A N N E X E S
ANNEXE N° 1 :

PROCES-VERBAUX DES AUDITIONS

Pages

- M. Michel KLOPFER, président-directeur général du cabinet Michel Klopfer


55

- M. Nicolas PAINVIN, directeur du département Finances publiques de l'Agence Fitch Ratings


67

- M. Dominique HOORENS, directeur des études de Dexia Crédit Local


85

- M. Hervé LE FLOC'H-LOUBOUTIN, directeur de la législation fiscale


99

- M. Jean BASSÈRES, directeur général de la comptabilité publique

115

- M. Hansjörg BLÖCHLIGER, administrateur principal à l'OCDE

137

- M. Dominique BUR, directeur général des collectivités locales

147

- Mme Carol SIROU, directeur du secteur public, responsable des collectivités territoriales européennes de Standard & Poor's


171

- M. Philippe LAURENT, président-directeur général de Philippe Laurent Consultants


185

- M. Guy GILBERT, professeur à l'Ecole normale supérieure de Cachan

195

Audition de M. Michel KLOPFER,
Président-directeur général du cabinet Michel Klopfer


(1 er octobre 2002)

M. Jean ARTHUIS, président - Mes chers collègues, la séance est ouverte.

Nous sommes à la veille de réformes importantes, dont certaines aboutiront à des modifications constitutionnelles. Ces réformes visent à mener à son terme le chantier de la décentralisation, en donnant aux collectivités territoriales une véritable autonomie financière. Cela pose évidemment le problème de la fiscalité locale et de son devenir. Les idées ne manquent pas sur ce thème, mais il nous reste aujourd'hui à tester la faisabilité des différentes propositions qui ont été émises jusqu'à présent.

Ces auditions vont nous permettre de clarifier notre position et de formuler nos propres propositions. Dans ce dessein, nous avons invité des consultants ayant acquis une expertise en matière de fiscalité locale. Michel Klopfer nous fera ainsi partager son analyse et ses propositions. Vous avez déjà reçu une série de questions relatives aux ressources fiscales, à la gestion locale, aux marges de manoeuvre fiscales existantes, ainsi qu'à l'assiette et au produit des impôts locaux et aux nouvelles assiettes fiscales qui pourraient être mises à la disposition des élus territoriaux.

Je propose à M. Klopfer d'intervenir pendant un quart d'heure. Monsieur Klopfer, vous avez la parole.

M. Michel KLOPFER, président du Cabinet Michel Klopfer - Merci, Monsieur le président. J'ai reçu une liste de questions pour préparer cette audition, auxquelles je vais tenter de répondre. J'ai préparé à votre attention un document original, qui va vous être remis. Ce document contient, d'une part, la réponse aux seize questions qui m'avaient été adressées et, d'autre part, la copie de deux articles que j'ai publiés. Le premier article a été publié récemment dans Le Monde, à l'occasion des vingt ans de la décentralisation. Le deuxième a été publié dans Les Echos et concerne la réforme de la taxe professionnelle.

Je dirige un cabinet de conseil totalement indépendant, que j'ai créé. Le capital social de cette petite société appartient exclusivement à ses salariés. Celle-ci effectue des missions auprès de différente s collectivités territoriales et organise des sessions de formation à destination des différentes administrations, telles que les ministères des finances ou de l'équipement, la Cour des comptes ou les chambres régionales des comptes.

Je n'ai pas préparé d'intervention magistrale, mais tenterai plutôt de répondre aux questions que vous m'avez posées. Je tiens toutefois à vous signaler que je ne m'estime pas autorisé à débattre des comparaisons internationales, comme vous avez souhaité que je le fasse, dans la mesure où notre expérience en la matière est trop limitée pour nous permettre d'émettre des avis pertinents. Je me propose plutôt de vous faire part de mes réflexions sur l'évolution de la fiscalité locale, sur la péréquation et sur l'autonomie financière, thèmes qui me semblent intimement liés.

Les transparents que je vous présente figurent dans le document qui vous est remis. Ces documents montrent un décrochement marqué des recettes fiscales des collectivités territoriales par rapport à l'inflation et par rapport à l'ensemble de leurs recettes courantes depuis l'année 1986, année qui a correspondu, une fois les grands transferts de compétence effectués, à l'application des principes de la décentralisation et à l'élection au suffrage universel des conseils régionaux.

L'année 2002 est une année symbolique parce que les autres ressources des collectivités territoriales - et notamment les dotations et transferts de l'État - ont rattrapé la courbe de la fiscalité. Dans cette configuration, la notion d'autonomie semble pendante, et les collectivités peuvent être amenées, en amont des projets qui seront soumis au Parlement, à émettre une opinion sur le système qui leur paraîtrait le plus favorable.

Vous m'avez posé la question suivante : « Quelle influence les recettes fiscales ont-elles sur la manière dont les collectivités territoriales sont gérées ? ». J'estime qu'un équilibre doit être trouvé entre le point de vue des usagers/clients et celui des contribuables. Si une collectivité perdait trop de contribuables, elle serait placée en très nette difficulté, dans la mesure où une pression forte s'exercerait sur ses dépenses. Il est vrai que le contribuable n'est pas en mesure de percevoir exactement le rapport existant entre la pression fiscale et la qualité des services rendus, puisque la pression fiscale dépend aussi de l'insuffisance de potentiel fiscal. D'autre part, le contribuable est beaucoup plus sensible aux flux qu'aux stocks, et par conséquent à l'augmentation en pourcentage du taux plutôt qu'au niveau instantané de ce taux. La question du rapport entre fiscalité et services rendus ne se pose jamais de façon très nette pour les contribuables. Plus importante est celle d'un niveau suffisant de recettes fiscales, évitant toute pression à la baisse sur les dépenses des collectivités.

La question se pose aussi de savoir s'il existe une différence entre les dotations de l'État et des impositions locales dont les collectivités territoriales ne maîtriseraient pas le taux. Ceci nous différencie des exemples étrangers, où la part des recettes fiscales est rarement aussi importante.

Concernant la responsabilité politique en matière de fixation des taux d'imposition, deux freins principaux existent aujourd'hui :

• l'utilisation d'un même impôt pour toutes les collectivités territoriales ;

• l'interdépendance qui est en train de s'établir entre les communes et les communautés.

Jusqu'à la décentralisation, les collectivités pouvaient fixer elles-mêmes leurs taux d'imposition, même si régions et départements exerçaient une influence sur la section d'investissement des communes par le jeu des subventions. En matière de fiscalité locale stricto sensu , chacun fixait ses taux de manière indépendante. Avec la taxe professionnelle unique (TPU), on entre dans un régime d'interdépendance. Communes et groupement sont juridiquement indépendants, mais financièrement interdépendants.

Je me propose de vous présenter une illustration concrète de cette question, qui nous amènera au problème essentiel de la déliaison des taux. Lorsqu'une commune rencontre des difficultés financières ou craint d'en subir, elle réunit son bureau en février et décide d'augmenter les taux. Cette mesure est politiquement douloureuse, mais elle produit des rentrées immédiates. Désormais, au sein de l'intercommunalité, la commune devra négocier avec les autres communes du groupement, ce qui impliquera une inertie de deux ans entre la décision et ses conséquences financières.

La question de l'interdépendance se pose donc de manière aiguë, d'autant plus que l'intercommunalité ne jouit d'aucune légitimité politique partagée pour institutionnaliser des négociations portant sur les taux d'imposition, l'endettement, l'investissement, les transferts ou la qualité des services publics à travers la définition de l'intérêt communautaire.

Ma préférence va à une réforme de l'assiette de la fiscalité locale, plutôt qu'à une simple déliaison des taux, car les assiettes (et notamment celle de la taxe professionnelle) ne sont pas aujourd'hui suffisamment favorables au secteur public local.

Comme je l'avais indiqué dans l'article des Echos il y a trois ans et demi, j'estime que la question n'est pas suffisamment débattue de l'archaïsme des impôts locaux et du moindre contrôle exercé par l'administration fiscale sur ces impôts, par rapport aux impôts nationaux. A titre d'exemple, lorsque la taxe professionnelle était assise sur les immobilisations et les salaires, le degré de contrôle était élevé, grâce aux contrôles stricts exercés par l'administration fiscale sur l'assiette salariale. La suppression de la part salaires a engendré un amoindrissement du degré de contrôle, car les immobilisations font en général l'objet d'un contrôle beaucoup moins approfondi. La suppression de la vignette en 2000 correspond de même à la suppression d'un impôt parfaitement contrôlable et non dissimulable, car assis sur la circulation automobile.

La question d'actualité est donc celle du changement d'assiette. Vous posez la question classique de l'imposition de la valeur ajoutée, et des difficultés de mesure qui s'y attachent. Ces difficultés peuvent être contournées, par exemple en fixant une taxe professionnelle assise sur la valeur ajoutée nationale des entreprises, pondérée par la masse salariale et éventuellement les immobilisations foncières présentes sur le territoire de chaque collectivité.

Au-delà de l'archaïsme et de la moindre croissance de l'assiette, le problème est que les collectivités ne sont plus incitées à attirer les activités de main-d'oeuvre sur leur territoire. La construction de logements peut sembler préférable, dans la mesure où elle rapporterait davantage de taxe d'habitation que l'installation de nouvelles activités économiques n'apporterait de taxe professionnelle. Il faut donc réintroduire indirectement les salaires dans l'assiette.

M. le Président - Désirez-vous interroger notre intervenant ?

M. Eric DOLIGÉ - Je souhaitais confirmer que la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle a modifié la façon dont je gérais l'apport d'activités nouvelles sur le territoire de ma zone industrielle. J'ai privilégié le bâti et la taxe foncière plutôt que le nombre d'individus, puisque l'augmentation de ce nombre entraîne la nécessité de créer des écoles et des services publics. Il est donc vrai que la suppression de la part salaires a eu un fort impact sur les choix politiques.

Il arrive aussi qu'une entreprise change de raison sociale en fin d'année pour échapper à la taxe professionnelle. Il revient alors à l'Etat de compenser cette perte pour les collectivités, ce qui représente un coût très élevé.

M. le Président - Et par conséquent, les collectivités sont désormais obligées de recourir elles-mêmes à des experts pour traquer les évasions fiscales.

M. Joël BOURDIN - Concernant l'évaluation des bases, je souhaite savoir quelle est votre opinion sur le mode d'évaluation appliqué au Québec. Dans cette région, 90 % des recettes fiscales des collectivités territoriales proviennent d'un impôt foncier, mais la base de l'imposition est évaluée au regard de la valeur de marché. Que pensez-vous de ce système d'évaluation par rapport à notre système archaïque ? J'y suis, pour ma part, tout à fait favorable. Comment envisagez-vous la période transitoire si jamais nous décidions de passer d'un système à l'autre ?

M. Yves FRÉVILLE - Je souhaite revenir sur la taxe professionnelle. Je me demande si cette taxe donne de bons signaux aux électeurs contribuables. En effet, un impôt local est bon si l'augmentation du taux de taxation locale suit celle de la dépense. Actuellement, la taxe professionnelle a deux assiettes : une assiette nationale et une assiette locale. Or, tantôt c'est l'assiette nationale qui joue, avec le plafonnement à la valeur ajoutée ou à la cotisation ; tantôt c'est l'assiette locale. Le problème est le même pour la taxe d'habitation. Je remarque que la plupart de nos impôts locaux ne sont plus ressentis comme tels par les contribuables, parce qu'ils raisonnent pour leur part en termes d'impôt national. Cela est notamment vrai pour les habitants et les entreprises installés dans des villes fortement imposées. Notre système de fiscalité locale ne fonctionne donc plus. Ne devrions-nous pas revenir à un système plus clair ? Un impôt local doit être local. S'il existe une assiette valeur ajoutée, il faut que cette valeur ajoutée soit locale.

M. Roger KAROUTCHI - Je souhaite savoir si M. Klopfer a réfléchi à la question des transferts d'impôts. Le gouvernement réfléchit par exemple actuellement au transfert d'une part de la taxe intérieure des produits pétroliers (TIPP). Pour la région Ile-de-France, par exemple, le transfert de 10 % de la TIPP signifierait un transfert de 400 millions d'euros par an en moyenne. Or, le cadre de l'autonomie fiscale ne fixe pas les conditions de ce transfert. La région recevrait donc une part de la TIPP sans que nous soyons l'autorité fixant les taux d'imposition. Avez-vous réfléchi à la façon de transférer une partie des ressources de l'Etat vers les régions, avec la possibilité pour les régions de fixer les taux de transfert ? Dans ce cadre-là, comment s'appliqueraient les péréquations entre les régions considérées comme riches et les autres régions ?

M. Michel SERGENT - La fiscalité est une question toujours délicate. Pendant des années, concernant la taxe professionnelle, nous estimions que l'assiette salaire était pénalisante pour la création d'emplois. Or, nous nous apercevons que sa suppression a aussi ses effets pervers.

Je souhaite aborder la question de la taxe professionnelle unique. Il me semble que cette taxe ne pose pas problème pour les communautés d'agglomérations. Au contraire, s'agissant des communautés de communes, la taxe professionnelle est un outil difficile et qui génère des conflits. J'estime d'ailleurs que nous ne sommes qu'au début de ces conflits. J'aimerais connaître le sentiment de M. Klopfer sur ce problème. A partir du moment où une ingénierie fiscale pourra être mise en place, de nombreux conflits d'intérêts apparaîtront car, pour la première fois, les impôts d'une collectivité locale pourront dépendre d'une autre collectivité. Cette question pose d'autant plus problème qu'il n'y a pas forcément de représentation proportionnelle dans les communautés de communes. Une commune importante peut facilement faire en sorte de supprimer un ou deux ans à l'avance les moyens dont disposent les autres communes pour percevoir la taxe professionnelle de la communauté. Je constate de plus en plus ces problèmes dans les communautés de communes, notamment dans les petites communautés.

M. Claude BELOT - Ma première question rejoint quelque peu celle de M. Karoutchi. La TPU est une recette unique pour les communautés d'agglomérations. En revanche, dans les communautés de communes, notamment les communautés rurales, la TPU est extrêmement difficile à mettre en place et engendre de nombreux conflits. Les communes peuvent alors ne pas réussir à se mettre d'accord ou décider sciemment de ne pas mettre en place cette taxe. D'autres problèmes se posent. Les bases de la taxe professionnelle par habitant sont beaucoup plus faibles en zone rurale qu'en zone urbaine. En fait, aucune simplification n'est introduite puisque nous sommes obligés de maintenir des taxes additionnelles parallèlement aux autres taux. Les seules raisons pour lesquelles nous pouvons être conduits à faire le choix de la TPU, qui a par ailleurs des conséquences destructrices, sont à la rigueur le gommage des effets de seuil au niveau de l'intégration fiscale.

Ma deuxième question porte sur la déliaison des taux, qui va être inscrite dans la loi de finances 2003, ce qui me paraît être un point positif. Toutefois, avons-nous quelque idée des modalités d'application de cette déliaison ? Je suppose que la commission des finances du Sénat prendra part à ce débat important.

En troisième lieu, nous vivons dans un système de déresponsabilisation des collectivités territoriales. Les charges des collectivités territoriales ont progressé, alors que les recettes que nous pouvons maîtriser ont fortement diminué. Il y a donc peu de recettes sur lesquelles nous pouvons jouer et un surcroît soudain de charges. Des masses considérables sont en jeu, d'ailleurs souvent sous-estimées. Finalement, nous sommes contraints de recourir aux « quatre vieilles ». Je pense qu'une réflexion sur les collectivités doit être menée, et que le Sénat est peut-être le lieu où ce débat doit se tenir.

M. le Président - Je souhaite pour ma part interroger M. Klopfer quant à la volatilité des assiettes fiscales. Nous vivons à l'heure des délocalisations, et un certain nombre d'acteurs économiques peuvent être naturellement tentés d'aller se faire assujettir là où les taux sont les plus avantageux. C'est un phénomène tout à fait nouveau. Nous devons être conscients de la compétition que se font les territoires entre eux, chaque territoire s'efforçant d'être plus attractif que l'autre sur le plan fiscal.

J'ai noté vos observations sur la taxe professionnelle. La valeur ajoutée dans une entreprise est constituée des salaires et d'une quotité des investissements amortis chaque année. En choisissant de revenir à la valeur ajoutée, nous réintégrons donc la masse salariale. En moyenne, la taxe professionnelle représente à peu près 3 % des salaires versés par les entreprises. Alors que nous voulons développer les politiques favorables à l'emploi et réduire le coût du travail, il faut être conscient que toute taxe professionnelle assise sur la valeur ajoutée est une taxation supplémentaire du travail, et donc un encouragement à la délocalisation de la matière imposable.

J'aimerais connaître votre avis sur ce point particulier, ainsi que sur les différents impôts imaginables. Quels sont ceux qui sont par nature aisément localisables et relativement stables ? La TIPP est parfois évoquée. Mais comment localiser la consommation d'énergie, et donc la taxe ? Les stations-service ont pratiquement disparu de certaines régions de Lorraine car les habitants préfèrent aller faire le plein de leur voiture au Luxembourg. De même, nous avons pu constater le problème qui s'est posé lors de la suppression de la vignette automobile. La Marne s'est opposée fermement à cette décision car elle avait réussi à attirer une part importante des immatriculations de véhicules. Le facteur volatilité de l'assiette fiscale me paraît donc devoir être pris en considération dans tous les projets de réforme à venir.

M. Yves FRÉVILLE - Notre système fiscal local est construit sur la parité entre les impôts frappant les entreprises et les impôts frappant les ménages. Nous nous rendons compte, à travers les propos du président, que les impôts locaux frappant les entreprises sont presque condamnés.

M. le Président - Je le crois en effet.

M. Yves FRÉVILLE - Dans ce cas, quels impôts pouvons-nous imaginer pour taxer les ménages ?

M. le Président - Est-ce que la fiscalité locale doit être un pacte entre les citoyens et la collectivité territoriale ? En d'autres termes, ayons le courage de sortir de cette fiction qui faisait transiter l'impôt par les entreprises, et de faire de chaque citoyen le contribuable participant aux frais de la collectivité territoriale.

M. Roger KAROUTCHI - L'entreprise est également citoyenne.

M. le Président - Vous avez raison, mais elle est également extrêmement mobile et mortelle. Dans certains cas, une entreprise qui ne se délocalise pas se condamne à disparaître du marché.

M. Michel KLOPFER - Je répondrai dans l'ordre aux questions qui m'ont été posées, en commençant par la question du Sénateur Bourdin. Je pense qu'effectivement, nous disposons de deux outils pour réactualiser les valeurs cadastrales : le marché de l'immobilier des mutations et le marché de l'immobilier locatif. Il existe des prix au mètre carré pour les transactions et des prix au mètre carré par mois pour les locations. Je pense que le marché de l'immobilier ne manque pas de professionnels et qu'il est aujourd'hui bien cerné.

Mais à partir du moment où nous effectuerons une réactualisation complète du système, certains contribuables verront leur impôt augmenter de plus de 200 % et d'autres le verront baisser de plus de 70 %. Dans ce cadre, allons-nous simplement appliquer la règle mathématique ou choisissons-nous de ne pas l'appliquer à la lettre, comme cela est le cas dans de nombreux dispositifs de fonds de péréquation ? En tout cas, des réformes s'imposent.

Le Sénateur Fréville m'a interrogé sur la valeur ajoutée locale. La valeur ajoutée locale n'existe pas. En effet, depuis que les barrières d'octroi ont été supprimées en France, les transactions entre des unités industrielles, commerciales ou de service de la même entreprise ne peuvent plus être individualisées. Les seules entreprises qui pourraient être pénalisées par le principe de valeur ajoutée locale sont les petites entreprises qui ne possèdent qu'un seul site, car elles seraient alors obligées de payer leur valeur ajoutée totale sur un seul site.

Un impôt à taux unique supprime l'autonomie fiscale. C'est l'idée de M. Pierre Richard, que je ne partage pas du tout. A partir du moment où il existe un impôt à taux unique, cela revient à une dotation d'Etat, qui est simplement indexée sur un élément extérieur à l'action de l'Etat. Il n'y a donc plus d'autonomie fiscale.

M. Yves FRÉVILLE - Pourtant, c'est actuellement le cas ! Le plafonnement à la valeur ajoutée est un impôt à taux unique. Seulement, les collectivités territoriales estiment que c'est leur taux qui compte.

M. le Président - C'est l'Etat qui paye.

M. Yves FRÉVILLE - En effet, c'est l'Etat qui paye.

M. le Président - L'Etat est le premier contribuable de la taxe professionnelle.

M. Michel KLOPFER - Les hausses de taux décidées sur la taxe professionnelle par les collectivités ne sont plus prises en compte depuis 1995 sur le plafonnement à 3,50 %, 3,80 % ou 4 % de la valeur ajoutée. Les seules hausses de taux qui sont prises en compte sont celles produites par la taxe professionnelle unique lorsqu'il y a convergence.

Si vous ajoutez le taux de la communauté d'agglomérations d'Avignon à celui du département du Vaucluse, qui est relativement important, vous vous rendez compte que toutes les entreprises sont pratiquement plafonnées à la valeur ajoutée. Toutefois, elles dépendent des décisions des collectivités. Si les collectivités augmentent leur taux, l'entreprise paye au-delà du plafond.

M. le Président - M. Karoutchi avait posé une question sur la TIPP.

M. Michel KLOPFER - Je ne suis pas suffisamment expert en matière de réglementation communautaire pour lui répondre avec précision. La TIPP est un impôt sur la consommation d'énergie. Il existe déjà un autre impôt sur la consommation d'énergie, qui est la taxe additionnelle aux consommations EDF. Cette taxe est plafonnée à 8 % : elle est donc assimilable à une dotation de l'État. Mais elle pourrait très bien être déplafonnée. Si demain ce taux est déplafonné, ou si chaque région, en supposant que cela n'enfreigne pas les réglementations communautaires, est autorisée à fixer son taux, il s'agira alors d'un véritable impôt. Nous sommes en effet confrontés à la concurrence des pays limitrophes. Le Nord-Pas-de-Calais est particulièrement menacé par la Belgique car les stations belges affichent des prix nettement plus bas que les stations françaises.

M. le Président - Il est vrai que la taxe sur l'électricité a un produit non négligeable. En outre, elle sert d'assiette à la TVA. Etant donné qu'il s'agit d'un taux plafonné, c'est en fait un taux unique.

M. Michel KLOPFER - Cette taxe étant liée à l'indice des prix, elle engendre nécessairement une contrainte sur Bercy.

M. le Président - Nous sommes moins contraints depuis que le marché de l'électricité est ouvert à la concurrence. Par ailleurs, vous n'avez pas répondu aux observations de M. Sergent et de M. Belot.

M. Michel KLOPFER - Le Sénateur Karoutchi m'avait également interrogé sur la péréquation. Deux formes de péréquation sont possibles. La première passe par les dotations d'Etat (DSU, DSR, FNP). La seconde a été mise en oeuvre plus récemment et passe par des transferts obligatoires entre collectivités, par exemple le Fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF) en région Ile-de-France et le Fonds de compensation des déséquilibres régionaux. Supposons que les collectivités obtiennent une plus grande autonomie fiscale, c'est-à-dire une part plus importante de leurs ressources procurée par des impôts sur lesquels elles peuvent agir. La contrepartie évidente est que l'Etat instaurera des mécanismes de transfert obligatoire, généralisant pour les communautés ce qui existe pour la région Ile-de-France, l'étendant aux départements et l'intensifiant pour les régions. Car il n'y aura plus suffisamment de ressources de dotations pour faire de la péréquation par ce canal : des transferts obligatoires seront indispensables.

Concernant la taxe professionnelle unique, je partage effectivement l'avis qui a été exprimé, mais je n'ai pas de réponse à vos interrogations. La TPU est en effet un très bel outil pour le milieu urbain, mais les ressources sont insuffisantes en milieu rural pour pouvoir réellement bâtir le développement économique sur cette taxe. C'est d'ailleurs ce qui nous a encouragés à introduire cette possibilité de fiscalité mixte. En particulier au Sénat, l'argumentation avait été de souligner que, pour permettre le développement économique, il fallait déjà accepter de recourir à la taxe professionnelle pour dégager des ressources. Bercy avait répondu que les ressources du développement économique pouvaient être prélevées sur les ménages. Mais afin de s'assurer que ces ressources ne retombent pas sur les communes, Bercy avait interdit de mettre en place ou de majorer, si elle existait, une dotation de solidarité. Cela signifie qu'il peut exister une fiscalité mixte, à condition de la faire payer aux contribuables. Je pense que nous sommes en présence aujourd'hui d'un système national qui ne me semble plus réversible, mais qui se prête mal au milieu rural. En effet, les communes rurales ne disposent pas de ressources suffisantes. Si une commune pèse suffisamment lourd dans une communauté en matière de base d'impôt-ménage pour interdire à la communauté d'augmenter ses taux, elle ne sera pas majoritaire au sein de l'assemblée communautaire pour interdire la mise en place d'une fiscalité mixte. Elle risque donc d'être perdante si elle fait preuve de trop d'intransigeance.

M. le Président - Que répondez-vous à la question relative à la volatilité des assiettes fiscales ?

M. Michel KLOPFER - La volatilité concerne les assiettes, les flux et les droits de mutation.

M. le Président - J'ai souvenir par exemple d'une entreprise de travail temporaire qui a décidé de déplacer tous ses bureaux dans une commune dont la taxe professionnelle était pratiquement nulle. Du jour au lendemain, trois mille salariés sont arrivés dans une petite commune. Cette décision a été prise alors que le gouvernement avait décidé de sortir les salaires de la base de la taxe professionnelle. L'exemple de cette entreprise montre qu'il est possible de profiter de certaines opportunités pour échapper à l'impôt.

M. Michel KLOPFER - Je peux vous faire part de mon expérience de terrain dans ce domaine. Il nous a été demandé, dans le cadre de la mise en place d'une taxe professionnelle unique, de mener des entretiens à la chambre de commerce et avec le groupement patronal. De toute façon, les experts du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ne se frotteront jamais ouvertement les mains d'évolutions financières qui leur seraient favorables. Il n'en reste pas moins que les salaires représentaient 34 % de l'assiette de la taxe professionnelle et qu'ils auront totalement disparu de cette assiette l'année prochaine. Même si nous prenons en compte les prélèvements supplémentaires mis en place par l'Etat sous la forme d'une augmentation des cotisations de péréquation, il y a tout de même une baisse de 30 % de la taxe professionnelle. Aujourd'hui, en dehors d'établissements importants, qui ont par définition des bases d'immobilisations très lourdes et qui ne sont donc pas mobiles, je ne pense pas qu'il soit possible d'affirmer que la taxe professionnelle est un argument décisif pour qu'une entreprise s'installe sur un site plutôt que sur un autre. Dans certaines villes du Midi, les taux de taxe professionnelle communaux et intercommunaux s'élèvent à 26 ou 27 %, alors que les zones artisanales, commerciales et industrielles de ces villes sont parmi les plus remplies, parce que les aspects logistiques priment.

L'avantage de l'impôt sur la valeur ajoutée est qu'il est parfaitement contrôlable, puisqu'il sert de base au principal impôt levé par l'Etat, c'est-à-dire la TVA, qui représente 111 milliards d'euros dans le budget de cette année. Il est clair que l'évasion fiscale sera beaucoup moins importante concernant l'impôt sur la valeur ajoutée. Cet impôt aura bien-sûr une incidence sur les salaires, car les salaires seront pris en compte dans l'assiette, de même que les résultats, c'est-à-dire la production moins les charges.

M. le Président - Prenons l'exemple d'un groupe qui opère sur le territoire européen. Il sera tenté de surfacturer ce qu'il produit dans d'autres pays afin de réduire corrélativement la valeur ajoutée de sa production française.

M. Michel KLOPFER - J'estime que les critères sociaux au sens large, et notamment le critère du coût du travail, sont aujourd'hui prépondérants dans la stratégie des entreprises. Ils priment sur des facteurs comme la fiscalité locale. J'en suis absolument convaincu.

M. le Président - Comment allez-vous mesurer la valeur ajoutée des entreprises qui possèdent de multiples établissements et qui déclarent leur valeur ajoutée en un seul endroit ?

M. Michel KLOPFER - Le bilan de l'entreprise fait apparaître la valeur ajoutée, qui est l'assiette globale à partir de laquelle va être calculé l'ensemble de la taxe professionnelle levée sur l'ensemble du territoire. Cette valeur ajoutée serait alors pondérée par les bases « salaires », et éventuellement « immobilisations ». En effet, il ne faut pas pénaliser les sites qui comprennent de très grosses immobilisations industrielles, qui sont parfois sources de nuisances, sans parler des sites SEVESO. La valeur ajoutée nationale serait donc pondérée en fonction de bases locales. Ainsi, les salaires procurent localement des ressources aux collectivités qui lèvent l'impôt, mais ne pénalisent pas l'entreprise. En effet, l'entreprise ne paye globalement qu'une assiette nationale. De toute façon, l'Etat peut collecter l'impôt au niveau national et le reverser localement.

Je n'ai pas réellement d'avis quant à l'ampleur de l'augmentation du taux de TVA. Si une personne m'avait interrogé, indépendamment de la réforme, sur le correctif que je souhaitais voir apporter à la loi actuelle, j'aurais souligné que les possibilités d'augmenter les taux ne sont pas « conservatives ». J'ai rencontré par exemple il y a quelques semaines le président d'une communauté d'agglomérations. Les communes de ce groupement ont augmenté de 3 % en moyenne en 2002 leur fiscalité pesant sur les ménages. J'ai indiqué au président qu'il devait augmenter sa taxe professionnelle de 3 % en 2003 et que, s'il ne le faisait pas, il perdrait ces 3 %. Cette réforme technique, c'est-à-dire rendre les possibilités d'augmentation « conservatives », aurait très bien pu être mise en oeuvre depuis très longtemps. Pour le reste, je suis personnellement partisan, et je crois aussi qu'il serait dans l'intérêt politique des élus de réformer l'assiette et d'y introduire davantage de dynamisme, plutôt que de permettre des augmentations de taux.

M. le Président - Il me reste, Monsieur, à vous remercier au nom de la commission des finances.

Le vice-président, M. Roland du Luart, va maintenant présider la séance de la commission.


Audition de M. Nicolas PAINVIN,
Directeur du département Finances publiques de l'Agence Fitch Ratings

et M. Olivier DUMOULIN,
Analyste de l'Agence Fitch Ratings


(1 er octobre 2002)

M. Roland du LUART, président - Nous avons le plaisir d'accueillir Monsieur Nicolas Painvin, Directeur du département Finances publiques, et Monsieur Olivier Dumoulin, analyste de l'Agence Fitch Ratings .

M. Nicolas PAINVIN, directeur du département Finances publiques de l'Agence Fitch Ratings - Je vous remercie, Monsieur le Président. Si vous le permettez, je commencerai par présenter l'agence Fitch Ratings .

Nous intervenons au titre d'une agence de notation à vocation européenne. Notre métier est d'apprécier la solvabilité des emprunteurs, y compris du secteur public. Nous intervenons dans plusieurs pays d'Europe, dont la France, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne et la Suisse. Nous avons publié au cours de l'été un rapport sur l'autonomie financière des régions dans ces pays, qui visait à apprécier les différences et également à rompre avec certaines idées reçues.

Fitch Ratings est une des trois agences internationales de notation. Cette agence est installée essentiellement en Europe et est détenue par le groupe Fimalac , qui est une société française. Elle compte un peu plus de 1.200 personnes, réparties dans 50 bureaux à travers le monde. Nous intervenons dans la plupart des pays d'Europe.

I. L 'autonomie financière des collectivités territoriales européennes

Le rapport que nous avons rédigé sur l'autonomie financière est le fruit d'un travail d'équipe. Il s'agit d'une synthèse des analyses produites par nos équipes espagnole, italienne, française et allemande. L'autonomie financière des régions est un sujet fréquemment étudié. Il nous a semblé qu'il était souvent accompagné de nombreuses incompréhensions, ou en tout cas d'exagérations, voire d'erreurs. Nous nous sommes donné une définition de l'autonomie financière et avons étudié dans quelle mesure nous pouvions l'appliquer aux régions. Nous avons limité notre analyse à cinq pays : la France, l'Espagne, la Suisse, l'Italie et l'Allemagne.

Nous nous sommes efforcés de donner une définition la plus large et la plus complète possible de l'autonomie financière. La théorie des finances publiques stipule que l'autonomie financière est « la capacité à déterminer les recettes et les dépenses nécessaires à l'exercice des compétences qui sont dévolues à la collectivité ». La difficulté est évidemment de donner une définition au verbe « déterminer ». Nous avons travaillé sur cette définition. A notre sens, il convient de dépasser le clivage traditionnel entre autonomie des recettes et autonomie des dépenses. D'autres critères, tels que la liberté de gestion de ces collectivités, doivent également être pris en compte. Nous avons cherché également à nuancer certaines appréciations fréquemment entendues, notamment l'idée que les régions françaises, considérées souvent comme des « nains budgétaires », seraient par-là même dépourvues d'autonomie financière, ce qui ne serait pas le cas pour les régions des autres pays européens.

Je tiens à préciser que notre document porte sur la situation observée avant l'été 2002. Or, vous savez qu'en France les choses évoluent vite. De même, en Espagne et en Italie, elles ont également évolué au cours des dernières semaines, de même qu'en Allemagne. Notre rapport est donc quelque peu en retard par rapport à la situation actuelle.

Je vais vous présenter une version synthétique de notre travail, qui commence par définir le champ d'application de l'autonomie financière. Je pense qu'il n'est pas nécessaire de revenir ici sur le poids économique des régions. Je vous propose de passer directement à la définition que nous avons choisie pour l'autonomie financière. Cette définition répond à trois familles de critères :

• l'autonomie de gestion ;

• l'autonomie budgétaire ;

• l'autonomie fiscale.

A. L'autonomie de gestion

a. La maîtrise du budget

Le droit d'exécuter un budget en déséquilibre est, d'une certaine façon, un avantage et une marque d'autonomie. C'est évidemment impossible en France, de même qu'en Espagne. En Italie, cette possibilité existait jusqu'à une réforme de l'année 2001. Au contraire, les Allemands et les Suisses ont la possibilité constitutionnelle d'exécuter, et même de voter, des budgets en déséquilibre.

b. La prévisibilité des recettes et des dépenses budgétaires

La prévisibilité des recettes et des dépenses publiques est un critère extrêmement important dans l'autonomie de gestion. La prévisibilité des recettes est généralement liée à la structure de ces recettes, c'est-à-dire aux transferts. Les transferts sont la plupart du temps prévisibles en France et en Espagne car ils font l'objet d'indexations et de contrats. Ils sont moins prévisibles en Italie, car une proportion relativement importante de transferts venant de l'Etat ne font pas l'objet d'indexations ou de contrats.

Il existe globalement une rigidité assez forte des dépenses publiques. Elles sont donc en grande partie prévisibles. Ce sont en effet des services qui font l'objet de votes, par analogie avec le budget de l'Etat. Ces dépenses sont d'autant plus prévisibles que nous avons affaire à des dépenses de caractère régalien. C'est également le cas dans les pays les plus décentralisés, notamment l'Allemagne et la Suisse, où il existe un grand nombre d'institutions dont les dépenses ne peuvent être facilement revues à la baisse. En Allemagne et en Suisse, la proportion de ressources fiscales est très importante. Or, dans la plupart des pays, les ressources fiscales sont liées au cycle économique, puisque assises sur les revenus des particuliers et/ou des entreprises.

c. La liberté de gestion du patrimoine

La liberté de gestion du patrimoine est extrêmement variable en général. Elle apparaît toutefois nettement plus grande chez nos voisins, notamment en Italie. Dans ce pays, nous assistons actuellement à l'émergence d'un foisonnement d'idées visant à créer davantage de marges de manoeuvre dans la gestion du patrimoine des collectivités. Ces propositions portent notamment sur la titrisation des actifs, que ces actifs soient des actifs immobiliers ou des créances que des collectivités peuvent détenir sur des tiers. La France évolue encore dans un contexte extrêmement réglementé, où la liberté se limite à la liberté de gestion du passif, qui fait pendant à une forte contrainte sur la trésorerie, avec obligation de dépôt au trésor. La France se distingue donc dans ce domaine par une faible autonomie.

d. La libre tarification et l'externalisation des services public

La liberté de tarification des services publics et la marge de manoeuvre des régions en matière d'externalisation de fonctions administratives sont également à prendre en compte.

Les régions françaises disposent d'une marge de manoeuvre réduite dans ce domaine, notamment en comparaison des régions suisses et allemandes. Ces dernières décident en effet de l'organisation des services publics qu'elles fournissent. Toutefois, en raison de la nature même de ces services ( Länder : police, éducation, justice ; cantons suisses : police, éducation, sécurité sociale et santé), leur marge de manoeuvre pour en déléguer l'exercice est réduite. Les régions françaises recourent peu à la délégation, si ce n'est en matière de formation professionnelle avec les associations.

e. L'autonomie en matière d'action économique des régions

Les Länder allemands et les cantons suisses ont toute liberté en matière d'action économique et peuvent utiliser des leviers directs, par exemple en participant au capital de sociétés privées, y compris de manière majoritaire. Le Land de Basse-Saxe, c'est-à-dire l'ancien Land du Chancelier Schröder, détient par exemple plus de 25 % du capital de Volkswagen , de même que plus de 25 % du capital d'un combinat industriel très important : Salzgitter .

Nous pouvons nous demander pourquoi les régions françaises, qui ont la compétence du développement économique, ne peuvent exercer ce type d'actions. Leur action se limite en effet à la participation au capital de sociétés d'économie mixte (SEM), qui restent, du point de vue macroéconomique, des acteurs assez modestes.

Les collectivités allemandes et suisses peuvent également faire appel à des leviers indirects. Je pense notamment à des véhicules financiers de type Landesbank ou banque cantonale. Or, le monde des collectivités françaises est complètement coupé de la sphère financière, si ce n'est dans des relations traditionnelles de banquier à emprunteur, ce qui n'est pas le cas des collectivités territoriales des autres pays européens. Ainsi, les Landesbank sont détenues en grande partie par les Länder (souvent de manière indirecte), de la même façon que les banques cantonales. Leurs statuts sont souvent régis par des dispositions à caractère local. Il existe donc des différences importantes entre nos régions et celles de nos partenaires.

Les régions françaises disposent donc d'une autonomie de gestion réduite par rapport aux autres pays européens, tandis que la liberté de gestion des cantons suisses est la plus élevée de tous les pays que nous avons étudiés. Ceci recoupe la hiérarchie institutionnelle : l'Etat français est plutôt centralisé, tandis que la Suisse possède un Etat fédéral. Entre ces deux situations extrêmes, nous trouvons l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne.

M. Yves FRÉVILLE - Qui est responsable de la levée des impôts dans les autres pays que vous avez étudiés ? En France, l'Etat joue le rôle de fermier général. Est-ce que les régions allemandes et suisses lèvent elles-mêmes leurs impôts, à leurs risques et périls ?

M. Nicolas PAINVIN - Je vous propose d'aborder cette question dans la partie autonomie fiscale, c'est-à-dire le troisième volet de notre exposé. C'est effectivement un point très important, que nous commenterons.

B - L'autonomie budgétaire

a. L'autonomie des dépenses

La flexibilité en matière de budget est essentielle, puisqu'elle permet de réagir à des chocs externes et donc de s'y adapter. Cette flexibilité s'apprécie en comparant les ressources qui restent à la libre discrétion de l'entité aux ressources affectées de droit à un certain type de dépenses.

Dans ce domaine, les régions françaises sont beaucoup mieux placées que leurs homologues. En effet, elles peuvent affecter de façon autonome une grande proportion de leurs ressources, compte tenu de la place importante de l'investissement dans leur budget. Même si elles sont contraintes tous les ans d'entretenir leur patrimoine, par exemple l'immobilier des lycées - qui répond à des normes nationales - , l'affectation de leurs ressources peut toutefois fortement varier d'une année sur l'autre.

Inversement, les Italiens devaient, jusqu'à une période très récente, consacrer 90 % de l'impôt principal, c'est-à-dire l'impôt sur l'activité productive, et 100 % de leur quote-part d'impôt sur le revenu à la santé. La partie laissée à la discrétion de l'exécutif local était donc très faible.

J'estime que la rigidité de certaines dépenses est extrêmement lourde de conséquences. Je pense notamment au poids des dépenses de personnel. Ainsi, même si toutes les régions n'ont pas de statut de la fonction publique, il leur est toutefois très difficile de comprimer les charges de personnel. La rigidité des dépenses est par exemple très forte en Allemagne, où près des deux tiers du personnel sont constitués de fonctionnaires dans certains Länder. Ce n'est pas le cas en France où l'appareil administratif régional reste léger.

La rigidité des dépenses peut également être liée à leur nature. Je pense notamment aux dépenses de protection sociale et de santé, qui sont des questions extrêmement sensibles d'un point de vue politique, et qui sont souvent sujettes à inflation. Les cantons suisses supportent ainsi de lourdes charges en matière de dépenses de santé et de protection sociale. C'est également le cas des départements français, mais beaucoup moins des régions. Même les contrats de plan, outils de programmation pluriannuelle, laissent une certaine marge de manoeuvre dans leur mise en oeuvre.

L'autonomie de gestion des régions françaises est à cet égard plus forte que celle de collectivités territoriales qui doivent verser des prestations sociales ou gérer les dépenses de fonctionnement des hôpitaux, ce qui est le cas en Italie, en Espagne et en Suisse.

b. Les transferts de l'Etat

L'autonomie budgétaire est étroitement liée aux transferts reçus de l'Etat. Deux lectures sont possibles dans ce domaine.

La première est une lecture un peu négative sur la trop grande importance des transferts. De ce point de vue, plus il y a de transferts et moins il y a de liberté pour la collectivité. C'est notamment la perception que nous pouvons avoir de la situation des régions françaises ces dernières années, qui ont subi une réduction des recettes fiscales, qui ont été remplacées par des dotations indexées, avec une perte de l'effet de levier sur cette base.

La seconde lecture consiste à souligner que les transferts favorisent la prévisibilité des ressources et réduisent éventuellement les inégalités entre collectivités, notamment à travers des systèmes de péréquation. La prévisibilité en matière de programmation budgétaire est importante et il est utile pour les collectivités de pouvoir compter sur ses ressources. Ainsi, nous avons pu constater en Allemagne au cours de l'année 2001 que les Länder allemands étaient responsables, d'un point de vue arithmétique, du dérapage budgétaire allemand. Ce problème est dû au fait que les Länder ne peuvent pas vraiment compter sur des dotations garanties par l'Etat. Au contraire, dans le cas français, les principales dotations de l'Etat, au premier rang desquelles la dotation globale de fonctionnement (DGF), sont indexées, ce qui offre une certaine sécurité.

c. L'emprunt

L'emprunt sert souvent de variable d'ajustement. Le libre choix du montant et des formes de la dette est un atout. C'est le cas en France. L'Etat exerce un contrôle ex-post , mais ce contrôle est relativement souple. Ce n'est pas le cas en Espagne, où les communautés autonomes ont l'obligation de soumettre à l'approbation du gouvernement central leurs décisions d'emprunt. Ces entités, qui ont un poids budgétaire très important, doivent donc demander l'autorisation pour pouvoir emprunter.

De la même façon, l'affectation des ressources de l'emprunt est également soumise à autorisation en Espagne. En France, les ressources de l'emprunt sont obligatoirement affectées à l'investissement. C'est également le cas aussi en Italie dans le nouveau cadre réglementaire. En Allemagne et en Suisse, la possibilité existe de financer les déficits courants par l'emprunt. Cette méthode est critiquable, mais c'est l'apanage de la souveraineté, puisque l'État procède ainsi. Il existe donc des différences assez fortes entre d'une part, la France, l'Espagne et l'Italie, et d'autre part, l'Allemagne et la Suisse.

