II. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION

Parmi les thèmes très variés des débats de cette partie de session, nous avons choisi ceux qui nous ont paru correspondre à la plus grande attente politique des membres de l'Assemblée parlementaire et auxquels, de surcroît, les membres de la Délégation ont participé activement. C'est d'abord le débat institutionnel stimulé par les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe et les réflexions qu'elle suscite sur la place future du Conseil de l'Europe. L'actualité internationale a, par ailleurs, imposé une marque particulière sur le déroulement des discussions. Nous avons enfin retenu le débat sur la pleine intégration sociale des personnes handicapées auquel Mme Marie-Thérèse Boisseau, Secrétaire d'État aux personnes handicapées, a apporté l'éclairage de la politique française, et celui sur la pollution maritime, amplifié par la catastrophe du Prestige.

A. LE DÉBAT INSTITUTIONNEL : CONTRIBUTION DU CONSEIL DE L'EUROPE AU PROCESSUS DE L'ELABORATION D'UNE CONSTITUTION DE L'UNION EUROPEENNE

L'élargissement de l'Union européenne à 10, puis, ultérieurement, 12 États nouveaux, conduit l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à réfléchir sur l'articulation de la « petite » et de la « grande » Europe et sur l'avenir du Conseil, à partir du rapport élaboré par M. Theodoros Pangalos, député grec (Soc.), ancien ministre. Cette réflexion se traduit, dans la résolution dont le texte intégral figure ci-après, par des propositions précises pour une meilleure articulation du Conseil de l'Europe avec les institutions de l'Union européenne, passant en premier lieu par l'adhésion de l'Union en tant que telle à la Convention européenne des droits de l'homme.

a) La résolution adoptée par l'Assemblée parlementaire5 ( * )

1. Les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe donnent une nouvelle impulsion au processus de construction européenne et offrent l'occasion d'un large débat sur l'avenir de l'intégration politique en Europe, en faveur de laquelle le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire se sont constamment engagés.

2. L'Assemblée parlementaire espère que cette vaste consultation aboutira à un grand projet européen, à la hauteur des défis posés par la Déclaration de Laeken, et qu'elle ouvrira la voie vers une Constitution européenne, qu'elle appelle de ses voeux.

3. A cet égard, l'Assemblée félicite le præsidium de la Convention, qui, huit mois après le début des travaux, a présenté un avant-projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe, lors de la session plénière des 28 et 29 octobre 2002.

4. Cette future Constitution devra en tout état de cause comporter une partie relative aux droits fondamentaux. Dès lors, l'Assemblée se déclare en faveur de l'intégration de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dans le Traité de base et de l'adhésion de l'Union européenne (une fois que celle-ci aura acquis la personnalité juridique) à la Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH), en vue de renforcer les mécanismes juridiquement contraignants de protection des droits de l'homme en Europe. L'Assemblée est convaincue que l'efficacité de la protection des droits de l'homme sur tout le continent ne pourra être atteinte que si les institutions et les organes de l'Union européenne sont liés non seulement par la Charte des droits fondamentaux, mais aussi par la CEDH.

5. L'Assemblée estime que l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH éliminera le risque actuel de voir diverger les jurisprudences respectives de la Cour européenne des Droits de l'Homme et de la Cour de justice des communautés européennes. Elle permettra d'accorder à toutes les personnes relevant de la juridiction d'un des États membres de l'Union européenne la possibilité d'introduire un recours direct devant la Cour de Strasbourg et ainsi de soumettre les actes relevant de l'ordre juridique de l'Union européenne, au même titre que ceux relevant des ordres juridiques nationaux, à un contrôle de compatibilité avec les dispositions de la CEDH.

6. L'Assemblée, de son côté, est déterminée à tout mettre en oeuvre pour que le Comité des Ministres se prononce en faveur de l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH et pour qu'il entame des négociations avec les instances compétentes de l'Union européenne en vue d'élaborer les instruments juridiques permettant cette adhésion.

