Questionnaire : Réponse de
M. Guy GILBERT,
Professeur des Universités à l'Ecole normale supérieure de Cachan

Ressources fiscales et gestion locale

1) Dans quelle mesure l'importance des recettes fiscales dans les recettes totales a-t-elle un impact sur la manière dont une collectivité est gérée ?

L'importance des recettes fiscales dans les recettes totales a un impact déterminant sur la gestion locale.

L'évolution récente des comportements financiers des collectivités locales en atteste. Depuis le début des années 80, les budgets locaux sont soumis beaucoup plus étroitement que par le passé à la contrainte fiscale. Les budgets locaux se construisent désormais à partir d'une hypothèse sur l'évolution des taux, qui tient compte notamment de la position relative de la collectivité par rapport à ses « concurrentes ». Cette hypothèse détermine l'équilibre du budget de fonctionnement, la capacité de financement des investissements, et donc finalement le volume de ces derniers. Ainsi la fiscalité conditionne t'elle en définitive le choix entre le simple renouvellement des équipements et leur développement. L'accès à l'emprunt étant lui - même conditionné par la solvabilité financière future (donc par l'évolution prévisible de la fiscalité), il est donc clair que la capacité de mobilisation de la fiscalité, aujourd'hui et demain, est au centre de la construction de l'équilibre durable des finances locales. Elle en constitue la variable stratégique essentielle. Pas de développement durable dans l'offre de services collectifs (hormis des gains de productivité) sans recours accru à la fiscalité.

Cette situation contraste avec celle qui a prévalu durant les années 60 et jusqu'au début des années 80. Les budgets locaux se construisaient alors à partir de l'investissement. Celui ci résultait de l'écart entre le stock de capital local souhaité (celui qui accompagnait la croissance du stock de logements) et les équipements en place. Les dépenses courantes étaient déterminées par récurrence. Le budget se bouclait sur la fiscalité sans qu'une contrainte fiscale réellement serrée ne vienne influencer en profondeur la stratégie financière et budgétaire des collectivités.

Contrairement à une opinion répandue, le recours intensif à la fiscalité dans les budgets locaux ne conduit pas cependant une autonomie financière sans risques. Un risque politique d'abord, que je ne commenterai pas. Un risque économique ensuite de fuite de la matière imposable, si le différentiel de taux est par trop important. Et ce risque est d'autant plus grand que l'on encourage par ailleurs la flexibilité, la mobilité des hommes et des capitaux. Sauf à être assise sur des bases adéquates, une fiscalité locale qui garantit une réelle autonomie fiscale est donc aujourd'hui une fiscalité risquée.

Empiriquement, l'abondance des ressources fiscales, et notamment de taxe professionnelle, constitue la source dominante de formation des inégalités de potentiel fiscal entre collectivités locales. Toutefois, la péréquation corrige une partie des inégalités, de l'ordre de 30 % pour les communes.

Un potentiel fiscal élevé favorise à la fois un niveau élevé de dépenses par habitant et un faible effort fiscal. Des dépense élevées par habitant correspondent en général à un niveau important de services rendus mais peuvent aussi refléter des charges élevées, liées entres autres aux caractéristiques sociales, économiques (notamment touristiques) ou géographiques des localités.

L'abondance de ressources peut aussi favoriser l'apparition de coûts de gestion élevés. A ce titre, la forte concentration géographique de la taxe professionnelle dans certaines communes à potentiel fiscal exceptionnel peut favoriser une affection inefficace des ressources publiques.

2) Y a-t-il de ce point de vue une différence entre des dotations de l'Etat et des ressources fiscales dont les collectivités locales ne peuvent pas agir sur le taux ?

Il est tentant d'assimiler les effets engendrés sur la gestion budgétaire des collectivités par des dotations de l'Etat sur le montant desquelles la collectivité n'a pas de pouvoir (direct) d'une part, et d'autre part par des ressources fiscales à taux fixé par l'Etat et dont la collectivité ne maîtriserait pas davantage le montant. On serait tenté de dire en effet que dans les deux cas il s'agit d'une ressource exogène pour la collectivité, sur le montant de laquelle elle n'a nul pouvoir. Il serait alors plus clair qualifier de tels impôts de « transferts financiers de l'Etat ». Du point de vue de l'efficacité économique, ces deux prélèvements seraient d'ailleurs également souhaitables, car n'entraînant aucune distorsion (puisqu'il s'agit de transferts forfaitaires).

Ce parallèle est cependant trompeur.

D'une part, le montant de certaines dotations dépend de façon certes retardée mais néanmoins réelle, du comportement fiscal des collectivités (via le potentiel fiscal et l'effort fiscal). Dans le cas de la fiscalité, même si celle - ci est prélevée à taux fixé, il reste un « effet - base » qui fait dépendre les recettes perçues de l'attractivité du territoire.