En conclusion, concernant l'autonomie budgétaire, les communautés espagnoles et les régions françaises sont les entités les moins autonomes. Les régions italiennes sont un peu plus autonomes. Enfin, les Länder allemands et les cantons suisses sont nettement plus autonomes. Les cantons suisses, en tant que partie prenante à la souveraineté nationale, jouissent d'une liberté nettement supérieure.

C. L'autonomie fiscale

Nous estimons que l'importance de l'autonomie fiscale est souvent surestimée et qu'il s'agit également de la question la plus sujette à polémique. Il est indispensable tout d'abord de faire la différence entre l'autonomie fiscale réelle et l'autonomie théorique. L'autonomie fiscale théorique résulte de ce que la loi permet. L'autonomie fiscale réelle correspond à ce que la communauté est en mesure de percevoir économiquement et politiquement.

a. Les marges de manoeuvre fiscale

Les marges de manoeuvre fiscales sont de cinq natures :

La possibilité de créer de nouvelles taxes

Cette faculté n'existe pour l'instant pas en France, mais elle existe en Suisse, également en Italie et désormais en Espagne. Dans ce pays, certaines collectivités l'ont déjà mise en application, avec des taxes aussi diverses qu'une taxe sur les grandes surfaces en Catalogne, une taxe sur les dépôts bancaires en Extremadure et une taxe de séjour aux Baléares.

La liberté de fixer les taux et de jouer sur la base à travers les abattements et les dégrèvements

La France est en avance dans ce domaine, notamment sur l'Allemagne. Les Allemands n'ont quasiment aucune flexibilité sur les taux, et très peu sur la base. De la même façon, les Italiens ont acquis récemment cette possibilité grâce à une réforme constitutionnelle, mais n'ont pas encore la possibilité de l'appliquer totalement.

La richesse et le dynamisme des bases fiscales

C'est dans ce domaine que la différence entre autonomie fiscale réelle et autonomie fiscale théorique se manifeste. A titre d'exemple, les taux d'imposition de la région Ile-de-France sont extrêmement bas et son potentiel fiscal est élevé. La région Nord-Pas-de-Calais se trouve dans une situation à peu près inverse. Ainsi, dans un cadre réglementaire identique, ou quasiment, la capacité à augmenter le produit fiscal n'est absolument pas comparable entre deux régions. Dans un cas, il est possible de quasiment tripler le produit fiscal direct, alors que dans l'autre cas il n'est envisageable de l'augmenter que de 50 %.

Les recettes fiscales en valeur absolue

L'importance du budget d'une région dépend de son champ d'action, de son environnement économique et de la proportion des recettes fiscales par rapport au total des recettes. Cette proportion détermine en partie l'effet de levier.

La péréquation

Les mécanismes de péréquation viennent contrebalancer les quatre autres éléments que je viens de vous présenter. En effet, une collectivité peut être en mesure de lever de nombreuses ressources fiscales supplémentaires, mais certains mécanismes « péréquateurs » peuvent avoir pour effet de transférer ce produit supplémentaire à d'autres acteurs. Les Länder allemands perdent ainsi la quasi-totalité du surcroît d'autonomie qui leur est accordé. Nous pourrions imaginer à première vue qu'un Land extrêmement dynamique en termes de politique industrielle, la Bavière par exemple, pourrait tirer profit de ce dynamisme en termes d'autonomie fiscale. En fait, ce n'est pas le cas puisque la quasi-totalité du produit retiré de ces ressources et qui se situe au-dessus de la moyenne nationale est redistribuée.

II. Situations comparées des régions françaises, italiennes, espagnoles, allemandes et suisses en matière d'autonomie financière

Je vous propose de parler brièvement des cinq pays et puis ensuite de revenir éventuellement plus en détail sur chacun.

La France

Je ne m'étendrai pas sur les régions françaises, puisque c'est une question que vous connaissez peut-être même mieux que nous. En France, l'autonomie est essentiellement liée à la faculté de voter les taux. Elle est imputable également à une faible proportion des dépenses qui sont affectées à des compétences particulières.

L'Espagne

L'Espagne est qualifiée de « pays régionalisé et en voie de fédéralisation ». L'Espagne a connu avec le processus de démocratisation de l'année 1978 et de régionalisation enclenché en 1980, une évolution extrêmement bien menée en termes d'autonomisation fiscale, marquée par une négociation efficace entre l'Etat central d'une part et chacune des communautés d'autre part.

Des accords ont été trouvés avec chacune des communautés. Ces accords sont souvent très différents d'une communauté à l'autre car ils respectent les différences historiques. Je pense qu'il serait souhaitable que nous nous inspirions de cet exemple en France. Ce n'est pas la loi qui fixe le cadre budgétaire des communautés. Ce cadre est régi au niveau constitutionnel, notamment à travers une loi organique, et mis en oeuvre par le biais de contrats entre les communautés et l'Etat central.

Cette contractualisation a des avantages assez nets. Elle a notamment permis l'émergence du plan d'accès à l'autonomie. La décentralisation a été négociée sur une période pluriannuelle, cinq ans jusqu'à une période récente. Aujourd'hui, cette durée n'est plus fixée. La décentralisation repose sur des engagements réciproques en matière de transferts de compétence de la part des communautés et de l'Etat. Les ressources ont été transférées de manière claire et ont été indexées la plupart du temps. Elles ont fait l'objet de garanties de la part de l'Etat.

Cette contractualisation a eu pour effet de maintenir les communautés dans une relative dépendance. En fait, les régions les plus vulnérables ou qui se sentaient telles, notamment l'Andalousie et plus généralement toute la partie sud de la péninsule, ont refusé de se voir attribuer certaines compétences, notamment celles qui étaient les plus coûteuses, comme la santé et l'éducation. Elles ont indiqué qu'elles ne souhaitaient pas bénéficier de plus d'autonomie financière, mais continuer tout de même à recevoir des dotations indexées de l'Etat. Dans ce cas, nous nous trouvons dans une situation quelque peu paradoxale, où une autonomie proposée est refusée.

Finalement, même les régions espagnoles riches n'ont également bénéficié que d'une flexibilité limitée sur leurs recettes. C'est un peu le paradoxe de cette réforme, qui me semble malgré tout assez remarquable.

L'Italie

Le processus italien a été beaucoup plus rapide puisqu'il n'a vraiment commencé que dans les années 1994, 1995 et 1996 et a fait l'objet d'accélérations brutales, ainsi que d'arrêts tout aussi brutaux. L'Italie a donc connu un véritable phénomène de stop and go vers le fédéralisme.

Si nous essayons de porter un jugement à ce stade sur le processus italien, nous pouvons dire que la décentralisation a été rapide et peu programmée. L'Italie est ainsi passée en peu de temps du tout transfert au tout fiscal. 85 % des recettes des régions étaient issues de dotations et 15 % de nature fiscale, alors que c'est la situation inverse qui prévaut aujourd'hui. En 5 à 6 ans, on a donc inversé la répartition des recettes régionales, sachant qu'il s'agit d'une fiscalité sur laquelle les régions n'ont pas toute autonomie.

L'Etat transfère certaines compétences, puis ajuste les recettes a posteriori . Ainsi, en 1997, les régions se sont vu transférer la compétence en matière de dépenses de santé. Les ressources attribuées aux régions ne suffisaient pas, d'où l'apparition de déséquilibres budgétaires très importants. Ainsi, la dette du Latium a explosé. L'Etat a corrigé a posteriori cette erreur en augmentant les dotations. Toutefois, ce processus n'a pas de caractère contractuel. Ce sont des décisions législatives, souvent unilatérales et prises au gré des changements de majorité, avec toutes les remises en question que cela implique.

De manière plus générale, il règne en Italie un climat d'incertitude en matière de droit. « L'incertitude du droit » est d'ailleurs un terme qu'utilisent volontiers les juristes italiens. Il rend l'interprétation de toutes ces dispositions fiscales extrêmement difficile, y compris par les acteurs, notamment l'exécutif régional.

L'Allemagne

Les recettes des seize Länder sont largement fiscales. L'année dernière, un peu plus des deux tiers des recettes étaient d'origine fiscale. Les impôts sont essentiellement communs, c'est-à-dire partagés avec l'Etat fédéral, mais il y a aussi quelques impôts propres.

Le partage des impôts entre les différents niveaux est déterminé par des lois fédérales, de même que les taux. Il convient évidemment de nuancer cette situation, car la constitution allemande prévoit une implication extrêmement forte des Länder dans l'élaboration de la loi fédérale, à travers le Bundesrat , c'est-à-dire la chambre haute du Parlement au sein de laquelle tous les Länder sont représentés. Les deux tiers des lois requièrent l'approbation des Etats fédérés, notamment toutes les lois qui ont trait à l'organisation et au financement des Etats. Nous pouvons indiquer, de façon plus générale, que les Länder ne disposent d'aucune souveraineté individuelle, mais que leur souveraineté collective est extrêmement forte. Cette situation résulte du fédéralisme financier allemand, dont un des piliers repose sur le principe de solidarité.

La Suisse

Il est possible de dire que les cantons suisses sont presque des Etats souverains. Ce constat est quelque peu tautologique, puisque la Suisse est une confédération. Les recettes fiscales tiennent une part importante dans les budgets cantonaux, mais, à la différence des Allemands, il s'agit de recettes fiscales sur lesquelles les cantons ont des prérogatives directes et individuelles. Les cantons ont la priorité lorsqu'il s'agit de fixer les taux des impôts partagés. Au contraire, l'Allemagne donne la priorité au niveau fédéral. En outre, les ressources fiscales sont librement distribuées entre les communes à l'intérieur du canton et les cantons ont la maîtrise du recouvrement de l'impôt.

III. Synthèse

Je peux maintenant répondre à votre question, Monsieur le Sénateur : les Suisses ont la capacité de collecter directement l'impôt en s'appuyant sur une administration propre au canton. La même situation est constatée en Allemagne.

C'est également le cas en théorie en Italie, c'est-à-dire que les régions italiennes ont acquis la possibilité de collecter l'impôt, mais elles n'en ont pas à ce jour la capacité technique. En effet, les régions italiennes ont toujours recours à l'administration fiscale nationale, notamment parce que les cadastres et l'ensemble des rôles ne leur ont pas encore été transférés.

En France, l'Etat est fermier général. Même si la communication entre les collectivités et l'Etat s'améliore au fil du temps, il existe encore une vraie séparation entre les deux.

En Suisse, les prérogatives des cantons ne sont limitées que par la constitution et ces limites sont extrêmement faibles. Elles portent par exemple sur l'interdiction de barrières douanières entre cantons et sur l'interdiction de la double imposition et des exonérations abusives.

Les régions espagnoles ont la capacité théorique de moduler l'impôt. Toutefois, la constitution impose que la pression fiscale soit homogène au niveau de l'ensemble du territoire.

Les Länder allemands n'ont presque pas d'autonomie fiscale. Les régions françaises disposent d'une autonomie un peu plus élevée que la moyenne des autres pays. Les régions italiennes et espagnoles sont désormais dotées d'une forte autonomie, même si, dans les faits, elle n'est pas encore tout à fait mise en oeuvre. Les réformes qui ont eu lieu en Espagne et en Italie au cours de l'année 2001 donnent en effet des pouvoirs accrus aux régions. Nous constaterons dans les années à venir comment cela prendra corps. Les cantons suisses bénéficient quant à eux d'une flexibilité maximale.

Si vous me permettez une remarque finale, le gouvernement de Silvio Berlusconi a récemment fait part de son inquiétude sur le respect d'un engagement électoral qui portait sur la baisse de la pression fiscale. En 2002, les régions ont eu la possibilité d'augmenter à volonté le taux de l'impôt sur le revenu. Cependant, parallèlement, le gouvernement insiste pour que la pression fiscale consolidée soit maintenue, voire diminuée. Il est donc probable que l'Etat va être contraint de légiférer pour « geler » l'autonomie fiscale récemment concédée.

Nous sommes à votre disposition si vous souhaitez nous interroger sur un système en particulier.

M. le Président - Je vous remercie pour votre présentation extrêmement intéressante sur les situations des différents pays.

M. Eric DOLIGÉ - J'aimerais savoir comment vous avez choisi la taille des collectivités territoriales que vous avez analysées. Vous avez indiqué que les régions françaises pouvaient être considérées comme des « nains » par rapport aux autres régions. Vous avez donc comparé des collectivités qui n'étaient pas forcément comparables, compte tenu des différences de taille. Ainsi, si des dérapages fiscaux surviennent dans les régions françaises, ils ne poseront pas un problème majeur au niveau national, compte tenu de leurs compétences actuelles, relativement restreintes, et du faible poids de la fiscalité locale au sein de la fiscalité nationale.

J'ai donc le sentiment que vous avez comparé des choses qui n'étaient pas comparables et que l'échantillon que vous avez choisi n'était pas suffisant pour traduire l'évolution du poids de la fiscalité locale française. Avez-vous simplement comparé ces pays parce que tous utilisent le terme « régions » pour désigner leur découpage géographique, ou estimez-vous que le choix que vous avez fait était le plus pertinent ?

M. Nicolas PAINVIN - Votre analyse est juste : l'échantillon n'est pas homogène. Nous avons observé que, de toute façon, les journalistes et les commentateurs effectuaient des comparaisons. Nous avons voulu faire de même, en nous basant sur une méthodologie bien définie.

Effectivement, notre conclusion est que les régions françaises ne sont pas comparables à celles des autres pays étudiés. Les Länder et les cantons suisses représentent plus de 7 % du PIB, contre 0,6 % pour les régions françaises. Toutefois, au sein de la pyramide administrative de chacun des pays, les régions, cantons et Länder se situent à des échelons tout à fait comparables. Les limites de l'exercice sont que ces entités ne sont pas comparables en tous points.

Nous avons choisi d'aller au bout de l'exercice afin de déterminer jusqu'à quel niveau ces différences se manifestaient. De toute façon, il n'est pas possible de comparer un pays à l'autre à tous les niveaux. L'échelon communal est peut-être davantage homogène, mais il porte sur une population si importante qu'il est ensuite difficile d'entrer dans le détail. Au niveau régional, nous avons pu obtenir tous les comptes des différentes collectivités et nous avons pu déterminer si de fortes disparités se manifestaient entre elles. En outre, en cas de besoin, nous pouvions nous déplacer et aller interviewer les parties prenantes, ce qui n'aurait pas été possible dans le cas des communes.

M. François MARC - J'ai été un peu étonné des chiffres que vous avez avancés concernant l'Italie. Vous avez indiqué qu'aujourd'hui, 85 % des recettes des régions italiennes sont fiscales. Je pensais pour ma part que ce taux s'élevait plutôt à 50 ou 60 %. Je souhaite donc avoir des précisions à cet égard. De même, j'aimerais savoir si ce sont les collectivités italiennes qui fixent les recettes et déterminent les taux. En effet, ce sont ces possibilités qui fondent l'autonomie.

Par ailleurs, je souhaite vous interroger sur les comparaisons entre pays européens. Chaque pays possède sa culture, ses traditions et son histoire. Les questions fiscales sont toujours complexes. Vous auriez peut-être pu insister davantage sur la hiérarchisation des critères que vous nous avez présentés. Vous nous avez en effet présenté une grille de lecture très vaste. Or, nous avons le sentiment à l'issue de votre exposé que, si nous choisissons tel critère, nous porterons tel jugement, et que si nous choisissons un autre critère, le jugement sera différent.

Personnellement, j'estime que l'autonomie d'une collectivité correspond surtout à sa capacité à répondre aux besoins de la population et à organiser ses dépenses dans ce dessein. Or, vous n'avez pas indiqué dans votre intervention quels étaient les critères que vous jugiez les plus importants en termes d'autonomie.

M. François TRUCY - Premièrement, et sauf erreur de ma part, vous avez évoqué les dispositions constitutionnelles espagnoles en affirmant qu'elles encadraient la fiscalité des régions à un point tel que cette fiscalité devait être identique pour toutes.

Deuxièmement, je note avec beaucoup d'intérêt le deuxième paragraphe de votre conclusion, qui est très impressionnant. J'espère que nous nous en inspirerons pour traiter de la décentralisation en France.

M. Philippe ADNOT - Je partage l'analyse de M. Doligé. Analyser la fiscalité locale en se basant sur les régions n'a pas beaucoup de sens. En effet, l'importance des budgets et des responsabilités est telle que vous ne pouvez tirer des conclusions réellement valables. J'estime qu'il aurait été intéressant de faire l'analyse en se fondant sur la consolidation des grandes agglomérations, des départements et des régions pour avoir une lecture valable.

Par ailleurs, je souhaite revenir sur ce qui vient de se passer en Allemagne, avec la fragilité de la spécialisation de l'impôt, et la mise en difficulté financière de villes dont une grande partie des ressources était assise sur la taxe professionnelle. Les Français déclarent de temps en temps qu'une spécialisation de l'impôt serait souhaitable. Les problèmes allemands soulignent la fragilité de l'impôt spécialisé, notamment sa vulnérabilité aux retournements de conjoncture. Ils démontrent également que lorsqu'une population ne se sent pas concernée par un impôt, elle n'est nullement responsabilisée. Ces incidents devraient inciter les partisans à la spécialisation de l'impôt à reconsidérer la question.

Vous auriez pu souligner également l'importance pour l'Italie des méthodes de financement extérieur, notamment la titrisation.

M. Maurice BLIN - En premier lieu, vous semblez porter un jugement plutôt favorable sur la manière dont l'Etat central espagnol a négocié une sorte d'autonomie régionale. Cette façon de procéder pourrait-elle servir de fil directeur aux réformateurs que nous sommes ?

En deuxième lieu, le résultat a-t-il été différent d'une région à l'autre ?

En troisième lieu, ce système a-t-il entraîné des inégalités fortes ? Nous l'avons constaté pour l'Andalousie. En fait, l'Espagne a toujours été formée d'une pluralité d'Espagne. Dans ce cadre, comment reconnaître la singularité de chaque région et en même temps éviter une distension par rapport au corps central ?

Vous indiquez dans votre second paragraphe que les Länder allemands jouissent de ressources et de compétences larges, mais d'une liberté fiscale nulle. Pourtant, ils se procurent ces ressources par les impôts qu'ils lèvent. Pourquoi dans ce cas s'agit-il de « liberté fiscale nulle » ? Il y a là une sorte de contradiction entre les deux. En effet, comment peuvent s'articuler, dans un pays fédéral, les contrôles exercés par l'État central sur les dépenses des régions et l'autonomie fiscale et financière dont ces dernières jouissent ?

M. Yves FRÉVILLE - Quels sont les types d'impôts affectés aux régions en dehors des impôts partagés ? La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est nationale, l'impôt sur les sociétés l'est également. Tous les impôts sur la propriété sont nécessairement à l'échelon de l'agglomération, etc. Que reste-t-il donc, en dehors de l'impôt sur le revenu et les droits d'accise ? Cette gamme peut-elle être élargie ou en est-on réduit à mettre en place des droits d'accise régionaux et des impôts sur le revenu régionaux ?

M. le Président - Je souhaite que M. Painvin réponde globalement aux questions qui lui ont été posées, qui sont fort nombreuses.

M. Nicolas PAINVIN - Je répondrai à ces questions dans l'ordre où elles m'ont été posées.

Concernant la question de M. Marc sur l'Italie, je pense que nos divergences de chiffres viennent simplement de façons différentes de comptabiliser certains impôts. Votre source, qui envisage 50 à 60 % de ressources fiscales, range sans doute dans les transferts la partie de la fiscalité sans autonomie. C'est un parti pris qui se défend tout à fait, c'est d'ailleurs ce que nous avons fait nous-mêmes dans certains cas. En effet, nous ne sommes pas face à un levier fiscal, mais bien face à un transfert, ou plus précisément un impôt transféré.

Il peut en effet être quelque peu frustrant de parcourir cette étude. Elle n'avait pas pour ambition d'aller jusqu'à une conclusion universelle, dans la mesure où cet objectif aurait été difficilement atteignable. Lorsque nous entrons dans le domaine de la théorie fiscale, nous portons un jugement sur le couple autonomie/péréquation, sur lequel nous pouvons prendre position au cas par cas, mais sur lequel il est difficile de généraliser les conclusions. Une généralisation serait dangereuse et supposerait une méthodologie très raffinée, qui nécessiterait des moyens très importants.

Concernant la fiscalité espagnole, un article de la constitution spécifie que la pression fiscale doit être « relativement homogène » sur le territoire. Nous oublions souvent que l'Espagne a une constitution qui est relativement contraignante en matière de solidarité, même si cette solidarité n'est pas de même nature qu'en Allemagne.

Par ailleurs, une consolidation de tous les échelons, notamment avec les entités urbaines, aurait en effet été souhaitable. Je ne peux qu'abonder dans votre sens sur ce point. Malheureusement, c'est là aussi un point extrêmement difficile, ne serait-ce que pour des raisons statistiques.

Je pense que M. Dominique Hoorens a une vision plus générale des pays car il a choisi un échantillon plus large et une source statistique un peu différente. Etant donné que nous avons travaillé avec nos propres sources, c'est-à-dire les comptes que nous avons collectés, nous n'avons pas pu travailler sur un échantillon aussi large.

Concernant la spécialisation de l'impôt et ses dangers potentiels, on entre une fois de plus dans le domaine de la théorie fiscale. Nous n'avons pas vraiment de point de vue. Olivier, peut-être souhaites-tu traiter de la Gewerbesteuer , c'est-à-dire la fameuse taxe professionnelle allemande ?

M. Olivier DUMOULIN, analyste de l'Agence Fitch Ratings - Plus qu'à un risque inhérent au principe de spécialisation fiscale, la situation difficile des communes allemandes à l'heure actuelle tient plutôt à la base de cet impôt, qui est assis sur les bénéfices d'exploitation des entreprises. Il est de ce fait extrêmement sensible à la conjoncture économique. En conséquence, fonder les rentrées fiscales des collectivités sur des impôts très volatils et très liés à la conjoncture économique présente un risque certain pour les collectivités. La situation doit être nuancée selon les régions : ainsi en Allemagne de l'Est, on estime que les communes tirent environ la moitié de leurs ressources de transferts du Land et sont de ce fait moins sensibles aux retournements de conjoncture.

M. Nicolas PAINVIN - En matière de théorie fiscale, j'apprécie pour ma part beaucoup le système suisse, pour sa simplicité. Quatre types d'impôts essentiels existent en Suisse. Parmi ces impôts, deux portent sur les personnes physiques et deux portent sur les personnes morales. Deux portent sur des flux (impôt sur le revenu et impôt sur les bénéfices) et deux portent sur les stocks (impôt sur le patrimoine et impôt sur les actifs). Il s'agit un peu d'un modèle idéal.

Que reste-t-il pour les collectivités, si nous ne somme pas dans le cas de l'impôt partagé ? Les Allemands appellent les petits impôts des Länder les « Bagatellesteuer », c'est-à-dire les « impôts qui ne valent rien ». Ce sont des impôts sur les chiens, sur la bière ou sur les droits de trottoirs. Les ressources qui en sont tirées sont assez faibles.

La solution n'est-elle pas dans un partage intelligent des impôts ? Je pense là encore aux Suisses. En effet, même si la constitution suisse est spécifique, les impôts sont partagés et la priorité est donnée au niveau cantonal dans la distribution. Nous pouvons donc imaginer un partage intelligent des impôts. Les Länder , à travers le Bundesrat , consentent à l'impôt. Les Länder affirment que la réforme fiscale de l'année 2000, c'est-à-dire la réforme Schröder, leur a été imposée. En fait, ils l'ont acceptée, et elle était même voulue par certains.

Olivier, souhaites-tu intervenir sur cette liberté fiscale allemande dont vous semblez vous étonner ?

M. Olivier DUMOULIN - Effectivement, le deuxième paragraphe de la conclusion peut paraître un peu paradoxal. Nous évoquons à la fois des ressources larges et une autonomie nulle car nous sommes persuadés qu'il s'agit de la situation actuelle en Allemagne. Les Länder tirent en moyenne 70 % de leurs revenus des ressources fiscales, mais il s'agit pour l'essentiel d'impôts d'Etat qui sont partagés entre le niveau fédéral et les Länder . L'impôt sur les sociétés est par exemple partagé à 50/50 entre le niveau fédéral et les Länder . Concernant les impôts qui sont partagés entre le Bund et les Länder , ces derniers ne disposent d'aucune marge de manoeuvre sur les taux et sur les modalités de partage entre les différents échelons. A chaque fois, ces caractéristiques sont fixées par la loi fédérale. Comme Nicolas Painvin l'a indiqué précédemment, les seules modalités d'intervention des Länder passent par le Bundesrat , à travers le processus législatif.

M. Nicolas PAINVIN - Nous pouvons ajouter à cette situation un effet de péréquation extrêmement fort. En effet, le cadre réglementaire en vigueur jusqu'au premier janvier 2005 prévoit que la capacité financière de chaque Land ne doit pas être inférieure à 99,5 % de la capacité moyenne.

Avant la mise en place de tous ces mécanismes, le Land de Hambourg était le plus avantagé puisqu'il se situait quasiment à 200 % de la moyenne. Aujourd'hui, il se retrouve à 106 ou 110 % de la moyenne après péréquation. Il s'agit donc d'une situation extrême. Les Länder riches du sud de l'Allemagne ont contesté ce système, non pas tant dans son essence que dans ses modalités de règlement. D'ailleurs, le système a été amendé. Il sera modifié à partir de l'année 2005. Toutefois, l'objectif sera toujours d'arriver à 99,5 %, comme auparavant, même si la loi le dit différemment.

En France, l'Etat a eu traditionnellement cette vocation à égaliser les ressources fiscales des régions, au moyen d'une action directe, et non pas par des fonds de péréquation. Je crois que les fonds de péréquation en France représentent 1 % du budget des régions, ce qui est minime.

M. Adrien GOUTEYRON - Pouvez-vous nous indiquer, Monsieur, si le Bundesrat a un pouvoir et une compétence équivalents au Bundestag en matière de fiscalité ?

M. Olivier DUMOULIN - En matière fiscale, c'est le Bundestag qui a le dernier mot.

M. le Président - C'est le cas également en France.

M. Olivier DUMOULIN - Exactement.

M. le Président - Je crois que vous avez répondu à toutes nos questions. Nous vous remercions pour cette intervention, qui était très intéressante.


Audition de M. Dominique HOORENS,
Directeur des études de Dexia Crédit Local


(1 er octobre 2002)

M. Roland du LUART, président - Nous poursuivons nos auditions avec celle de M. Dominique Hoorens, directeur des études de Dexia Crédit Local . Monsieur le directeur, vous avez la parole.

M. Dominique HOORENS, directeur des études de Dexia Crédit Local - Je vous remercie, Monsieur le Président.

J'ai lu attentivement la liste des questions que vous m'avez posées. J'avoue que je n'ai pas forcément des réponses à toutes ces questions, mais je peux vous faire part de mes convictions et idées personnelles, qui n'engagent en rien mon établissement.

J'ai structuré mes réponses autour de quatre thèmes :

• les ressources fiscales et la gestion locale ;

• les éclairages européens ;

• l'autonomie et la lisibilité de notre système fiscal ;

• quelles idées pour une réforme fiscale ?

I. Les ressources fiscales et la gestion locale

Je ne suis pas un élu local, donc je ne pourrai pas évoquer ce qui se passe concrètement sur le terrain et les arbitrages qui sont réalisés par les élus locaux. J'ai plutôt essayé d'adopter un mode de présentation un peu différent pour illustrer un certain nombre de problématiques. Je vais vous proposer quelques lectures. Si elles vous semblent fastidieuses, je passerai un peu plus vite.

Mon idée était de juger si les chiffres et les situations concrètes reflètent nos intuitions. Ainsi, intuitivement, nous avons tendance à affirmer que les collectivités territoriales qui ont un niveau de bases fiscales faible auront tendance à avoir un niveau de pression fiscale élevé. C'est ce type d'appréciation, que je qualifierais d'un peu « intuitives », que je me propose d'analyser par une approche statistique.

Dans ce dessein, j'ai choisi dans un premier temps d'analyser ce qui se passe dans les départements. Il existe cent départements, ce qui est un chiffre correct pour dresser des statistiques, tout en n'étant pas trop important pour que les phénomènes restent lisibles sur un graphique. L'avantage des départements est qu'ils présentent des compétences et des modes de gestion relativement homogènes, tandis qu'il existe une forte diversité en matière de modes de gestion dans les communes. Une commune peut gérer directement ou non un certain nombre de compétences, avec des conséquences sur son budget et sur sa fiscalité. Il est plus difficile de comparer des communes que de comparer des départements.

Nous vous avons remis les documents sur lesquels j'appuierai mon intervention.

Sont examinées successivement :

1. la relation entre le niveau des bases de taxe professionnelle (TP) par habitant et le niveau des taux de taxe professionnelle

Le nuage de points est assez diffus et les situations sont très diverses, mais le nuage de points est légèrement orienté du haut gauche vers le bas droit. Globalement, il tend donc à prouver qu'il existe statistiquement un lien entre le niveau des bases et le niveau des taux : là où les bases sont faibles, les taux ont tendance à être plus élevés.

2. la relation entre le niveau des bases de taxe d'habitation et le taux de la taxe d'habitation

Le phénomène est identique : là où les bases de taxe d'habitation sont élevées, les taux sont plutôt bas, et inversement. Cette relation est même statistiquement plus avérée que pour la taxe professionnelle dont nous venons de parler.

3. la relation entre le niveau des bases de taxe professionnelle et le niveau des taux de taxe d'habitation

Nous nous sommes demandé si, là où la taxe professionnelle est importante en termes de base, les départements pouvaient se permettre un taux de taxe d'habitation plus faible. Cette intuition n'a pas été vérifiée statistiquement, la relation entre les deux variables est nettement moins marquée. Il n'est donc pas exact de dire, pour les départements, que là où les bases de taxe professionnelle sont importantes, le taux de taxe d'habitation est obligatoirement plus élevé. Il est vraisemblable qu'avec la liaison existant entre l'évolution des taux de taxe d'habitation et de taxe professionnelle, on a gelé une situation historique.

M. Maurice BLIN - Je ne comprends pas la lecture de ces nuages de points que vous avez représentés sur vos graphiques. Comment les avez-vous dessinés ?

M. Dominique HOORENS - Il est vrai que j'aurais dû vous l'indiquer plus en détail.

Prenons par exemple le graphique que je viens de vous présenter, c'est-à-dire le niveau des bases de taxe professionnelle comparé au niveau de taux de taxe d'habitation. L'axe horizontal précise le niveau des taux de taxe d'habitation et l'axe vertical le niveau des bases de taxe professionnelle en euros par habitant. Un point représente un département. Vous trouvez donc, par exemple, un département tout en haut du graphique, qui a un niveau de base de taxe professionnelle très élevé - autour de 4.000 euros par habitant -, et un niveau de taux de taxe d'habitation légèrement inférieur à 6 %.

M. le Président - Il s'agit certainement d'un département peu éloigné d'ici.

M. Dominique HOORENS - En effet. Nous constatons donc que l'ampleur des corrélations nous permet de confirmer, ou d'infirmer, un certain nombre d'intuitions.

4. la relation entre l'évolution des bases et l'évolution des taux

Le quatrième graphique s'intéresse, non pas au niveau, mais à l'évolution. Il tente de répondre à la question de savoir si la croissance rapide de la base permet une croissance moins forte du taux. Le graphique se lit cette fois-ci de la manière suivante : l'évolution du taux est indiquée sur l'axe horizontal et l'évolution de la base sur l'axe vertical. Il ne fait pas apparaître de lien statistique entre les deux données : le nuage de points n'a pas de forme et n'est pas du tout orienté. Il n'y a donc statistiquement pas de lien entre l'évolution de la base et l'évolution du taux, ce qui, personnellement, m'a un peu surpris.

5. la relation entre le niveau des bases de taxe professionnelle et le montant du budget

Sur le graphique suivant, le niveau des bases de taxe professionnelle est indiqué sur l'axe vertical et l'axe horizontal correspond au montant du budget. Nous nous sommes donc demandé si des bases de taxe professionnelle élevées engendraient ou non un montant de budget plus important. Vous pouvez constater que, sur ce graphique, la corrélation est faible, non significative.

6. la relation entre le niveau budgétaire et le niveau des dotations

Le graphique suivant s'intéresse à la relation entre le niveau budgétaire (axe horizontal) et le niveau des dotations (axe vertical). Cette fois-ci, la relation est très marquée, ce qui signifie que, plus il y a de dotations, plus le budget est important, et réciproquement : là où le budget est important, les dotations sont importantes. Le montant des dotations semble plus discriminant que le montant des bases de taxe professionnelle. Je réponds ainsi à une des questions que vous m'aviez posées. C'est une constatation peut-être spécifique aux départements puisque leur dotation reflète en fait souvent leur niveau d'activité dans le domaine social.

7. la relation entre le niveau des bases de taxe professionnelle et le niveau des dotations.

On trouve ici un lien statistiquement fort : les dotations par habitant sont plus élevées là où les bases de taxe professionnelle sont faibles. Je me permettrais d'ajouter... heureusement !

Ces résultats semblent montrer que le système actuel, en partie grâce aux dotations, parvient à corriger en partie l'inégalité des répartitions entre les bases et les taux. En l'absence de dotations, les élus seraient plus fortement contraints d'user du taux là où les bases sont faibles.

Ce type d'exercice peut également être effectué sur les grandes villes. Je ne l'ai mis en pratique que pour le lien entre base et taux de taxe professionnelle. Nous constatons un lien assez similaire à celui observé pour les départements. J'estime que l'étude du lien entre le montant du budget et la base ne sera pas significative en raison de la diversité des modes de gestion et à cause de la montée en charge de l'intercommunalité qui est très diverse d'une ville à l'autre.

Les 36.000 communes, comme vous vous en doutez certainement, comprennent un nombre de situations atypiques considérables. J'ai limité mon analyse à ce qui se passe dans le département de la Manche, afin que vous puissiez constater l'extrême diversité des situations. Vous voyez qu'un certain nombre de situations atypiques nécessitent des échelles tellement importantes que celles-ci ne sont plus du tout représentatives des autres cas. Ainsi, pour un même nuage de points, j'ai été contraint de faire trois graphiques, en enlevant à chaque fois les cas les plus atypiques pour essayer de se rapprocher du plus grand nombre.

En conclusion, cette démarche montre tout à la fois que certaines intuitions sont avérées statistiquement, et que notre système de dotation a une certaine vertu « péréquatrice ». Cette vertu est sans doute visible lorsque vous élaborez vos budgets.

Attention, toutefois, lorsque nous nous livrons à ce type d'exercice. En utilisant l'analyse d'un budget, la situation est nécessairement « biaisée ». Le niveau d'un budget n'est jamais un idéal et ne correspond pas forcément aux souhaits d'une collectivité. Le budget d'une collectivité relativement pauvre, avec des bases faibles et une politique fiscale déjà élevée, est nécessairement contraint. Le montant du budget de ces communes n'est donc pas au niveau qui permettrait aux élus de mettre en oeuvre les dépenses et les investissements dont ils ont réellement besoin. C'est d'ailleurs un des biais de nombreuses études actuelles. Considérer simplement le montant du budget n'est pas suffisant.

J'ai participé il y a quelques jours à la réunion de l'Association des communes minières, qui sont typiquement dans cette situation-là. La situation financière de ces collectivités semble plutôt bonne car leurs ratios sont à des niveaux corrects. Or, quand vous interrogez les élus, ils indiquent qu'ils parviennent à cette bonne situation financière en gérant la pénurie. Cela signifie qu'ils essayent de maîtriser leurs budgets, mais que ce n'est pas pour autant qu'ils répondent aux besoins de la population. Le montant du budget ne permet jamais de savoir si les besoins de la population sont couverts ou non.

II. L'autonomie et la lisibilité du système fiscal

Je voudrais revenir sur le « circuit simplifié de la taxe professionnelle », qui correspond à l'un des graphiques de la documentation qui vous a été fournie. Analyser la fiscalité aujourd'hui n'est pas équivalent selon que nous nous plaçons du côté de la collectivité ou du côté du contribuable. En l'an 2000, les entreprises ont payé environ 21 milliards d'euros de taxe professionnelle, dont une partie (environ un milliard) est transférée vers les chambres consulaires. Deux milliards sont transférés à l'Etat pour couvrir les frais d'assiette et de recouvrement. Enfin, un milliard est utilisé pour les contributions à la péréquation : par cette voie, les entreprises d'une collectivité versent, d'une certaine manière, de l'argent à d'autres collectivités.

Sur les 21 milliards de taxe professionnelle payée par les entreprises, seuls 17 milliards correspondent à la taxe professionnelle « localisée » telle qu'elle est souvent imaginée. L'écart entre les 21 milliards de départ et les 17 milliards d'arrivée n'est pas négligeable.

Ce que touchent en réalité les collectivités est encore différent : elles reçoivent en effet ce que leur versent les entreprises, donc les 17 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter les dégrèvements (7 milliards d'euros) et les compensations fiscales (6 milliards d'euros) versées par l'Etat. L'écart est donc extrêmement important entre ce que les collectivités perçoivent et ce que les entreprises paient réellement. Le lien fiscal est donc très distendu entre prélèvements et versements. Il existe une grande différence entre la fiscalité qui est votée par les élus locaux et celle qui est ressentie par les contribuables.

Nous aurions pu, pour la taxe d'habitation, tracer un graphique relativement identique à celui que je vous ai présenté sur la taxe professionnelle. La politique de dégrèvement fait qu'un acteur très particulier intervient en matière de fiscalité locale. Cet acteur s'appelle l'Etat, et il assume une partie de cette fiscalité locale. Le contribuable ne ressent donc pas uniquement ce que les élus locaux font, mais la conjonction des décisions des élus locaux et de celles de l'Etat. Cette différence n'est pas marginale.

Ainsi, environ 40 à 50 % des contribuables à la taxe d'habitation sont plus liés aujourd'hui aux décisions de l'Etat en matière de dégrèvement, qu'au taux voté par les élus locaux. L'ordre de grandeur doit être relativement identique pour la taxe professionnelle. D'une certaine manière, nous pouvons donc dire que la fiscalité locale n'est déjà plus locale. Ainsi, ce que nous pensions être une ressource locale avec un effet de levier local de la part des élus n'est déjà plus réellement une ressource locale. Ceci complique nettement l'analyse.

III. Les éclairages européens

Le tableau que je vous présente est extrait d'un ouvrage intitulé Les finances locales dans les quinze pays de l'Union européenne . Dans cet ouvrage, nous avons essayé de comparer les systèmes administratifs et les systèmes de ressources et de dépenses dans les quinze pays de l'Union européenne. Nous avons choisi d'illustrer la « marge de manoeuvre fiscale » dont disposent les élus locaux.

Nous avons choisi de ne pas nous intéresser au niveau global, mais plutôt aux différents niveaux, en considérant que des données globales auraient pu masquer des situations très diverses. Nous avons donc préféré étudier le premier niveau, c'est-à-dire les communes, le deuxième niveau, c'est-à-dire les départements, et le troisième niveau, c'est-à-dire le niveau régional.

Vous pouvez constater que la situation des différents pays européens est très diverse. Elle est de même très diverse dans un pays donné selon les collectivités territoriales. Nous nous sommes servi des chiffres de 1999 car il s'agissait des derniers disponibles. Nous disposions tout de même des chiffres de l'année 2001 pour la France.

1. La France

La situation a beaucoup évolué en France entre 1999 et 2001, et vous n'en serez certainement pas étonnés, étant donné les nombreuses réformes survenues ces dernières années. La France présente, pour tous les niveaux administratifs, un niveau de marge de manoeuvre fiscale plutôt important, et plus élevé que ceux des autres pays européens, mais il est en baisse. Dans les autres pays, il est plutôt en hausse.

Il n'est pas possible de détailler la situation dans chaque pays, je reviens juste sur les situations extrêmes.

2. La Suède

La Suède est un pays où la marge de manoeuvre est très élevée. Vous voyez qu'au premier niveau - les communes - la marge de manoeuvre s'élève à 55 %. Cela signifie que les communes suédoises ont une marge de manoeuvre sur 55 % de leurs ressources hors emprunt. Les comtés suédois ont de même une marge de manoeuvre sur 63 %.

En Suède, le principal impôt local est un impôt additionnel sur le revenu. L'Etat, les communes et les comtés votent chacun un taux qui s'additionne pour le contribuable et qui fournit une ressource importante pour les collectivités territoriales suédoises.

En apparence, la liberté est très forte parce qu'il y a liberté de fixation du taux. En fait, comme dans les autres pays européens, la liberté est accompagnée de planchers et de limitations. Ainsi, le taux de la commune additionné à celui du comté et à celui de l'Etat ne doit pas dépasser 58 %. En outre, l'Etat suédois gèle les taux certaines années. La liberté théorique est donc très forte, mais limitée dans la pratique.

3. L'Autriche

Le degré d'autonomie de l'Autriche est extrêmement faible : les communes ne peuvent jouer que sur 3 % de leurs ressources. Le niveau supérieur a quant à lui une marge de manoeuvre nulle. Les pays fédérés, Allemagne et Autriche, reposent souvent sur un système d'impôts partagés, qui comprime la marge de manoeuvre des différents niveaux. Un impôt partagé ne donne pas forcément de marge de manoeuvre, même s'il s'agit d'un impôt redistribué. Lorsqu'une commune allemande est obligée de reverser une partie de sa taxe professionnelle au Bund ou au Land , son autonomie est entamée. Vous voyez que les systèmes d'impôts partagés sont extrêmement complexes à analyser, notamment en fonction du point de vue auquel on se place (point de vue de celui qui verse ou de celui qui reçoit).

Je me demande en fait comment mesurer avec exactitude l'autonomie fiscale. Il s'agit d'une vraie question et je ne suis pas sûr d'avoir une réponse bien établie là-dessus. Devons-nous mesurer un poids ou la faculté d'augmenter une masse ? Une marge de manoeuvre de 1% sur une masse de 100 peut rapporter moins qu'une marge de manoeuvre de 10 % sur une masse de 50.

IV. Quelles idées pour une réforme fiscale ?

1. L'impôt idéal

Ma dernière interrogation est la suivante : « Qu'est-ce qu'un impôt idéal ? ». C'est une des questions que vous m'avez posées. Comment qualifier un impôt local idéal ? J'ai réuni un certain nombre de termes qui semblent résumer ce que nous entendons habituellement par impôt idéal.

a) Un impôt local

En premier lieu, un impôt local idéal doit être local. L'assiette doit être localisée.

b) Un rapport sûr

En second lieu, un impôt local doit présenter un rapport sûr. En effet, les collectivités territoriales ont à gérer des compétences quotidiennes sur lesquelles elles ne peuvent quasiment pas arbitrer. Ainsi, il n'est pas possible en cours d'année de fermer une école ou d'arrêter un certain nombre de services. Leur marge de manoeuvre est donc restreinte. L'impôt local ne doit pas connaître de trop fortes fluctuations.

c) Un rapport dynamique

Nous voulons que le rapport soit dynamique, c'est-à-dire que l'impôt progresse en fonction de l'économie.

d) Un impôt juste

En outre, l'impôt doit être juste entre les collectivités. Les disparités doivent donc être gommées. Il faut également qu'il soit juste entre les contribuables, c'est-à-dire que les contribuables s'y retrouvent et qu'ils payent une cotisation qui fasse référence au service rendu et qu'ils puissent assumer en fonction de leurs ressources.

e) Un impôt économiquement efficient

Par ailleurs, un impôt doit être économiquement efficient pour ne pas induire de contre effets macroéconomiques.

f) Une identification claire des responsabilités

De plus, nous souhaitons que l'impôt local permette une identification claire des responsabilités. C'est une nécessité pour le contrôle démocratique.

g) Une gestion économique

De même, la gestion d'un impôt doit être la moins coûteuse possible, parce que ce coût est tout de même très pénalisant.

2. Les contradictions de l'impôt idéal

Un impôt local ne peut pas réunir toutes ces qualités, tout d'abord parce qu'elles sont contradictoires. Il est difficile de disposer d'un impôt dont le rapport est assuré et qui soit en même temps extrêmement tonique et lié à l'économie.