7. En outre, l'Assemblée rappelle que le Conseil de l'Europe et l'Union européenne partagent les mêmes valeurs, et poursuivent des objectifs communs en ce qui concerne la protection de la démocratie, le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et la prééminence du droit. Par ailleurs, en promouvant le dialogue multiculturel et interreligieux, le Conseil de l'Europe intègre dans son pluralisme la dimension religieuse des différents héritages européens, offrant ainsi à l'ensemble de l'Europe un modèle de tolérance.

8. L'Assemblée attache la plus grande importance au renforcement de la coopération développée entre le Conseil de l'Europe et la Communauté européenne au cours de ces dernières années. A cet égard, elle estime que l'interaction entre l'Union européenne élargie et le Conseil de l'Europe devrait figurer dans le futur traité constitutionnel.

9. Le titre IX de l'avant-projet de traité constitutionnel, intitulé «L'Union et son environnement proche», propose d'envisager les relations privilégiées que l'Union européenne pourrait entretenir avec les États voisins. Dès lors, il ne faut pas perdre l'occasion de promouvoir le rôle que le Conseil de l'Europe aurait à jouer dans cette perspective en raison de son caractère paneuropéen et du fait que tous les États membres y coopèrent sur un pied d'égalité. La Convention sur l'avenir de l'Europe devrait prendre en compte cet état de fait et accorder la priorité à la pleine utilisation de cette institution, plutôt que de proposer la mise en place de nouvelles structures ou autres arrangements institutionnels, qui entraîneraient des doubles emplois et le gaspillage de ressources.

10. Les membres de la Convention sur l'avenir de l'Europe devraient également avoir à l'esprit que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est la seule assemblée véritablement paneuropéenne où tous les parlements nationaux européens sont représentés. Elle constitue donc une enceinte absolument indispensable, se réunissant régulièrement afin de maintenir le dialogue entre les parlementaires des actuels et des futurs États membres de l'Union européenne, et ceux des États non membres.

11. L'Assemblée se félicite des réunions quadripartites entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. Elle rappelle sa position selon laquelle ces réunions doivent avoir une dimension parlementaire. Elle souhaite donc que les Présidents de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et du Parlement européen soient invités aux prochaines réunions de coordination.

12. L'Assemblée demande à la Convention sur l'avenir de l'Europe d'envisager, dans sa révision des traités actuels, que l'Union européenne prenne en compte les structures et les travaux du Conseil de l'Europe dans la formulation et dans la mise en oeuvre de ses politiques, afin d'éviter des chevauchements. A cette fin, il serait souhaitable d'élargir le champ d'application de l'article 303 du Traité instituant la Communauté européenne à toutes les questions relevant de la compétence de l'Union européenne.

13. Nombre de conventions conclues au sein du Conseil de l'Europe ont contribué à la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, objectif commun à l'Union européenne. L'Assemblée incite dès lors la Communauté européenne à adopter l'acquis conventionnel du Conseil de l'Europe dans le champ d'application du droit communautaire, de manière à mettre en place un ordre juridique cohérent.

14. L'Assemblée invite la Communauté européenne/Union européenne et ses États membres :

i. à intégrer la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Convention européenne des Droits de l'Homme dans le traité constitutionnel, de manière à leur conférer une force juridique contraignante ;

ii. à prévoir dans le futur traité constitutionnel une clause d'adhésion de la Communauté européenne/Union européenne à la CEDH ;

iii. à entamer sans délai des négociations avec le Conseil de l'Europe et ses États membres, afin de préparer les instruments juridiques nécessaires à cette adhésion ;

iv. à se prononcer en faveur de la modification de l'article 230, paragraphe 4, du Traité instituant la Communauté européenne, afin d'élargir le recours direct des particuliers à la Cour de justice des communautés européennes (CJCE). Un particulier devrait avoir le droit de former un recours contre une mesure communautaire lorsque la mesure nuit, ou est susceptible de nuire, à ses intérêts ou à ses droits de manière substantielle ;

v. à réfléchir à la redéfinition de la notion de citoyenneté de l'Union européenne, en la basant sur un autre critère que celui de la nationalité. Il pourrait s'agir d'établir une citoyenneté ayant la résidence régulière comme fondement. Ce critère permettrait à la fois d'accentuer l'originalité profonde du processus communautaire dans l'histoire des relations internationales et de configurer la population de l'Union européenne au moyen d'un concept autonome, propre à l'ordre juridique communautaire ;

