest de la Mer Rouge, mer qui débouche dans le golfe d'Aden par l'étroit défilé de Bab el Mandel, suscite un vif intérêt des grandes puissances occidentales pour les possibilités offertes, à qui s'y installe, de surveiller le trafic maritime de l'Europe vers le Moyen et l'Extrême-Orient. Cette pointe avancée de l'Afrique offre également des capacités d'observation sans égales de la péninsule arabique, zone d'instabilité probable (Yémen) ou potentielle (Arabie saoudite).

Le caractère marginal de l'influence française dans cette zone découle historiquement de l'échec de notre pays dans la « course au Nil » qui l'opposa, à la fin du XIX e siècle, à la Belgique et surtout à l'Empire britannique.

Ces trois puissances, déjà installées sur le continent africain, convoitent alors la maîtrise du territoire abritant les sources du Nil : les Belges, pour appuyer leur présence au Congo -possession privée du roi Léopold II-, les Anglais, pour établir un axe reliant Le Caire et Le Cap, que vient de fonder Cecil Rhodes, et les Français, pour maîtriser les territoires à l'Est du Tchad, et s'assurer une voie entre l'Atlantique et la Mer Rouge.

Un accord conclu entre Londres et Léopold II, en 1894, soulève une vive opposition de la France, et amène le roi des Belges à composer en acceptant une frontière reconnue par les deux pays entre l'Oubangui français et le Congo belge. Conforté par cette avancée diplomatique, le parti colonial français décide de « prendre des gages » pour une future négociation avec la Grande-Bretagne en envoyant un jeune officier déjà rompu aux difficultés du terrain -il a traversé la Côte d'Ivoire- à la tête d'une mission chargée de s'implanter dans le Haut-Nil. Le capitaine Marchand part de Brazzaville en janvier 1897, à la tête d'une petite colonne de 15 Français et de 150 indigènes. Il atteint la ville de Fachoda (actuelle Kodok, au Soudan) en juillet 1889, et son établissement dans cette zone est largement célébré par la presse française comme une victoire sur les visées britanniques. Cependant, il est rapidement contraint à céder la place à Lord Kitchener, qui se trouve à la tête d'une troupe anglo-égyptienne forte de 25.000 hommes, dont 9.000 Britanniques puissamment armés.

Le gouvernement français -et notamment le ministre des affaires étrangères Paul Delcassé- préfère en effet négocier avec Londres que de s'exposer à une défaite militaire certaine.

Un accord franco-britannique est conclu en mars 1899, qui concrétise le renoncement de la France à toute implantation dans la région du Nil.

Le retentissement symbolique de la défaite française à Fachoda est immense dans notre pays, sans doute parce qu'elle marque la fin de l'expansion de notre empire en Afrique.

La France se replie alors sur son implantation de la Côte des Somalis, où elle a nommé un gouverneur en 1887.

Depuis cette date, l'emprise britannique a beaucoup reculé dans la région, notamment avec l'indépendance accordée au Soudan, en 1956, qui suivait la proclamation de la République égyptienne par Nasser, en 1953.

Mais la France reste toujours largement cantonnée à Djibouti, malgré une volonté théorique de diversifier ses partenaires africains affichée avec l'établissement récent des liens de coopération avec l'Erythrée, l'Ethiopie et le Soudan.

ERYTHREE

______

Pays : Erythrée

28 mars 2003

Capitale :

Asmara

Superficie :

124.320 km²

Population : (million hab)

4,2 M d'habitants

Densité

37,8 hbs/km²

Langue(s)

Arabe, tigrinia (mais pas de langue officielle)

Religion(s) :

Musulmane (50%), chrétienne orthodoxe (50%)

Peuples :

Tigré, Tigrinia, Afar, couchitiques (Beja, Bilen, Saho), Kunama

Devise :

Nakfa

PIB (PPA)

3428 M$ (2001)

PNB

Répartition du PNB par secteurs

680 M$ (2001)

secteur I (16%), secteur II (27%), secteur III

(57%)

PIB / h (PPA)

837 $/hab (2001)

Taux de croissance du PNB :

9% (2001)

Inflation (%) :

3%

Balance commerciale :

- 580 M$ (2001-source BM)

Exportations totales :

100 M$ (2001-source BM)

Importations totales :

680 M$ (2001-source BM)

Principaux clients :

Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Japon

Principaux fournisseurs :

Soudan, Emirats Arabes Unis, Japon

Exportations Françaises :

15 M€ (2001).

Importations en France :

2 M€ (2001)

Dette extérieure totale :

400 M$ (2001)

Chef de l'Etat :

M. Isaïas Afeworki (1993)

Premier ministre :

Fonction n'existant pas dans la constitution

Ministre des Affaires Etrangères :

M. Ali Said Abdallah (10/2000)

Prochaines échéances électorales :

législatives annoncées mais non fixées

Communauté française :

une dizaine de français

Source : ministère des affaires étrangères

I. L'ERYTHRÉE : UNE INDÉPENDANCE AUX LENDEMAINS AMERS

L'Erythrée est le plus récent pays d'Afrique à avoir accédé à l'indépendance, en 1993 , en accord avec le nouveau pouvoir éthiopien qui avait succédé à Mengistu. Mais la solidarité politique entre les dirigeants érythréens et éthiopiens, forgée dans leur lutte commune contre le pouvoir dictatorial installé à Addis-Abeba n'a pas résisté à l'exercice des responsabilités dans leur pays respectif. La guerre survenue entre 1998 et 2000 est certes terminée, mais la paix n'est pas revenue pour autant.