Notre taxe professionnelle est une fiscalité de stocks assurant une certaine protection (les bases de taxe professionnelle n'ont jamais baissé d'un point de vue macroéconomique, sauf en cas de réformes) mais les entreprises contestent le fait qu'elle ne prenne pas en compte leur situation financière.

A contrario , la taxe professionnelle allemande porte sur les bénéfices des entreprises. Il s'agit alors d'une fiscalité de flux. Actuellement, un très grand nombre de villes allemandes sont dans une situation difficile parce que les bénéfices des entreprises sont en repli.

Il y a deux ou trois ans, les entreprises fonctionnaient bien et les collectivités étaient très contentes. Les bénéfices d'entreprise croissaient parfois de 10 % ou de 15 %. Aujourd'hui, les bénéfices sont de -10 %, -15 %, -20 % ou moins encore, et les collectivités territoriales allemandes subissent cette situation immédiatement.

En France, les bases de taxe professionnelle peuvent diminuer en raison de phénomènes microéconomiques. Toutefois, en début d'année, les collectivités connaissent le montant de la taxe professionnelle qu'elles recevront en cours d'année. Il n'y a pas de mauvaises surprises en cours d'année. Ce n'est pas le cas en Allemagne.

Ces exemples soulignent la contradiction existant entre « sûreté » et « corrélation avec l'économie ». Une fiscalité de flux est plus difficilement gérable. Il faut mettre en place au cours des bonnes années des « provisionnements » pour pouvoir contrebalancer les mauvaises années. Une fiscalité de flux se gère différemment d'une fiscalité de stock. Cette dernière assure aux collectivités territoriales françaises, que ce soit au travers de la taxe d'habitation, de la taxe foncière sur les propriétés bâties ou de la taxe professionnelle, une certaine sécurité.

Une autre contradiction existe entre impôt local et péréquation. Plus un système est localisé et autonome, et moins la situation est équitable entre les collectivités territoriales.

Comme l'impôt idéal n'existe pas, il faut se contenter de « panachages » d'impôts par collectivité ou globalement. La lecture de ce système ne peut pas être faite à travers un seul crible. C'est une des difficultés de l'exercice actuel. En fait, certains impôts vont aller dans le sens de la péréquation, certains impôts dans le sens de la sûreté, certains impôts dans le sens de la dynamique. Il convient d'avoir une appréciation globale et celle-ci sera un point d'équilibre, ce qui causera nécessairement une frustration pour les personnes qui souhaitent un système plus « sûr », plus « lié à l'économie », plus « péréqué » ou plus « juste ».

Il faut prendre en compte simultanément un certain nombre de problématiques, qui ont toutes à mon sens leur légitimité. Les sept axes d'analyse que j'ai cités sont tous parfaitement justifiés, mais notre système ne pourra jamais y répondre totalement. Celui qui ne souhaite regarder qu'un axe ne sera jamais satisfait de cette analyse. Nous n'arriverons jamais à un système idéal, qui répondra à toutes ces questions. Nous devrons trouver un certain équilibre.

Mme Marie-Claude BEAUDEAU, présidente - Deux de mes collègues souhaitent intervenir : M. Fréville et M. Marc.

M. Yves FRÉVILLE - Je souhaite faire deux observations à la suite de l'intervention de M. Hoorens. Vous avez montré que le système de péréquation était peu efficace en matière de dégrèvements. Je me permets pour ma part d'ajouter que notre système de dégrèvement est opposé à la péréquation. En effet, ce sont les villes et les régions dont les impôts sont les plus élevés, qui bénéficient de transferts au titre des dégrèvements de l'Etat. Ainsi Nice, sur la Côte d'Azur, présente un taux de taxe d'habitation extrêmement élevé, avec des dégrèvements importants. Au contraire, la Lozère ne bénéficie pas de dégrèvements de taxe d'habitation. La situation est identique pour la taxe professionnelle : ce sont dans les villes ou les départements où les impôts sont les plus élevés que les dégrèvements de l'Etat sont les plus importants. Les deux systèmes s'annihilent, mais seules les dotations apparaissent au budget des communes. Les dégrèvements sont totalement ignorés. Pourtant, au moment où le budget local est voté, il est rappelé que 40 à 45 % des personnes ne paient pas leur taxe d'habitation. J'estime qu'un système local doit également être transparent et que les systèmes de dégrèvements et d'exonérations ne doivent pas s'empiler l'un sur l'autre.

Concernant l'impôt idéal, ou plutôt le « bon impôt », comme je préfère l'appeler, sur les sept critères, je retiendrai celui de l'efficacité. En effet, il faut qu'un impôt envoie de bons signaux aux contribuables et aux entreprises. La taxe professionnelle n'est pas payée directement par le contribuable local. A Rennes, la commune touche la taxe professionnelle de Citroën. Cette taxe est en fait payée par tous ceux qui achètent des voitures Citroën ou par les actionnaires de Citroën. Le bon impôt local, pour l'élu, est l'impôt qu'il peut faire assumer aux personnes autres que ses contribuables. A ce titre, je me demande s'il est possible de mettre en place des impôts qui ne soient pas trop pesants pour les entreprises.

Mme la Présidente - Peut-être serait-il préférable que vous répondiez au fur et à mesure aux questions qui vous sont posées.

M. Dominique HOORENS - Les dégrèvements sont péréquateurs pour le contribuable, mais pas pour les collectivités. En fait, ce n'est pas leur rôle. Je ne peux qu'abonder dans votre sens. Je suis davantage partisan de la décentralisation et de l'identification des responsabilités. Nous pourrions très bien imaginer des systèmes où les dégrèvements ne soient plus pilotés par l'Etat, mais par les collectivités, ce qui permettrait de clarifier la situation pour tous.

Concernant les dégrèvements, j'estime que les sommes qui y sont consacrées par l'Etat pourraient être simplement mises dans le paquet commun des dotations, tout en confiant la gestion du calibrage des dégrèvements aux collectivités, comme cela avait été fait pour les abattements. Evidemment, la situation serait nettement plus claire s'il existait en outre une certaine spécialisation fiscale.

Quelle que soit la taxation assumée par l'entreprise, ce sera toujours le consommateur qui devra, indirectement, en assumer la charge. Il y a une certaine logique à taxer localement les entreprises, parce que les entreprises bénéficient d'un certain nombre de services locaux, ainsi que leurs employés. Lorsqu'une entreprise décide de s'installer dans une commune, elle connaît très bien les services publics dont elle pourra bénéficier, ainsi que ses employés. J'estime tout à fait normal que les entreprises fassent l'objet d'une taxation locale, bien-sûr il convient qu'elle ne soit pas trop lourde. Il me paraît dommage que nous ayons arrêté, ces dernières années, de taxer la masse salariale. En effet, les employés des entreprises bénéficient des services locaux. La suppression de la taxation de la masse salariale favorise l'emploi en allégeant les charges sur le travail. Toutefois, il est dommage que ce soit la taxe professionnelle qui ait été supprimée. Ce n'était pas un choix intéressant d'un point de vue économique, parce que les employés et les entreprises utilisent les services publics locaux.

De nombreuses idées sont émises pour redéfinir l'assiette fiscale des entreprises, mais je ne sais pas si nous pourrons trouver un système plus approprié. La taxation de la valeur ajoutée est souvent évoquée. Personnellement, j'y suis opposé car la valeur ajoutée est constituée en grande partie de salaires. De plus, elle intègre le bénéfice des entreprises, qui est une composante fluctuante. La valeur ajoutée est donc beaucoup plus fluctuante que la base actuelle, ce qui représente un handicap pour le secteur local. En effet, il est important d'avoir une certaine stabilité de la ressource. Cela me paraît être le point essentiel pour le secteur local. L'introduction d'une part fluctuante dans la ressource rend sa gestion plus complexe.

M. François MARC - Je souhaite revenir sur l'intervention d'Yves Fréville concernant l'impôt idéal, qui est un sujet qui m'intéresse beaucoup. J'estime qu'à la limite, l'impôt idéal, c'est en fait l'impôt zéro.

M. Dominique HOORENS - Ça l'est en tout cas pour le contribuable !

M. François MARC - Nous pouvons nous positionner a contrario , c'est-à-dire regarder ce qui a été réalisé dans le passé pour essayer d'améliorer certaines situations grâce à la taxe professionnelle. Depuis que la taxe professionnelle a été créée, c'est-à-dire depuis des décennies, elle a souvent été considérée comme un impôt « idiot », comme certaines personnes éminentes ont pu me l'avouer. Pour corriger cet impôt et supprimer ses effets négatifs, c'est vers l'Etat que nous nous tournons. C'est donc à travers un mécanisme centralisé que ces correctifs d'impôt seront introduits.

Face à ce constat, ma question est simple. Est-ce à travers des logiques décentralisées que nous allons pouvoir mettre en oeuvre les correctifs nécessaires et tendre vers l'idéal ? Est-ce au contraire, à la lumière du processus observé dans un passé récent, c'est-à-dire à travers une logique de centralisation avec un mécanisme géré au niveau de l'Etat, que les solutions d'amélioration seront trouvées ? Dans votre intervention, vous sembliez penser qu'il était préférable d'aller vers un mécanisme décentralisé. Toutefois, en observant ce qui s'est produit dans le passé, je me rends compte que nous n'avons jamais été capables de mettre en place une compensation autre que celle introduite par l'Etat.

M. Dominique HOORENS - Effectivement, les réformes fiscales de ces dernières années montrent que certains handicaps de la fiscalité locale ont été réglés en supprimant une partie de cette fiscalité locale, et en en faisant supporter le coût au contribuable national. Vous avez donc tout à fait raison. Les problèmes de la fiscalité locale n'ont donc pas été réellement réglés, mais leurs inconvénients ont été réduits car l'Etat en a assumé une partie.

Comme vous l'avez souligné il est peut-être possible de recourir à d'autres moyens pour résoudre les problèmes liés à la fiscalité que leur simple suppression. Je vous ai indiqué qu'il était possible, si nous nous en donnions la peine, de laisser une marge de manoeuvre en matière de dégrèvements aux collectivités territoriales. De même, il est possible de régler le problème de la révision des valeurs locatives, mais de façon globale. Nous n'arriverons jamais à résoudre le problème si nous essayons de neutraliser l'effet de la mise en place des nouvelles valeurs locatives, collectivité locale par collectivité locale et taxe par taxe.

En revanche, nous pourrons le résoudre en introduisant davantage de souplesse dans la fiscalité locale et en modifiant les dotations de l'Etat pour prendre en compte la nouvelle donne de richesse fiscale. Cette démarche est tout à fait différente des réformes sur les finances locales mises en oeuvre actuellement, où on essaie simplement de donner un coup de peinture à un vieux système défaillant. Je suis peut-être très naïf et très utopique, mais je pense que c'est en regardant l'ensemble du système que nous pourrons peut-être trouver des marges de manoeuvre.

Vous connaissez sans doute le volumineux rapport qui est sorti il y a quelques mois sur les projets de réforme des finances locales, rédigé par le gouvernement précédent. Ce rapport balayait l'ensemble des réformes possibles sur la fiscalité et sur les dotations. Mais le simple fait qu'une partie de ce rapport ait été élaborée par l'administration fiscale, et une autre par la direction générale des collectivités locales sur les dotations prouve que nous ne considérons pas le système dans son ensemble. Chacune des deux parties du rapport est remarquable, mais il est facile de se rendre compte qu'il n'y a pas eu d'interconnexion entre les réflexions sur la fiscalité d'une part et les dotations d'autre part. D'un côté, il est indiqué que les bases des valeurs locatives et la fiscalité méritent d'être révisées ; de l'autre, on continue d'utiliser pour répartir les dotations le « potentiel fiscal », qui repose sur ces vieilles valeurs locatives. Il manque une vision d'ensemble du système. Cette vision nécessite de remettre en cause un certain nombre d'habitudes. C'est en considérant l'ensemble du système que nous pourrons dégager des marges de manoeuvre. Au contraire, si nous envisageons chaque partie du système séparément, la seule solution est souvent la centralisation, c'est-à-dire l'Etat.

M. Maurice BLIN - Nous vous savons gré de la clarté et de la franchise que vous avez mises dans vos propositions. Je souhaite faire deux observations pour conclure cette audition.

Je sors de cet entretien avec l'idée que l'Allemagne fédérale, qui apparaît habituellement comme le modèle des Etats fédéraux, c'est-à-dire respectant l'autonomie, la liberté des Länder , etc. , pratique en réalité en matière fiscale et financière une régulation énergique et forte de la dépense des Länder . En outre, l'Allemagne est très égalitaire. Ainsi, l'intervenant qui vous précédait nous a indiqué que la différence de taux d'imposition tolérée entre le Land le moins riche et le Land le plus riche était dérisoire, elle était de quelques pour cent. En d'autres termes, la réalité de l'Allemagne est très contradictoire avec l'image que nous en avons habituellement. L'Allemagne est, d'un point de vue politique, un Etat fédéral, et pratiquement un Etat central ou même centralisé.

Ma seconde observation est suggérée par les propos tenus par M. Fréville. La conciliation entre liberté et sécurité est impossible. La Fontaine l'a lui-même indiqué, en comparant le chien sans collier qui court la campagne et le chien gros et gras qui a un collier. Nous n'échapperons pas à cette contradiction absolue. La taxe professionnelle française est un impôt de stock, qui est sûr, mais inadapté car parfois contradictoire avec la réalité économique. Vous m'avez appris qu'en Allemagne, ce qui est important et relativement grave, la taxe professionnelle est basée sur le profit des entreprises. Il suffit donc que le profit chute, comme cela est le cas actuellement, pour que les Länder et les communes soient en grave difficulté. L'exemple de l'Allemagne souligne les dangers d'une indexation trop étroite sur les flux et la nécessité de se contenter d'un impôt de stock. Ainsi, nous en revenons toujours à la même idée : soit les revenus sont sûrs, mais pas forcément très élevés ; soit les revenus sont risqués, et un jour ou l'autre, la crise les fait chuter.

Mme la Présidente - Monsieur le Directeur, la commission des finances vous remercie.


Audition de M. Hervé LE FLOC'H LOUBOUTIN,
Directeur de la législation fiscale


(2 octobre 2002)

M. Jean ARTHUIS, président - J'accueille tout d'abord M. Hervé Le Floc'h Louboutin, directeur de la législation fiscale. Merci Monsieur le Directeur d'avoir accepté de venir nous faire part de votre expérience en matière de fiscalité locale et de répondre à nos questions qui portent principalement sur l'utilisation actuelle des marges de manoeuvre fiscales dont disposent les élus locaux et sur l'assiette et le produit des impôts locaux.

J'aimerais également que vous nous fassiez part de vos idées en matière de nouvelles assiettes locales. En effet, nous sommes à la veille d'une étape importante de décentralisation dans laquelle sera sans doute consacré le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales, alors que la fiscalité locale présente une faible propension à se réformer depuis quelques années.

Les bases des impôts liés au foncier qui sont les moins sujettes à une délocalisation - taxe d'habitation ou impôts fonciers proprement dits - devaient être actualisées. Cependant, les conséquences d'une actualisation étaient telles qu'aucun gouvernement ne s'est risqué à mettre en oeuvre cette réforme. Les alternances politiques n'ont rien changé à cet immobilisme. Les différentes réformes ont eu pour objet de faire disparaître certains impôts locaux en les compensant progressivement par des dotations de l'Etat, sans d'ailleurs être en mesure de proposer un dispositif cohérent. C'est la raison pour laquelle nous faisons aujourd'hui appel à vous pour nous éclairer.

Si vous le voulez bien, votre exposé répondra aux questions que nous vous avons adressées. Ensuite vous serez soumis aux questions des membres de la commission des finances. Monsieur le directeur, vous avez la parole.

M. Hervé LE FLOC'H LOUBOUTIN, directeur de la législation fiscale - Le document qui vous est distribué répond aux différentes questions que vous m'avez adressées. Mon intervention liminaire se limitera donc aux interrogations portant sur le devenir des quatre taxes locales directes ; ce débat ne peut être occulté par celui qui porte sur les impôts nouveaux susceptibles d'être transférés aux collectivités territoriales dans le cadre de la décentralisation.

Je me concentre sur ces taxes pour deux raisons. La première tient à la part essentielle qu'elles occupent dans les recettes fiscales propres des collectivités territoriales : 80 % du total.

La seconde tient au fait que l'affirmation du principe d'autonomie financière des collectivités territoriales et le transfert corrélatif d'impôts ne conduisent pas à abandonner une réflexion concernant la meilleure manière de revitaliser ces quatre impôts.

Je précise que ces réflexions n'engagent que moi.

En matière de fiscalité directe locale, deux scénarii s'offrent à nous.

J'appelle le premier, le scénario de « l'attrition ». C'est celui qui prévaut depuis vingt ans. L'Etat a pris une part croissante dans la charge des impôts locaux par l'intermédiaire des dégrèvements, compensations et autres allègements, et dont la justification tient pour l'essentiel à la difficulté d'assumer les conséquences d'une réforme, profonde, de ces quatre taxes directes locales.

Dès lors qu'est réaffirmé le principe d'autonomie financière et fiscale, au niveau local, un second scénario doit être envisagé : la modernisation de l'assiette de ces quatre impôts locaux.

Que signifie cette modernisation ?

1° Les taxes foncières

Le premier élément concerne la valeur locative. Le concept de valeur locative est au coeur de la fiscalité locale. Je pense que ce concept garde tout son sens dans la détermination de l'assiette des impôts locaux.

La valeur locative intervient tout d'abord dans le calcul des taxes foncières. Or, ces taxes représentent une part essentielle des ressources fiscales des collectivités territoriales et nous retrouvons également des taxes équivalentes chez nos partenaires européens.

La principale difficulté tient au vieillissement des valeurs locatives. Le dispositif, élaboré par la loi du 10 janvier 1980, pour assurer l'actualisation des valeurs locatives n'a jamais été mis en oeuvre. Je rappelle que ce dispositif était fondé sur des majorations forfaitaires annuelles, une actualisation triennale et une révision générale effectuée tous les six ans.

Ces dispositions n'ont absolument pas fonctionné. Seule les majorations forfaitaires ont été appliquées. Une seule actualisation a été réalisée depuis 1980. La révision générale, tentée à la fin des années quatre-vingts, n'est jamais entrée en vigueur.

S'agissant de la modernisation de la taxe foncière, l'alternative est la suivante :

- soit le statu quo, c'est-à-dire le maintien des valeurs locatives actuelles issues de la prévision de 1970, prévaut. Le risque d'une dérive est patent : l'appréciation administrative des valeurs locatives se détache complètement des réalités du marché locatif contemporain. Ce risque a été assumé jusqu'à présent mais il peut difficilement perdurer indéfiniment.

- soit on tente de rénover ces bases en tirant les leçons de l'échec de la révision de 1990, en recherchant une formule allégée de révision, c'est-à-dire une forme de révision qui ne joue pas sur tous les paramètres qui servent au calcul d'une valeur locative, mais privilégie certains d'entre eux.

C'est pourquoi le concept de révision d'initiative locale a été développé et nourrit actuellement la réflexion. Il a déjà été évoqué devant le comité des finances locales. J'y reviendrai plus tard. A mon sens, c'est une voie dans laquelle il nous faut avancer, car je ne vois guère d'autres solutions. L'exemple de la tentative avortée de révision, menée en 1990, est dans toutes les mémoires. La piste qui conduit à un tel travail, pharaonique, est désormais fermée.

L'idée d'une révision d'initiative locale des valeurs locatives consiste à permettre aux collectivités territoriales et aux élus locaux de moduler principalement les tarifs issus des précédentes révisions dans des conditions encadrées par le législateur. Une plus grande souplesse est accordée pour permettre des ajustements très modulés et réduire les transferts entre contribuables. Il nous faut en effet absolument préserver, dans notre système de fiscalité locale, la taxe foncière, d'autant que les incertitudes qui pèsent sur le devenir de la taxe professionnelle et la taxe d'habitation rendent plus cruciale la sauvegarde de cette taxe. Pour s'assurer de son maintien, il est nécessaire de trouver un moyen d'en réviser les bases.

2° La taxe professionnelle

Deux scénarii encadrent le devenir de la taxe professionnelle. D'un point de vue économique, sa justification est fragilisée en raison de la réduction de l'assiette à la seule composante liée à l'investissement. D'autres pays européens possèdent une forme de participation des entreprises à la fiscalité locale, mais sous la forme qu'elle prend en France, la taxe professionnelle est assez singulière dans le contexte européen. En termes d'attractivité du territoire, cette taxe pose de sérieux problèmes, même si cela n'est évoqué qu'à mots couverts. Elle est sans doute notre principal handicap, peut-être même avant le niveau de l'impôt sur les sociétés.

Deux voies s'offrent à nous : un scénario « d'attrition » ou réagir. Je ne crois pas du tout au scénario du statu quo. L'opposition à la taxe professionnelle monte. Rapidement, des demandes naîtront : elles tendront peu ou prou à réduire progressivement la quote-part des investissements nouveaux pris en compte dans les bases de la taxe professionnelle, à réduire le taux du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée etc...

Il faut donc s'interroger sur les conditions d'une revitalisation de cet impôt. Ceux de nos partenaires européens qui imposent localement les entreprises retiennent deux types de base d'imposition : soit le bénéfice (Allemagne, Luxembourg) soit la valeur ajoutée (Italie).

Il n'y a pas, me semble-t-il, d'autre alternative à une assiette indiciaire que le bénéfice ou la valeur ajoutée.

Ceux-ci soulèvent trois types de difficultés :

- la première tient à l'ampleur des transferts qui en résultent tant pour les entreprises que pour les collectivités territoriales. Une telle réforme ne peut se faire à produit constant.

- la deuxième tient à la localisation de l'impôt. Celle-ci est moins aisée dans le cadre d'une assiette économique (bénéfice ou valeur ajoutée). Dans le cas d'une entreprise à établissements multiples, la répartition des bases d'imposition entre les collectivités concernées ne peut se faire qu'en utilisant des clefs forfaitaires.

- la dernière difficulté tient à la volatilité des bases d'imposition. Le système actuel de la taxe professionnelle garantit largement les collectivités territoriales contre ce risque. En revanche, une assiette économique, qu'il s'agisse de la valeur ajoutée ou a fortiori du bénéfice, les exposerait beaucoup plus à ce risque de volatilité des bases d'imposition et donc de leurs ressources.

3° La taxe d'habitation

La taxe d'habitation pose le même problème de choix entre une assiette indiciaire, fondée sur la valeur locative, et une assiette réelle, fondée sur le revenu.

Bien qu'il soit difficile parfois de justifier l'adoption de la valeur locative comme base de la taxe d'habitation, la généralisation d'une assiette fondée sur le revenu semble tout aussi problématique. À long terme, l'adoption, comme dans certains pays étrangers, d'un impôt local sur le revenu peut être examinée et l'a déjà été par le passé.

La mise en place d'une assiette mixte, qui combinerait une prise en compte de la valeur locative et du revenu, a également été étudiée. En fait, nous sommes d'ores et déjà dans un système d'assiette mixte, puisque notre système d'exonérations et de dégrèvements de taxe d'habitation, qui concerne environ 10 millions de contribuables, est articulé pour l'essentiel autour du revenu. Cela étant, les tentatives et les débats, auxquels a donné lieu cette idée tendant à faire une part plus grande au revenu dans l'assiette de la taxe d'habitation depuis plus de dix ans, montrent qu'elle n'est guère compatible avec le contexte du débat sur le prélèvement fiscal direct dans notre pays.

M. Philippe MARINI, rapporteur général - Concernant la taxe professionnelle, je note à la suite de votre exposé l'importance de la composante contributive des entreprises au système des finances locales. Les réformes qui sont envisageables ne risquent-elles pas de conduire à une déresponsabilisation des collectivités et des élus locaux ? La taxe professionnelle existante, souvent vilipendée, reste pourtant un impôt au rendement éprouvé. Cette taxe est en outre étroitement liée aux réalités économiques locales. Un impôt comparable, calculé sur une base différente, comme le résultat ou la valeur ajoutée par exemple, conserverait-il les mêmes qualités ? J'ai eu le sentiment, à vous écouter, d'une certaine résignation quant aux possibilités de mener à bien une réforme de la fiscalité locale.

M. Hervé LE FLOC'H LOUBOUTIN - Je ne suis pas résigné, je crois au contraire qu'en réaffirmant le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales, nous nous obligeons en quelque sorte, non seulement à transférer de nouveaux impôts aux collectivités territoriales, mais aussi à moderniser les impôts existants. C'est en quelque sorte le refus d'assumer les conséquences de cette modernisation qui, depuis vingt ans et plus, nous a conduits au scénario d'attrition que j'évoquais, tant à propos de la taxe d'habitation que de la taxe professionnelle.

Pour répondre aux questions concernant les nouvelles assiettes locales, je vous renvoie à la troisième section du document qui vous a été remis. Mes collaborateurs ont réuni, dans un tableau, l'ensemble des assiettes éventuellement transférables aux collectivités territoriales avec les écarts de ressources ou de potentiels pour chaque assiette. L'écart de potentiel moyen entre les cinq départements les plus riches et les cinq départements les plus pauvres, pour les quatre taxes directes locales (taxe d'habitation, taxe professionnelle et les deux taxes foncières) s'élève à 2,5. Ce rapport est égal à 4,9 pour l'impôt sur le revenu, à 23,9 pour l'impôt sur les sociétés, à 20,5 pour la TVA (nette recouvrée par la direction générale des impôts, hors TVA recouvrée par la direction générale des douanes et des droits indirects), à 8,9 pour la taxe sur les salaires. Enfin, en laissant de côté l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), ce rapport s'élève à 14,7 pour ce qui concerne les droits de mutation à titre gratuit (successions et donations).

Ces ratios indiquent clairement que la plupart des nouvelles assiettes auxquelles nous pensons aujourd'hui ne feront en fait qu'accroître les inégalités entre collectivités territoriales. Se posera donc, en termes nouveaux, le problème de la péréquation.

Le débat le plus avancé concerne la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP). Le transfert de cette assiette aux collectivités territoriales, c'est-à-dire sa localisation, et la possibilité de voter le taux de cette taxe posent un problème de conformité au droit communautaire. En effet, ce dernier repose sur le principe d'un taux unique par produit et par Etat.

Tous les efforts actuels en matière de fiscalité sur l'énergie tendent à renforcer et harmoniser cette taxation entre les Etats. La localisation de la TIPP est en contradiction au moins partielle avec cet objectif.

La deuxième difficulté résultant d'une localisation de la TIPP tient à son mode de collecte. Cet impôt est aujourd'hui sûr et rentable, car il est prélevé immédiatement auprès de quelque quatre cent cinquante raffineries que compte notre territoire. L'idée de le localiser conduirait à la mise en place d'un système de prélèvement beaucoup plus lourd. D'un peu plus de quatre cents collecteurs de cette taxe, nous passerions à près de vingt mille. De nouveaux problèmes de circuits de papiers et de contrôles naîtraient, puisque des produits lourdement fiscalisés seraient en transit entre les raffineries et les pompes à essence, en franchise de taxe.

Dans ces conditions, il serait préférable de demander aux redevables actuels de calculer le taux de la TIPP revenant à chaque collectivité. Cela suppose une localisation, mais à un échelon suffisamment large. Le niveau communal semble exclu. Peut-être faudrait-il s'attacher au niveau régional ?

Se pose toujours le problème de l'unicité du taux. Cet aspect est fondamental. La position technique du ministère des finances est connue : si l'affectation de nouvelles ressources financières aux collectivités territoriales est souhaitée, il est plus aisé de procéder à un transfert du produit d'un impôt d'Etat que de procéder à la localisation de cette même assiette.

M. Michel CHARASSE - Je constate en écoutant les propos de M. Hervé Le Floc'h Louboutin qu'il est bien impossible à un fonctionnaire de trancher des débats dont chaque développement pose d'éminents problèmes politiques. J'observe de surcroît depuis des années, dans différents lieux comme à l'Association des maires de France ou au ministère du budget, que tous les élus sont favorables à une réforme, mais que tous sont opposés aux conséquences des réformes quelles qu'elles soient.

En d'autres termes, nous vivons dans un rêve. Dans certaines assemblées de maires, je peux dessiner ce rêve : une réforme de la fiscalité des localités est indispensable et urgente, mais il faut qu'elle n'ait aucune conséquence pour qui que ce soit, en tout cas, aucune conséquence négative.

Je pense que le débat sur l'évaluation de la valeur locative est un faux débat. Comme le dit bien M. Hervé Le Floc'h Louboutin, n'importe quelle valeur peut être choisie, car ce choix revient à la même chose globalement. Le problème naît de la question du transfert de charge. Comment, en effet, faut-il sortir d'une situation présente pour nous placer dans une nouvelle ? Les critiques naissent à ce moment-là. Quelle que soit la solution adoptée, il est nécessaire de prendre en compte ce problème de transfert de charge. Considérons que les Révolutionnaires eurent beaucoup de chance, car ils ont créé la fiscalité locale à partir de rien ! Notre problème consiste à sortir de quelque chose qui existe pour aller vers un autre système. C'est une première observation.

N'importe quelle valeur peut être choisie, mais la valeur déterminée est critiquée rapidement, dès qu'elle n'est pas ajustée régulièrement. Une réévaluation périodique s'impose en effet, généralement dans un délai de trois ans. Cette réalité ne fait malheureusement pas partie de la culture administrative qui prévaut aujourd'hui. La loi de 1973 prévoyait une révision triennale des valeurs locatives, mais elle n'a jamais été appliquée. Nous vivons aujourd'hui sur la base de la précédente révision générale. Une fois le problème de la mise à jour régulière des valeurs locatives réglé, les transferts de charge sont relativement indolores ou facilement amortis. En revanche, si ces révisions sont moins fréquentes, les transferts de charge sont plus lourdement ressentis. Ils sont par conséquent moins facilement acceptés.

J'ai moi-même fait cette expérience, puisque j'ai été l'auteur de la dernière révision, élaborée entre 1990 et 1992, et à laquelle a collaboré M. le directeur. Cette dernière révision n'a jamais été mise en application. En 1987, les deux assemblées ont voté à l'unanimité un même amendement à la loi de finances pour 1988, qui imposait au gouvernement de mener une révision du mode de calcul. Au cours de mes nombreux déplacements, j'ai entendu à l'envi ce même souhait de mener à son terme une réforme. Une fois cette révision établie, les résultats ont cependant soulevé immédiatement l'hostilité : dans le cadre de cette remise à plat, deux tiers des collectivités voyaient leurs prélèvements allégés et le tiers restant, ses prélèvements locaux alourdis. Cette situation jugée inacceptable par le tiers des collectivités a donné lieu à la non-application de ce texte. Il faut retenir qu'en 1990, l'administration et les élus ont été mis à forte contribution. La participation à ce chantier a été immense. Je ne pense pas qu'un tel travail puisse être à nouveau demandé, quand on sait à quels résultats il a abouti.

La révision constitutionnelle qui s'annonce, et qui reprend, selon moi, une idée perverse de la loi Mauroy, laisse la détermination des taux et de l'assiette des impôts locaux, directs, aux bons soins des collectivités territoriales. Je ne pense pas que le contribuable puisse accepter d'avoir pour un même bien une détermination de la valeur locative qui soit différente selon qu'elle est déterminée par la commune, le département, ou la région. C'est impossible ; il faut qu'il y ait une harmonisation ou que le législateur tranche quand elles ne s'entendent pas.

Les campagnes ont subi jusqu'à présent les plus forts dégrèvements. En conséquence, les villes supportaient l'essentiel de la masse imposable. La révision de 1973 avait déjà porté sur cet état de fait. Mais si, aujourd'hui, de nouvelles dispositions législatives laissent à la commune le soin de fixer la valeur locative elle-même, celle-ci aura, selon toute vraisemblance, tendance à la fixer à un niveau le plus bas possible. En revanche, elle fixera des taux très élevés. Comme les taux sont aujourd'hui utilisés pour les péréquations, tout le système sera faussé. Il faudra alors une harmonisation. La détermination de l'assiette ne peut donc pas être choisie avant d'avoir consulté les collectivités qui en seront bénéficiaires.

En ce qui concerne la taxe professionnelle, je crois que la discussion a été ouverte bien avant le débat portant sur la part des salaires ; et elle continue aujourd'hui. J'ai toujours entendu parler d'un problème concernant la taxe professionnelle. La patente, dont a hérité la taxe professionnelle, était soumise aux feux des mêmes critiques. Derrière tous ces débats et ces critiques, la question est, en fait, simple : les entreprises doivent-elles encore contribuer au financement des collectivités territoriales ?

Si nous souhaitons qu'elles sortent du système de financement, à qui les charges seront-elles transférées ? L'impôt national peut alors prendre le relais, mais dans ce cas, le recul de la liberté locale est implicitement entériné. Si nous souhaitons que les entreprises continuent à contribuer à la fiscalité locale, elles seront toujours soumises à une charge lourde.

Je trouve le tarif des patentes très intéressant : ce tarif permettait de faire taire les revendications excessives de certains en adoptant des mesures ponctuelles et ad hoc , par catégorie ou par profession. Avec la loi de 1975, que j'appelle « le système Fourcade », ce système des patentes a été supprimé. De ce moment-là, tout le monde a été traité de la même manière : la grande entreprise, comme Michelin , et le petit cordonnier. Il ne faut pas exclure de revenir à un tarif qui permette de résoudre des problèmes de nature diverse.

Le problème du poids de l'impôt est celui du poids des dépenses locales. Ces dépenses locales sont elles-mêmes la conséquence de la liberté accordée aux collectivités territoriales. La lutte contre le poids de l'impôt ne peut se faire qu'en restreignant la liberté locale. Ce n'est pas si facile. Comment est-il possible de résister à la pression des citoyens qui demandent un accroissement des dépenses locales et, en même temps, répondre aux griefs des contribuables qui exigent une réduction du poids de l'impôt ? Cela me semble impossible.

M. le Président - Les collectivités territoriales sont soumises à une obligation d'équilibre budgétaire. Par rapport aux contraintes imposées par le traité de Maastricht, elles contribuent positivement à une inscription de nos déficits dans des limites acceptables. M. Michel Charasse rétorque qu'il en est ainsi pour l'instant. Elles contribuent à hauteur de + 0,1 % au respect des critères de Maastricht. L'existence des systèmes de plafonnement conduit l'Etat à intervenir et à prendre à sa charge la différence. La réticence concernant une augmentation des taux est alors beaucoup moins manifeste. Je crois que le déverrouillage des taux de la taxe professionnelle, qui nous est annoncé pour cette année, et qui est, selon moi, une bonne chose, sera en partie payé par l'Etat par le biais du plafonnement. À une hauteur que je ne peux pas chiffrer, mais que M. le directeur peut certainement chiffrer.

M. Eric DOLIGÉ - Je souhaite juste livrer une réflexion à propos de réforme. Ne peut-on pas réfléchir à des économies ? Je suis surpris que l'on travaille toujours sur les mêmes volumes, alors que L'Etat prélève près de 10 % du produit de la taxe professionnelle pour sa collecte ; et c'est la même chose pour la perception de l'impôt sur le revenu. Ne peut-on pas laisser les entreprises et les collectivités être leur propre percepteur ? Peut-être les coûts de perception pourraient-ils en être diminués. Avec un coût de 10 % en moyenne sur la taxe professionnelle, des efforts d'économies permettraient sans doute de donner une marge de manoeuvre supplémentaire aux entreprises. Baisser les coûts de perception permettrait peut-être de dégager des marges de manoeuvre en attendant de pouvoir trouver et mettre en oeuvre une bonne réforme, qui semble difficile à espérer dans un avenir proche.

M. Michel CHARASSE - Les deux tiers des services du ministère des finances servent au calcul de l'assiette et à la perception des impôts locaux.

M. Yves FRÉVILLE - J'ai été très sensible au langage de vérité de M. le directeur de la législation fiscale. J'en retire que le seul impôt, qui s'impose à tous les pays du monde, au niveau local, est l'impôt sur la propriété. Et si l'on ne sauve pas l'impôt sur la propriété, il ne reste plus grand-chose.

En ce qui concerne l'impôt sur la propriété, je partage complètement l'avis de Michel Charasse et je pense que c'est véritablement un problème de transferts. Je suis sûr d'une seule chose : si une solution n'est pas trouvée rapidement, un problème identique à celui qui s'est posé à nous pour la taxe d'habitation et la taxe professionnelle surviendra.

En effet, l'Etat intervient toujours pour remédier aux problèmes de financement. C'est d'ailleurs ce qui se passe en ce moment avec la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Elle est insupportable et mal répartie. Tout le monde est concerné. La nécessité de révision me semble une évidence. Cependant, la révision d'initiative locale ne me semble pas possible. Il faudrait qu'elle fût au moins d'initiative départementale, voire régionale, puisque c'est un impôt départemental ou régional. Je vous demande dans quelle mesure une révision allégée peut se faire, en gardant en mémoire celle de 1990 sur laquelle trop avait été investi, si la question des HLM est par ailleurs réglée. Si rien n'est fait, je crois que la base de notre fiscalité locale disparaîtra ; et il n'y aura plus de fiscalité locale. Cela ne me semble pas aller dans le sens de l'histoire aujourd'hui.

M. Hervé LE FLOC'H LOUBOUTIN - Je voulais revenir sur la question de la taxe professionnelle évoquée par MM. Marini et Charasse et évoquer une piste de réflexion.

La majorité des entreprises est imposée désormais sur une base réduite aux seuls investissements. Mais à côté de ces entreprises, un certain nombre sont d'ores et déjà imposées en fait sur une base valeur ajoutée, soit parce qu'elles sont soumises à la cotisation minimum, soit parce qu'elles sont plafonnées en fonction de la valeur ajoutée. L'une des pistes possibles de réflexion porte sur la question suivante : ne pourrait-on pas faciliter un glissement de l'assiette actuelle de la taxe professionnelle vers une assiette valeur ajoutée en relevant d'un coté le taux de la cotisation minimum et en réduisant de l'autre le plafond valeur ajoutée ?

Ce qui est clair de mon point de vue, c'est qu'aucune réforme d'assiette de la taxe professionnelle (ou de la taxe d'habitation) ne peut se faire à produit constant pour les contribuables, car les transferts qui en résultent sont trop importants. Dès lors l'autonomie fiscale des collectivités territoriales peut s'en trouver affectée.

Il y a d'une certaine manière un arbitrage à faire entre la modernisation des impôts locaux et ses conséquences sur le « taux » d'autonomie fiscale des collectivités territoriales.

M. le Président - Vos observations nous montrent les limites qui existent en matière de réforme de la fiscalité locale. Chacun est à la recherche d'une formule miraculeuse pour faire payer par quelqu'un d'autre le coût des responsabilités assumées localement. Fait-on payer le citoyen ou bien fait-on payer les entreprises ? La tentation est forte de faire payer les entreprises. Cette tentation est toutefois de plus en plus condamnée : c'est le procès qui est habituellement fait à la taxe professionnelle.

Tout ce qui touche à la taxation de la valeur ajoutée nous ramène, selon moi, à la taxe professionnelle : en ajoutant les salaires à la quotité des investissements, l'essentiel de la valeur ajoutée est retenu. En y ajoutant le bénéfice, l'intérêt de l'impôt augmente. Que se passe-t-il cependant en cas de ralentissement économique ? Comment peut-on répartir les taux d'autant que ce prélèvement s'effectue avec un décalage ? Je pense que la taxe professionnelle a un avenir incertain. Dès lors que l'une de ses composantes en est sortie, le risque est grand de voir d'autres éléments progressivement éliminés de son calcul.

L'impôt qui est réhabilitable est celui qui n'est pas délocalisable, qui est autrement enraciné dans le territoire : c'est donc l'impôt foncier. Il faut donc trouver des bases de valeur qui soient pertinentes, équitables. Mis en place en 1990, vous nous avez dit que ce chantier, admirablement conduit à l'époque, n'a pas su être exploité et qu'il est impossible d'y revenir. Il a tout de même coûté quelques milliards de francs aux contribuables. Ses conséquences sont donc obsolètes. D'où la question : comment pourra-t-on fixer de nouvelles bases plus équitables, pour cet impôt de répartition ? Nous continuons à traîner dans les matrices des éléments qui sont sans commune valeur avec ce qu'ils auraient dû devenir. Il y a des rentes de situation. Il est plus commode de ne rien faire. Un problème supplémentaire se posait concernant les HLM : ceux-ci disposaient d'un allégement de 30 %. Pour les communes dont le parc immobilier est largement composé d'HLM, cette taxe devient un véritable impôt de répartition. Cependant, comment ne pas se demander alors ce que supportent les contribuables modestes qui ne sont pas logés dans le parc HLM ? C'est inapplicable.

M. Michel CHARASSE - L'affaire des HLM n'était pas une proposition du gouvernement. Mon administration et moi-même nous ne souhaitions pas intégrer cette disposition dans la loi. La majorité parlementaire d'alors a demandé la création d'une catégorie HLM à l'intérieur de la catégorie du logement social. Cela a abouti à une situation folle : un fort dégrèvement des HLM et une surtaxation forte des logements sociaux qui ne sont pas des HLM, mais qui ressemblent à des HLM. Il suffirait alors de supprimer cette catégorie HLM, mais cela n'empêche pas qu'il y aura un très important transfert de charge. Une majorité aura-t-elle le courage un jour d'imposer ces transferts, ou bien leur étalement ? J'avoue l'ignorer.

M. le Président - Monsieur le directeur, voulez-vous conclure dans les cinq minutes ?

M. Hervé LE FLOC'H LOUBOUTIN - Je voudrais revenir sur le problème de l'actualisation permanente des bases. Les termes « d'initiatives locales » sont peut-être maladroits, en vérité. De toute évidence, le travail sera mené conjointement par les élus et l'administration fiscale. L'administration assumera sa part de responsabilité dans cet exercice.

Toutefois, je suis intimement convaincu que nous pouvons déjà régler quelques problèmes. Il n'est par exemple pas nécessaire d'avoir une valeur locative qui diffère selon le niveau pris en compte : communal, départemental ou régional. Nous nous devons d'établir une valeur locative unique. Si elle est définie au niveau communal, il faut alors figer le produit départemental perçu dans chaque commmune. Dans le cas contraire, le risque est grand d'avoir à faire face à des transferts de charge. Il est possible d'avoir une base locative unique, mais il est important de se placer à un niveau plus élevé que le niveau communal. Je rappelle que, dans le cadre de la révision de 1990, nous raisonnions à partir d'un concept de secteur locatif, c'est-à-dire englobant potentiellement plusieurs communes.

Nous devons nous diriger dans cette voie : le calcul des valeurs locatives au niveau d'un groupement de communes ou d'un département. La solution la plus simple serait le niveau départemental. Cet impôt est un impôt de répartition. Il y aura certainement des ajustements qui pourront se faire localement sans qu'il soit indispensable que le cadre juridique défini à un niveau national les prévoie.

Il faudrait donc donner un peu plus de possibilités de modulations des transferts à un niveau proche des contribuables - aussi proche que possible. Dans un cas contraire, nous sommes confrontés au dilemme habituel ; soit rien n'est fait, car les transferts sont insupportables, soit la demande est faite à l'Etat de supporter le coût de ces transferts, ce qu'il ne peut pas faire. Pour lisser les transferts liés à une révision, une plus grande marge de manoeuvre doit être tolérée afin que l'ajustement se fasse au niveau local approprié.

Concernant une possible réforme, au vu de l'échec de l'entreprise menée en 1990, je vois difficilement comment il serait possible de renouveler cette expérience selon les mêmes modalités. Cette réforme, personne n'a voulu l'endosser. La suggestion de M. Yves Fréville concernant la mise en oeuvre d'une réforme plus générale, mais simplifiée, se heurte à un même problème lié aux transferts des charges. La logique de la révision de 1990 était perfectionniste. Nous nous orientons vers une actualisation des valeurs locatives, qui permet un lissage plus aisé et qui consiste à emprunter une autre voie que celle de la révision générale au sens de 1990.