vi. à prendre en compte le rôle et la spécificité du Conseil de l'Europe, entre autres, dans ses domaines d'action spécifique que sont la protection des droits de l'homme, la démocratie, le développement de la culture et de l'éducation ainsi que la protection de l'environnement, en préconisant des rapports de complémentarité et de coopération entre les organes du Conseil de l'Europe et ceux de l'Union européenne ;

vii. à prendre en considération et à inscrire dans le futur traité constitutionnel :

a. une référence à la Charte sociale européenne révisée (STE n o 163), qui constitue l'un des piliers du modèle social européen et la référence normative en matière de droits sociaux fondamentaux, à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE n o 126), à la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE n o 108), à la Charte européenne de l'autonomie locale (STE n o 122), à la Convention culturelle européenne (STE n o 18), à la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE n o 144), à la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE n o 157), à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE n o 148) et à la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (STE n o 164) ;

b. la contribution du Conseil de l'Europe à la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, objectif commun aux deux organisations ;

c. le rôle du Conseil de l'Europe en tant que forum paneuropéen où coopèrent, sur un pied d'égalité, les représentants de l'ensemble de l'Europe aux niveaux parlementaire, gouvernemental et régional ;

d. l'action du Conseil de l'Europe en matière de prévention des conflits et de consolidation de la paix, dans le cadre de sa politique étrangère et de sécurité commune ;

e. l'action du Conseil de l'Europe concernant le suivi des obligations et des engagements auxquels ont souscrit les États membres lors de leur adhésion, afin de parvenir au plein respect des normes de l'Organisation en matière de démocratie, de droits de l'homme et de prééminence du droit.

b) L'intervention de M. Jean-Claude Mignon, Député, Président de la Délégation

« Monsieur le Président, je voudrais d'abord prier l'Assemblée d'excuser l'absence de M me Noëlle Lenoir, retenue au dernier moment à Paris pour des raisons personnelles.

Comme elle l'aurait fait, et au nom de la délégation française unanime, je voudrais réaffirmer l'attachement de la France au Conseil de l'Europe et à son Assemblée parlementaire à un moment où, comme l'a très bien dit notre rapporteur, l'élargissement de l'Union européenne amène légitimement à s'interroger sur l'espace respectif des deux institutions.

Pour nous, le Conseil de l'Europe peut, non seulement conserver, mais encore accroître son rôle dans le débat politique européen, à condition de garder sa spécificité. Il est la référence première dans l'illustration jurisprudentielle des droits de l'homme. La notion de procès équitable, celle de l'effectivité du droit, la protection de la liberté d'expression: autant de domaines où la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, appuyée sur la pratique du Conseil, a un effet certain d'entraînement sur l'évolution du droit dans le monde entier.

Nous sommes également très attachés à l'action du Conseil de l'Europe pour l'élaboration d'un droit international conventionnel. Le Conseil a su faire preuve d'une faculté d'innovation appréciée pour fixer un cadre juridique commun à la protection des données ou encore à la bioéthique. Les travaux en cours sur la répression internationale de la cybercriminalité témoignent de ce que cette faculté d'innovation ne s'est pas amoindrie, bien au contraire.

Si le Conseil de l'Europe possède un tel dynamisme, c'est à cause de procédures et plus généralement d'un climat de dialogue et d'écoute respectueuse qui facilitent l'échange sur les expériences respectives. Il est d'autant plus facile de rechercher et d'atteindre des compromis positifs. Inscrivant son action dans la continuité et le long terme, le Conseil de l'Europe peut accompagner les États qui en sont membres - qu'ils soient ou non candidats à l'adhésion à l'Union européenne - dans leur effort pour traduire dans leurs lois, et plus encore dans leur pratique, les valeurs communes de l'Europe démocratique. Et cette action n'est pas enfermée dans la chronologie d'une négociation d'adhésion nécessairement complexe, elle peut même en faciliter le déroulement en permettant de traiter d'une autre manière des questions aussi délicates que la réforme des systèmes juridictionnels qui fait, nous le voyons bien, difficulté dans certains États candidats à l'adhésion.

