3. L'analyse de votre Délégation

Votre Délégation a été conduite à s'inquiéter des propriétés asymétriques du pacte de stabilité et de croissance au terme d'une analyse nuancée.

Il faut, en effet, distinguer selon elle le pacte lui-même et les Codes de conduite successifs.

a) L'asymétrie dans le PSC lui-même

S'agissant du PSC , lui-même , le problème vient à la fois de l' absence d'incitations à conduire des politiques contracycliques dans la phase haute du cycle et du niveau trop rigoureux du plafond du déficit admissible (3 % du PIB).

(1) Quelle discipline budgétaire dans les phases hautes du cycle ?

Sur le premier point, il semble nécessaire de remédier à l'illusion qu'engendre en période de croissance supérieure au potentiel la seule considération du solde nominal . Il conviendrait de sélectionner un meilleur indicateur et d' instaurer un mécanisme incitant les Etats à mettre en oeuvre dans de telles phases de l'activité économique une politique de provisionnement budgétaire .

Il est sans doute exact, comme le remarque Jean-Paul FITOUSSI , que l'existence d'un taux de croissance supérieur au potentiel peut relever d'un épisode de rattrapage après une phase de croissance fiable, qui n'appelle pas en soi le déclenchement d'une politique budgétaire contracyclique, c'est-à-dire d'un resserrement volontaire de cette politique. Il n'en est pas moins vrai que l'ampleur et la durée de tels épisodes sont a priori peu prévisibles et que le risque d'une consommation excessive des fruits de la croissance se traduisant par une dégradation de l'équilibre structurel des finances publiques est particulièrement fort dans des circonstances économiques favorables.

C'est pour tenir compte de ces analyses nuancées que votre Délégation estime souhaitable de confier aux Etats membres une certaine latitude pour définir des cibles de politique budgétaire adaptées dans de telles hypothèses .

La proposition de confier au Conseil la compétence encadrée de fixer des objectifs d'évolution du solde nominal en fonction des perspectives économiques traduit cette volonté.

Outre qu'elle donnerait une plus grande lisibilité , sinon une certaine existence, à la coordination des politiques budgétaires en Europe, cette réforme conférerait à la discipline budgétaire plus de clarté et, en même temps que plus de rigueur, plus de souplesse.

Celles-ci sont également indispensables pour que les politiques budgétaires soient plus en harmonie avec les variations de l'activité. Mais elles le sont aussi pour que les situations nationales soient mieux prises en compte que par des règles uniformes.

Les débats du colloque n'ont que peu abordé une source pourtant très importante d'asymétrie du PSC , qui est que celui-ci plaque des règles universelles sur des situations économiques nationales pour le moins contrastées .

Jean-Paul FITOUSSI a judicieusement relevé en ce sens que les régimes d'inflation variables en Europe pouvaient sensiblement modifier, au moins à court terme, les conditions d'application du PSC.

Jean-Paul FITOUSSI :

« C'est vrai qu' il est intéressant de regarder le taux d'inflation parce que les pays dont le taux d'inflation est le plus important bénéficient d'un ballon d'oxygène budgétaire relatif par rapport aux autres. Pour un pays qui a un taux d'endettement de 60 % et qui a pour objectif de stabiliser sa dette publique, un point d'inflation en plus par rapport à la moyenne lui permet un déficit budgétaire de 0,6 point inférieur à la moyenne.

Lorsque nous comparons l'Espagne et l'Allemagne, nous nous apercevons que l'existence d'une inflation supérieure en Espagne soulage nettement le budget espagnol . Nous pourrions dire les choses autrement : le fait que l'inflation soit, en Allemagne, plus basse qu'elle ne l'est en moyenne implique que le déficit budgétaire allemand, du seul fait de la mécanique de la dette publique et des intérêts sur la dette publique, soit plus élevé. »

Votre Délégation avait, quant à elle, observé que la sensibilité des comptes publics à des variations de rythme d'activité diffère sensiblement entre les Etats européens.