M. Arthuis évoquait le problème du coût de la « déliaison » des taux sur les dégrèvements. Pour être franc, le coût sera assez faible, parce que la plupart des dégrèvements sont aujourd'hui calculés sur la base de taux figés, c'est-à-dire des taux de 1997. La première demande des milieux professionnels est de ne plus retenir ce taux de 1997. Si cela est accordé, le coût serait alors très élevé.

Concernant le problème des économies, l'éternel débat repose sur la question des frais d'assiette. Si l'examen est porté isolément sur les frais d'assiette et les dégrèvements de l'Etat, la discussion peut être longue. En revanche, nous pouvons aisément nous apercevoir, par un examen plus attentif, que le coût net de la fiscalité locale excède très largement les frais perçus au titre des frais d'assiette et de dégrèvement. Ce débat reste donc, selon moi, très théorique et impossible à régler. Trouver de possibles économies sur les dégrèvements ne me semble pas non plus envisageable.

Pour répondre à Yves Fréville, ne reposons-nous pas déjà un peu sur une assiette portant sur la valeur ajoutée pour les entreprises ? Le nombre d'entreprises qui bénéficient du plafonnement pour la valeur ajoutée est de 1.400 ; et le nombre d'entre elles qui bénéficient d'un plancher de cotisation minimum est compris entre 1.000 ou 2.000. Cela concerne donc peu d'entreprises aussi bien au niveau du plafond que de la cotisation minimum. Ce plafonnement coûte cher. Progressivement ne peut-on pas rapprocher les valeurs du plafond et du plancher pour aboutir à une valeur unique qui permettrait une imposition fondée sur la seule valeur ajoutée, autour d'un taux pivot d'environ de 2 % ? C'est une hypothèse à laquelle on réfléchit dans le cadre d'une réforme de la taxe professionnelle et de la modification de sa définition qui s'appuierait désormais sur la valeur ajoutée. La transition serait plus aisée avec une baisse progressive du plafond et un relèvement progressif du plancher. D'un point de vue budgétaire, ce serait néanmoins très lourd.

M. Adrien GOUTEYRON - Le nombre d'entreprises soumises au plafonnement me semble faible.

M. Hervé LE FLOC'H LOUBOUTIN - J'ai fait une erreur : les entreprises plafonnées au titre de la valeur ajoutée sont au nombre de 13.000. Les entreprises qui se situent au plancher de cotisation sont au nombre de 1.250.

M. Jacques OUDIN - C'est un problème de compréhension de la charge fiscale globale qui pèse sur la population en fonction éventuellement de leur richesse. Je me réfère à deux des annexes de votre document répartissant les départements en fonction des bases de taxe d'habitation par habitant et la même chose pour les propriétés bâties. Je constate que les départements du littoral sont systématiquement les plus imposés par habitant. Cependant la notion d'habitant dans un département du littoral ne revêt pas la même réalité que dans un autre département. Mon canton compte dix mille habitants mais douze mille logements, soit un tiers de résidences principales et deux tiers de résidences secondaires. Les contribuables paient donc une taxe d'habitation et une taxe sur la propriété bâtie. La notion d'habitant définie par la DGF n'est pas forcément caractéristique de ce que paient réellement les occupants de logement.

Je constate une anomalie en regardant les bases de taxe foncière sur les propriétés non bâties des départements.

En matière de fiscalité locale, la France dispose d'un revenu moyen par habitant qui diffère d'un département à l'autre, d'un secteur à l'autre. Les études que j'ai pu mener dans mon département où j'ai créé un Observatoire de la vie départementale font apparaître que le prélèvement sur les habitants est de plus en plus important en fonction de la strate de la commune à laquelle appartiennent ces habitants. Mais les revenus des habitants sont de plus en plus importants en fonction de la même strate.

Est-il possible d'établir un classement des départements en fonction d'un rapport entre la richesse moyenne d'un département et son imposition moyenne ? En d'autres termes, peut-on apprécier cette charge fiscale globale rapportée au revenu global d'un même département ? Un classement pourrait alors être établi en fonction de leur poids contributif respectif au regard la fiscalité locale. Nous aurons peut-être un moyen plus fin de déterminer la nécessité de certaines péréquations. Il y a des départements qui, compte tenu de leur richesse et de leur volonté de développement, ont une fiscalité élevée, quand d'autres départements ont une pression fiscale locale moins forte. Pour une grande justice dans la fiscalité locale, ce type d'approche me semble indispensable. Etes-vous en mesure, à la DGI, en liaison avec la direction de la prévision, de nous apporter un éclairage sur ce problème de développement à partir des richesses locales?

M. Hervé LE FLOC'H LOUBOUTIN - La réponse est oui. Ce ratio par département, qui combinerait le montant des impôts locaux prélevés sur les ménages en le rapportant à un indicateur de richesse (le revenu brut des ménages dans ce département) est envisageable. Le raisonnement peut être mené uniquement sur les résidences principales.

M. le Président - Il faut remettre dans le pot commun un certain nombre de dotations. Je participais récemment à une délibération, au Conseil régional, de la commission pour la répartition des excédents de taxe professionnelle. Il faut simplifier la réglementation qui a des effets très arbitraires. On arrive à des situations extrêmement complexes et pas toujours très équitables.

M. Jacques OUDIN - Je poursuis ma demande formulée précédemment en vous interrogeant Monsieur le directeur. Selon vous, à quel niveau de finesse pouvez-vous descendre dans l'analyse de la part contributive des départements ? Pouvez-vous descendre au-dessous du cadre départemental ? Pensez-vous pouvoir définir un indicateur qui distingue les zones rurales des zones urbaines, en utilisant une définition INSEE ?

M. Hervé LE FLOC'H LOUBOUTIN - Je ne le sais pas.

M. Jacques OUDIN - Si le ministère des finances est en mesure de faire apparaître ce que les zones rurales paient en termes de prélèvement fiscal global, je pense que l'on fera un grand pas en avant dans la compréhension des systèmes de taxation.

M. Hervé LE FLOC'H LOUBOUTIN - Si l'on ajoute les aides compensatoires aux revenus, le résultat risque d'être très surprenant. Ce ne sera pas facile.

M. le Président - Je retiens de cette communication que nous cernons bien sur quels principes repose l'autonomie financière des collectivités territoriales. Mais la rédaction d'un texte dont les dispositions seraient applicables à échéance rapprochée semble un exercice extrêmement délicat.

Sur les impôts locaux, nous ne devons pas nous faire d'illusions. Les entreprises doivent-elles payer ? La question mérite d'être posée sérieusement dans le contexte actuel où la taxation est un facteur important de délocalisation. En effet, persévérer dans la voie de la collecte d'impôt sur la base des entreprises donne certainement des satisfactions à court terme, mais les arbitrages des entreprises peuvent être à plus long terme très préjudiciables aux intérêts de la collectivité.

Il faut alors trouver des impôts qui soient supportables par les citoyens eux-mêmes, car en définitive tout retombe sur le citoyen, qu'il soit consommateur ou contribuable. Les seuls bons impôts qui subsistent sont ceux dont l'enracinement territorial est indiscutable. Ainsi, celui qui se prête peu à la délocalisation est l'impôt foncier. Il reste donc à en déterminer la valeur pour en constituer l'assiette. C'est sur ce point que nous devons concentrer nos efforts. Il faut poursuivre les études concernant d'autres impôts aux assiettes facilement localisables, par exemple les impôts touchant à la consommation d'énergie.

Vos propos nous font prendre conscience de l'âpreté de la tâche qui nous attend. Je vous remercie, Monsieur le Directeur.


Audition de M. Jean BASSÈRES,
Directeur général de la comptabilité publique


(2 octobre 2002)

M. Jean ARTHUIS, président - J'accueille M. Jean Bassères, directeur général de la comptabilité publique. Je le remercie d'avoir bien voulu venir nous parler de sujets un peu périphériques au thème que nous traitons : quelle fiscalité territoriale peut répondre à une attente de décentralisation et satisfaire aux principes d'autonomie financière des collectivités territoriales ?

Il y a bien-sûr les problèmes d'assiette que nous venons d'évoquer, mais la collecte et la gestion de la trésorerie sont également des sujets qui se trouvent au coeur de la réflexion.

M. Jean BASSÈRES, directeur général de la comptabilité publique - J'ai conscience de traiter de sujets périphériques à l'objet de vos travaux, même si je peux vous donner des informations concernant les conditions dans lesquelles nous assurons le recouvrement de cette fiscalité.

J'aimerais aborder trois thèmes :

• la gestion de la trésorerie des collectivités territoriales ;

• la mise en oeuvre des dispositions de l'article 26-3 de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 ; c'est un point important dont on n'a pas encore mesuré toute la portée en termes de calendrier parlementaire ;

• l'évolution de la mission de conseil du Trésor Public.

I. La gestion de la trésorerie des collectivités territoriales

Je souhaiterais mettre l'accent sur quatre caractéristiques :

- l'encours moyen de la trésorerie pour l'ensemble du secteur public local, qui s'élève en 2001 à 16,3 milliards d'euros - cet encours moyen est stable par rapport à 2000 ;

- le poids prépondérant des communes ;

- le recours aux lignes de trésorerie, possible depuis les années 1990 ;

- les caractéristiques du cycle infra-annuel de l'évolution de la trésorerie qui sont stables, mais qui varient selon la nature de la collectivité locale envisagée.

1. L'encours moyen de la trésorerie des collectivités territoriales

Les communes, les départements, les régions et les structures fiscalisées que sont les établissements publics de coopération intercommunale (E.P.C.I.) représentent 73 % de cet encours moyen en 2001.

L'encours est assez stable par rapport à 2000, après avoir fortement évolué en 1999. Je dois apporter une précision méthodologique : quand je parle d'encours moyen, le calcul prend en compte une moyenne des encours journaliers.

La D.G.C.P. évite de prendre le solde au 31 décembre, car nous avons constaté que certains mouvements se produisent en fin d'année, en particulier dans les départements et les régions, tels que la mobilisation d'emprunts revolving , qui trouble la lecture de la trésorerie. Nous constatons qu'en fin d'année, le solde au 31 décembre équivaut au double des mouvements moyens quotidiens du seul mois de décembre.

L'encours moyen est resté stable en 2000 et 2001, ce qui n'était pas le cas entre 1999 et 2000. Pour le caractériser, nous l'avons exprimé en termes de jours de dépenses pour l'année 2000. Ces résultats ont été rapprochés des chiffres qui existent dans les entreprises. Vous constatez que la trésorerie des collectivités territoriales est confortable par rapport à celle des entreprises. Pour l'ensemble des collectivités territoriales, la trésorerie moyenne représente 41 jours de dépenses, alors qu'elle n'est que de 28 jours pour l'ensemble des entreprises. Bien que ces comparaisons n'aient pas grand sens, il semble que :

- les communes, avec 42 jours, se rapprochent du secteur des transports ;

- les régions, avec 22 jours, se rapprochent des industries manufacturières et énergétiques ;

- les départements, avec 12 jours, se rapprochent du secteur des commerces ou des industries agroalimentaires.

Les E.P.C.I. sont clairement à part. Je ne peux porter de jugement sur la qualité de gestion de la trésorerie. Nous observons simplement des différences fortes selon les périodes.

2. Le poids prépondérant des communes

Le poids prépondérant et stable des communes dans l'encours moyen est notable, avec plus de 50 % de la trésorerie. Le poids des E.P.C.I. reste lui aussi stable et un peu supérieur à 20 % depuis 1999.

Il est intéressant de décomposer ce résultat en fonction de la strate à laquelle appartient la commune. Les données ont été isolées pour trois strates de communes :

- plus de 10.000 habitants (921 communes) ;

- de 2.000 à 10.000 habitants (3.834 communes) ;

- moins de 2.000 habitants (31.924 communes).

Pour l'année 2000, on voit clairement apparaître le poids des communes rurales, qui représentent 16 % des dépenses et 43 % de la trésorerie. Les dépenses des communes intermédiaires s'élèvent à 21 % du total et à 24 % de l'encours de trésorerie.

En ce qui concerne les grandes villes, elles représentent 63 % des dépenses, mais ne mobilisent que 33 % de la trésorerie. J'ajoute que, pour des raisons statistiques, nous avons utilisé les soldes au 31 décembre avec les imprécisions qu'ils comportent. Si l'on raisonne sur la base d'un encours moyen, les écarts seraient encore plus forts : les communes de plus de 10.000 habitants verraient leur encours moyen baisser à 24 % de la trésorerie.

3. Le recours aux lignes de trésorerie

Innovation majeure des années 1990, le recours aux lignes de trésorerie est surtout le fait des plus grandes collectivités. En effet, au niveau national, 38 % des flux financiers des régions proviennent de l'utilisation de lignes de trésorerie, avec des écarts significatifs selon les régions. Quatre régions y ont recours à plus de 50 % : la région Bourgogne, la région Bretagne, la région Nord-Pas-de-Calais, la région Pays-de-la-Loire.

Pour les départements, des phénomènes similaires sont observés avec des flux financiers légèrement plus faibles, soit une utilisation à hauteur de 36 % des lignes de trésorerie, à comparer aux 38 % précédents. Cette utilisation est à mettre en perspective avec le pourcentage de communes qui disposent d'une ligne de trésorerie en fonction du nombre d'habitants : les communes de plus de 100.000 habitants disposent à plus de 90 % d'une ligne de trésorerie ; ces lignes de trésorerie représentent plus de 60 % des flux financiers de leur trésorerie. De l'autre côté du spectre, moins de 30 % des communes qui comptent entre 3.500 et 10.000 habitants disposent de lignes de trésorerie, et celles-ci représentent moins de 10 % des flux financiers.

Nous avons un petit problème avec les lignes de trésorerie ; non pas avec leur principe en tant que tel, mais avec les conditions dans lesquelles les banques les mettent en place. Elles jouent sur le crédit immédiat dont disposent les collectivités au détriment de l'Etat. La mécanique est connue : on tire sur une ligne de trésorerie avec un chèque, qui est porté au crédit immédiat de la collectivité. La banque a, elle, cependant quelques jours pour en subir les désagréments. Le tout est remboursé le jour même par virement de la banque.

Malgré les discussions et les promesses formulées, les pratiques bancaires ne semblent pas avoir changé, ce qui est un sujet de forte préoccupation pour le Trésor.

4. Le cycle infra annuel de la trésorerie des collectivités territoriales

Je m'attache avec prudence à l'analyse de ce cycle. Pour les années 2000 et 2001, nous avons constaté que les profils de trésorerie pour l'ensemble des collectivités territoriales étaient assez stables et similaires. Notez la chute assez significative de la trésorerie entre janvier et février. La première raison est sans doute à chercher dans les effets de la période complémentaire. Les règlements des mandats rattachés comptablement à l'année précédente provoquent un flux de décaissement.

La deuxième hypothèse que je vous soumets intéresse les crédits revolving : les emprunts sont mobilisés en fin d'année pour équilibrer la section budgétaire, puis sont remboursés le plus vite possible en janvier.

Ces deux phénomènes doivent donc se conjuguer pour provoquer la baisse ainsi observée.

Notez un deuxième phénomène : la montée régulière du solde de trésorerie entre février et juin. D'après nous, cela correspond aux délais de la mise en place des investissements : vote du budget, montage des financements et conditions de réalisation des investissements. On constate d'ailleurs, après juin, une décrue progressive du solde de trésorerie qui correspond sans doute aux flux de décaissement liés à ces investissements.

Nous observons un phénomène de légère hausse de la trésorerie en décembre 2000, déjà observé en décembre 1999, sans que l'on puisse le retrouver en 2001. Cette hausse est certainement liée à ces emprunts revolving que l'on mobilise en fin d'année.

Une comparaison entre les différents types de collectivités permet de s'apercevoir que le profil d'évolution de la trésorerie des régions est assez atypique, avec un pic plus marqué au cours du premier trimestre. On a le sentiment que ce profil est la conséquence de la politique d'investissement plus marquée des régions. Cette intuition est confortée par le fait que la courbe des grandes communes, qui investissent en général plus que les autres, présente le même caractère atypique.

Je suis prudent sur ces analyses. Mais, en attendant de pouvoir affiner les statistiques, la courbe semble obéir à une logique de baisse en janvier, de remontée progressive de février à juin, puis de nouvelle décroissance en juin. Il faudrait affiner encore ces résultats pour faire apparaître deux phénomènes : le poids de l'investissement, comme on l'a vu dans le cas des régions et des grandes communes, et la mobilisation des lignes de trésorerie.

II. La mise en oeuvre des dispositions de l'article 26-3 de la loi organique du 1 er août 2001, relative aux lois de finances (L.O.L.F.)

1. Présentation du nouveau cadre juridique

a. La portée de la modification de l'ancien article 15-6 de l'ordonnance de 1959

Jusqu'au 1 er août 2001, nous nous trouvions dans le cadre de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959. Elle indiquait que les disponibilités des collectivités étaient déposées auprès du Trésor public, et que les dérogations étaient accordées par le ministre des finances.

La nouvelle loi organique maintient cette obligation de dépôt, mais toutes les dérogations relèvent désormais de la loi de finances, c'est-à-dire du Parlement. Les débats parlementaires éclairent deux points concernant les volontés du législateur : celle de ne pas se lier les mains avant la prochaine révision de la loi organique, car on n'en connaît pas les délais ; par ailleurs, lorsque l'on parle de dérogations, on s'intéresse plutôt aux régimes généraux de dérogation plutôt qu'aux dérogations individuelles.

b. L'obligation est faite de légiférer dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2004, si l'on ne veut pas rendre caduc le régime existant de dérogation

On doit légiférer dans un délai assez court, celui de la loi de finances pour 2004, puisque le nouvel article 26-3 entre en application le 1 er janvier 2004. Le système actuel des placements, si rien n'est fait au niveau législatif, deviendra caduc. Le régime de dérogation existant disparaîtrait. Il faudra modifier ce système dont je veux aujourd'hui vous dresser un état des lieux.

2. L'état des lieux en matière de placements

a. L'ancienneté des textes

Les textes sont anciens, puisque la circulaire interministérielle Doumer-Chautemps date du 5 mars 1926. Seules deux instructions en 1963 et en 1976 sont venues compléter ce texte. La réglementation n'a donc pas beaucoup bougé ; elle encadre strictement les placements des collectivités territoriales.

b. Un encadrement strict

Cette réglementation encadre d'abord les placements des collectivités en matière d'origine des fonds. La distinction essentielle s'opère entre les placements budgétaires et les placements de trésorerie. Les placements budgétaires nécessitent l'autorisation de l'assemblée délibérante et ne sont possibles que pour trois catégories de ressources : les libéralités, les fonds qui proviennent d'aliénation de patrimoine, les excédents définitifs. À la lecture des textes sur la notion d'excédent définitif, ils semblent peu réalisables, puisque ceux-ci existent lorsqu'un excédent ne peut pas être employé à la réduction des charges des administrés, directement par l'intermédiaire d'une baisse des impôts, ou bien indirectement par le biais d'une baisse de l'endettement. Comme ce cas de figure est, selon moi, peu réaliste, je ne retiens que deux modalités de placement budgétaire : les libéralités et l'aliénation de patrimoine.

Pour les placements de trésorerie qui sont décidés par l'exécutif local, deux catégories de fonds existent : les emprunts et les cessions d'éléments patrimoniaux, uniquement s'ils sont destinés à financer des travaux et que ces travaux sont différés pour des raisons indépendantes de la volonté des collectivités.

Le cadre est donc assez strict, d'autant qu'il est assorti d'un régime d'autorisations et d'obligations intéressant la nature des placements. Ces placements sont en valeurs d'Etat (BTN, OAT) ou en valeurs garanties par l'Etat. Il est prévu dans les textes l'autorisation de placements en valeurs mobilières uniquement dans un cas : celui de dons ou de libéralités, si la collectivité peut faire la preuve qu'elle en bénéficie régulièrement. Ce cas est aussi soumis à l'autorisation préalable du trésorier payeur général (TPG), ce qui est le cas de tous les placements de trésorerie. Le ministre des finances intervient pour toutes les dérogations, qui sont d'ailleurs assez peu nombreuses : 6 en 2001 et 8 en 2000. Ce sont des dérogations qui sont accordées pour des motifs exceptionnels, comme les tempêtes, les accidents (comme le naufrage de l' Erika ) ou le placement de produits d'assurance ou de vente (comme la vente des bois de chablis). Les dérogations sont peu nombreuses, mais les refus sont également peu nombreux.

c. Le volume des placements est limité

La conclusion qui se dégage de ces chiffres est la suivante : la gestion de la trésorerie fait peu recours aux placements budgétaires et aux placements de trésorerie. Les placements budgétaires s'élèvent à 855 millions d'euros, soit 8,24 % de la trésorerie disponible au 31 décembre 2001 ; et les placements de trésorerie à 125 millions d'euros, soit 1,20 % de la trésorerie disponible à la même date.

3. Des pistes de réflexion pour l'avenir

La réglementation doit évoluer. J'aimerais vous livrer quelques réflexions personnelles, internes à la D.G.C.P., qui n'engagent aucunement le ministère. Ces réflexions ne peuvent s'inscrire que dans un contexte de décentralisation en vue d'accompagner l'autonomie financière des collectivités territoriales. Je souhaiterais vous présenter cinq pistes de réflexion.

a. La responsabilisation des collectivités territoriales

Les régimes d'autorisations préalables ne semblent plus d'actualité dans un contexte de décentralisation accrue, d'autant que les fondements de ces autorisations sont anciens. L'autorisation à la charge des T.P.G. ne semble pas avoir vocation à perdurer.

Je m'interroge sur le possible maintien de l'autorisation ministérielle et de sa future conformité avec la loi. Dès lors que l'on s'intéresse à un dispositif d'encadrement, il faut prendre conscience du fait qu'il est toujours techniquement très délicat à mettre en oeuvre et qu'il faut prévoir des mécanismes souples d'ajustement ou « soupapes ».

Sans me prononcer sur l'opportunité de cet encadrement, j'évoque les processus d'encadrement envisageables. Il est concevable d'élargir la liste des conditions dans lesquelles les collectivités territoriales pourront placer leurs disponibilités, en intégrant par exemple les produits pour lesquels les collectivités territoriales sont aujourd'hui soumises au régime de dérogation ministérielle. Cette liste risque de ne jamais être assez longue pour inclure tous les cas de figure. Une liste que l'on ne peut compléter que par le biais d'une loi de finances serait un dispositif un peu compliqué, selon moi.

Un deuxième dispositif pourrait prévoir l'encadrement des placements en fonction d'un plafond fixé par rapport aux recettes. Il faudrait définir un plafond adapté à chaque type de collectivités, ce qui ne serait pas simple. Le suivi de l'évolution d'un tel système d'encadrement est très complexe : les mouvements continuels des achats et des reventes rendent difficile la surveillance du respect du plafond.

A également été évoqué le maintien d'un niveau de trésorerie égal à un certain nombre de jours de dépenses, au titre d'encaisses de précaution. Mais cela est tout aussi difficile, puisque, comme nous l'avons vu, la trésorerie évolue en fonction des mois et du type de collectivité.

b. La sécurisation des placements

La limitation des placements à des valeurs d'Etat français n'apparaît plus à terme possible. Dans le cadre européen, la liste de ces valeurs devra être élargie au moins à celle des autres Etats membres de l'Union.

Jusqu'où faut-il aller ? Eu égard aux risques existant sur les marchés financiers, faut-il avoir recours à un certain type particulier de produits ouverts aux collectivités territoriales ? La question est d'actualité.

c. La transparence budgétaire et comptable

Aujourd'hui la situation ne me paraît pas satisfaisante. Les mêmes types de produits, et par conséquent les mêmes durées de placement, sont employés pour les placements budgétaires et les placements de trésorerie. Pourtant, d'un point de vue comptable, les placements budgétaires et de trésorerie, même si leur durée est comparable, sont traités de manière différente :

- le placement budgétaire est comptabilisé, dans le poste « immobilisations financières », en classe 2 ;

- le placement de trésorerie est comptabilisé en classe 5.

Cela n'est pas très cohérent. D'après moi, en suivant un bon principe comptable, le seul critère de classement est la durée du placement. Il faut s'interroger sur la manière de remédier à ce problème. J'ajoute cette question, qui concerne peut-être plus la D.G.C.L. : ne faut-il pas permettre le reversement de la réalisation de certains placements à la section de fonctionnement ?

M. le Président - Des progrès considérables ont été accomplis en retraçant en section de fonctionnement les recettes et les dépenses courantes. Des opérations d'ordre brouillent déjà totalement les présentations ; si l'on y ajoute des mouvements de trésorerie, la lisibilité en sera encore affectée. Il est préférable de les retracer dans les comptes de bilan.

M. Jean BASSÈRES - Mon propos porte simplement sur la question de savoir s'il est tout à fait impossible d'imaginer qu'une collectivité locale puisse affecter le produit de la cession d'un placement financier à la baisse d'impôt.

M. le Président - Il faut que l'on puisse dire que la collectivité dispose des fonds disponibles de manière durable, comme dans le cas des caisses de la mutualité sociale agricole (M.S.A.).

M. Jean BASSÈRES - Je n'ai pas de doute comptable sur le fait que ces opérations de cessions d'actifs soient des opérations financières ; cependant, compte tenu des règles de vote et d'équilibre de la section de fonctionnement, elles posent un problème de règle d'équilibre des sections. On fait comme si un placement financier, lorsqu'il est réalisé, ne pouvait pas être affecté à une baisse d'impôts. Cette question, qui est aussi un sujet politique, n'est pas aujourd'hui traitée puisque, d'une part, les règles édictées évitent de se poser la question et, d'autre part, en raison du nombre réduit de placements autorisés. Si les placements ont vocation à se diversifier, nous risquons d'être confrontés à ce genre de problème.

d. Les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales

Si l'on s'achemine vers une libéralisation des règles de placement financier, quelles seront les conséquences de cette libéralisation sur les relations entre l'État et les collectivités territoriales, en particulier, en ce qui concerne les avances sur douzièmes ?

Il semble peu concevable de disposer de telles avances gratuites, alors qu'il devient possible de les placer et d'en obtenir une rémunération. Ce sont des sujets sensibles. Il existe en effet une inégalité entre les plus petites communes, de moins de deux mille habitants, qui disposent de 43 % de la trésorerie totale et qui ne touchent que 13 % des avances, et les grandes communes, de plus de dix mille habitants, qui représentent 33 % seulement de la trésorerie, mais qui touchent 65 % des avances. Par conséquent, toute modification du régime des avances aurait des conséquences sur les équilibres entre les catégories de collectivités.

e. La simplicité des dispositifs à mettre en place

Les dispositifs ne sont pas simples. Notre ambition commune devrait être de mettre en place des dispositifs qui soient simples, tant pour les gestionnaires que pour les comptables publics. Une difficulté technique surviendrait, si l'on laissait une commune avoir des comptes dans plusieurs établissements.

4. L'amélioration des prestations de tenue de compte par le Trésor Public

Des progrès doivent être faits dans la manière dont on tient les comptes de disponibilités des collectivités territoriales. Actuellement, la trésorerie est suivie dans le compte de la collectivité locale, mais tous ces comptes sont agrégés dans la comptabilité de l'Etat en un compte unique. Cela nous oblige à avoir recours à des mécanismes comptables de transfert d'opérations, qui ne nous permettent pas de proposer un service de qualité.

Notre administration travaille à l'idée suivante : assigner à chaque collectivité locale, comme pour les établissements publics et certaines régies, un compte de dépôt de fonds au Trésor, auquel des services de meilleure qualité pourraient être attachés.

Je vous présente la liste des avantages permis par cette opération :

- une individualisation des comptes des collectivités, à travers un R.I.B. qui permettrait une identification de la collectivité par ses débiteurs et fournisseurs lors des paiements ou encaissements (T.I.P. et avis de prélèvement). Cela permettrait d'imputer toutes les opérations en recettes ou dépenses effectuées sous forme de T.I.P. ou d'avis de prélèvement directement sur le compte de la collectivité ;

- une restitution d'informations plus rapide et plus précise sur la situation de la trésorerie complète, aussi bien dans l'application de la gestion que dans l'application de la tenue des comptes, avec des relevés de compte ou des moyens d'accès télématique, par exemple ;

- une offre de nouveaux moyens de paiement des dépenses. Nous ne pouvons pas aujourd'hui facilement permettre aux collectivités de régler leurs paiements répétitifs par prélèvements. Avec un tel système, cela devient très facile. On peut même imaginer d'autres moyens de paiement, comme des chèques associés à ce compte au Trésor pour le paiement des services de secours, par exemple.

Ce chantier lourd, mais auquel nous sommes très attachés, a été engagé et ses résultats devraient être visibles à l'horizon 2005-2006. Nous pourrons ainsi améliorer notre offre de services aux collectivités territoriales.

III. L'évolution de la mission de conseil du Trésor Public

1. L'amélioration des prestations de conseil financier

Nous sommes convaincus d'avoir encore un rôle de conseil à jouer, à la condition d'offrir des prestations de qualité. Je ne pense pas que notre présence soit liée à des textes réglementaires anciens, et si elle a pu être contestée, je ne pense pas qu'elle le soit encore.

a. L'approche consolidée et l'analyse financière

Nous avons des idées pour progresser dans notre rôle de conseil financier, telle que l'approche consolidée des comptes et des risques, qui constitue un chantier majeur pour nous. Dans le cadre de l'intercommunalité, il nous faut travailler à une méthodologie. Nous avons commencé à le faire avec l'Association des Maires de France pour connaître leurs attentes. Dans notre administration, une personne travaille à plein-temps pour étudier les pratiques qui existent déjà, à Orléans ou à Blagnac. Réfléchir à une méthodologie, c'est pour moi un acte essentiel pour l'analyse financière des collectivités territoriales. Il nous faut proposer aux différents acteurs une méthodologie.

b. La qualité comptable

La qualité comptable est un sujet important, puisque la L.O.L.F. crée de nouvelles obligations en matière de comptabilité. Certaines collectivités territoriales avaient pris de l'avance, puisque nous disposons de plans comptables. Nous travaillons aussi avec les régions pour intégrer des concepts plus communément admis en comptabilité. Peut-être peut-on travailler sur les concepts de « bon » provisionnement ou de « bon » amortissement ?

c. Le conseil fiscal

Le conseil fiscal est un rôle qu'il nous semble opportun de jouer au plan local. Pour les élus, prendre la mesure de ce que recouvre la D.G.C.P. ne semble pas simple. On peut poursuivre la réflexion sur la meilleure manière d'offrir aux élus un interlocuteur unique pour tout ce qui a trait à leur simulation fiscale.

M. le Président - Il y a notamment lieu de suivre les opérations de TVA lorsqu'elles existent. Les maires sont souvent fort marris, car ils pensent que le fait qu'un comptable du ministère des finances libère une opération en constitue un gage de régularité. Or, il arrive parfois que l'inspecteur des impôts opère quelques années plus tard un redressement pour absence de déclaration de livraison à soi-même ou pour loyer insuffisant. Le maire se demande alors pourquoi les deux branches de la maison « Finances » que sont la D.G.C.P. et la Direction générale des impôts ne fusionnent pas.

M. Jean BASSÈRES - Même si cela avait été le cas, je ne suis pas sûr que les choses auraient fondamentalement changé, compte tenu des particularités et du positionnement du contrôle fiscal dans les administrations.

2. La simplification

La simplification est un sujet qui nous tient à coeur et une priorité forte fixée par Alain Lambert.

a. La simplification des dépenses et le contrôle partenarial

Pour ce qui concerne la simplification des dépenses, notre administration commence à le faire timidement. On a déjà permis que tous les mandats ne soient pas signés, par exemple. En matière de contrôle de la dépense, nous souhaitons évoluer vers une forme de contrôle partenarial. Nous souhaitons mettre fin à la fiction selon laquelle le comptable public vérifie tous les mandats. Ce n'est pas vrai. Le contrôle doit être concentré en fonction des enjeux, en liaison avec l'ordonnateur. Nous avons commencé quelques expérimentations sur ce sujet.

b. Le seuil des marchés

Pour ce qui concerne le seuil des marchés, la position du ministère est en voie de clarification. Notre conviction personnelle est la suivante : le comptable public n'a pas à vérifier le respect du seuil des marchés, car ce n'est pas de la responsabilité d'un comptable. Les comptables doivent en être avertis. Le comptable s'aperçoit fréquemment trop tard du non-respect du seuil. Le fait de reconnaître ce dépassement du seuil n'empêche pas que le paiement doive être honoré par la collectivité.

c. La monétique

Dans la voie de la simplification, nous croyons beaucoup à la monétique comme la carte d'achat que l'on expérimente à Issy-les-Moulineaux et dans la Communauté urbaine de Lyon. Cela fait gagner du temps au gestionnaire, au comptable et les délais de paiement en sont également raccourcis. Ce sont des gains significatifs en termes d'efficacité.

Il nous faut encore travailler dans deux directions : la rénovation de nos outils informatiques et l'évolution de notre organisation.

3. La rénovation de nos outils informatiques

La première direction concerne donc la rénovation de nos outils informatiques. Notre grand projet Hélios concerne la refonte de notre « application secteur local ». Il a été engagé et sera testé au second semestre 2004 pour un déploiement en 2005-2006. La tâche est lourde, car nous possédons quelque trois mille huit cents postes comptables ; le déploiement en est compliqué d'autant.

C'est un projet informatique qui devrait apporter beaucoup aux élus. Nous avons beaucoup travaillé avec leurs associations pour préciser les conditions d'interface.

4. Une organisation qui évolue

La seconde concerne les évolutions que doit connaître notre organisation.

a. Les pôles de soutien aux comptables

Les pôles de soutien aux comptables reposent sur une idée simple : réunir dans un même lieu des spécialistes capables de répondre à tous les comptables qui seraient confrontés à des difficultés techniques. Nous le faisons pour les marchés publics, la fonction publique territoriale, l'intercommunalité et l'analyse financière.

b. La spécialisation en zone urbaine

La spécialisation des postes en zone urbaine est souhaitée pour ceux qui s'occupent de l'impôt et ceux qui s'occupent des collectivités territoriales. Il est difficile de bien faire deux métiers. Cela suppose en effet une taille critique, mais la réforme est nécessaire pour les collectivités les plus importantes.

c. Le portail « élus locaux »

Le Ministère des Finances souhaite rassembler sur un site Internet tout ce qui peut être utile aux élus locaux : c'est le projet de portail « élus locaux ».

d. Les conventions de partenariat

Les conventions de partenariat participent d'une logique de fonds. Nous croyons au partenariat et nous aimerions, y compris sur les fonctions régaliennes, expérimenter des innovations comme la consolidation des comptes, la carte d'achat ou le contrôle partenarial.

M. François TRUCY - Vous avez, dans votre exposé, évoqué les placements financiers qui peuvent être réalisés par les collectivités territoriales.

C'est une anecdote que j'aimerais vous soumettre et sur laquelle je souhaiterais avoir votre avis.

Un maire d'une grande ville décide de mettre en affermage son service des eaux et d'assainissement. Le maire reçoit de la compagnie intéressée, ce qui était légal à l'époque, un droit d'usage de deux cents millions de francs. Le préfet et le T.P.G. se réjouissent. Le maire, lui, fait le calcul suivant : pendant quatre ans, je recevrai tous les ans les intérêts de cet investissement, soit dix-huit millions de francs, c'est-à-dire trois points d'impôts de cette commune. Au terme de ces quatre ans, je réinjecterai ces sommes dans le budget général et je pourrai faire ainsi l'économie d'une année entière d'impôts pour les investissements. Jusque là, tout c'était très bien passé. Il a demandé la réalisation de cet investissement au terme des quatre ans, réalisation qui s'est déroulée dans de très bonnes conditions. Le maire s'est pourtant heurté au refus de réintégrer la somme au budget général. Il a alors fallu demander une co-dérogation du secrétariat d'Etat au budget et du ministère de l'intérieur, parce que les directions administratives indiquaient qu'il n'était pas réglementaire que cet argent fût reversé au budget général, mais qu'il fallait qu'il figurât dans le compte administratif du service des eaux et de l'assainissement, qui n'existait d'ailleurs plus.

Ce service, qui fonctionnait auparavant avec deux cents agents, n'en occupait plus qu'une centaine, à la satisfaction des usagers. Les autres occupaient désormais d'autres fonctions au centre de gestion départemental, payés par le fermier. Il était donc interdit de transférer de l'argent au budget général, alors que le budget du service auquel cet argent aurait été destiné, n'existait plus. Cet argent n'aurait eu aucun usage dans ce compte disparu. Sans ces dérogations administratives, aucune solution n'aurait pu être trouvée.

Vous avez évoqué les libéralités et les ventes de patrimoine. Comment considéreriez-vous cette vente, qui n'était d'ailleurs pas une vente, puisque le service était mis en affermage ? Avec le recul, que pouvez-vous dire de cette situation ?

M. Jean BASSÈRES - C'est un cas d'école qui illustre le fait que la réglementation actuelle n'autorise pas la notion de placement. Ce cas évoque également un autre sujet, que je maîtrise mal : celui des liens existant entre les budgets annexes et les budgets principaux.

Le problème tient moins au placement lui-même qu'à l'impossibilité de faire passer une écriture d'un budget annexe au budget général. Cette réalité est une constante de la réglementation. Un budget annexe doit être équilibré. Dans le cas de l'eau, s'il y a un excédent, celui-ci doit bénéficier à ceux qui paient l'eau. En l'espèce, ce n'est pas la question. La solution ressort alors à un régime de dérogations.

Ceci est exemplaire d'une inquiétude qui me concerne : quelle que soit la réglementation mise en place, peut-on faire face à tous les cas de figure a priori ?

Au titre d'une remarque incidente, je voudrais indiquer que les TPG ne sont plus rémunérés en fonction des placements financiers. La rémunération existe bien-sûr, mais elle n'est plus associée aux placements réalisés.

M. Yves FRÉVILLE - Je voudrais vous faire part d'une expérience que j'ai menée après avoir rencontré les trente présidents de communautés de communes et d'agglomérations de mon département. Auparavant, j'avais dépouillé moi-même les trente comptes administratifs de ces communautés. J'en tire quelques conclusions.

La première tient à la lecture des comptes administratifs. Ces comptes administratifs, avec la nouvelle nomenclature M14, deviennent difficilement lisibles pour tout élu local.

La deuxième remarque concerne la consolidation, qui devient un problème essentiel. En effet, pour certaines communautés de communes, apparaissent quinze budgets annexes qui représentent les trois-quarts de leurs opérations. Pratiquement, la consolidation des comptes administratifs se limite à une seule page de résultats, quand elle est faite. Dès lors, toute vision globale de la situation de la communauté de communes devient imprécise, voire impossible. Pour des opérations très importantes, la situation devient très délicate.

J'ajoute que les nouvelles nomenclatures sont mal tenues, et ce jusqu'à la caricature. Vous avez publié l'année dernière les comptes des Services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) pour l'année 2000. Figure dans cette publication le chiffre de la contribution des départements au financement des SDIS, qui s'élève à 1 %. Cela semble irréaliste. Ce problème est dû au suivi incorrect de la nomenclature. La régularité des opérations n'est pas en cause, mais on ne peut pas suivre dans les comptes ce que sont réellement les opérations. L'image des opérations n'est pas fidèle. On pourrait comparer cela à une photographie ratée.

Une présentation homogène et synthétique est une nécessité pour les élus. Chaque directeur fait sa présentation personnelle mais, à un niveau statistique global, la présentation n'est pas valable.

J'ai trouvé par exemple un placement important qui correspond à trois années de versement « transports » de la Communauté d'agglomérations de Rennes, en vue de la construction d'un métro. Les comptes ne permettent pas de voir où se trouve cet argent qui a été mis à disposition d'abord dans le cadre d'une société d'économie mixte (S.E.M.). Cette S.E.M. a effectué un placement cumulé de quelque cinq cents millions de francs. Ensuite, et par un jeu d'écritures, la participation de la communauté d'agglomération à la S.E.M. a été diminuée. Cela a été fait régulièrement du point de vue de la procédure, mais les documents budgétaires ne permettent absolument pas d'analyser l'opération.

Je me permets d'ajouter une question concernant les dégrèvements dans le cadre du budget des charges communes : dans le compte d'avances aux collectivités territoriales, qui est fondamental, on voit apparaître des rentrées réelles, mais il y a aussi des rentrées d'ordre au titre des dégrèvements. Les documents actuels sur les comptes d'avances ne permettent pas de voir parmi les rentrées payées par les contribuables, ce qui est payé par l'Etat par le biais de dégrèvements et ce qui est payé réellement par le contribuable. Les opérations d'ordre pourraient être améliorées.

M. le Président - En complément, Paul Loridant m'a transmis cette question : comment s'expliquent les écarts entre prévisions et réalisations pour le solde du compte d'avances ?

M. Jean BASSÈRES - Sur la consolidation, je partage le point de vue d'Yves Fréville. Commencer par la consolidation du budget principal et des budgets annexes est une priorité pour nous, notamment pour les structures de coopération intercommunale. Des travaux sont en cours, dont j'espère que nous pourrons tirer les premières conclusions l'an prochain.

Sur les nomenclatures des SDIS, vous avez raison : une participation aussi faible n'est pas réaliste. Elle désigne peut-être la coopération entre départements ; auquel cas, il s'agit d'une pure erreur de nomenclature.

Sur le compte d'avances, on peut aujourd'hui distinguer ce qui relève des dégrèvements et ce qui relève des encaissements réels. Cela n'apparaît pas dans les documents, mais c'est une information que nous avons. Nous pouvons même isoler, pour les impôts locaux, les dégrèvements de nature législative, de neuf à dix milliards environ et les dégrèvements ordinaires, de mémoire, environ un milliard et demi d'euros. Nous savons donc les isoler de manière comptable.

Les écarts entre les prévisions et les réalisations du compte d'avances ne sont pas très importants. De mémoire, les écarts en 2001 étaient de l'ordre de cinq cents millions d'euros, soit 0,5 % du compte. Les explications tiennent au fait que l'on fait les prévisions à l'été d'une année n et que l'on ne connaît pas encore le montant ultérieur des émissions réelles. Ce sont des écarts de prévision sur les volumes d'émissions. Les années suivantes, on peut alors expliquer ces écarts de prévision. Pour l'année 2000 par exemple, les émissions pour la taxe d'habitation avaient été sous-estimées. On pouvait aussi avoir sous-estimé les taux de recouvrement. Mais il est vrai que nous pourrions faire plus d'efforts de précision et d'explication.

M. Jacques OUDIN - Nous sommes dans un processus de décentralisation amorcé qui est appelé à s'accentuer. Les comptes des collectivités publiques, de leurs groupements et de leurs activités se développeront tout autant. Nous avons un vrai problème de compréhension des comptes de la part des populations, mais également des élus. En tant que membre du Comité des finances locales, j'ai assisté au changement de nomenclature dès la mise en place de la M14, puis à son étonnante modification deux ans après. J'applaudis à votre idée de développer la mission de conseil du Trésor Public.

Quel type d'améliorations pouvez-vous apporter ? Plus la présentation sera simple, homogène et compréhensible, mieux cela sera. Ne peut-on pas, tant au niveau des débats d'orientation budgétaire, qu'au niveau du vote du budget primitif, ou encore au niveau du compte administratif, avoir une sorte de tableau de bord synthétique qui tienne sur une feuille simple de format A4 ? Sur ce tableau de bord, on pourrait comprendre les évolutions budgétaires et financières de la collectivité. Ce tableau peut être actualisé pour les trois niveaux précédemment évoqués. Le trésorier-payeur général (T.P.G.), dont le rôle de contrôle pour les petites communes et d'évaluation pour les plus grosses agglomérations est aujourd'hui un peu dévalué, aurait à sa disposition un instrument efficace et compréhensible par tous.

