B. INSTAURER UN PRÉLÈVEMENT LIBÉRATOIRE À TAUX UNIQUE ?

La structure inappropriée de l'épargne française a été critiquée par notre collègue Alain Lambert, dans son rapport d'information précité (1997) 30 ( * ) .

Fiscalité et structure de l'épargne en France, selon le rapport Lambert de 1997

1. Un modèle franco-allemand japonais

« [La structure de l'épargne financière française] correspond à un modèle de comportement des placements des ménages caractéristique du "modèle franco-allemand-japonais", dans lequel les ménages détiennent directement très peu d'actions et d'obligations et partagent essentiellement leurs richesses entre liquidités (bancaires) et assurance-vie, celle-ci détenant surtout des obligations. Ce modèle s'oppose au modèle anglo-saxon, dans lequel les ménages ont assez peu de liquidités et peu d'obligations ; ils détiennent directement de gros portefeuilles d'actions, et une partie considérable de leur patrimoine dans les assurance-vie et les fonds de pension ; ces derniers investissent essentiellement en actions ».

2. La nécessité de la neutralité fiscale et de la prise en compte de la durée de l'engagement d'épargne

« Une fiscalité cohérente de l'épargne doit normalement, s'assigner deux principes directeurs : la neutralité et la prise en compte de la durée de l'engagement d'épargne.

« La théorie économique enseigne (...) que la neutralité de la fiscalité conditionne l'allocation optimale du capital en fonction des rendements déterminés par les marchés, ces derniers prenant en compte les différences de risque et de liquidité qui existent entre les différents types de rendement. L'objectif de neutralité devrait donc conduire, d'une part, à viser un traitement identique pour des mêmes classes d'actifs (les titres de taux, les titres de capital, les liquidités...) et, d'autre part, à ne pas perturber l'apparition d'une hiérarchie normale des rendements, notamment en fonction du niveau de risque assumé par l'épargnant.

« L'épargne stable, c'est à dire celle qui accepte de s'engager ex ante pour une durée de moyen et long terme, permet aux entreprises de constituer des fonds propres les mettant à l'abri des fluctuations économiques et à l'État de disposer d'un marché liquide et profond sur lequel s'appuyer pour financer ses déficits. En regard, l'utilité économique de l'épargne liquide est moindre puisqu'elle ne permet pas le financement de crédits à l'économie, sauf à ce que le système bancaire soit en mesure d'exercer pleinement sa fonction de transformation des dépôts en crédits à long terme. Dans le système français cette utilité est encore amoindrie du fait de la gestion administrée des taux d'intérêt des livrets défiscalisés qui, lorsqu'ils se situent à un taux supérieur à celui du marché de l'argent à court terme, renchérissent le financement des secteurs auxquels ils sont pourtant censés bénéficier ».

Source : Alain Lambert, rapport d'information du Sénat n°82 sur la fiscalité de l'épargne (1997-1998)

La neutralité fiscale et la prise en compte de la durée de l'engagement d'épargne constituent deux des sept principes constituant la doctrine de la commission des finances du Sénat en matière d'épargne, telle qu'elle a été définie par le rapport Lambert 31 ( * ) .

Dans ces conditions, l'instauration pour tous les revenus de l'épargne d'un prélèvement libératoire à taux unique , inférieur à celui de l'impôt sur le revenu, mérite d'être envisagée. Cette éventualité est brièvement évoquée par l'OFCE dans son rapport.

Les autres inconvénients de la fiscalité de l'épargne en Europe, selon l'OFCE

I. Les problèmes de coordination entre Etats européens

La diversité de la fiscalité des revenus du capital en Europe peut inciter certains contribuables à déterminer les pays dans lesquels ils investissent en fonction de considérations fiscales.

1. Le secret bancaire (qui concerne surtout les revenus d'intérêts) : un problème en voie de résolution ?

Tout d'abord, la majorité des pays de l'UE pratiquent le secret bancaire 32 ( * ) , ce qui permet à certains contribuables de frauder afin de ne pas acquitter l'impôt dans leur pays de résidence.

Ce système bénéficie surtout aux revenus d'intérêt , qui sont exonérés pour les non résidents (alors que les dividendes sont soumis à un prélèvement à la source). Selon l'OFCE, « de fait, un épargnant français qui achète des obligations en Allemagne ou en Belgique et qui ne les déclare pas à l'administration fiscale française est totalement exonéré sur ces revenus ».