D'autre part, les dotations de l'état sont réparties sur la base de critères péréquateurs, aux effets redistributifs souvent sous-estimés (voir rapport du CGP sur la péréquation financière entre communes).

En revanche, des impôts à taux nationaux, ou encore des impôts partagés, sont en principe répartis en proportion des prélèvements opérés sur les territoires des collectivités. La localisation des prélèvements peut alors favoriser l'apparition d'amples disparités de ressources.

Dans les deux cas, il y donc bien un certain effet sur la gestion locale des dotations forfaitaires comme des recettes fiscales.

3) Quelles sont les situations constatées dans les pays dans lesquels les collectivités locales ont peu de marge de manoeuvre sur les taux de leurs impôts ?

Dans de nombreux pays, notamment au sein de l'UE, les collectivités n'ont guère de marges de manoeuvre sur les taux de leurs impôts.

Il faut cependant distinguer les marges de manoeuvre sur les taux selon que celles - ci concernent les collectivités de base ou les collectivités de rang intermédiaire.

Dans le cas des pays fédéraux, les entités fédérées ne sont pas véritablement « intermédiaires » et les marges plus ou moins considérables dont elles disposent dépendent de l'équilibre d'ensemble des pouvoirs entre le niveau fédéral et les entités fédérées. Hormis le cas extrême de la confédération helvétique où les cantons disposent d'un pouvoir fiscal considérable (Dafflon), le cas du Canada illustre une situation où les Provinces disposent d'un pouvoir de négociation fiscale important (Vaillancourt), tandis que celui de l `Allemagne illustre le cas inverse de Länder faibles fiscalement. Les provinces belges où espagnoles jouissent d'un pouvoir fiscal croissant mais encore limité.

Pour ce qui concerne les collectivités de base, celles - ci sont généralement sous l'autorité des entités fédérées dans les régimes fédéraux ; en conséquence leur pouvoir fiscal est souvent très limité ; les impôts peuvent être nombreux et parfois productifs mais les marges de liberté sur les taux fort encadrées (Allemagne, Espagne, Belgique, Canada). La Suisse fait à nouveau exception.

Dans le cas de pays à structure unitaire, le Royaume Uni est le cas où l'autonomie fiscale est la plus réduite ; la Council tax rapporte peu et se différencie fort peu d'un « county » à l'autre : le Corporate Income Tax n'a rien d'un impôt local, son taux, sa base sont fixés au centre, et son produit global est redistribué aux « counties » sur une base per capita (Conseil des Impôts, Rapport sur la Taxe professionnelle, 1977). Le cas des pays de l'Europe du nord est particulièrement éclairant, où les impôts sur le revenu, considérables au niveau local, ne sont en fait que très marginalement sous le contrôle des collectivités locales car les taux y sont très encadrés(Rattso).

Au total, le constat est assez général d'une absence de réelle autonomie fiscale pour les collectivités de base, et ceci même dans les pays où le fractionnement territorial st bien inférieur au nôtre. Les ressources fiscales peuvent certes être abondantes ; mais elles ne sont souvent que forfaitaires. Le cas est patent là où l'essentiel des ressources locales provient d'impôts partagés (le produit est alors réparti soit au prorata de la base d'imposition locale soit de la population, mais dans tous les cas le taux de l'impôt est fixé).

4) En France d'aujourd'hui, les citoyens ressentent-ils le lien entre le niveau de la pression fiscale locale et le service rendu par les collectivités locales ?

Il est difficile d'être affirmatif, faute d'études empiriques totalement convaincantes.

Les analyses statistiques des choix fiscaux opérés par les responsables locaux témoignent cependant d'un lien indéniable entre le service rendu et le taux d'imposition, notamment de taxe d'habitation, compte tenu du niveau de richesse fiscale et des charges de la communes. Par ailleurs, l'idée de la capitalisation fiscale qui lie la base de l'impôt foncier au flux de services publics locaux est certes présente dans l'esprit de certains contribuables, mais ce mode de raisonnement n'est cependant pas très répandu. Ce lien est sans doute très présent aussi dans l'esprit des entreprises qui relient en permanence le service rendu et le taux des taxes locales à l'occasion de leurs négociations avec les collectivités locales. Enfin, les redevances d'usagers sont sans doute l'exemple le plus clair d'un tel lien.

Toutefois, l'absence de signification économique immédiate des bases des taxes foncières et d'habitation pour les contribuables affaiblit la portée des taux et surtout des différences territoriales de taux. Les contribuables ont alors tendance de raisonner en terme de produit, voire à s'en tenir à des réactions de protestation. L'imbrication des compétences, pour inévitable qu'elle soit, ne facilite pas non plus l'identification précise des « contreparties » de l'impôt local. Enfin, le faible montant de certains impôts rend selon moi l'acquisition de l'information en matière de fiscalité locale particulièrement coûteuse en regard de l'avantage que le citoyen peut espérer en retirer.

