Mme Sophie Deschamps, vice-présidente de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)

La fierté de la France réside en la qualité de sa création, de ses films et de sa fiction, que nous envie le monde entier. Chaque fois que l'on se réunit au niveau européen, les auteurs nous disent que l'on a bien de la chance en France ! Arrêtons donc de dire que nous sommes martyres et que nos auteurs sont mauvais.

Lorsque l'on parle de contenus télévisuels, il faut distinguer le flux et le stock.

La télévision est le premier vecteur de la diversité culturelle ; donc, se poser la question des contenus, c'est se poser la question de la diversité culturelle. Tout le monde milite pour cette diversité : chaque nation a le droit et le devoir de conserver son identité, source de tolérance et de paix. Cela semble bien nécessaire en ce moment...

Au niveau de la télévision, cela se traduit par la volonté de produire et de diffuser des oeuvres originales, puisque ces oeuvres constituent notre patrimoine. La télévision doit offrir des oeuvres à tous les publics, de tous les âges et de tous les milieux. Ces oeuvres sont sources de divertissement, de questionnement, d'apprentissage, d'information ou d'émotion. Le regard que portent les auteurs sur leur époque, leur société et leur passé aboutissent à des oeuvres pensées qui offrent un point de vue. C'est là que se situe la différence entre le flux et le stock.

Le flux est tout ce qui est lié à une certaine improvisation, à une quête de succès immédiat, quelque chose de peu maîtrisé, ce qui donne la télé-réalité, la télé trash ou la télé-poubelle...

Face à cela, la notion d'oeuvre et de création doit être protégée et conservée dans les programmes de télévision. Nous devons nous méfier d'une certaine télé-réalité que l'on veut faire passer pour oeuvre de création : ces émissions sont très souvent la copie conforme de ce qui a déjà été fait ailleurs. Ce n'est pas en mettant une sauce française sur un hamburger que celui-ci fera partie du patrimoine culinaire français ! Loft Story, Pop Star ou Koh-Lanta ne sont pas des oeuvres de patrimoine mais des jeux conçus pour pouvoir être diffusés partout en les agrémentant d'une « sauce » locale.

Une certaine télé-réalité tente de bénéficier des mécanismes de soutien à la création, mais ces programmes ne sont pas des oeuvres : ce sont des produits. S'ils sont considérés comme des oeuvres, comme cela a été le cas de Pop Star, ils entrent comme un vers dévorant tout le fruit du soutien de la création. C'est de cela qu'il faut se méfier.

N'oublions pas que les mécanismes qui permettent d'avoir une production française permettent aussi l'émergence de talents européens : Pedro Almodovar, Lars Von Triers, Emir Kusturica ou Ken Loach ne pourraient pas réaliser leurs films s'ils ne trouvaient à un moment le soutien de financements français ! Les pays qui ne disposent pas de tels mécanismes d'incitation à produire perdent leur identité culturelle et de création. Leur télévision n'est plus qu'un écran de divertissement sans regard, sans point de vue, un flux continu de produits, une annexe des télévisions américaines.

La diversité n'est possible que par une volonté politique. Sans obligation de production et sans mise en place des quotas, le public français n'aurait comme prime-time que ce qu'il avait à une certaine époque : Dallas et sa progéniture... Pourquoi effectivement les chaînes, surtout privées, paieraient-elles au prix fort des oeuvres qu'elles peuvent acquérir vingt fois moins cher puisque déjà amorties ailleurs ?

Aujourd'hui, la création française a conquis le public. L'offre a fait la demande, comme le disait Jacques Peskine. La fiction et les documentaires sont le fleuron des premières parties de soirée, depuis Navarro et Joséphine jusque l'Odyssée de l'Espèce, en passant par les grandes collections d'Arte. La création audiovisuelle a permis au public de renouer avec son histoire et sa littérature, ainsi qu'avec la réalité de sa société. Les quotas ont permis de rééquilibrer la création française et francophone face à la puissance commerciale de l'audiovisuel américain. Ce rééquilibrage a permis l'émergence d'un vivier de producteurs et de créateurs en Europe. Il est donc absolument nécessaire de conserver ces quotas dans la directive de la Télévision sans Frontières. Ils sont l'unique chance de survie de la création française, francophone et européenne, donc l'unique chance de la diversité culturelle.

Pour cette diversité culturelle il faut par ailleurs maintenir la diversité et la complémentarité des chaînes.

Lorsque les auteurs s'émeuvent de la possibilité de privatisation d'une chaîne publique, c'est au nom de ce maintien de la diversité. Les chaînes privées vivent dans la nécessité absolue de succès, donc, seules les chaînes publiques peuvent prendre le risque d'une création plus ciblée, moins consensuelle et plus innovante. L'apparition de nouvelles chaînes, par la TNT notamment, est une formidable opportunité d'innovation pour toute la création, y compris locale et régionale, pour des expériences plus ciblées. Il faut que ces chaînes aient des obligations de production.

Le succès de la production française et francophone en prime-time ne perdurera que si nous lui donnons les moyens d'innover, de multiplier les expériences de création.

La diversité culturelle dépend donc des créateurs mais surtout de la volonté et du soutien de nos femmes et hommes politiques. Merci au Sénat de nous soutenir dans cette rude tâche.

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