3. Une problématique complexe

Naturellement, la définition de la PAC ne peut être déconnectée des négociations engagées à l'OMC, ce d'autant plus qu'elle fait l'objet d'une contestation globale de la part des principaux partenaires de l'Union européenne. Cependant, la démarche adoptée par la Commission européenne semble avoir excédé le mandat qui lui avait été confié à Berlin en 1999, la nécessité d'aborder les négociations dans le cadre d'une PAC rénovée n'apparaissant pas impérieuse . En outre, le programme des négociations fixé par le Comité de l'agriculture semble difficile à tenir en raison du retard pris dans la définition des modalités .

a) Le mandat de la Commission européenne

Le mandat de négociation de la Commission européenne , fixé par le Conseil des ministres de l'Union européenne du 26 octobre 1999, consistait en une défense de la PAC réformée par le Conseil européen de Berlin de mars 1999 . Cette réforme (Agenda 2000) a en effet été en partie décidée dans la perspective des négociations agricoles de l'OMC.

Mais la proposition de modification de la PAC présentée par M. Franz Fischler dans le courant de l'année 2002 a modifié la perception, tant au sein de l'Union européenne qu'à l'égard de ses partenaires dans la négociation du cycle de Doha, de ce que pourraient être les propositions de modalités qu'elle allait déposer auprès du Comité de l'agriculture.

Une des justifications avancées par le commissaire européen était de préparer les négociations à l'OMC par une position « vertueuse » permettant à l'Union européenne de sortir du procès qui lui est intenté par ses partenaires. Il avançait qu'une telle stratégie était d'autant plus opportune qu'au même moment, les Etats-Unis adoptaient une réforme agricole qui aggravait, directement ou indirectement, les déséquilibres de marché, et allait à l'encontre tant des principes retenus par l'Accord de Marrakech que des revendications que les américains allaient présenter dans le cadre du nouveau cycle de négocations.

Or, tout au contraire, en s'écartant du format prévu par l'accord de Berlin, la « révision à mi-parcours » de la PAC suggérée par la Commission européenne a indiscutablement fragilisé la position de l'Union européenne au plan international : elle a conduit à accréditer certaines des idées reçues sur le caractère nocif et contestable du contenu de la PAC actuelle, notamment à l'égard des PED, et contraint la Commission à utiliser immédiatement tout le crédit de négociation que s'était donnée l'Union en réformant la PAC en 1999. C'est ainsi que les propositions de modalités adoptées en janvier dernier s'inscrivent totalement dans la logique de libéralisation des échanges agricoles défendue par les Etats-Unis et le Groupe de Cairns, sans chercher à faire prospérer la no tion d'exception agricole qui permettrait de sauvegarder le modèle européen d'agriculture et de donner toute sa place aux attentes globales de la société en faveur d'un développement équilibré.

En outre et surtout, elles ne permettent de disposer d'aucune marge de manoeuvre pour parvenir à un compromis qui respecterait « l'Agenda 2000 », rappelé et confirmé par le Président de la République et par le Chancelier allemand à Bruxelles en octobre 2002 : les éventuelles concessions attendues de l'Union dans le cycle de Doha seraient dès lors susceptibles de remettre en cause l'accord conclu à Berlin entre les chefs d'Etat et de gouvernement en 1999.

Il convient d'insister sur ce paradoxe : une Union européenne sur la défensive, alors même que les réforme de 1992 et 1999 ont vidé de l'essentiel de leur substance les critiques adressées à la PAC, prétend se positionner favorablement avant l'engagement de négociations internationales, d'une part en présentant des propositions qui épuisent entièrement son crédit de concessions et, d'autre part, en suggérant des réformes anticipées de sa politique agricole qui, tout à la fois, permettent de penser que les critiques restent justifiées et adressent un signal très clair sur le champ des concessions supplémentaires qu'elle est manifestement prête à envisager.

A l'inverse, les Etats-Unis adoptent en mai 2002 une nouvelle loi agricole qui s'écarte délibérément de leurs engagements internationaux, ou tente à tout le moins de les biaiser par des détournements de procédure aggravés, et qui contredit le discours libéral qu'ils prétendent imposer, directement ou par l'intermédiaire du Groupe de Cairns, dans le cadre des négociations de l'OMC. Ces deux stratégies sont si opposées l'une à l'autre qu'à l'évidence, une seule est opportune. Or, on peut légitimement craindre que celui des négociateurs qui a, vraisemblablement à dessein, « chargé très lourdement la barque » parviendra à satisfaire ses objectifs avec moins de difficultés que celui qui, optant pour un comportement qualifié de « vertueux », engagera la discussion sans aucune marge de manoeuvre.