Je termine en faisant remarquer cependant que les impôts locaux ne sont pas le seul exemple de « dé liaison » entre les services rendus et le prix demandé. Dans la sphère privée, de plus en plus de services sont proposés sur la base d'un forfait incluant des prestations complexes, plus ou moins sporadiques, pour lesquelles le client par ailleurs souvent lié par des contrats dont les coûts de sortie sont élevés, est bien en peine de lier le prix acquitté (qu'il ne perçoit souvent pas plus qu'il ne perçoit le montant de l'impôt) et devant lequel il se sent presque aussi démuni, du moins à court terme ( téléphone, maintenance...) !

5) Comment arriver à une plus grande responsabilité politique en matière de vote des taux ?

Une plus grande responsabilisation en matière de vote des taux apparaît liée à la signification que lui accordent les contribuables et donc dépend de la nature de l'assiette. Ainsi, pour les ménages, des différences de taux au titre d'un impôt local sur le revenu auraient infiniment plus de signification que les différences actuelles de taux de la taxe d'habitation. Plus généralement, les comparaisons de taux sont et resteront hasardeuses tant que les facteurs qui contribuent à déformer la signification des taux et de leurs évolutions (compensations d'exonérations, abattements...) n'auront pas été réduits. Ceci réalisé, le vote des taux serait en conséquence responsabilisé.

Par ailleurs, le projet actuel de dé - liaison des taux ne va pas nécessairement dans le sens de la responsabilisation. Au contraire, il pourrait affaiblir le principe démocratique de consentement à l'impôt et amplifier les disparités de ressources fiscales au profit des localités possédant sur leur territoire d'importantes bases de taxes professionnelles captives, donc ne redoutant pas d'éventuels effets de délocalisation. Le projet pourrait ainsi favoriser une inflation fiscale sur les entreprises.

Sur un plan plus général, le fait de donner à chaque collectivité un levier fiscal unique , facile à repérer par le citoyen serait sans doute un facteur de responsabilisation. De même, il apparaît souhaitable que toutes les collectivités disposant d'un pouvoir de fixation des taux disposent aussi d'assemblées élues au suffrage direct (intercommunalité).

6) L'importance du point de vue de la gestion d'une part importante de ressources fiscales dans les ressources totales est-elle la même pour toutes les tailles de collectivités ou pour toutes les catégories de collectivités ?

Je ne dispose pas de données originales sur cette question. Les modèles de comportement budgétaire différenciés par catégories de collectivités sont rares. La notion même de « catégories » de collectivités pose d'ailleurs problème. Il est certes facile de catégoriser selon des variables exogènes (strates de population par exemple) mais rien ne permet d'affirmer que ces « catégories » sont pertinentes du point de vue de la gestion budgétaire, et notamment du point de vue de la maîtrise des impôts locaux. En dehors des catégorisations dressées pour des problèmes spécifiques (travaux de DEXIA par exemple sur la solvabilité durable des collectivités), une approche intéressante consiste à tenter de dresser la carte de « catégories »(« clubs ») de communes en fonction de comportements budgétaires contrastés. La tentative d'A Guengant et Ch. Tavéra à Rennes va dans ce sens ( Economie et Prévision, 2000 ).

Toutes les collectivités locales ne sont égales face à la structure des ressources. À partage donné des recettes entre ressources propres et dotations, les collectivités à fortes charges récurrentes de production des services publics locaux sont désavantagées par rapport aux collectivités qui interviennent principalement sous forme de co-financement de projets réalisés par des tiers

Utilisation actuelle des marges de manoeuvre fiscale

7) Quelle appréciation portez-vous sur l'utilisation par les exécutifs locaux des marges de manoeuvre fiscales dont ils disposent ?

D'abord, au niveau de l'ensemble des collectivités locales, la vive croissance du produit des impôts locaux témoigne en apparence d'une utilisation intensive des marges de manoeuvre fiscale. Toutefois, l'ampleur des inégalités de potentiel fiscal implique de différencier le diagnostic suivant les cas.

Ensuite, et un peu paradoxalement, il n'est pas sûr que les élus locaux utilisent intégralement leurs marges de manoeuvre fiscale.

La question est de savoir si ce comportement est rationnel ou non.