Forum démocratique, laboratoire d'idées, mais aussi structure précieuse pour l'élaboration et l'adaptation du droit positif, le Conseil de l'Europe a, pour la délégation française, un bel avenir devant lui. »

c) L'intervention préparée par Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée chargée des affaires européennes6 ( * )

« C'est avec émotion que je m'adresse à votre Assemblée, au moment où l'Europe toute entière connaît la mutation la plus profonde de son histoire depuis l'après guerre. Je ne peux m'empêcher de penser en effet aux grands inspirateurs de l'Europe et à ce que nous leur devons. Qu'aurait dit Winston Churchill s'il avait pu assister aux célébrations de ces derniers jours du quarantième anniversaire du Traité de l'Élysée, lui qui appelait à la réconciliation franco-allemande dès 1946 dans son fameux discours de Zurich ? Qu'aurait dit Édouard Herriot s'il avait pu vivre la chute du mur de Berlin et l'ouverture du Conseil de l'Europe vers l'Est, lui qui, Président en 1949 de la première Assemblée consultative de votre Organisation, s'était référé à Robert Schuman pour affirmer que « toutes les portes sont ouvertes vers l'Est, vers tous ceux qui, aujourd'hui, s'abstiennent d'être avec nous » ?

La création de votre Organisation est le fruit d'un compromis franco-anglais. Il fut difficile à obtenir, comme chaque compromis. Mais le résultat fut à la mesure des espérances. L'oeuvre du Conseil de l'Europe, à travers votre Assemblée notamment, ainsi que grâce à la Cour européenne des droits de l'Homme, est considérable. Elle sert de référence aux législateurs et aux juges dans le monde entier. La Cour en particulier a permis d'assurer l'effectivité de la prééminence du droit, comme valeur clé des démocraties européennes. Elle a permis de conforter la légitimité et l'efficacité du droit européen des droits de l'homme. Malgré un mode de fonctionnement moins intégré que ne l'est celui des institutions de l'Union européenne, votre Organisation a su magnifiquement s'adapter au grand mouvement de libéralisation qui a suivi la dislocation de l'empire soviétique. Et cette faculté d'adaptation est largement due à votre dynamisme et à votre capacité d'accueil de nouveaux partenaires au sein d'une Assemblée dont la richesse des travaux est l'un des meilleurs atouts.

Je tiens à vous rendre hommage pour le rôle que vous avez joué à cet égard. Avec 44 États membres maintenant, le Conseil de l'Europe représente plus de 800 millions d'Européens, sur un territoire qui va de l'Atlantique aux confins du Pacifique. Et cet ensemble de peuples, à travers vous, est en droit de se réclamer des valeurs fondamentales que constituent la démocratie pluraliste, les droits de l'homme et la primauté du droit.

Votre élargissement a précédé celui de l'Union européenne. Si ces élargissements ne sont pas parallèles et ne s'inscrivent pas dans le même contexte, il n'en reste pas moins que la refondation de l'Union européenne élargie suscite des interrogations sur l'avenir des relations entre l'Union et le Conseil de l'Europe. Il est, pour moi, tout à fait légitime que votre Assemblée souhaite apporter sa contribution à la Convention présidée par le Président Giscard d'Estaing. Alors que le droit et surtout la jurisprudence communautaires sont de plus en plus inspirés de la Convention européenne des Droits de l'Homme, comment imaginer que vous vous désintéresseriez des travaux de la Convention ? Vous ne le pouviez et ne le deviez pas. Et je rends ici hommage au remarquable rapport de M. Pangalos qui enrichit notre réflexion sur l'articulation entre les deux Organisations.

N'en doutez pas. L'engagement européen de la France est sans faille, et l'engagement du gouvernement français en faveur du rayonnement du Conseil de l'Europe se veut aujourd'hui plus fort que jamais. Grâce aux contacts que j'ai noués avec la délégation française auprès de votre assemblée et son Président Jean-Claude Mignon, j'ai mesuré combien vous contribuez au rayonnement de votre brillante et très importante organisation. Je salue leur contribution précieuse et la qualité de leur travail au service de ses missions. J'ai la ferme conviction que les transformations à l'oeuvre en Europe renforceront encore davantage le rôle du Conseil de l'Europe.

