B. LES ENQUÊTES DE CONJONCTURE

L'examen de cette activité dans le cadre du rapport sur le réseau soulève une difficulté. En effet, cette activité est partagée entre le siège et le réseau : le réseau collecte l'information, le siège la traite. Il n'est donc pas envisageable de mettre en question l'ensemble de cette activité, et notamment de s'interroger en profondeur sur la qualité des travaux statistiques et de prévision effectués au siège. Il n'est pas non plus possible de la passer sous silence, dans la mesure où elle occupe une part non négligeable des effectifs du réseau.

1. Nature et objet de l'activité du réseau de la Banque en matière de conjoncture

Cette activité fait partie de celles qui ont acquis une reconnaissance législative dans la loi du 12 mai 1998 modifiant la loi du 4 août 1993 (« les succursales de la Banque de France contribuent à la connaissance du tissu économique local et à la diffusion des informations monétaires et financières 17 ( * ) »).

a) Le réseau collecte une large information

Les enquêtes de conjoncture dans lesquelles le réseau intervient sont menées sous l'égide du métier 5 « Préparation de la politique monétaire - élaboration et diffusion de statistiques et d'études monétaires, financières et économiques ». Le métier 5 utilise environ 740 équivalents-temps plein, dont 40 % dans le réseau.

Le réseau collecte l'information chaque début de mois, auprès d'un échantillon de chefs d'entreprise. Leurs avis qualitatifs sur l'évolution de la conjoncture dans leur secteur, par rapport au mois précédent et par rapport au même mois de l'année précédente, sont agrégés sous forme d'un indicateur synthétique d'opinion. Cette information alimente deux lignes de produits : d'une part, la synthèse mensuelle nationale , transmise au Gouverneur entre le 10 et le 15 du mois, d'autre part, des synthèses régionales .

Le réseau fournit en outre la matière première pour deux types d'enquêtes sectorielles :

• sur la conjoncture et l'activité dans divers secteurs : bâtiment, commerce de détail, commerce de gros, industrie, service marchands, enquête sur l'investissement dans l'industrie, enquête sur les comportements d'emploi, enquête sur la durée d'utilisation des équipements ;

• sur le coût du crédit, sur les délais de paiement, enquête financière.

De fait, ces enquêtes ont plusieurs objectifs. Elles visent à la fois :

• l'information du Gouverneur, afin de lui permettre de participer en connaissance de cause à la décision en matière de politique monétaire prise par le Conseil des Gouverneurs lors des réunions bimensuelles, ainsi qu'au débat public en France et dans diverses institutions internationales ;

• une mission de service public à travers une large diffusion de l'information ; cet aspect est particulièrement patent pour les synthèses régionales qui n'ont pas d'intérêt direct pour le Gouverneur. Le législateur a consacré cette mission de connaissance de la conjoncture locale qui n'est guère assurée par les autres banques centrales. Ce qui n'était qu'un sous-produit du recueil d'information à destination du Gouverneur a ainsi trouvé une légitimité propre. On peut s'interroger sur la cohérence de ce choix avec l'existence d'un réseau local d'implantations de l'INSEE.

Ce double objectif justifie, selon la Banque, de ne pas se limiter aux questions purement financières ou liées au crédit.

Cependant, il convient de remarquer que la Banque de France est la banque centrale dont les travaux en matière de conjoncture couvrent le champ le plus étendu. Surtout, elle est l'une des rares à disposer de son propre réseau de collecte d'informations en matière de conjoncture. S'il est bien compréhensible que la Banque de France produise, à son siège, des études approfondies sur divers aspects de la conjoncture nationale et internationale, ses missions ne semblent pas requérir de prime abord l'existence d'un réseau interne de collecte des données. Même la Bundesbank, qui dispose elle aussi d'un réseau très dense capable de faire remonter une information substantielle, ne réalise pas des travaux aussi variés à partir d'un circuit de collecte propre.

b) L'information est faiblement commercialisée

La plupart des destinataires de l'enquête mensuelle sont les informateurs, qui bénéficient d'un retour gratuit. Une tentative a été faite pour promouvoir le placement d'abonnements payants, mais elle n'a guère été couronnée de succès et l'idée de trouver un débouché commercial à cette information a été abandonnée. Ainsi, sur 15 914 destinataires de l'enquête mensuelle de conjoncture, seuls 191 abonnements payants étaient comptabilisés en 2002, soit 1,2 %.