Une collectivité peut en effet juger opportun de ne pas utiliser complètement les marges de manoeuvre fiscales dont elles disposent. Le cas le plus évident est celui d'une concurrence fiscale entre collectivités où chaque acteur, prenant comme donnés les taux des autres collectivités, ne considère que l'intérêt exclusif des contribuables de sa collectivité. Il ignore donc totalement les conséquences de ses choix fiscaux sur les autres collectivités. Le résultat d'un tel « jeu non coopératif » est que le taux de taxation va s'égaliser entre toutes les collectivités. Dans ce cas, les marges de manoeuvre fiscales de chacun sont donc rationnellement sous - utilisées. Ce comportement rationnel conduit d'ailleurs à des taux plus faibles que ceux qui s'établiraient si chaque collectivité prenait en compte les effets de sa politique fiscale sur autrui. Il existe bien entendu d'autres configurations d'interactions stratégiques entre collectivités en matière fiscale. Dans un contexte métropolitain, une collectivité peut être tentée de « prendre les devants » et baisser son taux de façon à attirer résidants et entreprises (et le cas échéant construire un avantage comparatif sur ses concurrents). Mais il existe au total beaucoup de configurations où le « mimétisme fiscal » est la solution d'équilibre. Le test empirique de tels comportements mimétiques en France est encore très préliminaire (voir Madiès, Rocaboy, Paty, Gilbert, 2002, Rapport de recherche, MINEFI-DP) mais il suggère que des comportements mimétiques ne sont pas rares notamment en milieu métropolitain.

Pour autant, la sous - utilisation probable des marges de manoeuvre fiscales par les collectivités locales n'est pas toujours « rationnelle » au sens défini ci-dessus. D'une part, la rationalité peut être d'un autre ordre, politique par exemple (il est « coûteux politiquement » de modifier les taux). D'autre part, la modification des taux peut être impossible ou compliquée (règles de variation de taux...). Enfin, l'utilisation de marges de manoeuvre doit être appréciée de façon dynamique. La fixation des taux dans le contexte intercommunal en est un exemple où de nombreuses collectivités ont, pour des raisons stratégiques, fixé des taux au plafond, espérant se créer ainsi des « droits acquis » ( sur la fixation des taux en milieu intercommunaux, voir la thèse de M. Leprince, Université de Rennes I, 2001, qui montre le caractère déterminant de la forme juridique de l'intercommunalité sur les stratégies de taux ; là où la fiscalité est additionnelle, l'empilement des taux est assez général, là où la fiscalité est substitutive, les conséquences sont moins claires, selon notamment la force respective des collectivités en lice »).

8) Les obstacles à une plus grande utilisation des marges de manoeuvre sont-ils plutôt d'ordre législatif ou réglementaire (lien entre les taux, etc.), psychologique (dépendance à l'égard des services fiscaux et du trésor qui calculent les taux en fonction du produit demandé), institutionnel (empilement des taux des impôts directs qui dilue l'effet des politiques autonomes) ou autres ?

Je ne possède pas de données précises permettant de préciser l'importance respective de ces différents facteurs (cf. supra la thèse de M. Leprince sur l'intercommunalité).

Le niveau déjà élevé, voire très élevé de l'impôt local, constitue dans de nombreuses collectivités l'obstacle principal à une utilisation plus importante de la marge de manoeuvre fiscale.

Par ailleurs, j'ai le sentiment personnel que les contraintes du premier type (législatif et réglementaire) sont importantes aujourd'hui dans le contexte d'émiettement territorial qui caractérise la situation et de très grandes inégalités de potentiel fiscal - entreprises en France. Les supprimer devrait en principe conduire à court terme à des modifications de taux considérables et sans doute non souhaitables du point de vue de l'efficacité économique. Il me semble donc que ces contraintes ne devraient pas disparaître à court terme.

La contrainte psychologique est sans doute importante en milieu rural ; elle devrait diminuer en importance avec la constitution d'entités fiscales plus larges (intercommunalités) et avec la spécialisation fiscale « à la marge » (cf. question 15).

L'effet de d'empilement me semble plus ambivalent ; il peut être facteur de blocage des marges de manoeuvre (« ne pas payer pour d'autres », externalités verticales) comme au contraire il peut s'avérer favorable à l'adoption de comportements de « pique - assiette » fiscal (cas des échelons de collectivités taxant assez peu -régions notamment-). Les études empiriques sur ce point ne sont guère conclusives contrairement à ce qu'affirmait un peu rapidement le rapport du Conseil des Impôts sur la TP (1977).

L'assiette et le produit des impôts locaux

9) Les assiettes de la taxe d'habitation et des taxes foncières (en supposant que les bases cadastrales soient actualisées) gardent-elles une pertinence ?

Oui, totalement. La justification économique est complète et incontestable pour les taxes foncières (ménages et entreprises) assises sur les valeurs vénales (théorie de la « capitalisation fiscale »). Il vaudrait mieux évidemment que les valeurs cadastrales soient proches, en niveau comme en évolution, des valeurs vénales. La tâche est -elle vraiment impossible en France ?