A. L'ERYTHRÉE A RÉCEMMENT CONQUIS SON INDÉPENDANCE PAR LES ARMES

Ce territoire de 117 400 km 2 a longtemps constitué le débouché du royaume éthiopien sur la mer. Cependant, en 1897, l'empereur d'Ethiopie Ménélik II le cède aux colonisateurs italiens, qui s'y étaient installés en 1882, en échange de leur soutien contre les visées expansionnistes de l'Egypte, alors dirigée par Méhémet-Ali.

1. La colonisation italienne : 1897-1941

Les Italiens donnèrent à cette province le nom d'Erythrée, dénomination utilisée par les Grecs de l'Antiquité pour désigner la mer Rouge. Cette frange côtière large de 400 km au nord-ouest se réduit progressivement à 80 km à la frontière avec Djibouti.

A partir de 1936, et sous l'impulsion de Mussolini, les Italiens l'utilisent comme base de départ pour la conquête de l'Ethiopie, par l'aménagement du port de Massawa, et le recrutement de soldats parmi la population locale.

Délivré de la tutelle italienne par les Britanniques, en 1941, le sort du territoire est confié à l'ONU qui décide, en 1952, de le rattacher à l'Ethiopie, par la résolution 390 V.

2. La fédération avec l'Ethiopie : 1952-1962

La décision de l'ONU s'accompagne de la mise en place d'institutions démocratiques autonomes, qui proclament le tigréen et l'arabe comme langues officielles.

Cette relative autonomie, et le refus consécutif du « modèle » éthiopien, qui imposait notamment l'utilisation de la langue amharique, ne furent pas acceptés par l'empereur Haïlé Sélassié. Les Ethiopiens provoquèrent donc en 1955 le renversement de l'Assemblée d'Asmara, et occupèrent progressivement tous les rouages du pouvoir, jusqu'à l'annexion totale, en 1962.

3. Le long combat pour l'indépendance : 1962-1993

Plusieurs mouvements prônant l'indépendance par la lutte armée s'organisèrent alors, les uns d'obédience arabe, soutenus par Le Caire et Damas, les autres animés par des chrétiens d'inspiration maoïste.

Ces derniers s'unirent aux Ethiopiens en lutte contre l'autorité dictatoriale de Mengistu, qui avait évincé, puis exécuté l'empereur, tout en poursuivant ses méthodes (ce qui lui valut le surnom de « Négus rouge »). En 1976 fut créé le Front populaire de libération du Tigré (FPLT), qui réunissait les deux dirigeants actuels, Isaïas Afeworki (Erythrée) et Mélès Zénawi (Ethiopie) dans un mouvement armé commun contre Mengistu . Les affinités spirituelles, ethniques et linguistiques des combattants, tous deux tigréens et chrétiens orthodoxes, facilitèrent, une fois la victoire acquise, l'indépendance de l'Erythrée, proclamée le 23 mai 1993 au terme d'un référendum massif (99 % de oui) organisé sous la supervision des Nations Unies.

4. La solidarité entre érythréens et éthiopiens née de la lutte commune contre la dictature de Mengistu n'a pas résisté à l'épreuve du pouvoir : 1993-2000.

L'indépendance de l'Erythrée est rapidement suivie de la conclusion avec l'Ethiopie, en juillet 1993, d'un accord d'amitié et de coopération, d'un accord de défense, et de protocoles établissant une garantie de libre accès de l'Ethiopie aux ports d'Assab et de Massawa.

Mais cette concorde ne résiste pas aux intérêts économiques divergents, qui traduisent, dans les faits, les tensions politiques croissantes entre deux nationalismes intransigeants. Le commerce éthiopien se détourne progressivement d'Assab vers Djibouti, l'Eryrthrée adopte une monnaie nationale, le nakfa, au détriment du birr éthiopien qui avait cours dans les deux pays, puis la liberté des échanges financiers et commerciaux est suspendue.

Le 12 mai 1998, les troupes érythréennes pénètrent à Badmé, ville administrée par l'Ethiopie. Un conflit particulièrement meurtrier, et dont les raisons sont difficilement compréhensibles pour les observateurs non avertis, s'engage alors.

Après l'échec d'un plan de paix américano-rwandais, l'OUA entreprend une médiation, qui n'est acceptée par l'Erythrée qu'après un fort recul de ses forces face aux troupes éthiopiennes à Badmé, en février 1999.

La forte implication de l'Algérie, relayée par les pressions exercées par le Conseil de sécurité des Nations Unies et par l'Union européenne, permet la signature d'un accord de cessation des hostilités, le 18 juin 2000, après une nouvelle offensive victorieuse de l'Ethiopie.

Cette offensive permet à ce pays d'occuper plus d'1/6 e du territoire érythréen, conduisant au déplacement de 300.000 personnes hors de leur zone de résidence habituelle.

Un accord global de paix est signé à Alger, le 12 décembre 2000. Cependant, ce conflit aux enjeux mal définis a, en moins de deux ans, fait un grand nombre de victimes, civiles et militaires, et provoqué de vastes déplacements forcés d'une population déjà misérable. Les deux belligérants en sont sortis économiquement exsangues, et diplomatiquement discrédités.

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