Le deuxième point que je souhaite aborder concerne la compréhension du fonctionnement des services publics locaux. Je connais deux cas de figure :

- le premier est celui de la régie, pour laquelle on ne connaît jamais le coût unitaire de la prestation parce que l'on ne sait pas ce qui se trouve dans ses comptes. Dans ce cas, tout devient possible ;

- le second est celui de l'éclatement des comptes des budgets particuliers posant le problème de la consolidation.

L'exemple paradoxal est celui d'une communauté de communes qui dispose d'un système de collecte des ordures ménagères, en délégation de service public pour une partie des communes et en régie pour l'autre. La compréhension d'un tel dispositif est un réel casse-tête. Si on souhaite décentraliser, c'est que l'on pense qu'une action menée plus proche du terrain sera meilleure. Si cela mène à une complication de l'approche budgétaire et financière, c'est dommageable. Cette mission de conseil est donc bénéfique à condition que vous donniez les moyens d'un dialogue utile à tout le monde, y compris aux chambres régionales des comptes.

M. Jean BASSÈRES - Je retiens votre suggestion de présentation simplifiée des comptes des collectivités. Mes services sont à la disposition de la commission pour vous fournir une maquette par exemple, et recueillir votre point de vue.

Jean Arthuis souhaite également que l'on y ajoute progressivement un état du patrimoine de la collectivité, le bilan et le compte de fonctionnement. Il est cependant difficile d'avoir une vision du patrimoine. Pour beaucoup de collectivités, il est très délicat d'avoir une vision claire de l'état de l'actif. On peut certainement progresser pour tout ce qui touche à la présentation. Pour tout ce qui concerne l'harmonisation, le progrès est amorcé et je suis convaincu qu'il faut harmoniser le plus possible les nomenclatures du secteur public local.

Une étape importante a été franchie pour tout ce qui concerne les M4, c'est-à-dire les nomenclatures de certains budgets annexes. Un texte est passé, qui harmonise les nomenclatures. Actuellement nous travaillons sur les nouvelles nomenclatures des régions et des départements qui seront de la même nature que la M14. Nous partageons donc votre volonté d'harmoniser des nomenclatures.

Enfin, de nombreuses lourdeurs tiennent moins à l'existence de règles comptables qu'à celle de règles d'équilibre budgétaire qui imposent de servir telle ou telle rubrique. Des maquettes simplifiées peuvent être facilement réalisées, si une évolution des règles est acceptable. Ce travail est à mener de concert avec la D.G.C.L. pour les petites collectivités particulièrement. Il me semble que la complexité des maquettes budgétaires et comptables pour ces petites collectivités est exagérée. Il faut donc travailler sur le contenu de ces maquettes pour lesquelles des modifications législatives et réglementaires ne seraient pas à exclure.

Pour ce qui concerne la connaissance des coûts, je suis tout à fait d'accord avec Jacques Oudin. Nous devons progresser. Cela renvoie tout de même à la notion de consolidation. Pour le Trésor public, cela présente un intérêt supplémentaire que les élus pourraient ne pas partager. Certaines décisions de gestion sont prises sans prendre en considération le coût pour nos propres services. Le débat concernant le choix d'une taxe ou d'une redevance sur les ordures ménagères n'est pas neutre pour nos services : le recouvrement de la taxe est en effet plus facile et moins cher que la perception d'une redevance. Cet élément n'est pas aujourd'hui pris en compte. Je suis intéressé par des discussions et des débats sur ces sujets avec les personnes concernées.

M. Jacques OUDIN - Parfois les collectivités choisissent la régie, mais ce dispositif comptable est peu clair. Quels éléments doivent y figurer ? Ce n'est pas clair.

La consolidation se présente comme un des principaux problèmes comptables des budgets annexes. Concernant les régies, se pose clairement le problème de la sincérité des comptes. Une circulaire devrait être élaborée en vue de clarifier cette situation. Cette circulaire devra préciser ce qui doit figurer dans un compte de résultat de régie.

M. le Président - Peut-être pourrait-on s'inspirer de la loi organique sur les lois de finances et poser le principe de l'exigence de sincérité. Il faudra un jour ou l'autre tirer les conséquences de cette exigence, car la séparation des fonctions d'ordonnateur et de payeur s'estompe progressivement. Faudra-t-il encore longtemps séparer ces deux fonctions ?

M. Jean BASSÈRES - Je n'ai pas tout à fait la même lecture que vous de la loi organique. J'y vois plutôt un champ de compétence extraordinairement élargi pour les comptables publics. Avant la loi organique, les comptables ne faisaient pas de comptabilité : ils n'étaient que payeurs. Aujourd'hui, il faudra s'intéresser non seulement à la dépense, mais aussi à l'aval et à l'amont, à des faits générateurs et à des opérations d'inventaire qui appartenaient à la sphère du gestionnaire.

Le comptable sera présent sur toute la chaîne. La fonction comptable sera, comme dans l'entreprise, partagée entre les gestionnaires et les comptables chargés de garantir la sincérité des comptes.

M. le Président - A quoi sert-il d'ailleurs, d'avoir des comptables dans les mairies, puisque la comptabilité qu'ils tiennent est également tenue par les comptables publics ? Si le comptable ne se préoccupe plus que de comptabilité et de la tenue des comptes, peut-être pourra-t-on réorganiser leur mode de fonctionnement et ainsi, envisager de faire quelques économies.

M. Jean BASSÈRES - D'un point de vue organisationnel, cette nouvelle loi organique fera peut-être en sorte que l'on trouve des comptables dans les ministères. Ce serait une grande innovation.

M. le Président - Il faudrait d'abord que l'Etat se dote d'une seule comptabilité.

M. Jean BASSÈRES - Une première réponse est d'ordre technique. La mise en place de réseaux informatiques compatibles, qui permettent des échanges, est une nécessité. La qualité comptable dans les collectivités territoriales est une de mes préoccupations. Aujourd'hui, le comptable public tient les comptes. Les écritures comptables qu'il passe concernent des opérations qu'il a vérifiées.

Mais qu'en est-il des opérations de provision et d'amortissement ? Le comptable public n'est pas aujourd'hui en mesure d'indiquer à l'ordonnateur que, en tenant compte de son actif et de son exposition aux risques, il devrait provisionner quelque chose. Cette question n'a pas encore été tranchée juridiquement.

M. le Président - Si l'on s'attache au principe de sincérité et si l'on constate que telle collectivité voit son exposition à des risques imparfaitement transcrits dans ses comptes, la personne chargée de certifier ses comptes devrait pouvoir voir sa responsabilité mise en jeu.

M. Jean BASSÈRES - J'aimerais personnellement que les comptables publics soient capables de dire à l'élu que les provisions ne seraient pas suffisantes dans telle ou telle situation. Le rattachement des charges et produits à l'exercice, qui est un principe comptable de base, ne me semble pas être aujourd'hui respecté dans toutes les comptabilités. Les comptables le voient théoriquement, puisqu'ils paient toutes les dépenses.

M. le Président - Les comptables publics devraient voir leur fonction se rapprocher de celle des experts-comptables au sein des entreprises, qui ont la responsabilité de veiller au respect des règles et à la sincérité des documents de synthèse. Peut-être est-ce une fonction qui permettra de veiller au respect de ces principes, sans lesquels il n'y a pas de sincérité des documents financiers.

M. Jacques OUDIN - Je crois que ce principe de sincérité est essentiel. Ce mouvement général peut soutenir la crédibilité de la décentralisation. La sincérité peut être atteinte par une comptabilité patrimoniale qui seule peut asseoir une politique de provisions et d'amortissements sincère. Nous sommes tous d'accord sur ce principe. Elle doit être mise en oeuvre d'autant qu'elle sera primordiale, lorsqu'il y aura des transferts notables de patrimoine d'une collectivité locale à l'autre dans le cadre de la décentralisation.

Pour en revenir à la régie, si l'on n'instaure pas des règles de comptabilité aussi strictes que celles qui existent dans le cas de la délégation de service public, pour cette forme d'exploitation d'un service, le doute subsistera dans l'opinion sur la raison pour laquelle elle a été préférée. Il faut une instruction sur la tenue des comptes des régies.

M. Yves FRÉVILLE - Le coefficient d'intégration fiscale (C.I.F.) est une sorte de monstre qui permet de détecter dans les comptes des collectivités territoriales un certain nombre de transferts qui donnent droit à des dotations de l'Etat. La nomenclature budgétaire des communautés de communes ne permet pas de bien les identifier. La D.G.C.L. édicte donc une circulaire adressée aux préfets, leur demandant d'enquêter directement auprès des communautés de communes.

Dans un deuxième temps, et pour éviter de ne se fonder que sur les questionnaires sujets à caution, les quelque deux mille comptes administratifs des communautés de communes sont récupérés et analysés par la D.G.C.L. pour vérifier les dires des préfets et des communautés de communes. Finalement, les collectivités ne savent pas comment a été calculé leur C.I.F. Par conséquent, elles ne peuvent pas contrôler la répartition par l'État de quelques 7,5 milliards d'euros de dotations. Je ne comprends pas pourquoi une coordination étroite ne pourrait pas être mise en oeuvre. Dans les comptes administratifs, on pourrait par exemple isoler les types de transferts qui rentrent dans le calcul du C.I.F. de sorte que l'on n'ait plus recours à une telle mobilisation administrative inutile.

M. le Président - Auparavant, les élus pouvaient trouver conseil auprès des administrations de la préfecture ou bien des T.P.G. Ceci n'est plus d'actualité. Ils doivent désormais faire appel à des cabinets extérieurs et spécialisés qui sont chargés d'expliquer aux agents de l'Etat, les règles que l'Etat a lui-même édictées.

M. Adrien GOUTEYRON - J'observe les cartes des collectivités qui font appel aux lignes de trésorerie. En regardant ces cartes, je constate que et ma région et mon département appartiennent aux catégories de collectivités qui font le moins appel à ces lignes de trésorerie. En regardant la carte des départements, je n'arrive pas à établir la moindre typologie. Pourriez-vous, Monsieur le directeur, me donner des explications supplémentaires ?

M. Jean BASSÈRES - Je peux vous indiquer que, pour calculer l'indice, on a rapporté les sommes créditrices du compte qui isolent les mouvements liés aux lignes de trésorerie du solde débiteur du compte qui suit la trésorerie. C'est une simple photographie mécanique qui rapporte une masse à une autre. Je suis incapable, au-delà, de vous expliquer pourquoi tel ou tel département a recours aux lignes de trésorerie. On ne peut pas porter de jugement sur la bonne ou la mauvaise utilisation des lignes de trésorerie en regardant ce graphique.

M. le Président - Les plus grosses collectivités ont certainement été démarchées par des opérateurs financiers qui ont convaincu les administrateurs financiers de l'intérêt des lignes de trésorerie. Plus la densité des petites communes est forte, moins il est probable que l'on fasse usage de ce type d'instruments.

M. Adrien GOUTEYRON - Je m'étonne cependant que Paris et la région parisienne aient aussi peu recours à ces lignes de trésorerie.

M. Jean BASSÈRES - La ville de Paris et les départements de la région parisienne y ont également recours, mais ce recours ne représente qu'un très faible montant de l'encours global.

M. le Président - Je vous remercie.


Audition de M. Hansjörg BLÖCHLIGER,
Administrateur principal à l'OCDE


(2 octobre 2002)

M. Jean ARTHUIS, président - La commission poursuit ses travaux et j'accueille M. Hansjörg Blöchliger, administrateur principal à l'OCDE. Merci, Monsieur, d'avoir accepté de venir nous livrer votre vision sur des questions auxquelles nous voudrions apporter des réponses, étant à la veille d'un important mouvement de décentralisation. Par ailleurs, donner davantage d'autonomie financière aux collectivités territoriales est d'actualité. Ceci pose le problème de la fiscalité locale au sujet duquel nous vous avons fait parvenir un questionnaire.

M. Hansjörg BLÖCHLIGER, administrateur principal à l'OCDE - Merci Monsieur le Président.

Mesdames et messieurs, je vous présenterai le travail comparatif que l'OCDE a mené depuis quelques années sur la fiscalité locale et les premiers résultats qui en découlent. Je commencerai par répondre aux questions écrites que vous m'avez soumises avant de répondre aux questions directes des membres de votre commission.

1) L'importance des recettes fiscales a-t-elle un impact sur la manière dont la collectivité est gérée ?

Les taxes locales et les redevances représentent, pour une collectivité locale, son propre argent à dépenser, alors que les transferts sont des dotations à dépenser qui proviennent de l'Etat central. Les autorités locales, nous l'avons observé dans tous les pays de l'OCDE, gèrent en général avec plus d'efficacité le produit des taxes et des redevances que les dotations transférées, provenant de l'Etat central.

D'un point de vue dynamique, les gouvernements locaux qui dépendent uniquement de transferts ont une certaine tendance à en demander toujours plus. L'architecture qui permet les transferts est en effet généralement moins stricte que le système qui préside à la définition des impôts locaux. Les transferts ne sont pas soumis à des restrictions budgétaires absolues, ce qui conduit souvent l'Etat central à céder aux demandes des gouvernements locaux. Il peut même aller au-delà, comme en France, où l'Etat central supplée la fiscalité locale par des transferts supplémentaires. Cela peut engendrer un cercle vicieux : les autorités locales demandent plus, reçoivent tout ou partie de ce qu'elles ont demandé, dépensent trop et demanderont ensuite à l'autorité centrale de combler le manque.

Ce phénomène est observé dans des pays fort différents de l'OCDE tels que la Suisse et le Mexique, où les collectivités territoriales ou régionales dépendent des transferts de l'Etat central. Le fait que les transferts augmentent et représentent une part croissante dans les budgets locaux s'observe bien dans ces deux pays. La répartition entre les transferts et la fiscalité locale a certainement un impact sur la manière dont les collectivités territoriales sont gérées.

2) Existe-t-il une différence entre les transferts et les ressources fiscales sur le taux desquelles la collectivité locale ne peut agir ?

Deux dimensions sont nécessaires pour répondre à cette question : les indicateurs qui définissent le montant des transferts ; le pouvoir de l'Etat central de modifier l'allocation de la taxe locale.

Les deux formes - fiscalité locale ou transfert - sont en fait équivalentes si elles sont basées sur le même indicateur, tel que le revenu personnel. Ceci est cependant rarement le cas dans les pays de l'OCDE, car il existe souvent d'autres critères qui sont utilisés pour l'allocation des transferts. Des transferts sont par exemple utilisés pour effectuer des péréquations de ressources entre les collectivités territoriales, ou pour égaliser les coûts de certaines prestations de service public. Dans les faits donc, il existe une différence assez nette entre la fiscalité locale et les transferts de l'Etat central.

L'autre critère concerne la possibilité pour l'Etat central de modifier l'allocation de la taxe. L'Etat central peut généralement modifier plus aisément l'allocation des transferts que l'allocation des taxes locales. En d'autres termes, l'Etat dispose d'un pouvoir plus grand sur les transferts que sur les taxes locales. Cependant, si l'Etat central conserve un droit de changer annuellement ou périodiquement la base fiscale et définit les taux, les cas de figure sont de nouveau différents. Tout dépend du pouvoir central de définir soit les montants des transferts et les critères les définissant, soit la base imputable et les taux des impôts locaux.

3) Que constate-t-on dans les pays dans lesquels les collectivités territoriales ont peu de marge de manoeuvre sur les taux de leurs impôts ?

Il est très difficile de répondre à cette question et nous avons fait assez peu d'analyses au sein de l'OCDE. Je ne peux donc pas vous présenter de résultats.

Mais il est possible de se poser la question inverse : que se passe-t-il dans les pays où les collectivités territoriales disposent d'une grande marge de manoeuvre ? Dans quelques pays de l'OCDE, comme la Suisse, les Etats-Unis et le Canada, les collectivités territoriales ont la possibilité de définir assez librement les taux de la fiscalité locale.

On constate alors que les taux se différencient assez nettement. En Suisse, par exemple, les taux peuvent varier de un à quatre, entre différentes localités. Les mêmes écarts s'observent aux Etats-Unis et au Canada.

Deux interprétations sont possibles : l'une positive, l'autre négative. L'interprétation positive consiste à dire que les préférences pour des biens publics varient d'une région à l'autre. On observe vraiment des différences entre les grandes villes et les plus petites, ainsi qu'entre zone rurale et zone urbaine. Il y a des différences culturelles qui se traduisent par des préférences différentes pour des biens publics. Par ailleurs, la liberté dans la fixation des taux engendre une certaine concurrence entre les collectivités territoriales et contraint ces collectivités à mener une politique budgétaire en général plus efficace.

D'un point de vue plus négatif, des disparités en termes de développement économique peuvent naître ou s'accroître du fait de la liberté accordée aux collectivités territoriales de fixer leur taux. Une dynamique négative d'appauvrissement peut se faire jour dans certaines régions : des taux élevés provoquent l'émigration de personnes ne souhaitant plus contribuer à un niveau si élevé. La collectivité locale est forcée alors d'élever encore les impôts pour fournir les mêmes services publics. Cette élévation des impôts provoque de nouveaux départs : un cercle vicieux est enclenché. Les écarts de développement économique peuvent alors se renforcer. Cependant, ces cas sont extrêmes ; et ce cercle vicieux n'apparaît pas systématiquement.

De surcroît, tous les pays dans lesquels les collectivités territoriales disposent d'une certaine liberté dans la fixation des taux ont introduit des mécanismes de péréquation financière. C'est le cas notamment de la Suisse, du Canada, de l'Allemagne et des pays nordiques. Les dotations de l'Etat central égalisent d'une certaine manière les différentes capacités financières nées de ces libertés.

Un point me paraît important : avoir un taux unique pour toutes les collectivités territoriales peut être au désavantage des zones rurales. En effet, en général, les zones rurales possèdent une fiscalité moins forte et pour beaucoup d'entre elles, cette fiscalité plus faible sert d'outil de développement. Harmoniser les taux fiscaux, c'est alors, d'une certaine manière, priver les zones non urbanisées d'un instrument de développement dans la compétition qui les oppose aux zones urbaines.

4) Dans la France d'aujourd'hui les citoyens ressentent-ils le lien entre le niveau de la pression fiscale et le service rendu ?

Je préfère laisser cette question de côté, ne disposant pas d'éléments de comparaison.

5) Comment arriver à une plus grande responsabilité politique en matière de vote des taux ?

La question peut être reformulée comme suit : comment responsabiliser financièrement les collectivités territoriales ? Plus une collectivité locale dispose d'autonomie financière, plus elle se sent responsabilisée. Si l'argent provient de l'Etat central, la collectivité territoriale ressent moins cette responsabilité. D'un point de vue politique, il faut montrer le lien entre la fiscalité locale et les prestations offertes. Le citoyen doit avoir conscience du bien-fondé de l'utilisation du produit des impôts qu'il paie.

Concernant l'architecture fiscale d'un pays, les transferts sont souvent liés à la fiscalité locale. Une forte relation positive ou négative existe entre les recettes fiscales locales et les transferts de l'Etat central. Les collectivités peuvent fixer des taux, soit à un niveau trop élevé, soit à un niveau trop bas en sachant bien qu'un manque de recettes fiscales sera de toute façon couvert par l'Etat central. Cet effet s'observe dans certains pays décentralisés de l'OCDE.

6) Existe-t-il une différence dans le mode de gestion des collectivités territoriales selon qu'elle s'appuie sur la fiscalité locale ou bien sur les transferts ?

La charge administrative de la gestion de la fiscalité est plus lourde que la gestion des transferts qui interviennent généralement une fois l'an. Les coûts par habitant de l'administration fiscale diminuent fortement avec la taille de la collectivité. Il est donc plus facile de gérer la fiscalité locale pour une grande ville que pour une petite commune.

L'administration d'un service fiscal peut présenter une charge excessive par rapport aux résultats. La solution consiste, soit à laisser la gestion de la collecte à l'Etat, qui reverse ensuite aux collectivités le produit de l'impôt, soit à organiser collégialement la collecte de l'impôt par plusieurs communes ou bien au niveau régional.

7) Quelles sont les assiettes fiscales généralement taxées au bénéfice des collectivités territoriales dans les pays de l'OCDE ?

L'architecture des prélèvements fiscaux locaux varie grandement d'un pays de l'OCDE à l'autre. Si l'on regarde plus finement, deux modèles se distinguent : un modèle anglo-saxon et un modèle européen.

Dans le modèle anglo-saxon, les collectivités territoriales dépendent essentiellement de la taxe foncière. Les pays concernés sont par exemple l'Irlande, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, les Pays-Bas.

Dans le modèle européen, les collectivités territoriales dépendent davantage d'une taxe sur le revenu. Les pays concernés sont les pays nordiques, les pays fédéraux européens, comme la Suisse ou l'Allemagne.

La France fait exception, puisque les collectivités territoriales sont financées essentiellement grâce à une taxe un peu particulière qui est la taxe professionnelle. Elle n'appartient donc ni au modèle anglo-saxon, ni au modèle européen.

8) Quelle serait la meilleure taxe pour une collectivité locale ?

La question est pertinente, car elle relie la sphère fiscale à la sphère économique. La question n'est pas : quelle taxe nuit le moins au développement économique ? L'accent est mis sur le fait de savoir quelle serait la taxe qui favoriserait le mieux le développement économique. La question est donc plus « active ».

Le principe de base de la fiscalité locale, auquel doit se rattacher toute taxe, fait correspondre étroitement les prélèvements et les prestations fournies. La taxe ne doit pas être mobile, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas dépendre d'un éventuel mouvement de population. La taxe ne doit pas être redistributrice et ne doit pas être concentrée géographiquement. Cette taxe ne doit pas être sujette à des cycles conjoncturels.

Les impôts locaux qui satisfont le mieux à ces critères sont la taxe foncière, la taxe sur le revenu, les taxes sur les entreprises (assises sur le chiffre d'affaires ou bien les ventes).

La taxe foncière présente les avantages suivants : elle est non mobile, elle lie étroitement en général le montant de l'impôt et les prestations offertes. Son désavantage tient au fait qu'elle ne suive pas rapidement la croissance économique. Elle engendre des coûts initiaux importants dus à la mise en place des cadastres. Cette taxe n'incite pas assez au développement économique. Le développement économique local ne se traduit pas immédiatement par une hausse du produit local de cette taxe. En d'autres termes, il faut attendre un certain temps avant que l'on constate un lien positif entre croissance économique et augmentation des recettes fiscales liées à la taxe foncière.

Je me réfère à une discussion qui se déroule en ce moment au Québec. La discussion concerne le remplacement éventuel de la taxe foncière par une taxe qui prendrait justement plus en compte le développement économique. Je vous conseille donc de prendre contact avec les autorités régionales québécoises. Cette réflexion est menée dans toutes les régions, mais elle prend une ampleur certaine au Québec.

Les recettes des taxes sur le revenu progressent avec la croissance économique. C'est l'avantage connu de ce type de taxe. Cette taxe incite donc fortement la collectivité locale à favoriser le développement économique de son territoire. En effet, elle sait par avance qu'une politique, réussie, de développement économique se traduira d'abord, mécaniquement, par une hausse des revenus puis par une hausse des recettes. Une taxe sur le revenu présente également des inconvénients : elle est mobile ; elle est redistributrice (les personnes disposant de revenus élevés tendent par conséquent à fuir les taux élevés).

Si vous êtes intéressés par de tels débats, je vous renvoie aux discussions qui ont lieu en ce moment en Suisse. Les collectivités territoriales suisses dépendent à près de 80 % des taxes sur le revenu. La dynamique de périurbanisation nuit aux centres-villes, parce qu'ils perdent une grande partie de leur base imposable.

Il vous serait certainement utile d'étudier de plus près ces deux exemples extrêmes, le Québec et la Suisse. Dans ces deux pays, les débats relatifs à la refonte de l'architecture fiscale locale sont animés et intéressants.

La taxe sur les revenus des entreprises ou taxe professionnelle est liée aux infrastructures développées par les collectivités qui permettent d'accroître les revenus de ces mêmes entreprises. Une discussion a lieu au Québec pour mesurer l'opportunité d'introduire ce type de taxe dans certaines zones spécifiques. Les villes pourraient proposer à un consortium de développeurs des infrastructures supplémentaires, en échange de l'imposition d'une taxe spécifique légèrement plus élevée. Il existe donc ici un lien étroit entre taxe et prestation.

Cette taxe présente également un inconvénient : la distribution des taxes sur les entreprises est géographiquement inégale. Une grosse entreprise attachée au territoire d'une commune reverse l'intégralité de la taxe à une seule commune sans irriguer les communes limitrophes. Les taxes sur les entreprises sont toujours plus sensibles aux cycles conjoncturels. Ce type de prélèvement sur les entreprises est en déclin dans la plupart des pays de l'OCDE. Les taxes sur les personnes morales sont progressivement remplacées par des taxes sur les personnes physiques ou sur la propriété.

Dans la mesure où il n'existe pas de taxe optimale et au vu des expériences réalisées dans les pays de l'OCDE, il semble qu'une assiette composée de différentes taxes permet de mieux favoriser le développement économique et la stabilité financière des collectivités territoriales, au contraire d'une taxe fondée sur une base unique.

M. le Président - Je vous remercie. Pourriez-vous, s'il vous plaît, commenter le premier tableau intitulé « Ratios de décentralisation » ?

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - Ce tableau est le point de départ de nos travaux sur la décentralisation, entendue comme autonomie accordée aux collectivités territoriales dans la gestion des recettes et des dépenses, en fonction des responsabilités transférées à ces collectivités. Sur l'axe des ordonnées, vous voyez le degré de décentralisation des recettes, exprimé en pourcentage. Sur l'axe des abscisses, vous voyez le degré de décentralisation des dépenses, également exprimé en pourcentage. La bissectrice du premier quadrant indique qu'un pays a le même degré de décentralisation des recettes et des dépenses localement. Si l'on observe cette ligne, vous voyez que tous les pays figurent sous cette ligne. Les recettes sont donc plus centralisées que les dépenses ; par conséquent, l'Etat central intervient toujours au niveau des transferts qui comblent l'écart fiscal.

Il est intéressant de voir que l'écart est fort pour certains pays entre la centralisation des recettes et la décentralisation des dépenses, comme en Hongrie ou au Mexique, par exemple. La France est faiblement décentralisée, mais l'équilibre est notable entre la décentralisation des recettes et celles des dépenses.

M. Jacques OUDIN - Tous les pays sont au-dessous de la ligne. Ce tableau est intéressant pour comparer les situations. Vous avez indiqué qu'il y avait une tendance à transférer les prélèvements des entreprises vers les personnes physiques. Pouvez-vous nous indiquer, sous une forme de tableau, dans quelle proportion les recettes proviennent des taxes sur les entreprises et des taxes sur les personnes physiques en fonction des pays ?

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - Le dernier graphique présente la structure du système fiscal local en fonction des types de prélèvements. Ce tableau ne fait cependant pas de distinction entre les bénéfices des entreprises et les revenus des personnes physiques, puisqu'ils sont réunis sous la légende « revenus et bénéfices ». Les taxes sur la main-d'oeuvre jouent un rôle négligeable.

Pour ce qui concerne la France, il n'y a pas, au niveau local, de prélèvements sur les revenus et les bénéfices. Le financement n'est presque pas assuré par la Sécurité sociale. L'impôt foncier est présent, ainsi que les taxes sur les biens et services. Enfin viennent les autres taxes ; cette catégorie correspond pour la France à la taxe professionnelle.

M. le Président - Ce tableau ne représente que les prélèvements obligatoires et pas les dotations. La taxe professionnelle n'est donc présente que dans trois pays : la France, l'Italie et la Turquie.

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - En ce qui concerne la Turquie, la taxe n'est pas calculée de la même manière qu'en France. Ce n'est pas une taxe professionnelle. De même qu'en Allemagne, où elle est assise sur les bénéfices.

M. Jacques OUDIN - Je pense que l'OCDE pourrait accomplir un travail d'information sur ce sujet, sur la base de présentations graphiques de la situation respective des collectivités territoriales dans les pays de l'OCDE.

Concernant la taxation des personnes physiques, des entreprises ou la taxe foncière, on devrait situer tous les pays sur un graphique et nous pourrions en tirer quelques enseignements sur la position française. À partir de ceux-ci, nous pourrions éventuellement réorienter nos pratiques. Les entreprises sont certes sensibles à cette fiscalité-là, mais seules les plus grosses entreprises sont susceptibles de se délocaliser pour ce motif.

M. le Président - Ces informations demandées pourraient-elles être mises en forme ? Il serait intéressant d'étudier les impôts des pays, comme le Canada, qui perçoivent directement des recettes dans les proportions les plus fortes. De quels types d'impôts disposent-ils ? Sont-ce des impôts sur le revenu ou sur les sociétés ? Ce sont donc des impôts qui relèvent en France de la fiscalité de l'Etat.

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - Je peux vous présenter les études qui ont récemment été faites sur certains des pays évoqués ici et dont les résultats sont rassemblés sous la forme d'une publication. Les études concernant la Suisse et le Canada viennent d'être publiées. Nous avons également étudié des régions, la région Champagne-Ardenne, par exemple.

Il serait intéressant de faire cette étude, dans un cadre comparatif, pour la France. C'est à la demande du pays membre que l'on peut faire cette étude.

M. le Président - Nous pourrions aussi reprendre à notre compte cette demande.

M. Yves FRÉVILLE - Je voulais formuler quelques remarques sur ces problèmes liés aux transferts et aux impôts.

En particulier lorsque l'on s'intéresse aux études comparatives, se posent des problèmes d'analyse dans le détail. Par exemple, les impôts locaux sont-ils déductibles de l'assiette des impôts d'Etat ? Cela n'apparaît pas dans ces graphiques. La taxe professionnelle était payée, lorsque l'impôt sur les sociétés (I.S.) s'élevait à 50 %, sous forme de déductions de l'I.S. d'Etat. Il en est de même pour la taxe foncière qui est déductible de l'impôt sur le revenu (I.R.). Tout cela n'est pas neutre, lorsque l'on s'intéresse à la forme des prélèvements et à l'incidence de ces impôts. Ce n'est pas parce que l'on dit que les entreprises paient un impôt, que ce sont bien elles qui, en définitive, paient l'impôt. Il faut donc bien faire attention. Dans le cas contraire, nous courons le risque d'arriver à des conclusions absurdes, en particulier en matière de taxe professionnelle.

Mais je voudrais surtout savoir si l'existence des transferts conduit les collectivités à être plus dépensières que si elles sont financées par des impôts. Toutes les études semblent le montrer. Les transferts sont systématiquement dépassés. En Grande-Bretagne, Margaret Thatcher avait bien vu ces problèmes liés aux dépassements des crédits. Elle avait en conséquence élaboré un système de dotations dont le montant principal diminuait lorsque la collectivité augmentait ses dépenses. La ville de Londres qui augmentait ses dépenses et dépassait ses dotations vit donc systématiquement diminuer ses dotations d'Etat. Les économistes se posent la même question : est-ce la même chose de donner de l'argent aux citoyens pour qu'ils paient des impôts locaux ou bien ne vaut-il mieux pas effectuer des transferts ? Nous nous apercevons que le transfert incite davantage la collectivité locale à la dépense que ne le fait l'argent qui est distribué aux ménages qui vont payer des impôts locaux. Tout cela n'est pas neutre donc.

Ma dernière observation concerne la remarque de Hansjörg Blöchliger sur le fait que la décentralisation est faite en vue de mieux satisfaire localement les besoins différents des citoyens. Cette conception est une conception américaine de la décentralisation, mais certainement pas française, qui promeut l'égalité devant le service public. La décentralisation n'est pas conçue pour que les services locaux soient différents d'une collectivité locale à l'autre. Le paradoxe du système français consiste à pallier les conséquences de ce principe. Dans tous les systèmes étrangers de transferts aux collectivités territoriales, l'essentiel n'est pas de corriger les différences de ressources fiscales, mais bien de corriger les différences de besoins. Le système anglais distribue de l'argent sans tenir vraiment compte des impôts locaux. Il ne tient compte, en forçant le trait, que d'un certain nombre d'indicateurs, comme le nombre d'enfants scolarisés, de personnes âgées...

Nous avons complètement oublié, dans notre système de péréquation, les différences de besoins. Notre système d'autonomie fiscale, qui consiste à corriger des inégalités de ressources, est-il satisfaisant ? Ne vaudrait-il pas mieux s'intéresser à des systèmes de transferts qui cherchent à corriger des inégalités liées à des différences de besoins ? J'aimerais bien que l'on étudie mieux les différences liées à la péréquation en fonction des ressources et la péréquation en fonction des besoins.

M. le Président - Yves Fréville a évoqué l'intérêt de la collectivité à susciter la création de richesses et d'emplois. La taxe professionnelle y contribue, car sa disparition entraîne a contrario une chute de motivation de la part de la collectivité, qui ne perçoit plus de nouvelles recettes liées aux nouvelles implantations.

M. Yves FRÉVILLE - Je parlais des entreprises mobiles. Ce sont les investissements lourds et immobiles, comme les barrages hydroélectriques et les centrales nucléaires qui rapportent d'importantes recettes fiscales.

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - M. Fréville évoque les disparités de prestations de biens et services locaux selon les pays. On constate que les disparités économiques et fiscales sont plus fortes en France que dans la plupart des autres pays européens. Le fait que l'Etat central prévoie des biens et services locaux pour tout citoyen n'empêche donc pas les disparités. La provision par l'Etat central n'a pas mené à la réduction des disparités par rapport à des pays dans lesquels les prestations de services locaux sont assurées par les collectivités territoriales.

Par ailleurs, pour reprendre les problèmes nés de la péréquation des besoins ou des recettes, j'aimerais dire que, dans tous les pays qui ont introduit des systèmes de péréquation, il y a en fait toujours deux systèmes de péréquation. Le premier système de péréquation concerne le revenu et cherche à égaliser la base fiscale ; le second système spécifique cherche à égaliser les coûts des prestations.

En Suisse, par exemple, il y a des cantons urbains dans les plaines et des cantons ruraux dans les montagnes. Le coût des infrastructures est bien sûr plus élevé dans les cantons ruraux. Un système de péréquation fondé sur les coûts a donc été mis en place à côté du système général de péréquation des revenus. De la même manière, au Canada, un système de péréquation des revenus existe et il permet de lisser modérément la base fiscale. Mais les Territoires du Nord, qui ont des besoins plus importants et supportent des coûts plus élevés, disposent d'un système particulier de péréquation. De même, les zones urbanisées, qui supportent, elles, des coûts sociaux plus lourds, disposent également d'un système propre de péréquation. La conclusion qui émerge illustre la nécessaire existence des deux systèmes de péréquation.

M. Yves FRÉVILLE - Dans la proposition de loi constitutionnelle que j'ai pu lire, il est fait de la péréquation des ressources un principe constitutionnel, alors que la péréquation des besoins n'est pas même évoquée.

M. Hansjörg BLÖCHLIGER - Je voudrais vous signaler que l'Italie est en train d'instaurer un système de péréquation financière qui est fondé sur deux indicateurs, le revenu et les coûts, qui traduisent d'une certaine manière les besoins. Peut-être pourriez-vous vous mettre en contact avec des collègues italiens, puisque ce pays dispose aujourd'hui d'un système proche de celui qui existe en France.

M. le Président - Je vous remercie, Monsieur Blöchliger, de votre témoignage et nous restons en contact bien-sûr. S'il vous semble que l'OCDE dispose de documents qui nous permettraient de progresser, je vous saurais gré de nous les faire parvenir.


Audition de M. Dominique BUR,
Directeur général des collectivités locales


(9 octobre 2002)

M. Jean ARTHUIS, président - Mesdames et Messieurs les commissaires, la séance est ouverte. Avant tout, je voudrais souhaiter la bienvenue à Monsieur Dominique Bur, directeur général des collectivités locales, qui a bien voulu répondre à notre invitation.

Nous poursuivons aujourd'hui notre série d'auditions destinées à apporter une contribution au débat sur la réforme de la fiscalité locale, au moment même où le Gouvernement engage une vaste réflexion sur la décentralisation et s'apprête à approuver un projet de réforme constitutionnelle. Ce projet comporte notamment des mesures fiscales et financières qui ont pour but de fournir aux collectivités territoriales une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources.

Je vous suggère, Monsieur le Directeur, de vous exprimer lors d'un propos liminaire sur un plan général à propos de cette éventuelle réforme de la fiscalité locale. Ce n'est pas un exercice facile : depuis une décennie, les seules réformes ont en effet consisté à supprimer des impôts locaux et à ajourner sine die la mise en oeuvre des bases actualisées, accomplie au terme d'un effort sans précédent au début des années quatre vingt dix pour le foncier et la taxe d'habitation. Si vous le voulez bien, vous nous livrerez d'abord vos réflexions. Chacun d'entre nous vous posera ensuite quelques questions pour approfondir tel ou tel point de votre propos.

M. Dominique BUR, directeur général des collectivités locales - Monsieur le Président, monsieur le Rapporteur général, mesdames et messieurs les Sénateurs, je voudrais d'abord signaler qu'il y a eu un léger quiproquo sur l'objet même de cette audition. Fort heureusement, tout a été rectifié ce matin et j'ai donc eu le temps de mettre quelques idées sur le papier. Je me permettrai donc de vous les présenter, avant de me tenir à la disposition des membres de la commission pour échanger avec eux au sujet de cette audition. Je vous fournirai ensuite par écrit les éléments de réponse que vous avez souhaité recevoir dans le cadre du questionnaire.

Monsieur le Président, sachez en premier lieu que vos préoccupations de responsabilisation fiscale et d'autonomie financière des collectivités territoriales, très clairement exprimées dans ce questionnaire, se trouvent tout à fait au coeur des préoccupations du Gouvernement. Vous avez évoqué à l'instant l'évolution de ces dernières années, qui n'a pas été favorable aux finances locales, dans la mesure où une partie de la fiscalité locale a été supprimée et transformée en compensation. Cette évolution préoccupe le Gouvernement qui, bien entendu, souhaite revenir dessus.

La révision constitutionnelle

Cette préoccupation commune s'exprime très directement dans le projet de loi de révision constitutionnelle, notamment par un article traitant des autonomies financière et fiscale des collectivités territoriales. Ce projet de loi est actuellement en discussion au Conseil d'Etat, où nous avons passé hier six heures de débat. Si vous le permettez, je souhaiterais rappeler les principaux éléments de cet article.

Son premier alinéa fait le lien entre la libre administration des collectivités territoriales et leurs garanties de ressources libres d'emploi.

Le deuxième précise que les collectivités territoriales peuvent bénéficier d'impositions de toutes natures. La rédaction est volontairement large, puisque cela peut couvrir leur fiscalité directe comme indirecte ainsi que des impositions d'Etat qui seraient transférées. Dans ce même alinéa, il y a une indication importante qui porte sur la possibilité pour les collectivités d'agir sur les taux, ce qui est déjà le cas, mais aussi sur l'assiette, ce qui constitue un élément nouveau et très intéressant.

Le troisième alinéa porte plus directement sur les recettes fiscales et cherche à répondre à la préoccupation que vous avez vous-mêmes exprimée. Il prévoit que les recettes fiscales, additionnées aux recettes propres et aux dotations que les collectivités peuvent recevoir d'autres collectivités, doivent constituer une part prépondérante des recettes d'ensemble des collectivités territoriales. Comme vous l'aurez remarqué, il y a là un adjectif qui a déjà fait couler beaucoup d'encre. Il figure encore dans le projet de texte, mais le Parlement aura certainement l'occasion de lui consacrer de longues discussions.

Le quatrième alinéa constitutionnalise les dispositions sur la compensation des transferts de compétence qui figuraient dans la loi. Il prévoit que ces transferts doivent être compensés à hauteur de ce que l'Etat y consacrait préalablement.

Le dernier alinéa, nouveau, porte sur la péréquation. Dans sa réflexion sur la responsabilisation fiscale, le Gouvernement estime en effet que la plus grande liberté fiscale qu'il compte donner aux élus doit s'accompagner d'une péréquation. Il incombera à la loi d'en définir les modalités, de façon à garantir à chacun une certaine équité dans la disposition de ses ressources.

Les thèmes de réflexion en cours

Le second point, qui pourra certainement donner lieu à des échanges, porte sur des thèmes de réflexion en cours. La direction générale des collectivités locales, à la demande du précédent gouvernement, avait participé à un travail que nous avions mené en commun. Ce travail s'est traduit par un rapport sur les finances locales qui fait surtout un état des lieux et dont vous avez peut-être déjà évoqué les différents aspects.

1) Clarification du système fiscal local

Les réflexions en cours portent sur la clarification et la lisibilité du système fiscal local. On critique en effet très souvent le fait que les mêmes impôts soient répartis sur plusieurs niveaux de collectivités. Cela ne permet pas au citoyen contributeur de connaître la collectivité qui fixe l'impôt et donc d'établir un lien entre elle et lui. La Commission Mauroy avait à ce sujet préconisé un système très simple, avec l'affectation d'un impôt à une collectivité. Nous avons nous aussi réfléchi à ce sujet.

Nous avons d'abord constaté que les évolutions précédentes avaient elles-mêmes conduit à une certaine simplification. D'abord par le simple fait que des impôts, par exemple la taxe d'habitation régionale, aient disparu. Mais par le fait aussi que la loi sur l'intercommunalité ait fait monter la taxe professionnelle au niveau de l'intercommunalité. Je crois d'ailleurs que 2002 sera la première année où la taxe professionnelle levée par l'intercommunalité sera supérieure à la taxe levée par les communes. Il s'agit donc d'une évolution qui aura, en seulement quelques années, sérieusement modifié le paysage. On ne peut pas ne pas en tenir compte.

Le principe même de l'affectation d'un impôt par collectivité, même s'il est intéressant en termes de lisibilité et de clarté, nous paraît malgré tout poser quelques difficultés. Lier son sort fiscal à une seule matière fiscale peut créer des effets de surprises lorsque la conjoncture se retourne. De plus, toute redistribution d'impôts en les affectant par niveau de collectivité obligerait à créer des fonds de reversement, de façon à ce que les excédents compensent les déficits. Or, un tel dispositif ne contribuerait pas à une meilleure responsabilité fiscale des élus puisque ces fonds seraient des quasi-dotations. Tout cela nous a bien évidemment fait réfléchir aux limites de cet exercice de clarification et de lisibilité.

2) Avenir de la fiscalité directe locale

Notre second thème de réflexion porte sur l'avenir de la fiscalité directe locale. Nous savons tous que ses bases sont très anciennes et que les exercices de révision qui ont été menés en 1990 n'ont pas abouti, et ce malgré trois tentatives. Cette situation s'est traduite par le fait que l'Etat a pris en charge une part croissante de cette fiscalité directe locale, notamment pour des raisons d'équité, et nous craignons que son évolution ne conduise à une espèce de dégradation lente de ce système de fiscalité. Nous pensons donc qu'il n'y a que deux solutions : soit la dégradation lente se poursuit, soit nous réagissons et nous rénovons la fiscalité directe locale. Il y a là une piste de travail. Une telle rénovation pourrait porter sur plusieurs points.

J'ai déjà parlé de l'accroissement des capacités des collectivités territoriales en matière de taux. Une disposition élargissant la marge de manoeuvre figurera dans le projet de loi de finances pour 2003 ; elle permettra d'assouplir les règles de lien entre les taux de la taxe professionnelle et ceux de la taxe d'habitation et des taxes ménages. C'est une indication d'orientation du sens que le Gouvernement veut donner à son action.

La deuxième orientation concerne l'assiette. Il y a dans ce domaine une piste que nous avons évoquée rapidement dans le rapport sur les finances locales. Elle part du constat de la quasi-impossibilité de procéder à une révision nationale, c'est-à-dire de mettre à jour l'ensemble des bases comme on pouvait le concevoir en 1990. Nous nous demandons donc s'il ne faudrait pas procéder à des révisions délocalisées, ou en tout cas s'il ne faudrait pas donner aux collectivités territoriales la possibilité d'y procéder elles-mêmes, bien évidemment en liaison avec les services fiscaux et dans un cadre fixé par la loi. Nous pourrions imaginer que ces révisions se fassent, soit à un moment donné, soit dans la durée, à l'occasion de chacune des mutations des biens. Sachez en tout cas que l'idée d'une telle révision délocalisée a été évoquée.