Sans doute la consolidation des périmètres fiscaux au niveau local serait- elle un facteur favorable à la révision des assiettes (intégration dans le périmètre fiscal métropolitain de la croissance des zones périurbaines).

On ne peut cependant s'attendre que cette fiscalité constitue la part prépondérante des ressources fiscales locales, pour des raisons d'acceptabilité.

Pour la taxe d'habitation, un changement radical d'assiette, en remplaçant les valeurs locatives cadastrales par le revenu, constituerait la seule réforme la plus pertinente qui permettrait d'éviter à terme la disparition de l'impôt.

10) Quelles seraient les conséquences (en termes de produit levé, de répartition de la charge entre les redevables, de répartition géographique du produit, etc.) d'une taxe professionnelle assise sur la valeur ajoutée ? Quels sont les obstacles techniques à une telle évolution ?

Les travaux du Conseil des Impôts en 1977 ont tenté de répondre à ces questions (cf. ce rapport) dont les estimations devraient cependant être actualisées.

Pour ma part, je n'ai jamais totalement partagé les conclusions, assez négatives, du rapporteur du Conseil des Impôts sur ce point.

L'adoption de la VA, mesurée non comme la différence entre la valeur du produit et celle des consommations intermédiaires, mais comme la somme de la rémunération des facteurs, est non seulement possible mais elle est économiquement justifiée. La valeur ajoutée locale est bien aussi le résultat de l'action entreprise au niveau territorial. Il est légitime que la collectivité puisse profiter de cet effet - base et il est légitime que l'entreprise ou la personne qui en a tiré profit soit taxé sur cette base. La « valeur ajoutée » que l'on dit souvent impossible à calculer au niveau local l'est d'ailleurs à l'occasion du calcul du plafond.

Les problèmes techniques ne sont pas insurmontables à la condition expresse que le taux de la TP soit unifié sur le territoire national.

Les problèmes essentiels sont liés au traitement de l'amortissement, au calcul de la valeur ajoutée dans le secteur des services financiers, et au traitement des entreprises individuelles disposant d'une comptabilité sommaire. Le problème de l'assujettissement de ces dernières à une TP -VA est aussi politique, puisque ces catégories de contribuables étaient jusqu'à présent traitées assez favorablement par la TP. Celui du secteur financier aussi, dans la mesure où la VA au coût des facteurs y serait trop faible et surtout manipulable (d'où la nécessité d'un taux - plancher). La disparition de la part - salaires a eu d'ailleurs des effets sectoriels importants pour les activités à intensité de main d'oeuvre ...

En d'autres termes, la TP-VA est un impôt raisonnablement localisable si les collectivités ne bénéficient que de l'effet - base et non de l'effet - taux.

La réforme de 1999 est de ce point de vue une initiative malheureuse. Certes elle a pu apparaître comme une mesure d'endiguement budgétaire des concours de l'Etat aux collectivités locales favorable au respect par la France des engagements des Traités de Maastricht et d'Amsterdam.. Mais la suppression de la part salariale est aussi économiquement « distorsive » ; la réduction du coût du travail n'a pas produit des effets significatifs attendus sur l'emploi ; elle a déformé la répartition de la charge fiscale entre les secteurs économiques. Enfin, elle est dangereuse pour l'autonomie fiscale des collectivités (Gilbert, 1999 RFFP).

11) La réforme de l'assiette des impôts directs locaux est-elle la seule solution pour réduire la part acquittée par l'Etat dans le produit de ces impôts ?

La réforme constitue, semble-t-il, le seul moyen de pérenniser la fiscalité locale et de stopper la prise en charge croissante des cotisations par l'État.

En revanche, un retour en arrière pour les contribuables bénéficiant d'importants allégements paraît plus hypothétique

Cependant, une réforme de la carte territoriale de la fiscalité locale serait également à même de contribuer à la réduction de la part de l'Etat dans les recettes « fiscales » des collectivités. L'élargissement des circonscriptions de gestion de la TP à l'échelon intercommunal serait notamment de nature à réduire le montant les compensations et abattements consentis par l'Etat qui visent précisément à réduire les effets pervers d'un excès de micro- localisation et des défauts d'assiette de cet impôt.

Les nouvelles assiettes locales

12) Quelles sont les caractéristiques de « l'impôt local idéal » ?

De bons impôts locaux, ce sont d'abord de bons impôts, tout court.

Les critères habituels qui président au choix de « bons »  impôts sont multiples et hélas contradictoires. On requiert que les impôts favorisent à la fois l'efficacité économique (absence de distorsions) ; l'équité (verticale et horizontale) ; qu'ils aient de bonnes propriétés en matière de flexibilité ; qu'ils soient faciles à administrer (économies d'échelle) ? qu'ils soient transparents et favorisent la responsabilité des décideurs (pas de taxation sans responsabilité).

