M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste

À propos de M6, on ne parle plus de « la petite chaîne qui monte »... La tendance M6 semble être la créativité, ce que Nicolas de Tavernost va nous préciser tout de suite.

M. Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6

L'observation des tendances actuelles de la télévision demande que l'on procède à un panorama européen.

Nous sommes aujourd'hui au coeur d'une mutation très profonde du monde de la télévision. Cette mutation est une adaptation au marché et présente certaines caractéristiques.

La phase euphorique est passée pour laisser place à une phase d'ajustement. Nous observons ceci en Europe, notamment au travers des difficultés que rencontrent un certain nombre de grands groupes, comme Kirsch en Allemagne, ITV en Grande-Bretagne, Antena Tres en Espagne... L'ajustement se fait suite à quelques départs manqués parmi lesquels l'adaptation à la télévision numérique : cette multiplication de l'offre s'est opérée sur une surestimation des capacités des téléspectateurs, du marché, de la publicité et de l'abonnement à absorber une offre subitement très forte. Il existe 80 chaînes thématiques francophones qui se partagent environ 10 % de l'audience de la télévision en France. La viabilité de cet ensemble est évidemment fortement compromise, d'où le fait qu'il y aura en France un ajustement en matière de télévision thématique. Nous avons donc préféré nous associer avec notre concurrent TF1 pour développer certains produits, de façon à concentrer nos forces sur le marché plutôt que de les diviser.

Par ailleurs, la télévision payante a perturbé les groupes dans leur développement. C'est le cas de ITV. Cette télévision payante a une spécificité importante : le paiement des exclusivités qui doivent justifier son prix, justement. Ces exclusivités sont de plus en plus difficiles à acquérir, puisqu'en matière de cinéma des moyens concurrents se sont fortement développés et qu'en matière de sport, produit indispensable, de vraies batailles sur les coûts sont nécessaires pour les obtenir.

Dans cet univers d'ajustement, je suis très réservé sur le développement de la TNT, non pas sur le plan technique, mais sur le plan du timing . Introduire brutalement de nouvelles technologies dans un système en pleine adaptation nous paraît préjudiciable. Je crains que nous ne développions plus de « boîtes » et de transmetteurs que de programmes... Or, c'est bien sur les programmes que se jouent les batailles, et donc les victoires.

Quels sont, dans cet univers, les objectifs et les chances de la télévision gratuite ?

Je crois plus que jamais en cette dernière, qui doit répondre à un certain nombre de règles.

Elle doit tout d'abord être reçue ! À tous ceux qui veulent se lancer dans la télévision numérique gratuite, je dis de se poser la question de savoir comment ils vont être reçus, et par combien de foyers, ceci quelle que soit la qualité des programmes qu'ils envisagent. Nous avons nous-mêmes connu cette période où nous devions être modestes par nécessité, notamment par rapport à La Cinq. Nous avons ainsi dû d'abord construire notre réseau en adaptant nos dépenses de programmes à la possibilité d'être vus, non pas l'inverse. La règle est simple : nous avons construit durant 5 ans un programme alternatif moins cher, avec une offre positionnée, de façon à ne pas supporter les mêmes coûts que notre compétiteur vis-à-vis duquel nous étions en désavantage concurrentiel par le seul fait du réseau.

C'est ainsi que nous avons progressé, en tenant compte des coûts et des besoins des téléspectateurs. C'est ce que l'on a appelé la « contre-programmation ». Celle-ci ne consiste pas à faire de l'audience lorsque les autres sont faibles et à abandonner l'antenne lorsque les autres sont forts. Il s'agit simplement de jouer sur le genre de programmes, de s'adresser à des cibles différentes ou de proposer des choix alternatifs. Ainsi, face aux « locomotives cinématographiques » du dimanche soir, nous avons inventé la politique des magazines, choix alternatif qui a connu le succès que l'on sait. Il n'y aura jamais plus de journaux à 20 heures sur M6...

L'équation de M6 est très simple. Nous faisons 53,5 % de l'audience de TF1, les fameuses « ménagères de moins de 50 ans », ceci pour un coût s'élevant à 25 % de celui de la grille de TF1, simplement parce que nous n'avons pas de frais de structures liés à l'information ou à une politique sportive agressive.

Pour atteindre cet état, il faut être créatif. Nous avons exercé notre créativité dans le domaine des magazines, dans l'information, à notre manière, dans des formes de divertissements, comme le Loft très controversé... qui n'était qu'une anticipation, puisque aujourd'hui tout le monde en fait !

La télévision gratuite, dans un univers multi-chaînes devra être événementielle ou ne sera pas. Ces événements peuvent toucher des domaines très divers : information, sport, fiction. Pour ce dernier domaine, le challenge est d'importance : il s'agit de proposer des choses qui ne ressemblent pas à ce que les autres proposent. Nous n'avons pas encore réglé cette question.

La télé-réalité, quant à elle, est un terme générique pour désigner des « programmes-miroirs ». Elle vivra sans doute un cycle : c'est ainsi qu'en Allemagne elle a été tuée par l'excès.

Nous connaîtrons sans doute aussi beaucoup de nouveautés dans les domaines du jeu et de la connaissance.

Enfin, la télévision gratuite doit proposer des programmes fédérateurs. Cette règle est intangible.

Notons qu'un foyer qui dispose du câble et/ou du satellite ne consomme pas plus de télévision qu'un foyer qui dispose de cinq chaînes, tout simplement parce que cette consommation est liée aux rythmes de vie beaucoup plus qu'à l'offre. C'est pour cela que le métier est stressant : les 100 000 spectateurs que l'on prend sont pris forcément aux confrères ! C'est un pur marché de répartition, ce qui représente un certain nombre de dangers, dont la surenchère. De là viennent mes réserves quant à la multiplication des chaînes, qui est, selon moi, synonyme de mauvaise qualité. Donnons acte aux politiques : l'équilibre actuel est plutôt satisfaisant aujourd'hui en France, si l'on en croit les exemples européens de ce qu'a pu donner la surenchère de concurrence.

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