3) Transfert ou partage d'un impôt d'Etat

Le transfert ou le partage d'un impôt d'Etat est le troisième thème de notre réflexion sur la fiscalité des collectivités territoriales. Différentes hypothèses peuvent être évoquées. Elles ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Je pense par exemple au partage d'un impôt d'Etat : il ne permet bien évidemment pas de donner une véritable responsabilité fiscale locale, puisqu'il consiste à verser globalement aux collectivités, puis à le répartir selon des critères, un morceau d'un impôt d'Etat. Cette formule a toutefois l'avantage de lier malgré tout la masse à répartir à l'impôt national, et si cet impôt est évolutif, les collectivités territoriales peuvent elles aussi en bénéficier. Ce sont des dispositifs qui existent ailleurs en Europe, notamment en Allemagne, et ce même s'il est vrai qu'il existe là-bas des instances de concertation qui permettent d'associer les Länder à ce partage. Il y a quand même là une piste, même si elle ne correspond pas tout à fait à de la responsabilité fiscale.

Quant au transfert, il s'accompagnerait à l'évidence d'un transfert de responsabilité fiscale. Cet exercice est toutefois extrêmement difficile, notamment en raison de la contrainte exercée par Bruxelles. Je pense par exemple à la TVA, pour laquelle la réglementation européenne oblige à un taux uniforme au niveau national, ce qui ne permet pas de jouer par région. Les Français accepteraient-ils d'ailleurs que des impôts de cette nature soient variables en fonction des régions ? L'autre impôt qui a souvent été évoqué, la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), pourrait mieux se prêter à un exercice de ce type. Il y a de toute façon une réflexion à mener en matière de perception, puisque la TIPP est perçue dans certains endroits, et il faut voir comment on pourrait la localiser. Nous y réfléchissons, tout en sachant que l'on pourrait passer au travers de la réglementation européenne puisqu'il faut seulement respecter un taux minimum en matière d'accises. À partir du moment où ce taux est respecté, les collectivités pourraient, dans le cadre de la circonscription, fixer certains taux et aboutir à une véritable responsabilité fiscale.

4) Instauration de fiscalités nouvelles

Dernier élément de cette réflexion, l'instauration de fiscalités nouvelles, comme cela a pu être évoqué dans différentes enceintes, notamment le Comité des finances locales. Elles pourraient porter sur des assiettes évolutives (énergie, télécommunications). Nous n'en sommes là encore qu'au stade de la réflexion. Mais la question qui se pose, ou qui se posera, est celle de la compatibilité d'une telle mesure avec la volonté gouvernementale de réduire la part de l'impôt dans le PIB et donc de ne pas créer de nouveaux impôts, même s'ils sont destinés aux collectivités territoriales et à la satisfaction des citoyens dans leur vie quotidienne.

Je reste bien évidemment à disposition de la Commission pour répondre aux questions.

M. le Président - Monsieur le Directeur général, je voudrais saluer votre performance. Vous étiez venu pour répondre à d'autres questions et, au pied levé, vous venez de brosser une description quasiment exhaustive des problématiques de l'évolution de la fiscalité territoriale. Soyez-en très chaleureusement remercié. Je vais maintenant demander au rapporteur général de réagir à vos propos. Je ne doute pas que chaque commissaire aura ensuite le souci de vous interroger ou de vous faire partager ses propres réflexions.

M. Philippe MARINI, rapporteur général - Merci Monsieur le Président. J'aurais en effet souhaité exprimer une réaction et formuler une préoccupation.

Ma réaction sera celle d'une grande satisfaction vis-à-vis de l'approche qui est celle du ministère de l'Intérieur, plus précisément du ministre délégué chargé des libertés locales et de la direction générale des collectivités locales, face à ces problèmes si complexes de réforme du système fiscal local. Nous écoutons au cours de ces auditions beaucoup d'intervenants, d'experts, de responsables d'autres services d'administration, et souvent, ce qui semblerait résulter de ce qu'ils nous disent, c'est l'impossibilité de faire bouger quelque paramètre que ce soit sur ce tableau inextricable des finances locales. Or, si l'on vous écoute bien, il semble que l'on soit déjà allé suffisamment loin dans la réflexion pour définir ce que doit être le principe d'autonomie financière et ce que peut être l'équilibre entre transfert de charges et transfert de ressources.

Venons-en maintenant à ma préoccupation. Beaucoup de nos collègues qui participent déjà aux réunions régionales et départementales sur les finances locales et la décentralisation, expriment des inquiétudes. Ils ont en effet le sentiment que pour l'administration préfectorale et pour les services déconcentrés de l'Etat, qui vont jouer un rôle important dans l'animation des débats départementaux et régionaux, il y a une espèce de recherche furtive ou quasi-souterraine de transferts possibles de charges étatiques sur des budgets locaux. Je pense que ces comportements, s'ils existent, sont complètement erronés et contraires à la volonté politique du Gouvernement. Je voudrais, Monsieur le Directeur général, que vous puissiez nous donner votre appréciation sur ce point. J'ajouterais, pour finir d'exposer cette préoccupation, que dans l'esprit de beaucoup de collègues et de responsables de collectivités territoriales, si la décentralisation ne correspondait pas à plus de pouvoir financier et à un meilleur équilibre entre les charges et les ressources, elle représenterait alors un exercice complètement vain et complètement vide.

Le message que je voudrais transmettre est donc celui de l'absolue nécessité d'entrer dans les problématiques financière et fiscale et de ne pas en rester à des exposés organiques ou institutionnels qui vont faire éclore toutes sortes d'idées, vont faire s'exprimer beaucoup de besoins, vont conduire à voir pousser plus de cent fleurs dont il faudra aussitôt couper quatre-vingt-dix-neuf pieds.

M. le Président - Monsieur le Directeur général, voulez-vous réagir aux propos de M. le Rapporteur général ?

M. Dominique BUR - Monsieur le Rapporteur général, je voudrais d'abord vous remercier pour votre réaction. C'est toujours une satisfaction d'entendre de tels propos.

Si j'ai bien compris, votre inquiétude porte sur les schémas de transferts qui aboutiraient en quelque sorte à délester l'Etat d'un certain nombre de ses charges de façon à les faire supporter par les collectivités territoriales. Je crois pouvoir dire, puisque je participe à ces travaux, que telle n'est pas la vision du Gouvernement, et notamment du ministre, qui ne manquera pas de venir s'en expliquer devant vous. Sa préoccupation est en effet la recherche d'un nouvel équilibre des pouvoirs, et cela rejoint tout à fait ce que vous évoquiez tout à l'heure. Le constat a été fait d'une situation dans laquelle de nombreux rouages sont bloqués et dans laquelle l'Etat est « ficelé » par un certain nombre de compétences qui ne lui permettent pas d'exercer correctement ses missions fondamentales. D'où la nécessité de revoir le partage entre les pouvoirs de l'Etat et les responsabilités des collectivités territoriales. C'est bien l'approche et la conception du Gouvernement, à travers ce que le Premier ministre appelle cette « nouvelle étape de la décentralisation ».

Bien évidemment, cette approche ne peut pas ne pas s'accompagner d'une approche financière, surtout si l'ampleur de cette réforme se traduit par de nouvelles charges pour les collectivités territoriales et les élus. Le volet financier et fiscal sera donc particulièrement important. Pour autant que je puisse le percevoir dans les travaux qui sont menés, le Gouvernement en est parfaitement conscient. Ce sera donc un des enjeux de la discussion qui va avoir lieu sur les lois de décentralisation qui vont suivre la loi constitutionnelle.

M. le Président - Merci, Monsieur le Directeur général. Je vais maintenant donner la parole à M. Michel Mercier, qui est rapporteur spécial des crédits de la décentralisation.

M. Michel MERCIER - Merci, Monsieur le Président. Je vais vous livrer une observation et quelques réactions sur les propos tenus par M. Bur. Je crois d'ailleurs que nous pouvons tous le féliciter et nous féliciter.

Mon observation sera celle de l'urgence d'une réforme, compte tenu notamment de la situation de blocage à laquelle nous a menés la suppression d'un grand nombre d'impôts. Ces impôts ont été remplacés par des dotations qui n'évoluent pas tandis que les dépenses, elles, évoluent beaucoup. Je voudrais à ce sujet prendre l'exemple des départements, qui se trouvent dans des situations difficiles, et notamment de celui que je représente, car je le connais mieux que les autres.

L'année prochaine, les crédits nécessaires à payer l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) à ses 25.000 bénéficiaires devraient augmenter de 49 % par rapport à cette année, pour atteindre 560 millions de francs. C'est un peu lourd. Surtout que nous devons également financer le service d'incendie et de secours ; or, les conséquences des mesures de toutes natures contenues dans les 130 textes pris ces dernières années vont se traduire l'année prochaine par une augmentation de 76 millions d'euros. Les deux réunis, nous arrivons à des dépenses de plus d'un milliard de francs pour un seul département, ce qui nous obligerait à augmenter les impôts de 25 % : non seulement à cause des sommes en jeu, qui sont très importantes, mais aussi parce qu'au fil des ans, on a rigidifié le système fiscal local et qu'aujourd'hui, le seul impôt sur lequel on a un peu de pouvoir lorsque l'on est élu local est la taxe d'habitation. Et si l'on veut garder la même répartition entre le contribuable de la taxe professionnelle et celui de l'impôt ménage, il faut monter la taxe professionnelle à des niveaux extrêmement lourds. Nous voilà donc dans un système de blocage complet : à vouloir augmenter de 25 % les impôts après l'avoir fait de 15 % l'année dernière, on se rendra vite compte que la décentralisation n'a pas, dans l'esprit du contribuable, un avenir complètement dégagé.

D'autre part, si l'on comprend bien ce que vous nous avez annoncé dans le cadre de cette loi constitutionnelle que nous attendions depuis si longtemps, on voit clairement qu'il y aura des choses « ficelées ». Une fois la Constitution modifiée, on ne pourra en effet plus faire n'importe quoi. Cette loi me semble donc plus importante qu'on ne le dit et je pense qu'elle va aiguiller la réforme fiscale. Si, encore une fois, j'ai bien compris le sens de votre exposé, alors la Constitution prévoira que les collectivités territoriales pourront également agir sur la détermination de l'assiette de l'impôt et non plus seulement sur les taux. Il est bien évident que dès lors que l'on va permettre à une collectivité, probablement la commune car c'est elle la plus proche, de déterminer l'assiette de l'impôt, donc de revoir ses bases, on sera obligé de lui affecter ledit impôt. Je vois en effet mal comment, au niveau régional ou départemental, on pourrait avoir des assiettes modifiées dans un coin mais pas dans un autre. Un tel fait serait porteur d'une inégalité grave entre les contribuables. Cette disposition constitutionnelle signifie donc que l'on donne un pouvoir au maire, et je pense qu'il s'agit de la seule solution pour réviser les bases ; elle signifie également que cet impôt deviendra presque strictement communal et qu'on ne pourra guère l'utiliser à grande hauteur dans les autres collectivités. Il y aura en effet d'importantes inégalités entre les contribuables, suivant que la commune aura décidé ou non de réviser les bases.

Vous nous avez ensuite parlé de la péréquation, un sujet très important dont on discute tout le temps. Sauf que l'on n'en discute jamais globalement et complètement ! Il ne faut pas seulement regarder les recettes, il faut aussi regarder les dépenses. Or, toute bonne péréquation doit aussi tenir compte des charges d'une collectivité. On ne peut avoir une collectivité qui n'a point de ressources, cela serait extrêmement ennuyeux. Ce le serait toutefois beaucoup moins si elle n'a point de dépenses non plus.

Dernière remarque : dès lors que la Constitution prévoira qu'il y a une part déterminante des ressources propres dans le total des ressources des collectivités territoriales, les dotations d'Etat diminueront forcément. Et l'on ne peut faire diminuer les dotations d'Etat qu'en transférant un impôt. Sinon, les collectivités territoriales seraient quelque part « volées ». Cela veut dire qu'une fois l'impôt transféré, la dotation diminue, jusque-là nous sommes d'accord, mais aussi que la péréquation ne peut plus se faire sur les dotations de l'Etat, mais au moins en partie sur les ressources fiscales, ce qui est tout à fait nouveau. Notre Commission a en effet toujours affirmé qu'il appartenait à l'Etat, plutôt qu'aux collectivités, d'assurer la péréquation. Je ne suis cependant pas contre une telle mesure, mais pouvez-vous aller un peu plus loin sur ces divers points dans vos explications ? Je vous en remercie.

M. le Président - Monsieur le Directeur général, compte tenu de sa qualité de Rapporteur spécial, je vous suggère de répondre maintenant à M.  Michel Mercier. Nous donnerons ensuite la parole aux autres commissaires et vous répondrez globalement.

M. Dominique BUR - Oui, Monsieur le Président. Monsieur le Rapporteur spécial, la situation que vous évoquez, qui est celle des départements mais pas uniquement, nous est bien connue et nous l'évoquons régulièrement. Personne ne peut nier que nous avons là une situation classique de « ciseaux », avec d'un côté des suppressions d'impôts (notamment de la vignette) et de l'autre l'apparition de charges nouvelles qui se sont révélées supérieures à ce qui a pu être évoqué dans un premier temps. Il est vrai que cette situation a conduit à des évolutions fiscales lourdes dans certains départements en 2002.

Nous avons regardé très attentivement les évolutions et nous avons constaté que des départements ont été amenés à des évolutions de fiscalité supérieures à 10 %. Dans certains cas, cette évolution de fiscalité a même été supérieure à 20 % ! Je crois d'ailleurs que vous évoquiez pour 2003 des perspectives encore plus fortes. Vous rejoignez en cela la problématique générale que l'on évoquait tout à l'heure, qui consiste à réfléchir à ce que les collectivités puissent prendre en charge les dépenses que leur a confiées la loi, mais avec des marges de manoeuvre de façon à être capable de s'adapter à chacune des situations et de ne plus s'appuyer uniquement sur les dotations. Mais encore une fois, cet exercice est complexe et difficile, une réflexion est en cours, et je ne peux donc pas aller plus loin s'agissant des départements.

Quant au cas très particulier de l'APA, sachez que le Gouvernement y a déjà songé puisqu'un travail est en cours avec l'Assemblée des départements de France et le ministère des Affaires sociales. Il a pour but de faire un point très précis sur la situation et de voir s'il ne faudrait pas prendre de nouvelles mesures, quitte à devoir solliciter le législateur, l'objectif étant d'encadrer une dépense qui, je ne le cache pas, est allée très au-delà de ce qui avait initialement été envisagé.

L'autre sujet très important que vous avez évoqué est celui de la péréquation. Comme je l'indiquais tout à l'heure, je crois que la péréquation est le pendant de la liberté. La liberté financière et fiscale qui est recherchée par le Gouvernement doit aussi s'accompagner, au nom du principe de solidarité nationale, d'un lissage des inégalités. Il faut en effet faire en sorte que les différences et les inégalités en matière de ressources, d'assiettes et de bases fiscales, qui sont la réalité de la situation économique des différentes collectivités, ne soient pas excessives. Il nous incombera notamment d'éviter que ces inégalités n'aboutissent à une espèce de rupture entre, d'une part, les collectivités très riches et, d'autre part, celles qui ont beaucoup plus de mal à faire face aux charges élémentaires de fonctionnement des services publics que leurs citoyens sont en droit d'attendre. Nous avons en effet dans notre pays un principe d'égalité, régulièrement rappelé par le Conseil constitutionnel, qui fait que les citoyens sont en droit d'attendre une certaine égalité dans l'accès aux services publics. Le principe de péréquation sera donc inscrit, si le Parlement l'adopte, dans l'article du projet de révision constitutionnelle que j'évoquais tout à l'heure. Mais ce sera bien évidemment à la loi de le mettre en oeuvre selon les modalités qu'il envisagera. Il ne s'agit pourtant pas d'un principe abstrait, mais la Constitution reste à un tel niveau de généralités que le législateur devra forcément intervenir.

Comme vous le rappeliez tout à l'heure, il peut y avoir deux grandes branches dans la péréquation. Celle-ci tente traditionnellement de se faire au travers des dotations de l'Etat, dont certaines études ont montré qu'environ 30 % étaient fondées sur des critères de péréquation. Contrairement à ce qu'on a pu penser, parce qu'à un certain moment on évoquait des chiffres très faibles de l'ordre de 5 à 6 %, l'étude exhaustive à laquelle nous avons procédé révèle donc qu'environ un tiers des dotations est assis sur des critères de péréquation. Ces critères peuvent bien évidemment être insuffisants et donnent lieu à une péréquation faible. Mais nous avons par ailleurs commandité une autre étude qui montre que les éléments de péréquation, je pense notamment à la dotation globale de fonctionnement (DGF), ne sont pas du tout négligeables, y compris, et assez curieusement d'ailleurs, pour la dotation forfaitaire.

D'un autre côté, je pense que nous pouvons dire, et les élus que vous êtes ne me démentiront pas, que votre souci est aussi de bénéficier de dotations relativement stables et en évolution chaque année. Je dirais qu'un exécutif d'une collectivité a besoin, pour prévoir son budget de l'année suivante et pour mettre en oeuvre ses projets, de ne pas avoir de dotations qui montent ou qui descendent d'une année sur l'autre sans perspectives de prévisions. Par conséquent, le souhait qui est souvent exprimé par les élus est celui de bénéficier d'une dotation que la collectivité peut prévoir l'année suivante.

Vous voyez donc bien que les deux termes peuvent être contradictoires. Car qui dit péréquation, dit utilisation de critères qui créent des différences ; par conséquent, pour donner plus aux uns, il faut parfois réduire ou stabiliser les autres. Les deux objectifs que j'évoquais peuvent donc parfois être difficiles à atteindre en même temps, sauf si bien sûr l'accroissement des dotations dépasse les 5 ou 10 %. Ce n'est malheureusement pas dans l'air du temps.

La difficulté de cet exercice me conduit à la deuxième branche que vous évoquiez tout à l'heure, qui est de dire que la péréquation sur les dotations n'est peut-être pas suffisante, et je m'interroge sur le fait qu'il faille peut-être utiliser l'autre instrument que vous mentionniez, l'instrument fiscal, pour aussi pratiquer une certaine péréquation. Cette péréquation existe déjà de fait, au travers de certains fonds que vous connaissez bien, notamment les fonds départementaux de la taxe professionnelle ou le fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF) (assis sur le potentiel fiscal ou la taxe professionnelle). La question sur laquelle, encore une fois, je ne tiens pas à me prononcer, peut se poser de savoir si l'accroissement de la liberté fiscale ne doit pas avoir comme pendant des mécanismes de péréquation, élargis, au-delà des fonds départementaux, à des fonds régionaux ou à un fonds national.

M. le Président - Vaste sujet qui a fait naître des métiers. Il fut un temps où les préfets et les trésoriers payeurs généraux pouvaient répondre aux interrogations des élus territoriaux. Maintenant, on a recours à des cabinets extérieurs pour procéder à l'interprétation des textes législatifs et réglementaires.

M. Dominique BUR - Monsieur le Président, les élus sont en ce domaine parfois meilleurs que les préfets.

M. le Président - Je donne maintenant la parole à M. François Marc.

M. François MARC - Merci, Monsieur le Président. Je voudrais revenir un instant sur la fiscalité territoriale et ce qui a été dit à ce sujet.

En ce qui concerne les faiblesses et les insuffisances, qui petit à petit ont été révélées, des dispositifs de fiscalité locale, vous avez vous-même remarqué, Monsieur le Directeur, que c'est l'Etat qui a été amené à opérer, à l'aide d'un certain nombre de compensations, de dégrèvements et d'autres mécanismes régulateurs, les adaptations nécessaires. À tel point qu'aujourd'hui, pour certains impôts locaux, il y a la moitié des contribuables qui bénéficient de dispositions particulières mises en oeuvre à l'échelle nationale. Ceci me conduit à vous poser deux questions.

La première est une question de principe. À l'heure où l'on parle d'autonomie et de liberté, en quoi les mécanismes que vous avez suggérés pour faire évoluer la fiscalité locale apporteront-ils une modification au fait que c'était traditionnellement l'Etat qui mettait en place des mécanismes correcteurs ? En quoi l'initiative locale pourrait mettre en place ces corrections ? Je n'ai pas senti, dans les suggestions qui ont été faites, qu'il s'agisse de la TIPP ou des mécanismes sur les compensations ou les partages d'impôt, que les initiatives allaient devenir locales et qu'elles permettraient de corriger les insuffisances du dispositif actuel. Je le répète, il s'agit d'une question de principe. Y aurait-il, dans votre esprit, une originalité particulière sur la capacité d'initiative locale que nous n'aurions pas saisie ?

La deuxième question est plus politique. Elle concerne les transferts de charges et, in fine , les transferts de fiscalité. M. le Rapporteur général nous a dit tout à l'heure que dans son esprit, il n'était pas du tout dans les intentions du Gouvernement de faire intervenir ces transferts. Je suis donc allé aux sources immédiatement et j'ai sous les yeux la déclaration de M. Devedjian que je vous cite : « Dès lors qu'une compétence exercée par l'Etat et financée par l'impôt national est confiée à une collectivité locale, il est normal qu'elle soit financée par la fiscalité locale ». Voilà donc très clairement exprimée l'intention du ministre : elle va tout à fait à l'encontre de ce que nous a dit Monsieur le Rapporteur général. Je m'interroge donc à ce sujet, et ce sera l'objet de ma deuxième question : dès lors que l'on admet en préambule que la fiscalité locale comporte beaucoup d'injustices et d'insuffisances, est-il juste de transférer de la fiscalité nationale, par exemple l'impôt sur le revenu dont le barème est progressif, sur de la fiscalité locale, dont nous savons pertinemment qu'elle est injuste et son dispositif en vigueur loin d'être satisfaisant ? J'en veux d'ailleurs pour preuve le fait que depuis de nombreuses années, tout le monde se demande comment le corriger.

M. le Président - Je vous remercie. La parole est à M. Michel Sergent.

M. Michel SERGENT - Merci, Monsieur le Président. Pour aller dans le sens de ce qui a déjà été dit, je voudrais remercier Monsieur le Directeur général des collectivités locales pour avoir, dans un premier temps, rappelé les principes de l'article 7 de la révision constitutionnelle concernant les collectivités territoriales et la décentralisation, tant il est vrai que les deux sont particulièrement liés. Personne ne peut aujourd'hui le nier. Avoir une clarification est aujourd'hui indispensable : il me semble qu'elle devrait d'abord commencer par le fait que l'Etat réindique bien quels sont ses domaines d'intervention, et notamment ses champs régaliens qu'il ne devrait en aucun cas abandonner avant d'aller vers plus de décentralisation. Dans cette première partie, je verrais aussi une correction d'une erreur que nous avons faite les années précédentes concernant les services d'incendie et de secours : après tout, que la loi du 3 mai 1996, aussi bien que la révision de 1999, ait été détestable pour tous, nous pouvons le reconnaître. Par conséquent, je pense que la sécurité est un champ qui devrait revenir totalement dans le domaine de l'Etat.

Concernant maintenant la refonte du financement des collectivités territoriales, vous avez tracé un certain nombre de pistes dans lesquelles je ne trouve nulle trace de justice sociale.

Et quant à la répartition locale d'un impôt d'Etat, je dois vous dire que l'on a du mal à saisir duquel vous voulez parler. Nous restons donc sur notre faim.

Pour conclure mon intervention, je dois vous confier avoir le sentiment que quels qu'aient pu être les gouvernements en place, la volonté a toujours été d'alourdir la charge des collectivités territoriales par rapport à celle de l'Etat. Quelle est donc votre meilleure piste pour mettre fin à cet état de fait ?

M. le Président - Merci. M. Joël Bourdin, vous avez la parole.

M. Joël BOURDIN - Merci, Monsieur le Président. Je voudrais juste faire part de mon souci concernant un grand principe, avec le rendement et l'équité, qui est le principe de péréquation.

Il semble en effet qu'ait été étudiée la possibilité de donner aux collectivités territoriales le loisir de réviser leurs bases. Cela me paraît être un élément gênant pour la péréquation. Je souhaiterais donc que l'on fasse attention, dans les réflexions que l'on mène et dans les décisions que nous pourrions avoir à prendre pour régler tel ou tel problème, à ne pas introduire de distorsions qui mettraient en cause l'équité nationale.

M. le Président - Je vous remercie. La parole est à M. Yves Fréville.

M. Yves FRÉVILLE - Merci, Monsieur le Président. Beaucoup de choses ayant déjà été dites, je vais prendre une autre clé de lecture, la clé fiscale, et voir quelles sont les différentes ressources que l'on peut avoir. On peut imposer les ménages, les entreprises et l'on peut donner des dotations aux collectivités territoriales, l'ensemble devant être cohérent et répondre aux critères qu'a excellemment rappelés notre collègue Bourdin.

Commençons par l'impôt sur les ménages. Il n'y a en tout et pour tout que deux solutions : soit la mise en place d'un impôt sur le revenu, mais alors il n'aurait pas fallu créer de contribution sociale généralisée, soit la mise en place d'impôts, types taxe d'habitation ou foncier bâti, reposant sur la propriété. Et nous ne sommes pas parvenu à faire de révision. Or, et je partage là tout à fait l'avis de Joël Bourdin, si nous laissons faire des révisions à l'échelon local, il n'y aura plus de péréquation possible. Ou alors nous ferons la péréquation selon d'autres critères, le revenu par exemple, mais l'ensemble ne sera plus cohérent. Nous ne pourrons plus étendre au niveau départemental ou régional un impôt sur la propriété assis à l'échelon local.

M. le Président - Incontestablement.

M. Yves FRÉVILLE - Je suis donc très inquiet. Je vois très bien l'intérêt de faire une réforme de l'assiette si elle sert à créer des taxes sur les chiens. Je n'en vois en revanche pas l'intérêt si nous ne parvenons pas à en faire un ensemble cohérent sur le plan national, ou alors cela coûtera extrêmement cher : il ne faut pas croire que lever l'assiette ne coûte rien. Or, je ne pense pas que les communes en aient les moyens.

Passons maintenant à l'impôt sur les entreprises. La question posée actuellement me semble être la suivante : voulons-nous oui ou non conserver un impôt sur les entreprises ? La taxe professionnelle a perdu avec la taxe sur les salaires l'un de ses deux piliers, il ne lui reste dorénavant plus que la part sur les outillages, qui freine l'investissement. Est-ce que nous voulons conserver cela ? Je ne le pense personnellement pas et je crois même que si nous ne refondons pas la taxe professionnelle sur des bases plus modernes, valeur ajoutée ou autre, elle disparaîtra.

Restent naturellement les dotations de l'Etat. La question que je me pose, en dehors des interrogations très légitimes de Michel Mercier sur le sens de la péréquation, et je pense comme lui qu'il faut procéder à une péréquation des ressources et des besoins, est de savoir ce que signifient « déterminant » et « par catégorie de collectivités ». Faire une part déterminante obligera en effet à élever la part des ressources fiscales et des autres ressources propres dans les collectivités les plus riches à des taux considérables, de l'ordre de 60 à 70 %. Je ne suis pas du tout sûr que cela soit possible dans la situation actuelle !

Je voudrais donc d'abord voir nettement ce que l'on veut comme impôt. Après, et seulement après, nous pourrons construire des réformes.

M. le Président - Merci. La parole est maintenant à M. Jacques Oudin.

M. Jacques OUDIN - Merci, Monsieur le Président. J'essaierai d'être rapide car tout a été très bien dit auparavant.

Simplement, inscrire le principe d'autonomie fiscale dans la Constitution n'implique-t-il pas d'instituer un système d'observation destiné à vérifier de façon permanente que les équilibres existent ? J'avais déposé, il y a de cela quelques mois, une proposition de loi tendant à donner au Comité des finances locales un statut d'autonomie plus fort. Je n'avais à l'époque eu aucun écho à ce sujet : pouvez-vous me dire si elle est encore dans l'air du temps ?

Autre point : nous sommes maintenant dans un contexte financier lourd avec la loi organique du 1 er août 2001, qui impose que toute action engagée soit évaluée. Les techniques d'évaluation sont pourtant complexes, difficiles... Mais peu importe ! Je voulais juste faire remarquer que nous avons maintenant un contexte un peu nouveau. Nous venons en effet de procéder à des opérations de décentralisation, je pense notamment à celle, excellente, concernant les lycées et les collèges, dont nous n'avons pu atteindre les objectifs qu'en augmentant massivement les fiscalités locale et régionale. Le contexte actuel, avec des prélèvements obligatoires ayant atteint un très haut niveau, nous en empêche. Or, si nous transférons des obligations, il nous faudra en évaluer les modalités de financement. Cela me paraît logique. Et en considérant les finances de l'Etat, environ 250 milliards de francs de déficit du budget de l'Etat, autant pour le déficit cumulé, les dettes de la Sécurité sociale ou celles de la SNCF, je ne vois vraiment pas où nous pourrons trouver de l'argent pour le transférer. Alors si je dis oui au principe de la décentralisation et oui aussi au principe d'autonomie, je voudrais tout de même savoir selon quelles modalités va se développer l'évaluation financière du dispositif. Il est en effet temps de rassurer les élus, enthousiastes sur la décentralisation mais craintifs sur ses conséquences financières.

M. le Président - Merci. La parole est maintenant à M. Paul Girod.

M. Paul GIROD - Merci, Monsieur le Président. Je crois que le débat dans lequel nous sommes est pollué par deux phénomènes.

Le premier est lié à ce qui a été l'erreur de fondre une loi sur un règlement de base. Cette loi n'a jamais été appliquée parce qu'elle avait un défaut et un seul : celui d'avoir traité le logement social par la voie du slogan au lieu de s'occuper de ce qu'était réellement le logement des gens. Je m'en souviens très bien, j'étais moi-même rapporteur du texte au sein de la commission de l'époque et nous avions fait un précédent constitutionnel en concluant un accord partiel en commission mixte paritaire : nous nous étions mis d'accord sur 90 % du texte et nous avions pris l'engagement de refaire signer cette partie par l'Assemblée. Ce point précis aboutissait à ce que le logement social de fait soit surtaxé par rapport au logement social officiel sur lequel voulaient se pencher les autorités de l'époque. Le résultat est que nous n'avons rien appliqué et que tout le monde se retrouve dorénavant devant des bases tellement obsolètes, tellement vieilles et tellement ridicules que plus personne ne veut y toucher à l'échelon national. Et transférer cette question à l'échelon local me paraît être la pire des idées.

La seconde pollution est constituée par une partie du volet social dont a parlé tout à l'heure Michel Mercier. Par exemple, la prestation spécifique dépendance (PSD) représentait à son lancement une mesure sociale puisqu'elle était accompagnée d'un certain nombre de freins et de contrôles. Mais elle a été tellement généralisée qu'elle est devenue un véritable risque social. Ce n'est donc certainement plus à un impôt local d'y faire face, et ce d'autant plus que la population concernée a tendance à se concentrer dans un certain nombre de régions qu'elle a elle-même ciblées.

Je crois par conséquent que nous serions beaucoup plus à l'aise pour entrer dans le champ d'une révision assez générale du système des rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales si nous parvenions à lever ces deux obstacles. Aucun d'entre nous ne parle sans avoir à l'esprit et l'un, et l'autre. Je pense donc qu'une bonne méthode commencerait déjà par remettre en place la réalité de ces deux domaines, la révision des valeurs locatives et la remise en ordre d'une certaine doctrine : qui doit payer et pourquoi ?

M. le Président - Je vous remercie. En l'absence d'autres demandes d'intervention, je vais à ce stade vous livrer mes propres observations et suggérer mes interrogations.

Je crois d'abord, Monsieur le Directeur général, que tous ceux qui se sont exprimés manifestent une grande volonté d'aller de l'avant. Dans le même temps, ils témoignent de leur très grande perplexité à propos des voies et moyens à utiliser pour atteindre notre objectif.

Je vous ai bien entendu à propos des troisième et cinquième alinéas de l'article 6 du projet de réforme constitutionnelle. Je voudrais être sûr qu'il n'y a pas de contradiction entre le troisième, qui affirme que « les recettes fiscales, les autres ressources propres des collectivités et les dotations qu'elles reçoivent d'autres collectivités territoriales représentent une part déterminante de leurs ressources » et le dernier, aux termes duquel « les inégalités de ressources peuvent être corrigées, notamment par la mise en oeuvre de mécanismes de péréquation ». Est-ce à dire que les péréquations entreraient dans les ressources propres des collectivités territoriales afin de leur donner une part déterminante de ce que nous pourrions appeler une autonomie financière ?

Autre point, les impôts que l'on pourrait maintenir. J'avoue à ce sujet avoir personnellement peine à croire que la valeur ajoutée des entreprises soit encore d'actualité. Qui va oser taxer les salaires au moment où chacun s'interroge sur les principes de compétitivité et d'attractivité ? Hier, la taxe professionnelle pesait à peu près à 3 % sur les salaires. Elle a été supprimée. Qui donc envisage maintenant de remettre une taxe sur les salaires ? Selon moi, c'est une impasse !

De même, comment appréhender la valeur ajoutée autrement qu'à travers les salaires et une quotité des investissements ? Très franchement, je ne vois pas. Sauf à encourager encore un peu plus certaines délocalisations. Je ne suis donc pas du tout sûr que la voie qui consiste à imposer les entreprises soit une voie d'avenir. Ayant dit cela, avec les contraintes que cela peut créer dans l'agrément de la vie locale, y aura-t-il encore des communes pour accueillir les entreprises ? J'ai bien conscience que je ne résous pas le problème en posant cette question...

Vous avez d'autre part évoqué, Monsieur le Directeur général, la TIPP. A ce stade, avez-vous réfléchi aux modalités de mise en oeuvre de votre projet ? Chaque pompiste aura-t-il en charge demain le paiement d'une taxe dont le taux serait fixé par la collectivité locale ? Est-ce faisable ? Est-ce praticable ? N'y a-t-il pas des risques, comme pour la vignette, d'assister à des politiques d'attractivité qui consisteraient à baisser largement les taux de TIPP, un peu comme le Luxembourg qui assure l'approvisionnement en essence d'une partie de la Lorraine. Avez-vous donc testé la faisabilité de cette opération ?

Concernant maintenant les assiettes, aussi longtemps que les taux s'appliqueront aux mêmes assiettes aux plans régional, départemental et communal, je ne vois pas comment on pourra prendre des initiatives.

Et pour ce qui concerne la péréquation, avez-vous d'autres critères que le potentiel, la richesse, ou encore l'effort fiscal ? À cet égard, je voudrais d'ailleurs signaler qu'il y a des situations très contrastées : il arrive que des maires se plaignent de ne pas avoir de ressources, alors qu'à la vérité, ils ne font aucun effort ! Et les taux sont complètement dérisoires... Peut-on prendre appui sur de telles apparences de pauvreté alors que manifestement, les élus ne font rien pour solliciter la contribution des contribuables ? Toujours à propos de cette péréquation, peut-on alors imaginer d'autres paramètres que ceux que nous utilisons actuellement et qui sont liés à l'effort ou au potentiel fiscal ?

J'arrête là mon propos et je vous remercie d'avance, Monsieur le Directeur général, des réponses que vous voudrez bien y apporter.

M. Dominique BUR - Monsieur le Président, les questions ont été nombreuses et diverses, mais je vais essayer d'y répondre. N'hésitez pas à me reprendre si, d'aventure, j'oubliais un point.

Un premier sujet a été traité par plusieurs membres de la Commission, il s'agit de la situation, de la révision et de l'avenir de la fiscalité directe locale. Je souhaite sur ce point reprendre pour la taxe d'habitation ce que disait M. Fréville concernant la taxe professionnelle : si nous ne faisons rien, c'est la mort lente. M. Fréville l'a dit pour la taxe professionnelle, mais ceci vaut tout autant pour la taxe d'habitation et les taxes foncières. Non seulement ces valeurs sont très anciennes, mais elles ont également, et nous l'oublions bien souvent, un double effet pervers : elles ne correspondent plus à la différence de richesse entre contribuables, en tout cas pour asseoir l'impôt, et elles conduisent à des répartitions erronées des dotations de l'Etat, auxquelles elles servent. Cela, il faut le dire et le redire ! Il me semble donc que si nous voulons vraiment conserver cette fiscalité, nous devons réfléchir à sa modernisation.

Nos voies peuvent à ce sujet être divergentes. M. Marc a abordé tout à l'heure les modalités selon lesquelles il est possible d'agir, et je reconnais qu'il y a une grosse interrogation, partagée par vous-même Monsieur le Président ainsi que par les membres de la commission, au sujet de l'assiette et de son évolution localisée. Mais encore une fois, et M. Girod le sait bien, la révision nationale de 1990 a malheureusement échoué. Trois gouvernements s'y sont pourtant essayés ! Pouvons-nous donc encore penser utiliser cette révision, qui existe toujours puisque ses chiffres sont soigneusement conservés dans les ordinateurs du ministère de l'Economie et des Finances, pour espérer procéder à cette révision ? Ne vaudrait-il pas mieux réfléchir à une autre façon de procéder ? Je n'en nie pas les inconvénients, qui sont, tel le risque de rupture d'égalité, particulièrement réels, mais ne peut-on tout de même pas envisager une réforme sur des périmètres comme la commune, le département ou la région ? J'ai personnellement le sentiment qu'il nous faut aller plus loin dans cette idée, car je ne vois malheureusement pas d'autres alternatives à la modernisation. Sauf à changer l'assiette. Cela a été évoqué, à travers le revenu ou la valeur ajoutée, mais vous avez vous-même, Monsieur le Président, fermé cette porte.

M. le Président - C'est-à-dire que je ne vois pas comment pourrait être localisée la valeur ajoutée, sur le territoire et dans les groupes.

Profitons-en pour revenir au thème de l'actualisation. Les gouvernements ont été mis en difficulté parce qu'à l'occasion d'un texte dont je ne me rappelle plus la nature, un amendement a été apporté pour alléger l'évaluation des taxes d'habitation et du foncier bâti dans les résidences de type HLM. Et cela a rendu pratiquement impossible l'application des nouvelles bases. En effet, lorsque vous avez dans une commune 30 à 40 % de logements HLM, vous écrasez les contribuables qui n'y résident pas. Peut-être que l'on pourrait réviser cette disposition et revenir à la matrice antérieure. Avons-nous une alternative aux travaux qui ont été faits au début des années 1990 ? Je ne le crois pas. Tout le reste consiste à imaginer que le Père Noël va trouver la formule magique ! Je pense donc que la première disposition, si l'on valide les bases du foncier et de la taxe d'habitation, serait de reprendre collectivement ces travaux, qui mettaient un terme à des injustices évidentes, et d'avoir le courage d'en appliquer les mesures. Sinon, nous ne nous en sortirons pas.

M. Paul GIROD - Si vous me permettez une réflexion complémentaire, le drame se joue dans les communes où il y a d'une part beaucoup de HLM, et d'autre part des logements encore plus modestes.

M. le Président - Pour ceux qui ne logent pas en HLM, la situation est d'ailleurs catastrophique. Même M. Brard, à l'Assemblée nationale, était très réservé à propos de cette réforme. Dans la commune dont il est maire, il y a 70 % de HLM.

On ne peut tout simplement pas appliquer cette disposition. Alors est-ce que ceux qui avaient voté à l'époque cet amendement sont prêts à y renoncer ?

M. Michel SERGENT - Monsieur le Président, il y a certes une répartition à l'intérieur de la taxe d'habitation, mais les ressources en elles-mêmes restent les mêmes.

M. le Président - C'est un impôt de répartition. Il s'agit de savoir comment on répartit entre les différents contribuables. Je pense que l'avenir est à un impôt payé par le citoyen, et non par l'entreprise. L'entreprise est une fiction. Progressivement vous chassez les entreprises et vous les obligez à aller s'implanter en dehors du territoire communal ou national. Quel est donc le pacte que l'on peut refonder entre celui qui perçoit l'impôt et le citoyen ?

M. Yves FRÉVILLE - Il y a de plus une difficulté technique : toute la révision reposait sur la connaissance des loyers. Et nous connaissions les loyers par le droit au bail. Or, le droit au bail a été supprimé...

M. le Président - Monsieur le Directeur général, pardonnez ces interruptions. Mais ce sujet nous passionne.

M. Dominique BUR - Je comprends. Nous sommes tous quelque peu perplexes devant la situation et ses voies de sortie. Mais j'ai une piste. Il s'agit d'un impôt de répartition, et par conséquent on utilise le cadre communal, départemental ou régional. Or, la problématique que vous évoquez est celle de la proportion, plus importante dans certaines collectivités que dans d'autres, de contribuables modestes qui ne peuvent pas supporter l'impôt. Ne peut-on donc pas imaginer, à la limite, que la réponse soit du côté de la péréquation assurée par l'Etat, avec les sommes qu'il consacrait antérieurement au niveau national à cette compensation ? Et c'est peut-être cette compensation qui à ce moment-là devrait être redistribuée différemment.

M. le Président - Le problème réside dans le fait que par le passé, l'Etat a voulu avoir de beaux gestes pour le contribuable. Il s'est servi pour cela de la fiscalité locale. Globalement, les gouvernements, au fil des alternances, ont voulu donner satisfaction aux contribuables en se servant des impôts locaux. Et plutôt que de les réformer, ils les ont supprimés. Résultat, nous le constatons aujourd'hui, nous sommes au pied du mur. Est-ce que les mesures d'exonération relèvent de la compétence de l'Etat ou de celle des collectivités territoriales ?

M. Dominique BUR - Dans la perspective d'accroître la liberté locale en matière de fiscalité, j'évoquais l'assiette. Il y a débat et nous le voyons bien. J'évoquais ensuite les taux, et vous allez en discuter lors du projet de loi de finances. Il y a enfin cette possibilité indirecte de toucher à l'assiette à travers l'exonération. Le problème étant qu'actuellement, une partie des exonérations est compensée par l'Etat. Or, on peut penser que les contraintes, qui s'imposent au niveau européen au budget de l'Etat, empêchent d'ouvrir cette voie dans les proportions dont nous parlons. Les exonérations ne pourraient donc être que décidées localement et supportées localement.

M. le Président - Il y a des communes dont la moitié des contribuables ne paie pas d'impôts locaux - quelquefois plus.

M. Yves FRÉVILLE - Quand on examine la répartition des dégrèvements de taxes d'habitation par catégorie de communes, on voit très bien que les petites communes n'ont rien, que les moyennes communes ont peu et que les très grandes communes ont tout. Et j'exagère à peine. Ce sont notamment toutes les grandes villes très fortement imposées du Midi de la France qui ont la plus grande partie. Alors, je ne vois pas comment il serait possible de recycler les dégrèvements en faveur des logements sociaux, sauf à modifier considérablement la politique contre-péréquatrice des dégrèvements. Les dégrèvements vont contre la péréquation. Ce ne sont pas les zones les plus pauvres qui en bénéficient, ce sont les zones dans lesquelles les impôts sont les plus élevés. Ce qui n'est pas du tout la même chose. Il ne s'agit donc pas d'une insuffisance de ressources.

M. Dominique BUR - Vous voyez là, Monsieur le Président, l'effet pervers de l'utilisation de critères qui peuvent être des critères de charges ou de dépenses. Il y a notamment un effet totalement pervers, puisque l'on peut faire le choix d'accroître les dépenses en en faisant supporter une partie par l'Etat à travers le dégrèvement ou l'exonération compensée. Nous cernons là une limite.

Je voulais rassurer M. Bourdin. Il évoquait tout à l'heure les effets discutables en matière d'équité d'une révision délocalisée de l'assiette. Cela ne peut en tout cas pas avoir d'effets sur les dotations parce que ce ne sont pas les taux qui jouent mais les assiettes. Alors c'est vrai que d'une certaine façon, si l'assiette est révisée, les bases le sont aussi. La commune peut alors apparaître plus riche et ne pas avoir objectivement intérêt à faire apparaître un certain accroissement de richesses. Je le reconnais.