Mais de « bons impôts locaux » exigent encore davantage, compte tenu de la localisation du prélèvement. Ils requièrent aussi :

Equivalence entre l'ensemble des impôts demandés dans une collectivité et la valeur des services locaux offerts ;

Congruence entre le « territoire du prélèvement » et l'aire de desserte du service collectif de proximité ;

Equilibre budgétaire : des impôts proportionnés (en statique et en dynamique) aux dépenses correspondant aux compétences, à taux « normal » (sinon « manipulation » politique des variations de taux et distorsion en fonction du carré du taux d'imposition) ;

Des modalités permettant la différenciation en fonction des « préférences fiscales » des collectivités ;

Des bases localisables ;

Pas d'« externalités fiscales » (pas d' « exportation d'impôts », pas de mobilité géographique des bases, pas de substitution entre biens ou acteurs taxés localement) ;

Des modalités permettant l'exercice de l'  « autonomie fiscale » (pas de responsabilité collective sans taxation) ;

Des bases fiscales géographiquement bien réparties ;

Au total, l'impôt local « idéal » n'existe pas si l'on tente d'associer tous ces critères.

D'abord, on peut oublier les impôts forfaitaires (assez voisins de la « Community Charge » britannique) qui constituent certes pour les théoriciens de l'économie de l'impôt le prélèvement idéalement neutre car n'entraînant aucune distorsion de prix mais qui est en matière d'impôt local un très mauvais candidat (puisque son montant dépend de la localisation du contribuable, localisation précisément choisie par le contribuable notamment en raison des différentiels d'imposition).

Parmi les impôts les plus couramment proposés, on cite en général

Les redevance s d'usagers stricto qui ont de bonnes propriétés de transparence, d'efficacité allocative, mais qui sont en général peu équitables (verticalement)

Les impôts fonciers et immobiliers assis sur les valeurs vénales (en raison de la capitalisation fiscale qui incorpore en principe dans les valeurs de marché la valeur actuelle des services présents et futurs rendus par les services collectifs locaux attachés au logement).

C'est peu ! Les redevances d'usagers ne dépassent guère plus de 20% des recettes locales dans la plupart des pays, et l'impôt foncier et immobilier atteint vite des limites.

Au total, il est raisonnable d'affirmer que la fiscalité locale « optimale » doit associer au moins trois impôts, le premier sur la rente foncière et immobilière, le second sur la valeur ajoutée des entreprises, le troisième sur le revenu des ménages. Sous l'angle de l'efficacité économique, le partage du produit fiscal devrait épouser la répartition des coûts induits par les différentes catégories de contribuables.

13) Quelles sont les assiettes (déjà taxées ou non encore taxées) qui sont localisables et peu mobiles géographiquement ?

La terre constitue la seule assiette par nature immobile dans l'espace. Les constructions sont, à long terme, mobiles via les décisions de localisation des ménages et des entreprises. Mais surtout, les choix de résidences ou d'implantation modifient les valeurs vénales et locatives des propriétés. La faiblesse majeure des taxes foncières et d'habitation est précisément de ne pas avoir suivi ces évolutions dans l'espace et dans le temps.

Sur un plan plus large, on peut penser à d'autres assiettes, plus problématiques, mais acceptables.

Le revenu , à base large du type CSG et à taux proportionnel, mais pas de base de type IR

La valeur ajoutée (pas selon le modèle de « TVA - Consommation » impraticable, mais au coût des facteurs (wL + rK) et à taux unique pour contourner les problèmes d'optimisation fiscale locale

Des impôts sur les biens et services , notamment ceux dont la demande est peu élastique par rapport aux prix, et dont les bases ne sont pas trop inégalement réparties dans l'espace

Des impôts « proxy » de redevances d'usagers . La TH pourrait être à la rigueur assimilée à cette dernière catégorie à condition qu'on ne cherche pas à lui ajouter une dimension de « justice » fiscale (au sens de proportionnalité par rapport au revenu) qui devrait lui rester étrangère (sauf au cas où la consommation de services collectifs de proximité serait approximativement proportionnelle au revenu). Comme on peut douter que cela soit politiquement accepté, il est plus raisonnable de transformer la TH en un impôt local sur le revenu à base large.

Concernant le cas de la France, la TIPP est sans doute un mauvais candidat, y compris au niveau régional en raison de sa très inégale répartition dans l'espace, qui obligerait à une redistribution problématique .

14) Faut-il établir un lien entre la matière imposable par une catégorie de collectivités locales et les compétences exercées par cette catégorie de collectivités locales ?