Cette situation a été dénoncée en 1997 par notre collègue Alain Lambert 33 ( * ) .

En 1998, la commission européenne a proposé de mettre en place un « régime de coexistence », les Etats membres pouvant choisir entre l'application d'une retenue à la source sur les revenus des non résidents ou l'adhésion à un système d'échange d'information avec les administrations fiscales des pays de l'Union européenne. L'objectif à terme est que tous les Etats adoptent la solution de l'échange d'informations. Au conseil européen de Feira (juin 2000), les Etats membres se sont engagés à adopter avant fin de 2002 une directive mettant en oeuvre ces dispositions.

Après la conclusion d'un accord avec la Suisse, le conseil « Ecofin » a adopté , le 3 juin 2003, une directive qui prévoit d'instaurer un échange d'informations à partir du 1er janvier 2005 pour 12 des 15 pays de l'Union européenne 34 ( * ) .

2. Le problème de la double imposition (dans le cas des dividendes)

En outre, dans le cas des dividendes, un contribuable s'acquittant de ses impôts dans son pays de résidence peut être doublement imposé : une première fois dans le pays où il a réalisé son investissement, une seconde fois dans son pays de résidence.

La fraude fiscale tend à réduire ce phénomène. L'OFCE cite à cet égard le cas d'un épargnant français qui disposerait d'actions au Luxembourg 35 ( * ) .

En l'absence de fraude, les Etats s'efforcent de réduire la double imposition grâce à des conventions . Cependant, comme la France, l'Espagne et l'Italie sont les seuls pays à rembourser l'avoir fiscal , dans la plupart des cas « l'impôt effectivement remboursé est au mieux le taux de retenue à la source ».

L'OFCE estime que « seule la généralisation du système de l'avoir fiscal aux résidents et aux non résidents pour l'ensemble des pays de l'UE peut permettre une application totale du principe de résidence et supprimer les inefficacités (traitements différentiés des investissements selon leur origine) générés par l'hétérogénéité des systèmes actuels ».

II. Taxer les plus-values latentes ?

L'OFCE estime enfin que la taxation des plus-values devrait concerner les plus-values latentes , et non seulement les plus-values réalisées.

Il faut néanmoins souligner à cet égard que la taxation des plus-values latentes pourrait être contraire au droit communautaire quand elle s'applique aux sorties de capitaux. Ainsi, le décret d'application de l' « exit tax », ou « herse fiscale », mise en place en France en 1998 pour décourager le transfert à l'étranger du patrimoine de contribuables voulant échapper à l'impôt de solidarité sur la fortune, pourrait être annulée pour excès de pouvoir par le Conseil d'Etat 36 ( * ) .

* 30 Rapport d'information du Sénat n° 82 (1997/1998).

* 31 Selon le quatrième principe, « il vaut mieux essayer d'agir sur la structure de l'épargne que sur son volume. La fiscalité est impuissante à modifier le volume de l'épargne, en revanche elle est très influente sur la structure de l'épargne, c'est à dire sur l'orientation des placements ». Selon le sixième principe, « la fiscalité de l'épargne doit (...) favoriser les titres de fonds propres plutôt que les titres de dettes ».

* 32 Seuls le Danemark, l'Espagne, la France, les Pays-Bas et la Suède ont un système obligatoire d'échange d'information.

* 33 Dans le rapport d'information précité, notre collègue reproduisait le fac-similé d'un document publicitaire d'une banque luxembourgeoise, qui démarchait des épargnants français en leur promettant le secret fiscal.

* 34 Les trois autres (Luxembourg, Belgique, Autriche) devant instaurer une retenue à la source sur les revenus de l'épargne, dont 75 % seront reversés à l'Etat du contribuable.

* 35 « L'absence d'échange d'information, peut en dépit du pré-paiement de l'IS et de la retenue à la source, rendre dans certains cas la fraude intéressante. C'est le cas pour un épargnant français qui supporterait, en détenant des actions au Luxembourg, un taux d'IS de 30 % et une retenue à la source de 15 % en fraudant, et un taux d'IS de 30 % plus l'IR français à 52,75 % sans frauder ».

* 36 Le Figaro, 21 mai 2003.

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