M. Fréville évoquait quant à lui la révision constitutionnelle et la part « déterminante ». Il se demandait donc, tout comme M. Bourdin d'ailleurs, qui pourrait être le régulateur de l'autonomie des collectivités territoriales, et notamment de cette part « déterminante ». Je peux leur dire que ce régulateur sera de facto le Conseil constitutionnel. Il l'a déjà été dans le passé et vous l'avez vous-mêmes saisi lors de la suppression d'impôts locaux, et il le sera encore dans le futur. Les critères étant fixés par la loi, il lui incombera forcément de dire à certains moments que telle ou telle disposition n'est pas conforme à la part « déterminante » qui doit revenir à chaque niveau de collectivité.

M. Yann GAILLARD - Permettez-moi juste un mot afin d'apporter un peu plus d'obscurité au débat.

M. le Président - À ce stade, je pense que ce sera forcément clarificateur !

M. Yann GAILLARD - Premièrement, l'opinion publique ne s'intéresse absolument pas à cette affaire. Regardez, il n'y a pas une année sans qu'un hebdomadaire ne parte en guerre contre l'inégalité des impositions suivant les villes. Ce qui montre bien qu'on ne considère pas du tout que l'autonomie locale doive porter sur ce chapitre-là. L'opinion publique ne le ressent pas comme cela.

Deuxièmement, du moins me semble-t-il, les impôts locaux sont parmi les plus mauvais et les plus chers. Vous connaissez les rapports de l'Inspection des finances sur le caractère peu rentable de notre système fiscal et ce sont souvent les impôts locaux qui sont les plus décriés.

Troisièmement, si nous ne pouvons pas procéder à une révision d'assiette, l'Etat n'ayant pas le courage de la faire et les collectivités territoriales ne voulant pas se lancer là-dedans, je me demande s'il ne faudrait pas revenir à des systèmes très anciens qui, après tout, n'étaient pas si mauvais.

Ne serions-nous pas finalement en face d'un problème qui ne comporte pas de solutions ? N'avons-nous pas eu tort de nous focaliser dessus ?

M. le Président - Nous sommes arrivés à une telle complexité que les élus territoriaux ne peuvent même pas vérifier les sommes qu'ils perçoivent.

M. Dominique BUR - Monsieur le Président, vous avez posé plusieurs questions.

La première était une demande de précision sur la rédaction constitutionnelle. Vous vouliez savoir si les ressources propres contenues dans l'article 6 comportaient les éventuels résultats de la péréquation, et notamment les dotations de l'Etat. À ce stade de notre réflexion, les ressources propres des collectivités correspondent à des ressources pour lesquelles ces collectivités ont des capacités de décision (redevances, ressources des domaines...). Reste bien évidemment la question des dotations émanant d'autres collectivités. C'est une notion qui n'a pas tellement cours pour le moment mais qui pourrait correspondre à des situations d'avenir. On peut notamment imaginer, comme cela a déjà été évoqué, un concept de délégation d'un niveau de collectivité à un autre, accompagné de dotations qui permettraient de payer la compétence déléguée. Nous sommes donc là en présence d'une ouverture sur des modalités qui ne sont pas encore clairement définies. La question des montants de fonds de péréquation locaux, je pense par exemple aux fonds départementaux de péréquation et à tous ces fonds horizontaux, peut se poser. Les collectivités n'ayant aucune possibilité d'agir sur la recette qui leur revient, ces montants ne devraient selon nous pas figurer dans ce concept. Mais à ce stade, je ne peux évidemment rien dire.

M. le Président - Mais ce sont des collectivités qui risquent de ne pas avoir une part déterminante de leurs ressources faite à base d'impôts et de subventions de collectivités territoriales. Mais d'abord, qu'est-ce qu'une part déterminante ? On ne parle d'ailleurs plus d'autonomie financière et des 50 % de la proposition de loi de M. Christian Poncelet.

M. Dominique BUR - Monsieur le Président, la proposition d'origine comportait un adjectif. Et c'est au cours du débat que les 50 % ont été introduits. Il me semble que l'adjectif était « prépondérant ».

Les chiffres que l'on peut avoir montrent que, globalement, les deux niveaux de collectivité que sont les communes et les départements sont toujours à ces 50 %. En revanche, les régions sont effectivement en dessous. Et il reste bien évidemment des évolutions importantes puisqu'une tranche nouvelle de la taxe professionnelle va induire, pour 2002 et 2003, des réductions.

Vous avez d'autre part évoqué la valeur ajoutée et le salaire. Vous avez vous-même indiqué que cette voie paraît difficile. Cependant, nous pouvons nous interroger sur la nécessité du maintien d'un lien entre l'entreprise et la collectivité où elle se situe. C'est, il me semble, ce qui est souhaité par les élus et je pense que cela reste une bonne chose. On s'en aperçoit d'ailleurs à travers le fait que des pays européens, y compris ceux, comme la Grande-Bretagne, dont l'orientation libérale est forte, ont maintenu une imposition sur les entreprises. Et ce même si la marge de manoeuvre des collectivités est d'un autre côté réduite, puisque les taux de ces impôts, pour des raisons d'égalité, sont fixés au niveau national.

Enfin sur la TIPP, vous m'avez demandé où en était ma réflexion. Je ne nie pas qu'il y ait une difficulté mais nous voulons explorer de nouvelles solutions et elles ne sont pas nombreuses. L'une d'entre elles, qui faisait quasiment consensus, portait sur cette TIPP. Nous cherchons en fait à ce que la collectivité puisse jouer sur un taux. Cela est certes difficile, mais pas totalement impossible, et techniquement des pistes ont été évoquées. Nous devons maintenant les creuser. Elles permettraient, sans mettre à contribution le pompiste, de jouer sur ces taux. S'ils sont fixés au niveau régional, on peut penser que l'effet de détournement serait modeste, si d'aventure il devait jouer. Il y a, paraît-il, une espèce de seuil qui ferait que les gens ne se déplacent pas. Tout cela n'est évidemment pas arrêté.

M. le Président - Nous devons être conscients qu'aujourd'hui, en dehors de la grande distribution et des stations-service d'autoroute, on ne doit pas distribuer beaucoup d'essence ailleurs.

M. Dominique BUR - L'idée pourrait être la suivante : supposons un transfert aux régions d'une partie de la TIPP et de la capacité de fixer, dans une certaine limite, un taux. L'une des pistes techniques évoquée consiste à délimiter un taux régional qui pourrait être applicable aux raffineries et aux dépôts. Actuellement, la TIPP est prélevée sur environ 300 d'entre eux alors que nous savons qu'il y a plusieurs milliers de stations. Or, il paraîtrait que l'on peut à la fois avoir un taux régional, qui pourrait éventuellement donner lieu à un prélèvement au niveau de la source selon le lieu de destination, et un taux national. Il faudra bien-sûr éviter les détournements de trafic, mais nous n'en sommes pour l'instant qu'au stade de la réflexion et de la recherche.

Terminons avec la péréquation, dont vous évoquiez, Monsieur le Président, les critères, et à propos de laquelle vous faisiez part de votre préoccupation. Nous savons très bien, et tous ceux qui participent aux travaux du Comité des finances locales le savent, qu'au-delà des dotations, de leur architecture et de leur caractère péréquateur, il y a un autre élément important, celui des critères. Et malheureusement, ces critères, à l'origine parfaitement clairs, simples et limpides, le principal d'entre eux étant le potentiel fiscal, sont actuellement de plus en plus contestés et contestables : une part importante de la taxe professionnelle est en effet sortie de la part salaire, ce qui se traduit par des compensations, et nous ajoutons maintenant, pour malgré tout garder l'équilibre, les compensations aux produits. Tout cela donne quelque chose d'assez étrange. Nous menons donc une réflexion centrée sur les critères, mais les alternatives sont en définitive assez peu nombreuses. Nous avons donc là une vraie difficulté.

Tous les critères physiques que l'on a pu expérimenter, je pense au logement, aux élèves ou à la voirie, produisent d'autres effets pervers, en raison notamment de leur énorme lourdeur de recensement. Ce sont en effet des critères spécifiques ne figurant pas dans les chiffres de l'INSEE, ce qui nous oblige à recenser chaque année des milliers d'informations pour répartir la DGF. Cela conduit malheureusement à un certain retard, que nous constatons année après année, dans la mesure où ce recensement est d'une lourdeur extrême. Nous sommes donc désireux de critères simples, qui traduisent bien la réalité de la richesse locale, mais qui tiennent également compte de la nécessité de répartir dans une période très courte, de façon à ce que les collectivités puissent connaître leur DGF avant le vote de leur budget.

M. le Président - Monsieur le Directeur général, je vous remercie. Nous savons que votre réflexion est en cours. Nous y mettons tous nos espoirs.


Audition de Mme Carol SIROU,
Directeur du secteur public, responsable des collectivités territoriales européennes de Standard & Poor's

et de Mme Alexandra DIMITRIJEVIC,
Directeur, responsable des critères Secteur public international
de Standard & Poor's


(9 octobre 2002)

M. Jean ARTHUIS, président - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Madame Carol Sirou, Directeur du secteur public de Standard & Poor's .

Nous étions nombreux à croire que la régulation ou le contrôle de légalité étaient de la responsabilité du préfet. En fait, nous prenons progressivement conscience que notre accès aux marchés financiers, la détermination des taux d'intérêt des emprunts que nous sollicitons, dépendent désormais de quelques autorités supranationales. Ces autorités portent des appréciations sur la situation financière de nos institutions publiques, qu'il s'agisse des Etats, des régions, des départements ou des communes. Il y a maintenant des agences de notation qui informent les prêteurs et délivrent des appréciations. Vous avez d'ailleurs acquis, Madame Sirou, une expertise en cette matière.

Nous sommes à la commission des Finances du Sénat et nous avons entrepris une réflexion, au moment où le Gouvernement s'engage dans une politique de décentralisation qui postule une plus grande autonomie financière des collectivités territoriales. Nous avons pensé que votre contribution enrichirait notre réflexion.

Madame, vous avez la parole pour environ un quart d'heure. Par la suite, mes collègues souhaiteront certainement vous poser quelques questions.

Mme Carol SIROU, directeur du secteur public, responsable des collectivités territoriales européennes de Standard & Poor's - Monsieur le Président, mesdames et messieurs les Sénateurs, merci de nous donner l'opportunité d'intervenir auprès de vous. Je vais vous expliquer très brièvement qui nous sommes et ce que nous faisons. Mon intervention se focalisera plus spécifiquement sur les aspects liés à la fiscalité locale. Elle se révèlera volontairement très brève, dans l'attente de vos questions.

Standard & Poor's est une agence de notation fondée à la fin du siècle dernier. Elle est implantée en France depuis 1990 et note des collectivités territoriales en France et en Europe depuis 1991. Nous sommes présents un peu partout : nous notons 21 collectivités en France et plus de 150 en Europe.

Les critères de notation

Un rating est une opinion qui se fonde sur une analyse financière et économique. D'autres aspects, plus qualitatifs, entrent aussi en jeu. Les ratings sont délivrés par certains établissements, dont Standard & Poor's . La notation servant avant tout à entrer sur les marchés financiers, nous mettons l'accent sur la capacité à rembourser une dette en temps et en heure. Comme je vous l'ai dit, il n'y a pas que les aspects financiers qui entrent en jeu. L'environnement de la collectivité, qu'il s'agisse de sa situation économique ou démographique, est également très important. Il permet de mesurer son potentiel fiscal, ses ressources et l'évolution de ses dépenses ; bref, les pressions qui peuvent porter sur son budget, du fait par exemple d'une croissance démographique forte ou d'une structure démographique bien particulière.

D'autres éléments importants sont liés à l'organisation interne et à ce que nous appelons le système, c'est-à-dire tout l'environnement réglementaire dans lequel s'insère la collectivité. Dans ce cadre-là, nous regardons, bien entendu, les liens avec les pouvoirs publics, représentés en France par l'Etat. Nous essayons de comprendre les équilibres de pouvoir et les pressions ou les évolutions à moyen terme.

Nous entrons ensuite dans des aspects d'analyse financière plus classique, qui ne vous surprendront pas et qui sont assez proches de ce que peuvent faire les banques. Mais nous regardons toujours les performances budgétaires et financières de la collectivité avec l'esprit d'analyser ses marges de manoeuvre, qu'il s'agisse de recettes ou de dépenses. Nous appelons cela la flexibilité financière. C'est un critère très important.

Nous mesurons in fine la capacité d'une entité à rembourser sa dette, donc son niveau d'endettement et la part que le remboursement de sa dette représente dans ses dépenses.

Enfin, pour avoir une image vraiment complète de la collectivité et de ses engagements, il est important d'en avoir une vision consolidée. Si nous prenons en compte son budget stricto sensu , nous y ajoutons donc tous les engagements hors bilan, comme les dettes garanties ou les participations éventuelles. Nous essayons vraiment d'avoir une vision aussi consolidée que possible des engagements de la collectivité afin d'en mesurer la santé financière.

Vos auditions étant plus particulièrement centrées sur la fiscalité, mon intervention va maintenant se focaliser sur cet aspect-là. Je procèderai ensuite à des comparaisons internationales.

La fiscalité locale française

Revenons légèrement en arrière et regardons la fiscalité locale française d'une manière un peu plus large, c'est-à-dire au niveau des collectivités territoriales de l'Ouest européen (la Russie n'étant pas nécessairement la comparaison la plus appropriée). Les collectivités territoriales françaises ont longtemps été considérées, du moins jusqu'au milieu des années 90, comme ayant une part importante de ressources propres. Par ressources propres, je parle bien de fiscalité directe ou indirecte.

Autre élément intéressant à mettre en avant : les collectivités territoriales françaises disposaient de ressources fiscales diversifiées qui ne dépendaient pas uniquement d'un élément particulier. Entre, par exemple, la taxe d'habitation, le foncier bâti et les droits de mutation, l'exposition au cycle économique était relativement bien équilibrée, à la différence de ce que l'on peut voir en Suède. Si les communes suédoises collectent l'impôt sur le revenu, ce qui leur offre une part importante de ressources propres, elles en sont très dépendantes et donc soumises au cycle économique.

La fiscalité française possède d'autres caractéristiques, telle cette forte corrélation entre le taux de fiscalité et la richesse des bases fiscales. Les taux sont ainsi généralement élevés dès lors que la base fiscale est faible, ce qui permet de faire face à des engagements assez lourds. Cette donnée est assez spécifique à la France. Elle s'explique par le fait que la part de péréquation y soit finalement très limitée. Si nous prenons une nouvelle fois l'exemple de la Suède, où la part des ressources propres est importante, il y a des mécanismes de péréquation beaucoup plus élaborés que chez nous. Dans d'autres pays où la part de fiscalité propre est moins forte, la péréquation joue de manière importante. On peut penser à l'Espagne, un cas en évolution puisque la part des ressources propres dédiée aux communautés autonomes augmente. Il s'agit tout de même d'un pays dans lequel les régions pauvres, par exemple l'Andalousie, continuent à bénéficier d'une part importante de péréquation.

Je reviendrai sur ces différents points si vous avez des questions.

Les avantages d'une part plus importante de ressources propres

Du point de vue d'une agence de notation, dont l'objectif, rappelons-le, consiste à apprécier les marges de manoeuvre et la capacité de la collectivité à faire face à un choc externe, cette donnée est importante pour réagir à l'environnement. Vous avez pu voir récemment les difficultés des collectivités territoriales allemandes, Länder ou communes, qui ont subi de plein fouet un environnement économique difficile, en raison du manque de ressources propres sur lesquelles elles peuvent agir.

Une part importante de ressources propres permet donc d'adapter ses structures en fonction de ses choix d'intervention. La dépendance par rapport à des ressources émanant de l'Etat ou par rapport à des impôts redistribués ne laisse pas cette flexibilité dans la gestion.

Avant-dernier point sur lequel je souhaitais revenir : plus la collectivité récolte des ressources provenant de son propre tissu, plus elle a vocation à investir pour bénéficier d'un éventuel retour sur cet investissement.

Enfin, à partir du moment où la collectivité se retrouve en charge de ses compétences et de ses choix, elle est plus à même de pouvoir s'adapter. Elle se sent en quelque sorte plus responsable.

La tendance en Europe

Il est intéressant de noter qu'en Europe, alors même que la France était encore très récemment en pointe en matière d'autonomie fiscale, la tendance s'est maintenant inversée. Au cours de ces cinq dernières années, la plupart des pays européens ont davantage donné de compétences et de pouvoir fiscal à leurs collectivités. Cela a notamment été le cas en Belgique, en Italie et en Espagne, les trois grands pays dans lesquels il y a vraiment eu des transferts de compétences et de recettes. Ces transferts se sont souvent déroulés sous forme d'impôts additionnels, ou sous forme d'impôts précédemment collectés par l'Etat et dorénavant au seul bénéfice des collectivités. Ces dernières ont également obtenu du pouvoir sur la base fiscale, ce qui leur permet de jouer sur les taux mais aussi d'élargir l'assiette. Dans l'ensemble, les systèmes de péréquation sont bien établis en Europe, en tout cas bien plus qu'ils ne le sont chez nous.

Si l'on observe les structures des recettes des collectivités européennes, on s'aperçoit que bien souvent, les pays dont la décentralisation est plus récente sont passés d'un système de dotations pures à des participations dans des impôts nationaux (TVA ou impôt sur le revenu). Leurs collectivités commencent donc progressivement à avoir des ressources propres sur lesquelles elles peuvent intervenir. L'Allemagne et ses Länder constituent vraiment un cas très particulier puisque les ressources modulables des collectivités y sont dérisoires. Cela explique en partie les très grandes difficultés auxquelles sont actuellement confrontés les Länder , leur endettement atteignant des sommets. Je reviendrai sur ces éléments si vous avez des questions.

L'importance des marges de manoeuvre

S'il est essentiel pour noter une collectivité locale de pouvoir apprécier sa marge de manoeuvre fiscale, cela ne constitue toutefois qu'un paramètre parmi d'autres. Mesurer la part des recettes pérennes et des transferts de compétences, c'est-à-dire observer de quelle manière évolue la couverture entre recettes et dépenses, est aussi un élément fondamental.

Même chose pour l'analyse des recettes et de leur diversité : vous l'aurez compris au vu de mon exposé, nous sommes attachés à une certaine diversité, gage de souplesse pour que la collectivité puisse faire face à des aléas. Tout aussi important est le lien avec le tissu économique. Dans notre analyse, l'appréciation du tissu économique, de ses forces et de ses faiblesses, tient en effet une part prépondérante.

Enfin, dès lors que l'économie est plus faible, l'existence ou non de mécanismes de péréquation permettant d'atténuer les écarts de richesse doit être prise en compte.

Faut-il plus de pouvoir fiscal ?

Dans l'absolu oui, mais il faut toutefois veiller à ce qu'il n'y ait pas trop de risques de spécialisation sur un impôt particulier. De ce point de vue là, si l'on évoque le cas des communautés urbaines, on s'aperçoit que la taxe professionnelle unique (TPU) offre un certain nombre d'avantages. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d'oeil sur le cas des communautés urbaines qui existaient précédemment : leur base d'impôt, autrefois diversifiée, ne dépend plus aujourd'hui que de la taxe professionnelle. Je voudrais particulièrement attirer votre attention sur ce point.

Et puis en pratique, la possibilité réelle de mobiliser de nouvelles ressources fiscales étant limitée, du fait d'un manque de volonté politique ou d'une moindre capacité d'absorption du tissu économique, il est nécessaire qu'existe une bonne corrélation entre recettes et dépenses transférées. D'où l'existence de certaines réflexions sur l'évolution des bases et pas uniquement des taux.

Voilà. Alexandra Dimitrijevic, qui travaille sur les collectivités territoriales européennes depuis de nombreuses années et moi-même sommes maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le Président - Merci Madame pour cet exposé très éclairant. Certains de vos enseignements tordent le cou à de nombreuses idées reçues.

J'imagine que les réactions vont être nombreuses. J'ai déjà enregistré le souhait de Joël Bourdin de prendre la parole.

M. Joël BOURDIN - Merci Monsieur le Président.

Je voulais savoir comment Standard & Poor's appréciait exactement la capacité d'endettement des collectivités territoriales. Il y a des ratios de bonne qualité. Lesquels utilisez-vous et quelles sont les critiques que vous pourriez formuler à leur égard ?

Mme Carol SIROU - Il existe déjà un ratio que nous n'utilisons jamais : celui de la dette par habitant. Certains habitants sont en effet plus riches que d'autres. Ce ratio ne nous paraît donc pas être un bon instrument de mesure.

Nous croisons en fait différents ratios pour arriver à mesurer l'endettement. La mesure la plus classique, celle qui nous permet déjà de déterminer le curseur, est l'endettement direct rapporté aux recettes de fonctionnement. Certes, on peut toujours discuter de la structure des collectivités territoriales, savoir si elles ont beaucoup de budgets annexes reconsolidés ou non, mais ce calcul nous semble tout de même adapté.

Dans le cas d'une région qui aurait beaucoup de recettes pérennes en investissement, on va analyser l'endettement direct par rapport aux recettes de fonctionnement additionnées des recettes d'investissement pérennes.

Un autre élément est bien sûr la dette rapportée à la marge.

Nous essayons donc de croiser ces différents ratios pour apprécier le niveau d'endettement d'une collectivité.

Il est également important de regarder la structure de cet endettement. Nous le faisons en appréciant le service de la dette, capital plus intérêts, le tout rapporté aux recettes de fonctionnement. Selon nous, il est en effet primordial de pouvoir payer les salaires et la dette. Une mesure toute simple consiste donc à apprécier au 1 er janvier la capacité d'une collectivité locale à rembourser ses salaires et sa dette : s'il y a déjà 70 ou 75 % des dépenses d'engagées, cela laisse peu de marge.

Ce sont ces différents éléments que nous croisons pour apprécier le niveau d'endettement.

Partant de là, le niveau d'endettement supportable par une collectivité dépendra en partie du service de la dette. Nous avons en fait un certain nombre de niveaux d'endettement qui nous permettent de déterminer un niveau de note.

Mme Alexandra DIMITRIJEVIC, Directeur, responsable des critères Secteur public international de Standard & Poor's - J'ajouterai dans cette idée que nous n'acceptons pas le même niveau d'endettement selon les responsabilités de la collectivité et selon le système. Un Land allemand dont le ratio d'endettement rapporté aux recettes de fonctionnement frôle parfois les 200 % n'aura pas la même note qu'une région française qui se trouverait dans le même cas. Les Länder peuvent en effet se permettre ce genre de ratio élevé : d'une part parce que le système de péréquation étant extrêmement fort, ils ont un niveau de recettes quasiment assuré ; d'autre part parce que cela répond à la répartition des compétences dans un Etat fédéral où l'Etat lui-même a très peu d'endettement, celui-ci étant réparti au niveau des Länder.

Revenons aux ratios. Les comparaisons internationales se font vraiment en analysant le niveau de dettes rapporté aux recettes. La marge peut être affectée par des aspects comptables - regardons en cela le cas de la réforme de la comptabilité des régions - et si ces aspects ne vont pas toucher la capacité d'une région à rembourser sa dette, le ratio par rapport à la marge deviendra tout de même beaucoup plus volatil et dépendant des décisions comptables d'un pays, à un autre.

Mme Carol SIROU - Là aussi, nous apprécierons ce niveau d'endettement au regard des marges de manoeuvre sur les recettes. Si vous avez une collectivité locale extrêmement endettée, dont la fiscalité se trouve déjà à un niveau très élevé et sur lequel elle ne possède aucune marge de manoeuvre, la note finale se révèlera différente de celle d'une collectivité au même niveau d'endettement mais avec beaucoup plus de marges de manoeuvre.

Prenons le cas qu'évoquait à l'instant Alexandra Dimitrijevic, celui d'une collectivité locale n'ayant que des compétences en matière de fonctionnement, ce qui est par exemple le cas des régions italiennes qui, pour l'essentiel, ne financent que la santé. S'il est vrai que ces régions n'ont que peu de dettes, cela s'explique par le fait que les dépenses de santé représentent environ 80 % de leurs dépenses : elles ne sont donc pas particulièrement compétentes en matière d'investissement. Nous essayons donc d'aller assez loin et de ne pas juger à l'aune d'un seul ratio. Nous cherchons à comprendre la dynamique et le contexte dans lesquels s'insère la collectivité.

M. le Président - Bien. Cessons de prendre la dette par habitant sans l'éclairer par d'autres paramètres.

M. François MARC - Ma question sera très simple et portera sur les critères qui sont utilisés.

J'ai en effet le sentiment que tout cela s'apparente à un tableau des risques pays. Les pays qui connaissent des difficultés récoltent des B et des C tandis que les autres ont tous des A. J'ai trouvé votre exposé intéressant, mais je crois que votre tableau appelle quelques explications sur les comparaisons internes à chaque Etat.

Je voulais en particulier savoir, puisque c'est le thème du moment, en quoi l'autonomie réelle a ou n'a pas d'influence dans une telle notation. Vous avez tout à l'heure cité le cas de l'Allemagne, disant notamment que ce pays, étant donné la régularité de ses recettes, pouvait aller plus loin dans la sécurité de ses remboursements. Mais l'autonomie fiscale y est par contre très faible. Cette autonomie a-t-elle donc un impact réel sur les notations ?

Mme Carol SIROU - L'autonomie constitue l'un des paramètres de notation, mais ce n'est pas le seul.

Mme Alexandra DIMITRIJEVIC - Le point important consiste à se dire que dans un pays où le système de péréquation est fort, les régions se tiennent beaucoup plus et la notation se fera sur une échelle réduite. C'est le cas pour des pays comme l'Allemagne, l'Autriche ou même la Suisse.

Par contre, dans des pays à plus grande autonomie fiscale, la différenciation entre niveaux de note sera plus vaste. En France, nous avons publié des notes allant de BBB - à AAA. Nous avons même eu des notes confidentielles dans la catégorie spéculative en raison de défauts de paiement de la part de collectivités.

Plus l'autonomie est grande, plus la différenciation le sera dans la notation. La capacité de remboursement dépend beaucoup plus de la richesse locale ou du niveau de flexibilité.

Mme Carol SIROU - Effectivement, la relation avec les pouvoirs publics, et tout le cadre institutionnel en général, compte beaucoup. C'est cela qui fait qu'en Allemagne, l'écart des notes est finalement si réduit. Il n'y a donc pas que les aspects financiers ou d'autonomie fiscale qui entrent en jeu.

Et comme le disait Alexandra Dimitrijevic, cet aspect institutionnel joue davantage en France car l'autonomie dans la gestion y est plus développée. L'Etat français n'a ainsi jamais déclaré qu'il se porterait garant de la solvabilité de la collectivité.

Je tiens à préciser que je parle toujours « en temps et en heure ». Ce cadre est très restrictif, et nous avons d'ailleurs souvent des débats portant sur le fait qu'une collectivité ne peut faire faillite. Non, une collectivité ne peut pas faire faillite, mais elle peut tout de même se retrouver dans une situation de trésorerie difficile.

M. le Président - Autrement dit, en Allemagne, la recette est centralisée et la dépense décentralisée ?

Mme Carol SIROU - La recette est par la suite redistribuée aux Länder et l'impact du cycle économique immédiatement perceptible.

M. le Président - Nous avons pu voir, dans un passé récent, des collectivités allemandes obligées de réduire drastiquement leurs dépenses, de fermer des écoles de musique et d'autres services. Manifestement, la recette globale nationale n'était pas à la hauteur des recettes engagées localement.

Philippe Adnot a demandé la parole.

M. Philippe ADNOT - Nous étions il y a douze ans le dixième département le plus endetté de France. Nous sommes maintenant l'un des moins endettés.

Madame, je ne partage pas l'ensemble de votre propos. Je pense que la dette par habitant est extrêmement importante car elle permet l'analyse comparative dans des strates identiques. Pouvoir se comparer est primordial, cela permet de rester en alerte en cas de différence inexplicable qui saute aux yeux. C'est vrai qu'il y a des gens plus ou moins riches ; il n'empêche que l'élément « analyse comparative par rapport à l'endettement par habitant » est prépondérant. D'ailleurs, le bench-marking est très présent dans les entreprises privées. Cela m'apparaît même dommageable que l'on refuse de l'appliquer chez nous.

Je regrette d'autre part que l'on n'analyse jamais la qualité de l'endettement alors qu'il s'agit de l'aspect le plus important. À quoi a servi l'endettement ? Un jeune ménage endetté ne constitue pas un problème s'il a construit sa maison. Il en va de même pour les collectivités et pour l'Etat. Aujourd'hui, l'Etat français est très endetté et je me demande s'il a construit sa maison. Or, j'ai bien peur que non puisqu'il sert seulement à payer les dépenses de fonctionnement. Je trouve donc que l'analyse quantitative de l'endettement est un peu trop absente de vos ratios.

M. le Président - Je crois que vous n'êtes pas vraiment en divergence sur ce sujet.

M. Philippe ADNOT - Effectivement, puisque ce propos a été corrigé à la fin de l'exposé.

Cette situation est liée au fait qu'en France, il n'y a pas une bonne péréquation. On peut avoir des richesses de collectivités extraordinairement différentes. Et pourtant, ces collectivités vont continuer à percevoir des dotations d'Etat comme si de rien n'était. Un jour ou l'autre, il faudra bien que les réformes à mettre en oeuvre :

- posent le principe qu'il existe des plafonds hauts pour le taux des impôts que l'on sera libre de voter ;

- posent le principe qu'il existe aussi des plafonds bas de manière à ce qu'il n'y ait pas de dumping fiscal et qu'il y ait obligation de payer quand même un minimum d'impôts.

Les dotations serviront ensuite à ajuster la péréquation. Mais à l'heure actuelle, les collectivités très riches peuvent se permettre de faire du dumping fiscal tout en touchant les dotations de l'Etat. C'est cela que nous devons modifier.

Mme Carol SIROU - La péréquation est certainement un élément à propos duquel il serait intéressant de s'interroger davantage. Avoir aussi peu de péréquation constitue vraiment une caractéristique bien française. Quels que soient les pays que vous regardez en Europe, que les collectivités aient ou n'aient pas d'autonomie fiscale, il existe des systèmes de péréquation assez avancés et stables dans le temps. Alors il ne faut certes pas idéaliser ces systèmes, si vous allez dans n'importe quel pays, ils vous diront que le leur ne fonctionne pas et qu'il doit être ajusté, mais il n'empêche que certains systèmes élaborés permettent un lissage des richesses plus important que ce que l'on peut voir chez nous. Et ce n'est pour cela pas la peine d'aller dans des pays très fédéralistes, comme l'Allemagne, où les systèmes de péréquation sont très poussés.

Il s'agit très certainement d'une piste de réflexion pour les années à venir, même s'il ne sera pas évident de passer de notre culture à des systèmes plus sophistiqués.

En tant qu'élus, vous serez conduits à y travailler.

Mme Alexandra DIMITRIJEVIC - Je voudrais réagir aux commentaires qui ont été faits concernant la dette.

Je pense que nous avons tous la même vision de la chose. De notre côté, nous estimons que les comparaisons sont l'élément le plus important. Aucune note n'est attribuée sans comparer les régions entre elles : un AA en France représente la même chose qu'un AA aux Etats-Unis ou en Australie, qu'il s'agisse d'ailleurs d'une collectivité ou d'une entreprise. Dans cette contrainte de comparer des systèmes différents, nous utilisons les ratios les plus significatifs disponibles dans l'ensemble des pays. Le ratio dettes sur recettes de fonctionnement existe dans tous les pays ; il permet de mesurer l'entrée de cash chaque année et la dette qu'il faudra rembourser face à cela.

La dette par habitant constituerait un indicateur intéressant si l'on pouvait en pousser un peu plus loin l'analyse. Un habitant n'ayant pas que la dette d'un département ou d'une région, il faudrait pouvoir calculer le niveau de dettes total qui s'accumule au-dessus de lui. Il faudrait également réussir à mesurer le niveau de richesse par habitant. Or, au niveau des statistiques économiques, nous avons parfois quelques problèmes. Enfin, il faudrait rapporter le tout au niveau de pression fiscale par habitant. Cela permettrait effectivement d'avoir un cadre complet de comparaison par habitant. Mais il est très difficile pour nous de pousser la comparaison à ce niveau-là.

Nous partageons également votre avis concernant le contenu de la dette. Nous considérons par exemple comme étant normal que les transports lyonnais, que nous notons et dont la responsabilité consiste avant tout à financer des infrastructures, aient un niveau d'endettement élevé ; cela l'est en revanche moins pour une collectivité qui doit financer des services publics. Ce qui explique que les transports lyonnais aient été notés A + : dans l'évaluation de leur niveau de dettes, nous avons en effet pris en compte leurs compétences et le fait que la dette ait été utilisée pour des infrastructures.

Je ne pense donc pas que nous soyons en contradiction.

M. le Président - Je me réjouis de ce rapprochement entre Philippe Adnot et Standard & Poor's .

M. Yann GAILLARD - J'aurais voulu poser une question quelque peu extérieure au sujet.

Comment ces études sont-elles rémunérées et qui commande celles qui se rapportent aux collectivités territoriales ?

D'autre part, y a-t-il un rating des agences de rating ?

Mme Carol SIROU - Ce sont nos clients qui nous rémunèrent, en l'occurrence les collectivités territoriales. Pourquoi nous demandent-elles une note ? Certainement pas pour nous faire plaisir ou pour se faire plaisir. C'est juste que leurs prêteurs, banquiers ou investisseurs, leur demandent une notation. Si vous regardez la liste des collectivités que nous notons, vous y trouverez les grandes collectivités territoriales européennes. La plupart ont réalisé des opérations sur les marchés financiers et dans ce dessein, ainsi que pour intéresser des investisseurs de toute nationalité, la notation fait office de passeport.

Il s'agit d'une manière de communiquer sur sa santé financière, sachant que les notes sont actualisées tous les ans.

M. le Président - Dire que vous n'avez été institués par aucune loi et que vous n'êtes donc pas le fruit de la réglementation... Vous êtes vraiment une génération extraordinaire ! Voilà qui nous inspire de l'humilité.

M. Yves FRÉVILLE - Je voulais réagir sur le fait que nous n'avons pas beaucoup de péréquation en France.

Pourquoi est-ce ainsi ? Tout simplement parce qu'il y a d'énormes inégalités de ressources. Ces inégalités entre les collectivités les plus riches et les collectivités les plus pauvres vont de 1 à 40. Pour les inégalités de besoins, elles devraient aller, en étant généreux, de 1 à 2. Quand on a des systèmes d'impôts locaux tels que le système local français, on a des inégalités de ressources. Et plus elles sont importantes, plus il faut introduire de ressources d'Etat pour les corriger.

Il y a donc là une contradiction totale entre les deux propositions de la réforme constitutionnelle, c'est-à-dire vouloir une part prépondérante d'impôts et instituer la péréquation. Si l'on met une part prépondérante d'impôts, on ne fera pas de péréquation, parce que ces impôts sont inégalement répartis. A moins qu'il existe des impôts également répartis mais je n'en connais pas.

Ma question est très simple : dans les pays étrangers, avez-vous l'impression que les inégalités de ressources entre collectivités sont plus faibles que les inégalités entre collectivités françaises ?

Mme Carol SIROU - Non, c'est relativement identique. Vous avez certes des grands centres économiques dont vont effectivement bénéficier les villes alentour, mais vous retrouvez quand même des différences de richesse régionale assez fortes. Même en Belgique, qui est pourtant un tout petit pays, vous avez une très forte différence de richesse entre la Flandre et la Wallonie. Et cela se retrouve au niveau des communes elles-mêmes : les communes de la région flamande, exceptées celles qui sont liées à des zones urbaines très difficiles, sont plus riches.

Mme Alexandra DIMITRIJEVIC - Seule la composition des recettes peut changer. Elle peut plus ou moins refléter cette inégalité. Dans le cas des communes de certains pays, où elles sont surtout constituées de recettes type taxe d'habitation ou tarifs des services publics, les inégalités sont moins marquées.

M. le Président - Évidemment, la péréquation vient chez nous de la suppression progressive des impôts locaux et de leur remplacement par des dotations d'Etat. Autrement dit, si la France est libre et fraternelle, elle n'en reste pas moins très inégalitaire.

Deux ou trois agences mondiales déterminent l'attitude des prêteurs et finalement la fixation des taux d'intérêt. Il suffit donc de votre verdict pour que les taux soient très intéressants ou, au contraire, que l'on soit à la limite du taux de l'usure.

M. Yann GAILLARD - Existe-t-il une grande différence entre les notes que vous mettez et celles que mettent les autres agences ?

Mme Alexandra DIMITRIJEVIC - Je vais vous citer un exemple de ville pour laquelle il y a une très grande différence. Il s'agit de la ville de Naples, notée BBB chez nous et que Moody's note AA. Ce qui démontre que nous n'avons pas toujours la même opinion.

Mme Carol SIROU - Il s'agit là d'un cas extrême pour lequel nous considérons avant tout le tissu économique de Naples, ainsi que ses faiblesses, tandis que notre concurrent considère lui que tout est financé par l'Etat italien.

M. le Président -Vous avez dû beaucoup vous réjouir du vote de la loi organique sur les lois de finances, qui pose comme principe fondamental la sincérité des comptes publics. Cela va vous faciliter la tâche.

Il me reste à vous remercier pour votre communication tout à fait intéressante. Vous nous avez permis d'humaniser l'appréciation que nous avons de ces grandes agences de notation.

Audition de M. Philippe LAURENT,
Président-directeur général de Philippe Laurent Consultants


(9 octobre 2002)

M. Jean ARTHUIS, président - J'accueille maintenant M. Philippe Laurent, expert en financement des collectivités territoriales. Je ne doute pas que son témoignage va enrichir notre réflexion.

Monsieur Laurent, nous sommes à la veille d'une consultation sur les nouvelles étapes décisives de la décentralisation. Nous nous interrogeons sur la faisabilité des dispositions contenues dans un projet de loi constitutionnel. Ledit projet, s'il n'institue pas d'autonomie financière, évoque tout de même le caractère déterminant des ressources fiscales, des ressources propres et des subventions que des collectivités territoriales pourraient percevoir d'autres collectivités territoriales. Il pose également le principe d'une péréquation au profit des collectivités les plus démunies.

Voilà dans quelles perspectives se situe notre réflexion. Je vous remercie d'y apporter votre contribution. Arrivera ensuite le temps des questions des commissaires ici présents.

M. Philippe LAURENT, président-directeur général de Philippe Laurent Consultants - Monsieur le Président, mesdames et messieurs, je voudrais d'abord vous remercier de m'avoir convié à cette audition.

Je suis ici en tant que Président fondateur du cabinet de conseil Philippe Laurent Consultants . Nous comptons une trentaine de collaborateurs et nous travaillons uniquement dans le domaine des finances locales. Nous abordons notamment beaucoup les questions intercommunales. Je dois toutefois vous dire, au nom de la transparence, que je suis également élu local : je suis en effet maire de Sceaux et je siège au conseil général des Hauts-de-Seine (donc à ce titre membre du Comité des finances locales). Je m'exprimerai devant vous en séparant mes deux fonctions, même si cela peut parfois se révéler difficile. J'y suis jusqu'à présent parvenu et j'espère que cela pourra continuer.

Au risque de paraître un peu provocateur, je suis de ceux qui pensent que notre système de fiscalité locale, s'il doit certes évoluer, n'est pas si mauvais que certains veulent bien le dire. Ou du moins l'était-il. J'ai ainsi eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que la taxe professionnelle, telle qu'elle évoluait avant la « réforme Strauss-Kahn », me semblait être un impôt qui avait certains atouts.

Je pense aussi que des erreurs ont été commises, par exemple la suppression de la vignette, dont je ne comprends toujours pas la justification exacte. Je ne vois pas non plus de justification à un certain nombre d'autres suppressions et dégrèvements qui ont pu avoir lieu ces dernières années. À part peut-être la volonté de faire plaisir à telle ou telle catégorie d'acteurs de notre pays.

C'est donc avec l'idée que notre système avait tout de même un certain nombre de qualités que j'ai répondu aux questions que vous m'avez préalablement posées.

Les recettes fiscales dans le budget des collectivités territoriales

Votre première demande consistait à savoir si l'importance des recettes fiscales dans le budget des collectivités territoriales avait un impact sur la manière dont une collectivité était gérée. Autrement dit, le fait qu'une collectivité tire une part importante de ses ressources de ses impôts influence-t-il sa gestion ?

J'y réponds bien entendu oui : oui parce qu'il y a un facteur de responsabilité, oui parce qu'il y a un frein éventuel de la dépense publique, mais surtout oui parce que cela permet une prise de risque raisonnée, notamment pour certains niveaux de collectivités territoriales, dans le développement territorial ou économique. Si une entité économique n'a pas la possibilité de se dire qu'elle pourra bénéficier, ou compenser, un choix stratégique, alors elle gèrera en bon père de famille, ce qui est bien, mais surtout en notaire, ce qui est moins souhaitable. Par conséquent, l'idée du retour sur investissement, positif ou négatif, me paraît tout à fait importante. Si elle sait qu'elle a une responsabilité fiscale, l'assemblée locale aura certainement plus à coeur de prendre des risques de développement.

C'est notamment la raison pour laquelle la taxation de l'activité économique me semble, contrairement à ce qui est souvent dit, tout à fait importante. Je ne vois pas comment taxer l'activité économique sans le faire sur les facteurs de production, ce que sont les salaires ou les investissements.

La responsabilité politique en matière de vote de taux

Une autre question m'avait été posée, celle se savoir comment arriver à une plus grande responsabilité politique en matière de vote de taux. Je pense que cela est à l'heure actuelle possible pour le niveau communal, un peu moins pour le niveau intercommunal, mais certainement pas pour les niveaux départemental et régional. Cela est dû à la relative difficulté pour le citoyen de percevoir le coût et l'apport direct des actions menées à ces niveaux. Ce qui est évidemment beaucoup plus simple au niveau communal puisqu'il y a un lien direct avec la vie quotidienne.

Cette responsabilité politique ne pourra être obtenue que par une certaine spécialisation de l'impôt local, qu'il est toutefois peu souhaitable de pousser à l'extrême. J'estime donc que deux impôts, l'un principal et l'autre secondaire, doivent coexister dans chaque collectivité. Cette spécialisation est actuellement menée à bien, puisque l'on a déjà supprimé la part régionale de la taxe d'habitation et que la taxe professionnelle a été passée au niveau des groupements intercommunaux, qui rassemblent les trois-quarts de la population. Une grande partie de la population française habite sur un territoire soumis au régime fiscal de la taxe professionnelle unique (TPU).

Surtout, cette responsabilité politique ne pourra être obtenue que par une possibilité beaucoup plus importante de fixer le taux, sans entraves particulières. Remarquons que l'on peut aussi obtenir une meilleure responsabilité fiscale en permettant aux assemblées locales de fixer des règles de modification d'assiettes.

Une première avancée sur la possibilité de fixer le taux a été réalisée par le Gouvernement au travers du projet de loi de finances sur la déliaison des taux. C'est encore, de mon point de vue, notoirement insuffisant. Mais le symbole est tombé et il reviendra au Parlement de « s'engouffrer » dans cette porte légèrement entrouverte.

Je voudrais d'ailleurs dire que le taux de la taxe professionnelle n'est pas le seul en cause. Le foncier non bâti, important pour un certain nombre de collectivités et notamment les communes, et les droits de mutation, sont également concernés. Il y a dans tous les secteurs de la fiscalité, qu'elle soit directe ou indirecte, un certain nombre de blocages qui ne sont pas totalement justifiés.