Ce lien n'est pas strictement nécessaire du point de vue de la théorie économique de l'impôt (sauf pour les services collectifs de proximité associés à la résidence qui se « capitalisent » dans les valeurs vénales, et ce uniquement dans le cas de marchés fonciers et immobiliers parfaits).

Ce lien peut cependant se justifier pour des raisons politiques et sociologiques tenant d'une part à l'exigence d'équivalence (le contribuable « percevant »  mieux et acceptant mieux l'impôt dans la mesure où le lien avec la prestation est explicite), d'autre part à l'exigence de transparence et de responsabilité. Le lien peut enfin se justifier si la croissance des dépenses relatives à la compétence et celle de la base d'imposition sont parallèles, ce qui reste quand même un cas particulier.

Mais la recherche systématique de ce lien ne me semble pas absolument requise dans tous les cas, en tous cas pas au point de restreindre encore l'ensemble des impôts attribuables au niveau local.

15) Quels sont les impôts d'Etat dont il serait techniquement possible d'accorder tout ou partie du produit aux collectivités locales ? Pour lesquels il serait possible d'autoriser les collectivités locales soit à voter un taux additionnel, soit à moduler le montant de la fraction du produit qui leur serait reversée ? Lorsqu'elle est constatée, cette possibilité est-elle praticable pour toutes les catégories de collectivités locales et pour les EPCI ?

La reconstitution d'impôts additionnels ne constitue pas la meilleure solution. De même, la solution d'impôts partagés ne résoudrait pas le problème d'un financement autonome du secteur public local. Le partage d'impôts avec l'État marquerait l'échec de la réforme de la fiscalité locale.

En revanche, les collectivités locales pourraient utilement partager avec l'État certaines bases d'imposition, à l'instar du revenu ou de la valeur ajoutée

Pour répondre plus complètement à cette question, difficile, je reprends la présentation résumée d'un scénario de « reconquête de la décentralisation financière » élaboré notamment avec A. Guengant et V. Hespel CAE (2000) et Gilbert (2002) qui en donne une vision cohérente.

Ce scénario part de l'hypothèse selon laquelle un accord politique est trouvé sur une profonde réforme des finances locales, principalement en matière de fiscalité. La réforme porte à la fois sur les assiettes, sur les règles de fixation des taux et sur la carte des circonscriptions fiscales. Le coût politique, considérable, est partagé entre l'État et les collectivités territoriales. Ces dernières acceptent une perte d'autonomie en matière de fixation des taux, par exemple sous la forme d'un « tunnel en taux », en contrepartie d'un élargissement des bases d'imposition. En matière territoriale, les progrès de l'intercommunalité à fiscalité spécialisée sont spectaculaires. La « consolidation fiscale » des territoires s'accélère. Elle s'accompagne d'un élargissement des compétences. Les communes subsistent en dépit de la montée en puissance de l'intercommunalité mais elles acceptent la réduction de leurs budgets et de leur champ d'activité. Les départements et les régions conservent leurs compétences et leurs financements.

L'adaptation de la fiscalité locale cesse de reposer sur des allégements compensés par l'État. La rénovation de la décentralisation fiscale s'appuie sur la modernisation des bases d'imposition et l'adaptation du mode de fixation des taux avec application du principe de spécialisation par niveau de gestion. Les bases d'imposition locales sont réformées en profondeur. La fiscalité foncière est reconstruite sur un impôt annuel acquitté par les propriétaires et assis sur les valeurs vénales, déclarées ou observées à partir des transactions de marché. Le marché locatif règle le partage de la taxe foncière sur les propriétés bâties entre les propriétaires bailleurs et les locataires. La taxe d'habitation est supprimée. Une taxe locale sur le revenu, à base large de type contribution sociale généralisée (CSG) est créée. La taxe professionnelle est assise sur la valeur ajoutée, évaluée au coût des facteurs, au lieu de production.

Deux changements majeurs sont acceptés en matière de vote des taux d'imposition. D'une part, en contrepartie de l'obtention de bases larges, les taux d'imposition sont encadrés au moyen d'un mécanisme de type « tunnel en taux » pour éviter l'apparition d'inégalités de pression fiscale trop importantes et politiquement ingérables. D'autre part, la spécialisation des taxes est appliquée systématiquement pour permettre d'identifier, sans ambiguïté, l'origine des décisions fiscales des conseils locaux.

Au niveau local, le schéma de répartition retenu consiste à affecter la taxe foncière rénovée aux communes, la taxe professionnelle valeur ajoutée à l'intercommunalité. Le plafonnement ainsi que le lien vertical entre les taux sont maintenus pour la taxe professionnelle afin d'écarter le spectre de l'inflation fiscale. La péréquation financière entre les collectivités de base s'adapte à ce nouveau contexte communautaire de gestion des budgets locaux. La coordination fiscale entre les deux niveaux est maintenue dans un premier temps au moyen d'un lien juridique de co-variation des taux ménages et entreprises. Dans un second temps, le niveau intercommunal se trouve doté d'une assemblée délibérante élue au suffrage universel direct, les conseils municipaux toujours élus au suffrage direct devenant des composantes de l'organisation politique communautaire (à l'instar de la loi PLM).