À titre de comparaison, l'INSEE diffuse en matière de conjoncture deux publications : Informations rapides , qui paraît plus que quotidiennement, et la Note de conjoncture trimestrielle. L'absence de retour donné par l'INSEE à ses informateurs lui permet d'avoir un ratio d'abonnés payants proche de 70 %.

La politique de retour d'informations de la Banque de France est donc coûteuse. À cet égard, plutôt que de supprimer le retour gratuit des synthèses aux informateurs, il semble plus approprié de développer la mise en ligne des informations afin de réduire les coûts d'impression et d'affranchissement.

c) L'audience des études spécifiques demeure confidentielle

Certaines succursales, en particulier les succursales régionales, réalisent des études sectorielles annuelles sur telle ou telle branche d'activité ayant une importance économique spécifique à leur région. Certaines études se maintiennent alors que leur audience est très confidentielle. Il est certain que la majeure partie de ces études ne couvrent pas les coûts correspondants. En outre, la diffusion gratuite des études en interne grossit souvent très artificiellement les tirages. Ainsi, la diffusion interne d'études comme Industrie de la dentelle dans le Calaisis ou Industrie de la confection représente 70 % des exemplaires. Au demeurant, on peut s'interroger sur la nécessité pour 45 agents de la Banque de France de disposer d'un exemplaire d'une telle étude.

L'effort de limitation des études annuelles sectorielles à celles qui couvrent leurs coûts doit être poursuivi. Ces publications devraient être mises en ligne sur l'Intranet de la Banque afin d'éviter des coûts d'impression injustifiés pour des exemplaires en interne.

2. La coexistence avec la collecte de l'INSEE : entre double emploi et complémentarité

Un récent rapport du Sénat (rapport de M. le Sénateur Philippe Marini sur l'information statistique aux États-Unis, 2000) regrettait le monopole de fait de l'INSEE sur l'information statistique et suggérait entre autres « l'accroissement de la contribution scientifique de la Banque de France au débat public ».

Il n'est pas contestable que le Gouverneur doive disposer d'une capacité d'étude et d'analyse propre sur les données de la conjoncture. Il est par ailleurs légitime que la Banque collecte elle-même les données limitées au secteur financier, dans la mesure où l'INSEE ne réalise pas ces enquêtes.

Mais il importe en réalité de mesurer s'il est nécessaire qu'elle dispose de son propre réseau de collecte de données générales sur la conjoncture, et, dans l'affirmative, si ce réseau doit être aussi étendu qu'il l'est actuellement. En effet, et la recommandation du parlementaire précité ne peut avoir d'autre sens, s'il n'est pas souhaitable que toute la capacité d'analyse économique soit sous l'autorité du gouvernement, l'opération de recueil des données par l'INSEE présente toutes les garanties d'objectivité et de neutralité souhaitables.

a) L'enquête de conjoncture de l'INSEE et celle de la Banque de France : points communs et différences

Dans le cadre des travaux du CNIS (Conseil National de l'Information Statistique), un groupe de travail composé de représentants de l'INSEE et de la Banque a rendu un rapport en décembre 1994 ayant pour objet : « d'examiner les complémentarités, les lacunes et les éventuelles redondances des deux dispositifs d'observation et d'analyse conjoncturelle, et d'étudier l'opportunité, les possibilités et les difficultés de mise en oeuvre d'une coordination en matière de travaux de conjoncture ».

Concernant l'enquête mensuelle sur l'activité dans l'industrie hors bâtiment, qui sert de base aux différents travaux de conjoncture, la similitude des travaux est frappante : dans les deux cas, un échantillon d'entreprises est interrogé sur ses perspectives d'activité, en se prononçant de manière qualitative. Une différence notable réside dans la méthode d'interrogation : décentralisée et téléphonique à la Banque de France, centralisée et postale à l'INSEE. Cette différence se répercute sur la date de disponibilité de l'enquête, plus précoce à la Banque de France (milieu du mois), plus tardive à l'INSEE (fin du mois). Une autre différence réside dans la formulation des questions posées : alors que l'INSEE demande aux entrepreneurs leurs perspectives d'activité en référence aux trois mois écoulés, ce qui lisse les évolutions, la Banque de France leur demande leurs perspectives en référence au mois précédent. L'outil d'enquête de la Banque de France repère donc des tendances de plus court terme.