Aussi est-ce avec sagesse et raison que la France a rappelé la Commission européenne à ses obligations, dans une Déclaration, présentée au Conseil du 27 janvier 2003 , qui a souligné qu'elle devait mener les négociations à l'OMC dans le strict respect de son mandat et en se conformant aux conclusions des Conseils européens de Berlin de mars 1999 et de Bruxelles d'octobre 2002.

b) Les interrogations portant sur la poursuite du processus des négociations

Une première étape du cycle de Doha devait s'achever le 31 mars dernier par la présentation, par le Comité de l'agriculture, d'une contribution sur les modalités agricoles s'appuyant sur les propositions présentées par les membres de l'OMC.

Or, la contribution du président Stuart Harbinson a reçu, le 12 février 2003, un accueil très négatif de la plupart des délégations concernées , qu'il s'agisse de l'Union européenne, de membres du Groupe de Cairns tel le Canada, de nombreux PED ou encore d'Etats n'appartenant à aucune « coalition » comme le Japon, la Corée du Sud ou la Norvège. Cette contribution était en effet particulièrement déséquilibrée, en ce qu'elle répartissait très inégalement les charges entre pays développés et traduisait imparfaitement les propositions présentées par les divers membres de l'OMC.

LA RÉACTION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

Un certain nombre d'objectifs fondamentaux du programme de Doha pour le développement (PDD) ne figurent pas dans le projet du président Harbinson, notamment l'engagement de prendre en considération les préoccupations non commerciales et de réduire toutes les formes de subventions à l'exportation. Le projet de texte applique, en particulier, des disciplines non équilibrées aux différentes formes de subventions à l'exportation. Pour ces motifs et d'autres, il ne permet pas d'appréhender les fortes distorsions de marché créées par certaines formules de subvention caractéristiques d'autres grands pays développés.

Dans de nombreux domaines essentiels, le projet épouse les lignes politiques proposées par un certain nombre de pays intéressés principalement par leurs exportations, au détriment des intérêts d'autres membres. Sur certains points importants, il déborde du mandat convenu par les ministres à Doha.

La Commission regrette aussi l'absence d'ambition en ce qui concerne l'accès sans droits de douane ni contingents des pays les moins avancés aux marchés des pays développés, tout comme l'absence de propositions concrètes concernant les difficultés rencontrées par d'autres pays en développement face à l'érosion de leur accès préférentiel à ces marchés.

A l'inverse, la Commission salue chaleureusement l'adoption, par M. Harbinson, des propositions qu'elle a formulées au sujet du régime spécial accordé aux productions agricoles présentant une importance particulière du point de vue de la sécurité alimentaire des pays en développement.

Source : communiqué de la Commission européenne du 12 février 2003

Le rejet très majoritaire de cette contribution était accompagné d'une demande de nouvelle version de nature à permettre le démarrage effectif des négociations. Or, le Comité de l'agriculture n'a procédé, le 19 mars suivant , qu'à une révision très marginale de sa première proposition, qui ne la modifiait qu'en apportant des avantages supplémentaires aux PED. Dès lors, la date-butoir du 31 mars 2003 n'a pas pu être respectée et la poursuite des négociations se trouve confrontée à une situation inédite et imprévue.

Une seule alternative paraît envisageable pour débloquer le processus : soit M. Harbinson propose de lui-même une troisième contribution susceptible de recueillir un consensus des diverses délégations, soit une ou plusieurs de celles-ci formulent de nouvelles propositions de modulations permettant au Comité de l'agriculture de se remettre au travail en s'appuyant sur elles. Cependant, ni l'une, ni l'autre de ces deux hypothèses ne semble avoir de réelle perspective de réalisation. Aussi doit-on envisager que la Conférence ministérielle de Cancun ait à aborder la question particulière des échanges agricoles dans le cadre général des négociations de l'OMC, et soit englobée dans l'ensemble des sujets qui seront évoqués dans le cadre de ces discussions. Il n'est pas certain que quiconque y trouve réellement avantage...

En tout état de cause, ce rendez-vous de Cancun , qui devra entériner les « projets d'engagement globaux » déposés par les Etats parties à l'OMC afin que la dernière phase des négociations puisse se poursuivre conformément au calendrier déterminé en 2002 et s'achever le 31 décembre 2004, est d'une extrême importance . En l'absence d'un accord au Mexique, en effet, les aides directes de la « boite bleue » ne seraient plus protégées par la « clause de paix » prévue pour neuf ans par l'Accord de Marrakech, et qui expire donc le 31 décembre 2003, de toute contestation devant l'Organe de règlement des différends (ORD) de l'OMC . Ainsi, à compter de 2004, les aides directes fondées sur une superficie et des rendements fixes ou attribuées pour un nombre de têtes de batail fixe, et que la Commission européenne a pour mandat explicite de faire préserver dans le cadre du nouvel accord à venir, seraient susceptibles d'être contestées au plan juridique par les membres de l'OMC, en particulier par ceux qui, tels les adhérents du Groupe de Cairns, contestent le principe même de la « boîte bleue ».

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