Le Conseil de l'Europe est le gardien de notre patrimoine commun de valeurs, celui qui fait de l'Europe un continent différent des autres, de par la place qu'y occupe le droit. Ainsi que M. Pangalos le souligne, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne se rattachent à la même communauté de valeurs. C'est pourquoi, la France est favorable à l'intégration de la Charte des droits fondamentaux des citoyens dans le futur traité constitutionnel de l'Union. Nous étudions par ailleurs la possibilité d'étendre, dans certaines conditions, le droit de recours des particuliers devant la CJCE. Car on ne peut se contenter d'affirmer des droits fondamentaux. Il faut prévoir les mécanismes de leur garantie juridictionnelle. Comme vous le savez, pour des raisons juridiques liées au souci de ne pas alourdir les procédures contentieuses, le gouvernement n'est pas encore convaincu de l'opportunité de la ratification par l'Union de la Convention européenne des droits de l'homme. Mais nous comprenons cependant qu'une large majorité à la Convention se dégage en faveur d'une telle adhésion, et que même la CJCE est revenue sur la réticence qu'elle avait manifestée à cet égard voici quelques années.

D'autres propositions du rapport ont retenu mon attention. Par exemple, je suis en parfaite harmonie avec l'idée suivant laquelle il est indispensable de développer un sentiment d'appartenance à l'Europe par le biais de la citoyenneté européenne. M. Pangalos suggère de conférer la citoyenneté en fonction de la résidence régulière, au lieu de la nationalité. C'est audacieux, cela peut poser d'inextricables problèmes techniques et juridiques. Mais l'idée est généreuse et elle a le mérite de mettre la citoyenneté au coeur de nos réflexions.

Venons en à la question clé pour votre Organisation de l'avenir de sa coopération avec l'Union. M. Pangalos a raison d'insister sur son importance. Avec l'accroissement des compétences de l'Union, et en particulier la « communautarisation » des compétences en matière de justice et affaires intérieures, les points de rencontre seront en effet plus fréquents. Tout d'abord, il est clair que les coopérations, régies par l'article 303 du Traité instituant la Communauté européenne, perdureront. En témoigne d'ailleurs la mise en place de la Commission européenne sur l'efficacité de la Justice (CEPEJ) du Conseil de l'Europe qui débutera ses travaux la semaine prochaine avec la participation des instances de l'Union. L'efficacité de la justice, complément obligé de l'État de droit, est un des grands enjeux de l'élargissement de l'Europe. Sans justice indépendante et efficace, il ne saurait y avoir de garanties démocratiques. Il ne saurait même y avoir de fonctionnement convenable du marché intérieur de l'Union. Économie et démocratie dépendent donc d'une bonne et équitable justice. Or le Conseil de l'Europe, compte tenu de l'expérience qui est la sienne, est particulièrement bien placé pour participer à l'amélioration du fonctionnement de la justice dans les pays de l'Europe centrale et orientale qui ont rejoint ou vont rejoindre l'une ou l'autre des deux Organisations européennes.

Dans le même esprit, il me semble tout à fait approprié que le futur traité constitutionnel de l'Union puisse faire référence à diverses conventions et chartes du Conseil de l'Europe de nature à enrichir le corpus des règles de l'Union. Néanmoins, au cas par cas, un examen s'imposera pour ne pas surcharger le texte de la future Constitution européenne dont la simplicité sera l'un des facteurs de crédibilité.

Enfin, je comprends très bien que votre Assemblée souhaite accueillir des représentants des parlements nationaux pour débattre de grands sujets. J'indique à ce sujet que la France et l'Allemagne ont, dans cette même ligne, proposé qu'un Congrès formé de parlementaires européens et nationaux puisse se réunir chaque année, dans la belle ville de Strasbourg, pour débattre de l'état de l'Union. Une manière de rythmer solennellement les progrès de la démocratie européenne.

S'il en était besoin, je souhaiterais vous rassurer. Il n'est pas question d'amoindrir la place du Conseil de l'Europe. Je pense au contraire que ce rôle va aller croissant, si tant est que le Conseil de l'Europe garde sa propre spécificité.