La taxe d'habitation - assise sur le revenu - est attribuée aux départements. En contrepartie de l'obtention de cette base large, les conseils généraux acceptent l'encadrement des taux au moyen d'un mécanisme de type « tunnel en taux ». Une péréquation financière spécifique est mise en place de façon à corriger les inégalités interdépartementales de revenu.

Au niveau régional, trois possibilités se dessinent. La première repose sur une réorganisation en profondeur de l'empilement des niveaux de collectivités locales. La région et les départements sont fusionnés. La nouvelle organisation hérite d'une taxe sur le revenu renforcée. Dans la seconde, la région se voit attribuer des ressources venant d'un impôt d'État dont le produit est partagé. Elle n'en maîtrise dans ce cas ni la base ni le taux. La troisième consiste à partager avec les communautés une part de la taxe professionnelle à la valeur ajoutée, toutefois sans possibilité de voter le taux d'imposition. L'autonomie fiscale des régions repose alors uniquement sur les effets - bases du développement économique régional, auquel la région contribue. L'absence d'effet -taux apparaît plus commodément acceptable par les régions que par les autres collectivités locales en raison du caractère principalement non récurrent des dépenses régionales, notamment sous forme de subventions d'équipement et d'aides à l'investissement. Si les régions se voient dotées de compétences de gestion plus fiscalité régionale doit permettre de combiner des effets - taux et des effets - base ,sans doute autour d'un impôt sur la valeur ajoutée du type TP rénovée, dont le taux s'empile alors avec le taux intercommunal. Une mise en tunnel des taux régionaux s'impose sans doute.

Au total, la rénovation en profondeur de la fiscalité locale repose sur une spécialisation assortie d'une coordination . Les fiscalités sur les ménages et les entreprises sont ainsi liées au niveau communal et intercommunal. Les fiscalités des départements et des régions sont découplées de la fiscalité locale stricto sensu , ce qui permet en outre de résoudre plus aisément le problème éventuel de la suppression d'un niveau de collectivité. Ces collectivités reçoivent des bases larges et leur pouvoir de fixation des taux est amputé soit totalement, soit en partie.

16) La correction des inégalités de répartition géographique des bases fiscales doit-elle être l'un des objectifs d'une réforme de la fiscalité locale (aussi bien s'agissant d'une modernisation des impôts existants que dans le cadre de la recherche d'assiettes locales nouvelles) ?

Compte tenu de l'émiettement des territoires locaux et de la forte concentration du prélèvement fiscal sur les entreprises, les inégalités financières entre communes, et dans une moindre mesure entre départements et entre régions, atteignent des proportions considérables, sans exemple équivalent à l'étranger (cf.question1).

Une correction des inégalités apparaît de ce fait souhaitable, non seulement dans une perspective d'équité fiscale, mais aussi d'affectation efficace des ressources publiques.

Sans en être un objectif prioritaire, il me semble que l'on ne peut courir le risque de conserver ou d'adopter de nouvelles assiettes fiscales locales qui seraient par trop concentrées géographiquement, sauf à accepter aussi des transferts péréquatifs considérables pour compenser des inégalités de potentiel fiscal.

La recherche d'une meilleure répartition géographique des assiettes me semble un objectif raisonnable, pas prioritaire peut-être mais pas inutile. Cet objectif peut être poursuivi soit par la recherche de bases adéquates (option « fiscalo - fiscale »), ou par la redéfinition des périmètres des territoires fiscaux (option « fiscalo - territoriale »), soit par un renforcement de la péréquation financière verticale et horizontale.

DOCUMENTS ANNEXES

Graphique 1 Source: Gilbert, 2000 «L'autonomie financière des collectivités locales en question» in CDC L'autonomie des collectivités locales en question, Paris, Editions de l'Aube

Graphique 2 Source: Gilbert, 2000 «L'autonomie financière des collectivités locales en question» in CDC L'autonomie des collectivités locales en question, Paris, Editions de l'Aube

Autonomie financière locale et fragmentation territoriale (Pays membres de l'UE autour de 1995)



Graphique 3 source : Gilbert et Guengant « Mesure des effets redistributifs des dotations de l'Etat aux communes », CGP, 2000

Graphique 4 source : Gilbert et Guengant « Mesure des effets redistributifs des dotations de l'Etat aux communes », CGP, 2000

Graphique 5 source : Gilbert et Guengant « Mesure des effets redistributifs des dotations de l'Etat aux communes », CGP, 2000

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