La différence de méthode se paie cependant : près de 230 ETP sont utilisés par la Banque pour collecter l'information par téléphone, l'envoi et le dépouillement de questionnaires par l'INSEE ne requièrent qu'une dizaine d'ETP selon cet établissement.

b) Intérêt comparé de l'enquête Banque de France par rapport à celle de l'INSEE
(1) Réactivité et délais

L'enquête Banque de France paraît avant celle de l'INSEE : le 15 du mois environ, alors que l'INSEE ne publie qu'en fin de mois (entre le 27 et le 30 du mois). En matière de conjoncture, la réactivité peut présenter un intérêt pour déceler plus rapidement les retournements de l'activité. Toutefois, il n'est pas certain que ce choix soit véritablement le gage d'une information plus pertinente. Ce qui importe dans une enquête de conjoncture est avant tout sa périodicité. Ensuite, la réactivité a pour contrepartie une volatilité accrue, puisque les interrogations ne sont effectuées que sur quelques jours d'activité.

(2) Pouvoir prédictif

Il n'entre pas dans le cadre de ce rapport d'apprécier la qualité des prévisions en matière de conjoncture effectuées au siège de la Banque de France à partir de l'information collectée par le réseau. Cependant, lors de la phase de contradiction, la Banque de France a affirmé, sans le démontrer, que ses prévisions étaient parfois plus fiables et plus réactives que celles de l'INSEE. Face à cette affirmation, la Cour s'est livrée à une étude très courte et très limitée des prévisions des deux organismes sur la période fin 1999-mi 2002, sur laquelle les données de prévisions de PIB étaient disponibles. Le calcul de l'erreur moyenne d'estimation sur la période, ne permet nullement de départager les deux prévisions. Rien dans les calculs effectués ne permet non plus d'affirmer que l'une des enquêtes parvient de manière systématique à repérer les ruptures de tendance mieux que sa concurrente. En particulier, la plus grande réactivité de l'enquête de la banque de France liée à son orientation vers la détection des évolutions de court terme ne lui a pas permis pour autant d'identifier de manière plus nette les retournements de conjoncture.

Une étude de la direction de la Prévision du ministère des finances corrobore cette analyse : « Une approche plus économétrique montre que les séries de l'enquête de la BdF ne donnent pas de résultats meilleurs en matière de prévision de l'indice de la production industrielle ».

(3) Autres éléments d'intérêt spécifique pour d'autres destinataires

La direction de la Prévision utilise de préférence l'enquête de la Banque de France pour la prévision de l'indice de production industrielle au niveau mensuel, lequel permet à son tour d'affiner les prévisions de PIB trimestriel. La direction de la Prévision retient par ailleurs l'indicateur de la Banque de France pour le taux d'utilisation des capacités de production plutôt que celui de l'INSEE.

L'Union européenne et le système Eurostat, qui publient notamment un indicateur d'opinion dans l'industrie au niveau communautaire (au début du mois N+2 pour le mois N), ont pour correspondant l'INSEE.

Au niveau régional, les travaux de la Banque de France sont incontestablement plus riches que ceux de l'INSEE. Par construction, l'enquête de la Banque de France est davantage à même de faire remonter des informations à caractère local marqué.

Néanmoins, les coûts très importants de cette étude comparés à ceux de l'INSEE incitent à envisager, malgré les avantages rappelés ci-dessus, d'autres modes de répartition des tâches entre ces deux établissements. Il paraît souhaitable d'étudier la possibilité d'amender l'enquête de l'INSEE dans un sens lui permettant d'intégrer dès le recueil des informations les aspects spécifiquement complémentaires de l'enquête de la Banque de France, par exemple en formulant une double question sur les tendances de la production passée (par rapport au mois dernier et par rapport aux 3 mois précédents), et en reprenant la définition du taux d'utilisation des capacités de production de la Banque.

* 17 Amendement présenté par M. Dominique Baert, lui-même directeur de succursale à la Banque de France en disponibilité.

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