Le Conseil de l'Europe doit d'abord demeurer la référence première en matière de droits de l'homme. D'une part, l'aura de la Cour européenne des droits de l'homme - ses arrêts sont cités jusqu'à la Cour suprême des États-Unis - lui permet d'exercer une influence à nulle autre pareille sur les législations et les jurisprudences du monde entier. Je l'ai déjà dit, mais il faut le redire avec force. Les notions de « procès équitable », d'effectivité du droit, une conception très créative de la liberté d'expression, pour ne citer que ces exemples, sont les images de marque d'une jurisprudence qui a ses lettres de noblesse. La France soutiendra au demeurant la réforme entreprise par la Cour européenne des droits de l'homme. Je l'ai indiqué récemment au Président de la Cour, M. Wildhaber. Il est en effet indispensable d'alléger les rôles de la Cour pour lui garder sa vocation de véritable cour constitutionnelle européenne. Le nombre des requêtes pourrait atteindre 80 000 d'ici à cinq ans. Il y a là le risque d'un véritable déni de justice et c'est pourquoi une réforme s'impose que la France souhaite accompagner.

Le Conseil de l'Europe doit ensuite poursuivre et consolider son oeuvre normative. Celle-ci est déjà riche de 188 instruments conventionnels, dont certains ont été pionniers en traitant de sujets très novateurs. Par exemple, la protection des données en 1981 et la bioéthique en 1997. Je voudrais dire combien la France attache de prix aux travaux qui sont actuellement menés dans le cadre de la Convention sur la cybercriminalité. L'Internet est un facteur formidable de libéralisation des forces d'expression et de communication. Mais dans le même temps, les délinquants les plus dévoyés peuvent utiliser le réseau du net pour colporter toutes sortes de fausses nouvelles, provoquer au racisme ou à l'antisémitisme ou encore appeler tout simplement au meurtre. Et cela sans que l'on puisse souvent les identifier, les appréhender ou a fortiori les réprimer. Il ne faut pas que le bel outil du net se transforme en danger pour la société et ses valeurs les plus fondamentales. C'est d'ailleurs une préoccupation du Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin. C'est pourquoi, j'attends beaucoup de vos travaux qui vont ouvrir la voie à de nouvelles et indispensables législations internationales, européennes ou nationales.

Votre vocation nouvelle - et non des moindres - est à mes yeux d'ancrer les nouveaux voisins de l'Union, qui sont membres du Conseil de l'Europe, dans la démocratie et le respect des valeurs humanistes qui fondent votre Organisation. Votre Assemblée peut d'autant mieux le faire à travers les débats qui s'y déroulent, et qui permettent la libre expression de tous de l'Est à l'Ouest et du Sud au Nord de l'Europe. Laboratoire d'idées neuves, vous pouvez choisir vos thèmes de débat en dehors des impératifs du marché. Vous avez la possibilité d'être pionnier. Vous êtes le lieu unique de rencontre entre partenaires européens de tous horizons, sans qu'il soit besoin de se poser la question des frontières et tout en prenant en compte l'identité multiple des civilisations européennes. Hérodote, cinq siècles avant notre ère, relevait cette particularité d'une Europe si présente dans l'histoire, sans toutefois « que l'on sache ni d'où elle a tiré son nom, ni qui le lui a donné ». Ce mystère des origines de l'Europe n'en a pas moins conduit à une communauté de destin entre les Européens. Et c'est cette communauté de destin qui, grâce à vous en particulier, a pu dès la fin de la dernière guerre se transformer en communauté de valeurs, pour la paix, la démocratie et le respect mutuel des peuples. Soyez en chaleureusement remerciés. »

* 5 Résolution 1314, adoptée le 29 janvier 2003.

* ( 6 ) Mme Noëlle Lenoir, empêchée, n'a pu prononcer cette allocution, dont elle a communiqué la teneur au Président Jean-Claude Mignon. Les principaux passages de cette intervention ont été repris en séance publique par M. Macshane, ministre britannique des affaires européennes, qui a exprimé l'accord de son Gouvernement avec les vues développées par Mme Noëlle Lenoir.

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