L'utilisation actuelle des marges de manoeuvre fiscale

Un certain nombre d'obstacles à une plus grande utilisation des marges de manoeuvre existent. Ils me semblent d'abord d'ordre législatif et réglementaire, par exemple la liaison des taux, et ils ont conduit les assemblées locales à ne plus vraiment se poser la question de savoir si elles pouvaient ou non adopter des politiques fiscales différenciées. Le nombre de collectivités territoriales ayant, année par année, augmenté ou diminué leurs taux de manière différenciée est d'ailleurs très faible. Très peu de collectivités jouent donc des maigres possibilités qui leur sont données. Les documents de la direction générale des collectivités locales (DGCL) et le rapport de l'Observatoire des finances locales le prouvent.

Quant à l'assiette, elle représente un point important puisque nous sommes aujourd'hui dans un système où les assiettes, notamment les valeurs locatives, la taxe foncière et la taxe d'habitation, sont fixées depuis 1970 et que la réforme de 1990 n'a pas été mise en oeuvre. Selon moi, même si les assiettes actuelles ne sont plus très pertinentes, avoir une assiette fiscale sur le foncier me paraît être une idée-force qu'il faut à tout prix conserver. Il s'agit en effet d'un impôt localisé, très bien adapté à la commune.

Je pense aussi, pour avoir étudié de très près la question, que la révision de 1990 n'entraînerait pas forcément d'amélioration sensible dans certains cas, le découpage des secteurs législatifs ayant été insuffisamment travaillé. On le voit surtout dans les agglomérations. L'idée de ne pas se contenter des limites des communes est donc bonne, mais elle ne règle pas la question très réelle de l'inéquité des valeurs locatives et des revenus cadastraux. Il serait donc certainement nécessaire de s'orienter vers un système déclaratif prenant en compte, sur la base du prix de vente ou d'achat, la valeur vénale des propriétés. Je n'ai pas davantage creusé cette idée souvent émise mais difficile à mettre en oeuvre, mais il me semble que nous pourrions nous en inspirer.

S'agissant de la taxe d'habitation, je pense qu'il faut prendre en compte le revenu. C'est déjà le cas pour un bon nombre de foyers français, probablement la moitié, grâce au plafonnement et aux dégrèvements, mais j'estime qu'il faut aller plus loin. Je crois également nécessaire de prendre en compte le nombre de personnes de la famille, non pas en moins mais en plus : plus il y a de gens, plus la taxe devrait être élevée. C'est une démarche qui a fait parler d'elle et qu'il faut creuser.

Autre point très important, celui de la taxe professionnelle assise sur la valeur ajoutée. On nous dit toujours que c'est la solution ; or, dans le passé, avant la suppression de la part salaires, nous n'étions pas très loin de ce système.

M. le Président - C'était de la valeur ajoutée !

M. Philippe LAURENT - Pas tout à fait, il manquait les résultats de l'entreprise.

M. le Président - Heureusement.

M. Philippe LAURENT - Et puis on ne prend pas en compte la dotation aux investissements.

M. le Président - Cela y ressemblait...

M. Philippe LAURENT - C'est plus cumulatif, Monsieur le Président. On prend en compte la valeur brute additionnée, ce qui explique la dynamique importante sur la taxe professionnelle. Dès que la situation économique dans une région à vocation industrielle est bonne, cette taxe augmente très rapidement. Elle augmentait même encore plus vite à l'époque de forte inflation car on remplaçait au prix de l'époque des machines payées très peu chères.

Si nous nous basons sur la valeur ajoutée, nous ne serons plus dans la même logique et nous dépendrons des politiques fiscales nationales en matière d'amortissement, ce qui ne me paraît pas très bon.

Et pour finir, j'ajouterai que la part des salaires dans la valeur ajoutée est plus importante maintenant qu'elle ne l'était précédemment dans la base de la taxe professionnelle. En tout cas à l'arrivée, parce que la part salaire avait tendance à diminuer alors que la part investissement avait tendance à augmenter. La part salaire était en fait passée de 60 à 30 %, alors que dans la valeur ajoutée, les salaires avoisinent les 50 %. Ce qui veut dire que prendre en compte la valeur ajoutée revient à taxer davantage les salaires. Il y a là un raisonnement que je ne m'explique pas très bien de la part de l'Etat.

Un autre problème se pose, celui de la localisation. La valeur ajoutée est appréciée au niveau de l'entreprise et pas de l'établissement. Des solutions existent, comme répartir la valeur ajoutée en fonction du nombre de salariés de chaque établissement ou de la valeur locative des investissements, mais elles seraient compliquées à mettre en oeuvre. Toujours est-il que la valeur ajoutée, selon moi, n'amène rien à la situation précédant la « réforme Strauss-Kahn ».

L'impôt local idéal

D'après moi, il doit être :

- facilement localisable ;

- équitable pour l'ensemble des contribuables et proportionné à leurs facultés contributrices ;

- suffisamment sensible à la conjoncture pour sensibiliser les élus locaux aux difficultés de tous ;

- suffisamment stable pour assurer un niveau et une qualité de services constants ;

- suffisamment dynamique, afin de permettre les progressions nécessitées par le financement de compétences sans cesse plus lourdes ;

- simple à comprendre et à contrôler pour le contribuable ;

- simple à recouvrer et à contrôler pour l'administration fiscale ;

- adaptable localement afin de tenir compte de la diversité du territoire.

En observant tout cela, on voit donc que l'impôt foncier, l'ancienne taxe professionnelle et même les taxes départementales sur le revenu, qui n'ont vécu qu'un été, ne sont pas mal du tout.

Les impôts d'Etat dont tout ou partie du produit serait attribuable aux collectivités

Je tiens à préciser que si l'on module le montant de la fraction qui serait reversée en fonction de la loi, on sort du champ de l'impôt local pour entrer dans celui de la dotation, certes indexée sur une ressource, mais déguisée. Par conséquent, si nous parlons d'impôt local, nous ne pouvons évoquer qu'un impôt dont le taux et éventuellement l'assiette sont fixés par l'assemblée locale. Si l'on vous promet de donner une partie de la TIPP aux régions, par exemple 20 % du produit recouvré, il ne s'agira pas véritablement d'un impôt local. Nous ne pouvons donc parler ici que d'impôts avec un taux additionnel.

Je pense que l'impôt sur le revenu des personnes physiques pourrait faire l'objet d'un impôt additionnel. Cela se déroulerait au niveau régional plus que local, la région permettant d'atténuer un peu les disparités de ressources.

Je crois également que dans les systèmes nationaux de péréquation, le potentiel fiscal ne constitue plus un bon indicateur pour déterminer les dotations versées. Il ne reflète en effet pas la capacité contributive des habitants du territoire, et devrait donc être apprécié en fonction des revenus des personnes physiques comme des acteurs économiques. Si l'on fait de la péréquation au niveau national, on devrait prendre en compte ces deux éléments sur le territoire pour lequel on pérèque. C'est relativement simple, et c'est surtout révélateur de la capacité contributive des acteurs économiques du territoire. Il s'agit donc selon moi d'un point tout à fait majeur.

Je souhaiterais pour conclure aborder un dernier point. Nous sommes aujourd'hui sous l'emprise du principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre. Je suis pourtant convaincu que nous ne pourrons pas rénover notre système fiscal et notre système de péréquation si l'on ne considère pas qu'un niveau de collectivité peut avoir une influence sur un autre niveau de collectivité. Voilà pourquoi j'estime que la péréquation par rapport aux charges - kilomètres de voiries, élèves, logements sociaux, ... - doit se faire au niveau de la région et non de l'Etat. À charge pour la région de recevoir une péréquation globale au niveau national. Là réside toute l'ambiguïté du débat, révision constitutionnelle y compris : personne ne veut dire que tout ceci nous conduira à ce qu'une collectivité ait un pouvoir sur une autre. Or, ne rien dire nous posera de graves problèmes demain. J'en suis convaincu.

M. le Président - Merci, Monsieur Laurent. J'ai maintenant quatre demandes de parole et j'invite M. Adnot à ouvrir le débat.

M. Philippe ADNOT - Je ne sais par où commencer... Je pense que l'élu des Hauts-de-Seine a très fortement influencé les propos du consultant.

Dire que dans les départements et les régions, le contribuable ne se sent pas concerné par le système fiscal me paraît extraordinaire.

Dire que l'on obtiendra une plus grande responsabilité par une spécialisation de l'impôt me semble tout aussi faux : le citoyen se montre responsable lorsqu'il sait qu'en contrepartie d'une de ses demandes, il va devoir payer quelque chose.

Dire qu'il y moins besoin d'autonomie fiscale pour les départements que pour les communes revient à ignorer complètement ce qu'il se passe réellement dans un département au niveau des infrastructures. Ce sont évidemment les départements qui font les choix stratégiques en matière d'infrastructures !

Toutes ces affirmations ne correspondent en rien à la réalité. Nous devons parvenir à une fiscalité qui vise le contribuable et l'élu, c'est-à-dire à une fiscalité responsable et diversifiée. Si nous adoptons une fiscalité sur le revenu, nous allons « déménager » le territoire, parce que tout le monde ira là où le maximum de services est offert pour un même niveau d'impôt. Je ne vois pas pourquoi quelqu'un resterait dans un petit village en payant un impôt élevé, sous prétexte que cet impôt est assis sur le revenu, alors qu'il ne bénéficie d'aucun service. Ce sont des théories liées au fait d'habiter un département très urbain dans lequel n'existe pas la même problématique qu'à la campagne.

Il est enfin dangereux de dire que l'on va réunir les impôts au niveau régional pour ensuite en faire de la répartition. Cela signifie que l'on constituera demain une administration supplémentaire et que l'on va augmenter les prélèvements. Or, la France cherche plutôt à diminuer le niveau des prélèvements.

Comme vous l'aurez tous compris, je n'ai pas trouvé grand chose de positif dans les propos de Monsieur Laurent !

M. Yves FRÉVILLE - Je voudrais revenir sur les caractéristiques du bon impôt et les appliquer à la taxe professionnelle et à l'impôt foncier.

L'élu local en a une définition tout à fait différente : il pense que le bon impôt est celui qui rapporte beaucoup et qui n'est pas payé par ses contribuables.

Une part importante de la taxe professionnelle correspond à cette définition. Ce ne sont par exemple pas les habitants de Flamanville qui paient la taxe professionnelle de la centrale nucléaire qui alimente la commune et tout le département. Qu'une partie d'un impôt soit levée sur l'entreprise pour les services et la nocivité générés par celle-ci me paraît normal, mais la marge est tellement grande entre cet impôt et les externalités négatives créées par cette entreprise qu'en fait, l'impôt est exporté et ne correspond pas à la création de service. Telle est bien la base de notre système de taxe professionnelle et après avoir créé un tel impôt, on injecte des sommes folles pour faire de la péréquation et corriger des inégalités qui ne devraient pas exister.

Nous avons maintenant deux ou trois types de taxe professionnelle. Pour les entreprises industrielles, la valeur ajoutée en est l'assiette actuelle. Toutes les grandes entreprises industrielles - les usines automobiles, EDF, France Télécom - sont plafonnées, de telle sorte que pour certaines d'entre elles, et pour éviter les ennuis, il a fallu plafonner le plafonnement. Le secteur industriel paie donc la taxe professionnelle à la valeur ajoutée. D'ailleurs, cette taxe professionnelle, n'imposant pas les salaires, fait en sorte que toutes les activités économiques des centres urbains ne paient plus beaucoup d'impôts. Nous nous retrouvons donc avec un système de taxe professionnelle tout à fait préhistorique, puisqu'il taxe l'industrie des Trente Glorieuses et pas les entreprises qui peuplent les centre-villes. Il faut donc revoir au plus vite la question de son assiette et si nous ne réintroduisons pas les salaires, cet impôt deviendra vite anti-économique.

Concernant maintenant les impôts fonciers, je dois vous dire que je suis opposé à la valeur vénale car elle entretient un élément spéculatif et peut conduire à un impôt confiscatoire pour les ménages dont la localisation n'est pas adaptée au plan de construction. La bonne assiette est selon moi représentée par la valeur locative.

M. Joël BOURDIN - Permettez-moi tout d'abord une observation. Dans le rapport de l'Observatoire, on note bien que la base de la taxe professionnelle s'élevait à environ 30 % de la part salariale dans les petites communes et à environ 45 % dans les grandes. Ce qui revient à dire que les entreprises situées dans les grandes communes sont celles qui bénéficient le plus de l'exonération de la part salariale.

D'autre part, j'estime que nous avons jusqu'à présent très peu parlé de l'intercommunalité. Or, des inégalités se manifestent, notamment entre les communautés de communes qui sont à la TPU (taxe professionnelle unique) et celles qui n'y sont pas. Ces inégalités sont-elles justifiées alors que ces communautés ont toutes fait le même type d'efforts ?

Autre remarque, nous n'avons que très peu parlé des redevances qui sont des ressources affreusement dynamiques pour les collectivités territoriales. Pourtant, elles se multiplient : celles sur les ordures ménagères augmentent parfois au rythme de 7 à 8 % par an ! Dans certaines communes rurales, le contribuable de base paie quelquefois plus en taxe sur l'enlèvement des ordures ménagères qu'il ne paie au titre de la taxe d'habitation. Par ailleurs, les redevances d'assainissement croissent elles aussi. Alors je ne veux pas rejoindre Philippe Adnot dans ses propos sur les départements urbains et les départements ruraux, mais dans ces derniers, la loi sur l'assainissement non collectif, parce qu'elle va obliger les petites communes à consentir de gros investissements, va encore donner du poids à une redevance supplémentaire.

Nous voyons donc monter des ressources de redevance à côté de la fiscalité locale et j'ai bien peur que l'on en réinvente encore. De plus, j'observe une montée en force des services à caractère industriel et commercial financés par des redevances. N'y a-t-il pas quelque chose à faire ?

M. Denis BADRÉ - La réflexion que nous avons ici doit se nourrir des expériences locales. Si dans les Hauts-de-Seine, nous nous inspirons beaucoup de ce que font les départements plus ruraux, la réciproque doit aussi être vraie. Et ce d'autant plus que si aucun département ne ressemble à un autre, il y a également de fortes disparités à l'intérieur des départements. Les communes dont Philippe Laurent et moi-même avons la charge font ainsi partie des plus pauvres des Hauts-de-Seine pour la simple raison que nous ne percevons pas de taxe professionnelle, celle-ci étant mobilisée à La Défense. Ce sont pourtant nos administrés qui y travaillent, pour lesquels nous avons créé des crèches, des écoles, etc. Il y a donc une réflexion à développer là-dessus.

Par ailleurs, je tiens à souligner que le consentement à l'impôt constitue l'un des principes de base de notre démocratie et il est bon que ce consentement s'exprime dans chacune de nos communes à travers les votes du conseil municipal. De ce point de vue-là, le meilleur impôt sera toujours le plus lisible et le plus simple, même s'il est légèrement injuste.

Le dernier point de mon intervention touche à l'impôt foncier dont Philippe Laurent a fait l'apologie. Je rappelle pourtant qu'en 2000, la mission sur l'expatriation des capitaux, des compétences et des entreprises, dont j'étais le président, avait souligné que le patrimoine était quatre fois plus taxé - impôt foncier, ISF, successions et plus-values -, que tout cela faisait beaucoup et qu'il serait peut-être bon de parvenir à un remembrement. Nous avions nous-mêmes pensé à combiner droits de succession et ISF. Ma question est donc la suivante : l'impôt foncier doit-il être le seul à rester une fois que nous aurons remembré tout cela, ou doit-il faire l'objet d'une attention plus vigilante de notre part ?

M. le Président - L'impôt foncier a l'immense avantage de correspondre à une matière qui n'est pas délocalisable, contrairement à d'autres assiettes fiscales.

M. Philippe LAURENT - Peut-être me suis-je mal exprimé mais je n'ai pas dit qu'il fallait concentrer les impôts au niveau de la région pour qu'ensuite celle-ci les redistribue. Je parlais en fait de la péréquation, avec l'idée que l'Etat organise dans les régions une péréquation basée sur les capacités contributives des habitants et des acteurs économiques. Les régions mettraient à leur tour en place un système de péréquation au niveau départemental ou communal. Tout cela constituerait un système très simple.

J'ai ensuite estimé que le loyer était le gros problème du foncier. Que le propriétaire d'une maison paie un impôt foncier, nous en sommes tous d'accord. En revanche, il n'y a pas de raison de taxer l'habitant d'une maison. On doit pouvoir lui laisser le choix. Il n'y a aucune raison de taxer quelqu'un dont le choix de vie est de consacrer au loyer une part importante de son revenu. Voilà pourquoi, selon moi, la taxe d'habitation ne peut pas reposer sur la même base que la taxation du propriétaire.

Au sujet de l'intercommunalité, je suis totalement d'accord pour reconnaître que la différence de taux ne se justifie absolument pas. Mais cela relève tout à la fois d'une question historique et d'une question législative, liée à la loi Chevènement qui avait déterminé certains montants.

Je reconnais que les redevances augmentent. Vous avez parlé de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères mais nous pourrions tout aussi bien évoquer le cas du versement « transport »: aujourd'hui, certaines entreprises paient plus en versement « transport » qu'elles ne paient en taxe professionnelle. Faut-il pour autant établir un lien entre les matières imposables et les compétences ? Ce n'est pas forcément souhaitable. En fait, tout dépend de la conception que nous nous faisons des collectivités territoriales et de la décentralisation. Si nous considérons que les collectivités territoriales sont là pour rendre un certain nombre de services, il faut fixer un tarif en fonction des compétences. Si elles sont en revanche un lieu d'exercice de pouvoir par des élus, l'impôt dépendra des capacités contributives. La question est de savoir quelle est la légitimité des collectivités territoriales. Plus les redevances et les taxes indirectes se développeront, plus nous irons vers des collectivités gestionnaires de services se finançant sur une recette liée au service rendu et moins vers des espaces de solidarité redistributeurs.

Enfin, concernant la péréquation de taxe professionnelle, dont j'ai assez peu parlé car ce n'était pas le point central de mon exposé, je pense que l'absence d'une réforme d'ensemble ne constitue pas le vrai problème. Il nous incombe à nous, élus d'Ile-de-France, de nous mobiliser pour mettre en place au plus vite la taxe professionnelle unique. Je suis convaincu que cela viendra progressivement.

M. le Président - Monsieur Laurent, nous vous remercions.


Audition de M. Guy GILBERT,
Professeur à l'Ecole normale supérieure de Cachan,

M. François VAILLANCOURT,
Professeur à l'Université de Montréal,

M. Bernard DAFFLON,
Professeur à l'Université de Fribourg


(9 octobre 2002)

M. Jean ARTHUIS, président - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Guy Gilbert, spécialiste des problèmes de financement des collectivités territoriales et de fiscalité locale.

La démarche que nous avons entreprise est liée à la proximité d'une réforme constitutionnelle. Celle-ci donne une nouvelle impulsion à la décentralisation et s'efforce de conforter les ressources propres des collectivités territoriales afin qu'elles puissent s'administrer plus librement.

Depuis une dizaine d'années, les seules réformes que nous avons su apporter à la fiscalité locale ont entraîné la disparition progressive des impôts locaux. De grands travaux ont été accomplis au début des années 90 pour porter remède à l'archaïsme et à l'injustice de la matrice principale de nos impôts locaux. Mais il y avait des gagnants et des perdants et tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont refusé d'en appliquer les conclusions.

Professeur, merci d'avoir accepté notre invitation, vous avez maintenant la parole. Les commissaires présents ne manqueront ensuite pas de vous soumettre au feu de leurs questions.

M. Guy GILBERT, professeur à l'Ecole normale supérieure de Cachan - Merci Monsieur le Président, je suis très honoré d'être reçu par la commission des finances et heureux de pouvoir contribuer à ses travaux.

Les finances locales françaises occupent une place tout à fait singulière au sein des pays membres de l'Union européenne, et ce pour plusieurs raisons :

- elles constituent une part exceptionnellement importante des ressources dans les budgets locaux ;

- un tiers de cette part importante est en fait acquitté par l'Etat ;

- les collectivités territoriales pèsent un poids très peu élevé dans le PIB ;

- le maillage territorial, qui exprime la densité institutionnelle des finances locales, est serré et abondant ;

- les disparités de richesse fiscale entre les collectivités sont exceptionnellement élevées.

La France combine un poids important des impôts dans les ressources des collectivités territoriales avec une relative modestie des dépenses locales dans le PIB. Elle est la seule dans ce cas. Elle combine d'autre part un haut degré d'autonomie fiscale locale avec une très faible moyenne d'habitants dans ses collectivités de base. Elle se distingue là encore de ses partenaires européens. La position de la France n'est donc pas une position moyenne.

Sans réforme de la fiscalité locale, il est raisonnable de s'attendre à une recentralisation des finances locales. Cette recentralisation n'est pourtant pas souhaitable, ni politiquement, parce que je ne la crois pas « faire bon ménage » avec le principe même de la décentralisation, ni économiquement, parce qu'elle est gage d'irresponsabilité, de gaspillage de ressources et d'une concurrence fiscale inefficace entre les territoires.

La direction que semblent prendre aujourd'hui les finances locales est donc à peu près à l'opposé de celle que l'on pourrait attendre d'une décentralisation :

- la part de la fiscalité locale diminue ;

- la réforme des bases est à l'oeuvre mais elle s'inscrit en creux (qu'il s'agisse de la taxe d'habitation ou de la taxe professionnelle) ;

- la tension fiscale s'accroît avec le transfert de compétences incomplètement financées ;

- la carte institutionnelle se modifie favorablement avec la montée de l'intercommunalité à fiscalité unique mais surtout dans le monde urbain ;

- l'encadrement macroéconomique des finances locales se durcit, notamment dans le cadre européen à travers les engagements internationaux pris par la France.

La question des ressources est donc essentielle et ce, pour deux raisons.

D'une part, elle figure au coeur de la stratégie budgétaire des collectivités. Dans les années 60-70, les budgets locaux étaient construits à partir des investissements, dont on déduisait des dépenses de fonctionnement. Aujourd'hui, on part sur une hypothèse d'évolution de taux et on « boucle » sur l'investissement. Il n'est ainsi pas inexact de dire que les ressources fiscales font les dépenses - on peut le montrer économétriquement -, que les deux tiers des disparités de dépenses par habitant tiennent aux disparités de recettes par habitant, et que la solvabilité financière durable d'une collectivité dépend de son rendement fiscal.

D'autre part, cette question ne se pose toutefois pas uniquement en France : en Allemagne, la question de la fiscalité locale est au coeur du blocage du système global de ressources des collectivités ; en Italie, des réformes considérables sont aujourd'hui arrêtées ; elles sont en cours en Espagne, mais la question de l'approvisionnement financier des collectivités territoriales se pose ; enfin en Angleterre, les collectivités n'ont quasiment aucune autonomie fiscale.

Faut-il pour autant réformer la fiscalité locale ou laisser jouer la concurrence fiscale ? Au Royaume-Uni, une idée très répandue consiste à dire qu'il n'est pas dommageable pour l'économie de donner aux collectivités des ressources décidées ailleurs et de les laisser ensuite se livrer à une saine concurrence, censée les obliger à réduire leurs coûts, favoriser les expérimentations, et permettre des gains de productivité aux collectivités vertueuses, qui auront gagné des bases, des habitants, des activités économiques. Les économistes dont je fais partie jugent ce concept trop simpliste pour deux raisons : d'une part parce que, rationnellement, chaque collectivité n'est intéressée que par l'augmentation de la satisfaction de ses ressortissants et a donc tendance à négliger ses voisins ; d'autre part parce qu'elle repose sur une légitimité politique tellement faible qu'elle ne se concrétiserait que par une collection de SIVU (syndicat intercommunal à vocation unique) et de SIVOM (syndicat intercommunal à vocation multiple) qui entretiendrait une concurrence tirant les coûts toujours vers le bas.

Si l'on décide de réformer la fiscalité locale, j'estime qu'il y a deux voies à emprunter.

La première est la voie « fiscalo-fiscale ». Elle nécessite que l'on définisse précisément ce qu'est un bon impôt local.

Un bon impôt local doit comporter des caractéristiques qui, d'après moi, sont bien plus nombreuses et bien plus difficiles à rencontrer que celles qui pourraient définir un bon impôt national. On lui demande en effet d'équilibrer des compétences (équilibre budgétaire en statique et en dynamique), de reposer sur des bases à la fois localisables et fixes (or, dans un monde où la flexibilité est recherchée, la fixité est de plus en plus difficile) et de permettre aux collectivités de se différencier les unes des autres.

Ce « cocktail » de caractéristiques ressemble à la quadrature du cercle et je ne dénombre que deux bons impôts locaux : les redevances d'usagers et les impôts fonciers et immobiliers assis sur des valeurs vénales. On pourrait à la rigueur songer à l'impôt sur le revenu à base large et à taux proportionnel, à des impôts sur la valeur ajoutée perçue au coût des facteurs (sorte de taxe professionnelle restaurée, c'est-à-dire non amputée) ou encore à des impôts sur les biens et services caractérisés par une demande peu élastique par rapport aux prix et une bonne répartition géographique des bases.

Nous ne pouvons pas dire que cette réforme soit aujourd'hui totalement en dehors des évolutions que nous constatons. La taxe professionnelle, de par son plafond, se rapproche en effet de la valeur ajoutée ; mais parce qu'elle a été amputée de sa part salariale, elle s'en éloigne tout autant. Quant à la taxe d'habitation, si elle se rapproche du revenu pour la règle de modulation de la cotisation des contribuables à faibles revenus, elle en reste tout de même très éloignée. J'ajouterai que cette réforme prévoit un début de tunnel en taux (la taxe professionnelle est largement installée dans un tunnel), mais ce dispositif n'est pas généralisé à l'ensemble des impôts locaux, que les évolutions actuelles ne comportent malheureusement rien sur la réforme des bases foncières et immobilières et que les taux de fiscalité n'ont aucune signification particulière puisqu'à la fois déformés et surévalués, ils ne peuvent constituer de bons indicateurs pour les contribuables.

Au final, cette réforme « fiscalo-fiscale » est à la fois en route, inachevée, voire contredite par les évolutions en cours.

La seconde voie de réforme de la fiscalité locale est la version territoriale.

Elle est elle aussi en cours. Les périmètres fiscaux se consolident, notamment à travers le développement extrêmement rapide en milieu urbain de l'intercommunalité à fiscalité unique. Cela favorise la congruence entre les territoires de perception de l'impôt et les aires de services collectifs de proximité, ce qui est bon et du reste la loi de juillet 1999 sur l'intercommunalité va dans ce sens, mais ne vaut au mieux que pour la France urbaine. Alors quid de la France rurale ?

Des possibilités de réforme fiscale locale existent, mais elles sont très ambitieuses et reposent sur des hypothèses particulièrement lourdes.

Il n'y a ainsi pas de décentralisation possible sans pouvoir fiscal autonome. L'autonomie signifie que les ressources fiscales doivent permettre la modulation significative des choix et des stratégies, ainsi que la conduite d'expérimentations locales, que les bases sont proportionnelles en volume aux compétences (et d'autant plus larges que le domaine de compétences risque de s'élargir) et que le « portefeuille fiscal » doit avoir de bonnes propriétés dynamiques (chaque collectivité se devant d'avoir plusieurs impôts).

Par ailleurs, il est nécessaire que les collectivités bénéficient à 100 % des « effets-bases » c'est-à-dire qu'elles perçoivent la totalité des effets d'accroissement, ou de décroissance, des bases attribuables à l'action publique locale.

Il n'y a enfin pas de pouvoir fiscal autonome accru sans une responsabilité fiscale elle-même accrue. Il faut pour cela une spécialisation fiscale claire (un niveau de collectivité est responsable du vote d'un taux) et des bases fiscales pas trop larges pour que les conséquences fiscales des choix soient perceptibles.

Concrètement, ces principes doivent se traduire par un élargissement des bases d'imposition locale. A ce titre, le revenu du type contribution sociale généralisée constitue selon moi la bonne base et aurait dû s'ancrer sur la taxe professionnelle assise sur la valeur ajoutée appréciée au coût des facteurs (la réforme de 1999 a, de ce point de vue, été particulièrement malheureuse), et la réévaluation des valeurs cadastrales vers les valeurs vénales me semble de bonne logique.

Mais doter les collectivités de bases modernes et évolutives a un prix : la restriction de la liberté de vote des taux à une fixation en tunnel. Cette dernière idée, qui n'est pas une novation, combinée avec le fait que chaque niveau de collectivité aurait la possibilité de moduler un taux et un seul, mérite d'être prise en compte.

Enfin, il importe de découpler la réforme de la fiscalité au niveau local (communes et intercommunalités) de la réforme de la fiscalité au niveau des départements et des régions.

Naturellement, réformer la fiscalité locale a des conséquences d'une extrême importance en matière de transferts financiers entre l'Etat et les collectivités. Avec des impôts mieux assis, la réforme fiscale version territoriale réduirait mécaniquement le besoin de péréquation : 90 % des écarts de potentiel fiscal entre les communes provenant des impôts locaux prélevés sur les entreprises, un élargissement des paramètres fiscaux sur la base desquels sont votés les taux de TP entraînerait une baisse des disparités de potentiel fiscal par habitant. Mais du coup, c'est le besoin de correction des inégalités intra-communautaires qui s'accroîtrait ; les mécanismes de solidarité communautaire devraient donc être renforcés. Toujours dans le même registre, si les impôts étaient mieux assis, l'Etat aurait moins de raisons d'intervenir massivement dans la fiscalité locale et le besoin de compensations, d'exonérations ou d'abattements se réduirait. Au total, la pression mise sur le système de péréquation diminuerait et se déplacerait et il est probable que la péréquation financière verticale aurait à se combiner avec une péréquation financière horizontale, plus ou moins volontaire, plus ou moins obligatoire.

L'édifice actuel pourrait-il répondre sans modifications à ce défi ?

L'édifice actuel se chiffre à 20 milliards d'euros par an. Il réduit d'un tiers les inégalités de potentiel fiscal par habitant entre communes. Cette performance est obtenue à l'aide de différents types d'instruments de péréquation :

- des instruments budgétivores et faiblement péréquateurs, consommant beaucoup plus de ressources qu'ils ne contribuent à la péréquation (dotation forfaitaire de la DGF) ;

- des mécanismes peu budgétivores mais très faiblement péréquateurs (dotation de compensation de la TP) ;

- des mécanismes intensément péréquateurs et peu budgétivores, consommant moins de ressources qu'ils ne contribuent à la péréquation (dotation d'aménagement de la DGF) ;

- un mécanisme de péréquation horizontale (fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle).

Aucun mécanisme n'est contre-péréquateur.

Si la réforme de la fiscalité locale pouvait se faire, la pression que l'on mettrait sur le système de péréquation serait sans doute moins forte.

J'en ai ainsi terminé avec cette présentation liminaire.

M. le Président - Merci Professeur pour cet exposé dont je veux saluer la clarté. Les professeurs Vaillancourt et Dafflon ont-ils une observation à formuler ?

M. François VAILLANCOURT, professeur à l'université de Montréal - Au contraire de la France, les municipalités et communes canadiennes n'ont pas d'existence constitutionnelle, elles sont ce que nous appelons des « créations provinciales ». Les Provinces peuvent donc disposer à leur guise de leur nombre, de leur taille, de leur fiscalité et de leur responsabilité. Tout récemment, en Ontario puis au Québec, il a ainsi été procédé à des fusions forcées, et ce malgré l'opposition des élus locaux. Je citerai l'exemple de l'île de Montréal où le slogan « une île, une ville » a été réalisé en fusionnant 28 communes en une seule.

M. le Président - Qui décide ?

M. François VAILLANCOURT - L'assemblée législative de la province.

L'autre point intéressant est la péréquation intra-communale. L'ancien maire de Montréal, aujourd'hui chef de l'opposition, disait tout récemment à son successeur qu'il n'avait pas un problème de ressources, mais un problème d'allocation des ressources entre l'ancienne ville, historiquement plus pauvre, et les riches banlieues. Le courage politique consisterait donc à demander à ces dernières d'aider la partie pauvre. C'est évidemment très délicat à obtenir.

Enfin, au Canada, la fixation des taux relève de l'entière discrétion des conseils municipaux, sans aucune balise, tandis que les assiettes sont soumises à des règles provinciales. Et la perception est le fait des fonctionnaires municipaux.

M. le Président - Les services fiscaux sont-ils complètement décentralisés ou chaque niveau dispose-t-il de ses propres services fiscaux ?

M. François VAILLANCOURT - Chaque niveau possède ses services fiscaux. Au Québec, par exemple, les municipalités perçoivent les impôts fonciers, les droits d'usager, les taxes d'ordures ménagères, etc... Le Québec, outre l'impôt sur les personnes physiques et l'impôt sur les sociétés, perçoit, pour le compte du gouvernement fédéral, la taxe sur les produits et services, c'est-à-dire la TVA canadienne, mais il s'agit là d'une exception qui lui est propre.

En tout état de cause, les municipalités ont une longue tradition de perception des impôts fonciers sur leur territoire, de gestion de ces fonds - les vérifications étant effectuées par des contrôleurs privés - et donc d'indépendance financière.

M. le Président - Les Provinces se servent-elles des mêmes assiettes pour asseoir leurs propres ressources ?

M. François VAILLANCOURT - Au début des années 60, les municipalités avaient innové avec l'utilisation d'une taxe de vente au détail. Dès que la Province du Québec s'est rendu compte qu'il s'agissait là d'une source de revenus intéressante, vers 1965, elle a décidé de s'en emparer et d'en augmenter le taux. Pendant une période transitoire de quinze ans, 25 % du produit de la taxe a été remis aux municipalités afin de « leur faire avaler la pilule ». Et au début des années 80, cette taxe est devenue l'entière propriété de la Province.

Si les Provinces ne sont donc pas présentes dans l'impôt foncier, je ne serais pas surpris qu'à moyen terme, elles y jettent une certaine convoitise.

M. le Président - Et l'assiette du foncier, est-ce la valeur vénale ?

M. François VAILLANCOURT - Oui. La valeur vénale est établie non par le propriétaire mais par les services d'imputation qui utilisent la « méthode des comparables » et ce, en référence au prix de marché au 31 décembre de l'année n-1 pour le 1 er janvier de l'année n+1. En général, un déséquilibrage se produit entre d'une part le résidentiel qui a tendance à être sous-évalué et d'autre part l'industriel et le commercial qui ont tendance à être sur-évalués. Mais un rééquilibrage s'opère en général tous les trois ans.

M. le Président - Merci, Professeur Vaillancourt. Professeur Dafflon, nous souhaiterions avoir votre témoignage.

M. Bernard DAFFLON, professeur à l'université de Fribourg - Je ne vais pas vous faire une leçon sur les communes suisses, elles sont comme les communes françaises, parfaitement indépendantes et intouchables. Elles peuvent ainsi fusionner volontairement, mais il est hors de question qu'une quelconque autorité les y oblige. Ce qui explique d'ailleurs qu'il y ait beaucoup trop de petites communes.

J'aimerais par contre réagir à l'idée de bouquet d'impôts. D'aucuns dans cette salle en sourient, mais cela existe en Suisse puisque les communes ont à leur disposition neuf sortes d'impôts : l'impôt sur le revenu et la fortune des personnes physiques et l'impôt sur le capital et le bénéfice des personnes morales, partagés avec les cantons et la confédération, sachant que les 26 cantons établissent librement leurs barèmes alors que les communes ne décident que du coefficient annuel ; l'impôt sur les mutations, les successions et les donations, les bénéfices en capital des plus-values et les contributions immobilières, pour lesquels les communes, dans certaines limites, fixent librement les taux ; enfin, toute une série de petits impôts, relativement insignifiants, sur les dépenses.

Il y a également cinq sortes de redevances d'utilisation : elles concernent l'eau, les déchets, l'eau usée, la voirie et les infrastructures.

Pour vous donner un ordre de grandeur, 80 % des ressources locales sont des ressources propres et 15 % des transferts en provenance des cantons. Parmi les ressources propres, 60 % proviennent des impôts, 25 % des redevances d'utilisation et 15 % du patrimoine financier. L'impôt sur le revenu et la fortune représente 40 % du montant total des impôts, l'impôt sur le capital et les bénéfices 12 % et la contribution immobilière 8 %.

Nos neuf sortes d'impôts vous étonneront peut-être. Mais s'ils soulèvent quelques problèmes techniques, ils ne soulèvent que très peu de problèmes économiques, mis à part peut-être l'impôt sur le bénéfice des personnes morales qui crée des problèmes liés à la compétition, à l'exportation, à la neutralité. Ce dernier constitue parfois un facteur de délocalisation. C'est la pierre d'achoppement principale du système fiscal suisse.

M. le Président - Je vous remercie. Je donne maintenant la parole aux commissaires qui souhaitent vous poser des questions.

M. Joël BOURDIN - Merci, Monsieur le Président. Je n'aurai qu'une seule question à poser à Guy Gilbert. En fin d'exposé, vous nous avez montré une graphique se reportant à l'année 1997. N'y a-t-il pas eu depuis des modifications liées à la création de l'intercommunalité ? J'ai personnellement le sentiment que l'ensemble des dotations tend vers une péréquation adoucie.

M. Guy GILBERT - Je ne peux répondre à cette question. Notre étude sera bientôt refaite sur de nouvelles données. Mais mon intuition est que le pouvoir péréquateur de la dotation forfaitaire de la DGF, assise sur des critères de plus en plus obsolètes, devrait s'éroder dans le temps. Je m'attends également à ce que le pouvoir péréquateur relativement élevé de la dotation d'aménagement s'accroisse.

Pour ce qui est de savoir ce qu'il se passe réellement au sein de l'intercommunalité, il faudrait savoir beaucoup de choses sur les dotations de solidarité intercommunale. Or, aujourd'hui, nous ne disposons pas d'une base de données suffisante, la période étant trop courte et les capacités de différenciation des structures intercommunales encore un peu faibles. Mais je doute que nous trouvions un effet très significatif sur les premières données que nous observerons.

M. Yves FRÉVILLE - Je souhaiterais intervenir au sujet de la stratégie de réforme que vous avez élaborée. Pensez-vous que l'on puisse instaurer une CSG locale à côté de la CSG nationale ? Ou une taxe professionnelle sur la valeur ajoutée aux coûts de facteurs ?

Je voudrais d'autre part vous livrer deux observations. Les dégrèvements, notamment celui sur la taxe d'habitation, ne sont pas pris en compte dans le système de péréquation alors qu'ils sont très largement contre-péréquateurs. Les petites communes n'en bénéficient pas, au contraire des villes fortement imposées du Midi de la France.

Je mène par ailleurs une étude, sur toute l'Ille-et-Vilaine, consacrée aux mécanismes de péréquation horizontaux au niveau des communautés de commune. J'y ai déjà noté une disparité extraordinaire des politiques menées : certaines communautés ne font pas aucune péréquation, et elles sont en cela encouragées par l'Etat, tandis que d'autres, celles qui possèdent des ressources, en font à tout va.

M. Guy GILBERT - Sur le partage de la CSG, la première objection que l'on peut formuler à l'instauration d'une CSG locale consiste à se demander qui autorisera les collectivités territoriales à s'asseoir à la même table que les organismes sociaux. Là réside le vrai problème. On nous reprochera bien vite de vouloir vider la caisse des organismes de sécurité sociale au bénéfice des collectivités territoriales.

Par ailleurs, nous ne pourrons pas introduire le revenu au niveau local en prenant la base de l'impôt sur le revenu. Cette base représente le tiers du revenu national. Elle est déformée et morcelée et ne possède donc pas les propriétés qui conviennent. Voilà pourquoi une base large me semblerait plus raisonnable, le prélèvement à la source devenant de facto possible.

Pour revenir aux cas de la taxe professionnelle et de la valeur ajoutée, j'estime que le traitement de l'amortissement en représente le plus gros problème. Mais dès l'instant où l'on aura décidé de dire que le taux est national ou qu'il est contenu dans un tunnel de taux étroit, ce problème ne se posera plus guère. Autrement dit, la restriction des marges de manoeuvre sur le taux de la TP réduit le problème de la délocalisation. J'ajouterai que si nous passons à des échelons de gestion à TP unique, la question de savoir dans quelle commune de banlieue localiser un équipement se posera en des termes totalement différents.

Je crois en définitive que si ces problèmes existent, ils ne sont pas d'une nature telle à empêcher le passage à la valeur ajoutée.

M. le Président - La valeur ajoutée pose tout de même problème parce que les salaires sont par essence délocalisables. J'ai vu des stratégies de délocalisation. L'externalisation des collaborations représente un phénomène nouveau. Il entraîne parfois des délocalisations d'assiette provoquées par des taux de taxe professionnelle inférieurs. C'est d'ailleurs lorsque j'ai dressé ces constats que le Gouvernement a pris l'initiative de purger le système en faisant disparaître les salaires des assiettes de taxe professionnelle.

M. Guy GILBERT - Je ne peux qu'aller dans votre sens. C'est pourquoi je couple tout élargissement des bases avec une réduction des marges de manoeuvre sur les taux. Il faut que cela soit dit.

Le chiffon rouge de l'impôt sur le bénéfice des sociétés, attribué au niveau local en Grande-Bretagne, est parfois agité. C'est une stupidité puisque cet impôt n'est pas du tout local. Il s'agit d'un impôt sur le bénéfice des sociétés mais dont le taux est unique et qui est redistribué aux collectivités sur une base per capita . Si vous appelez cela un impôt... Je le verrai plutôt comme une subvention forfaitaire.

M. François MARC - Je voulais remercier le professeur Gilbert et ses collègues pour leurs exposés très clairs.

Permettez-moi une observation, que vous jugerez peut-être connotée politiquement. J'ai surtout le sentiment que la France a besoin, plus que d'une course en avant vers l'autonomie fiscale, d'une profonde réforme technique de sa fiscalité locale.

Je voudrais d'autre part, en prolongement de ce qui a déjà été dit, poser la question suivante : dans l'exposé des motifs de la marche vers la décentralisation, le ministre Devedjian a indiqué que le transfert de compétences fiscales au niveau local génèrerait implicitement des gains de productivité. Monsieur Gilbert, en tant qu'économiste, pensez-vous qu'il y ait un optimum dans la recherche du bon niveau de compétences et du bon niveau de décentralisation ?

M. Guy GILBERT - Une réponse circonstanciée à cette question ressemblerait furieusement à du charlatanisme ! Nous ne possédons pas suffisamment d'éléments probants.

La raison fondamentale pour laquelle on décentralise est que l'on pense qu'en rapprochant du citoyen ou du consommateur les unités qui conçoivent les politiques et fournissent les services, on se rapproche de ce qui est demandé. On sent donc bien que la question du dégré « idéal » de décentralisation des activités publiques et celle d'une fiscalité facilement perceptible par le contribuable sont intimement liées.

Mais s'agissant du degré idéal de décentralisation pour telle ou telle activité, je crois que les économistes ne peuvent apporter de réponse circonstanciée. Ils ne peuvent que donner la grammaire des arguments.

M. le Président - À l'inverse, nous pourrions nous demander quel est le degré idéal de centralisation.

M. François MARC - J'aurais pour ma part nuancé la réponse de Guy Gilbert dans le sens où le citoyen d'aujourd'hui est surtout soucieux d'avoir un service de qualité au moindre coût, ce qui constitue une donnée socio-économique. Il nous faut donc introduire des éléments de rationalité économique.

M. le Président - Nous avons donc besoin d'instruments d'évaluation. La mise en application de la loi organique du 1 er août 2001 nous permettra bientôt de faire face à ce déficit. Nous sommes garants du respect de ses dispositions.

M. Yves FRÉVILLE - Je crois qu'il existe une contradiction totale entre ce qu'enseignent les économistes et ce que veulent les politiques. Pour les premiers, la décentralisation se caractérise par des différences, d'une collectivité à l'autre, de niveau de services publics en fonction des préférences des gens. Les politiques cherchent quant à eux à égaliser ce niveau de services.

M. le Président - Autrement dit, comment passer de l'utopie à la réalité... ?

J'estime que nous avons intérêt à resserrer les liens entre les universitaires et les parlementaires afin de pouvoir échanger des arguments contradictoires.

Messieurs, la commission des finances vous remercie.

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