SENSIBILITÉS DES BUDGETS NATIONAUX À DIFFÉRENTS CHOCS
Variation du solde public après un choc équivalent à 1 point de PIB

(en points de PIB)

Choc de consommation

Choc d'investissement

Choc sur les exportations

Choc de productivité

BELGIQUE

0,57

0,17

0,27

2,07

ALLEMAGNE

0,65

0,19

0,27

0,16

GRÈCE

0,87

0,20

0,27

0,1

ESPAGNE

0,77

0,18

0,25

0,09

FRANCE

0,80

0,21

0,30

0,12

IRLANDE

0,50

0,10

0,17

0,03

ITALIE

0,68

0,22

0,30

0,23

PAYS-BAS

0,59

0,15

0,23

0,08

AUTRICHE

0,61

0,17

0,26

0,09

PORTUGAL

0,82

0,17

0,26

0,13

FINLANDE

0,77

0,16

0,25

0,03

ZONE EURO

0,70

0,19

0,28

0,14

Ce constat, comme celui d'une efficacité variable des stabilisateurs automatiques , invitent à laisser quelques marges à l'adaptation des objectifs budgétaires en fonction des situations nationales.

(2) Que penser de la définition actuelle du déficit excessif ?

S'agissant du niveau absolu du déficit excessif , on rappelle que s'il est fixé à 3 %, c'est pour des raisons qu'on ne peut que conjecturer. Les explications varient. Soit il s'agissait de fixer une limite proche de la moyenne des déficits de l'époque, soit il s'agissait de fixer une limite supposée stabiliser le poids de la dette publique dans le PIB autour de 60 % avec une croissance de l'ordre de 5 % en valeur nominale. Aujourd'hui, cette recherche historique des motivations compte moins que le constat que le plafond des 3 % peut être assez régulièrement dépassé et, surtout, paraît excessivement rigoureux dans des phases de net ralentissement économique.

Les faits obligent d'abord à constater que plusieurs pays ont dépassé cette limite, démentant ainsi l'opinion de certains selon laquelle elle serait toujours respectée. Les causes de ces dépassements doivent être recherchées afin de déterminer s'il s'agit de causes passagères ou de causes plus permanentes. Parmi les premières, on peut faire valoir à la suite d' Olivier GARNIER , les problèmes de transition rencontrés par des pays qui étaient initialement dans une position budgétaire structurelle très éloignée de l'équilibre. Si là se bornait le problème, il serait possible de maintenir inchangée la limite des 3 points de PIB, quitte à la détendre provisoirement jusqu'à complet rétablissement de l'équilibre budgétaire. Mais, il existe un autre motif plus permanent qui conduit à juger que cette valeur, trop exigeante, risque d'être fréquemment dépassée.

Il n'existe pas de justification à l'existence d'un régime permanent d'équilibre des comptes publics, comme on l'indiquera plus loin. En particulier, il n'apparaît pas anormal de financer par emprunt une série de dépenses non récurrentes et à utilité prolongée. On pense en particulier aux investissements publics.

Dans l'esprit de votre Délégation, il n'est pas condamnable qu'il existe un déficit structurel, soit qu'il corresponde à ce type de dépenses - le montant des investissements publics nets s'élève à environ 1,5 point de PIB en zone euro et doit être augmenté -, soit pour stabiliser la croissance, dès lors qu'une limite lui est fixée. Ainsi, tout ralentissement économique prononcé peut, sans réunir les conditions d'une récession telles qu'envisagées par le traité, conduire à dépasser la limite des 3 %.

Il convient sur ce point d'être réaliste et de le reconnaître. C'est pourquoi votre Délégation , soucieuse de maintenir une règle de déficit excessif, propose de relever le plafond actuel. Il pourrait être porté à 5 points de PIB .

Cette proposition n'a nullement pour motivation de permettre de sortir de la crise actuelle du pacte de stabilité et de croissance. Celle-ci est attribuable à l'insuffisant redressement des comptes publics dans la période précédant le ralentissement économique en cours, situation dont les autres propositions de la Délégation devraient pour l'avenir écarter l'éventualité, et aux effets particulièrement puissants sur les recettes publiques de certains pays de ce ralentissement

Il ne s'agit pas de « casser le thermomètre » pour passer un moment difficile. Mais, on ne peut manquer de s'interroger sur la qualité intrinsèque du thermomètre. Le problème à résoudre est de savoir si un plafond de déficit public fixé à 3 points de PIB est adapté, compte tenu du contexte et des objectifs de la discipline budgétaire en Europe.

Il faut bien considérer que la discipline budgétaire européenne doit s'attacher à prévenir les externalités négatives pour les partenaires que pourraient créer des comportements nationaux excessivement laxistes. Compte tenu du coût national d'un dérapage budgétaire (les charges de la dette induites) et des autres règles que votre Délégation souhaite voir mises en place , et qui se traduiraient par une rigueur mieux adaptée (un déficit structurel plafonné à 2 points de PIB, une cible mouvante de solde nominal sanctionnable), la probabilité de survenance d'un déficit de 5 points de PIB serait très faible .

De plus, l' impact d'un tel déficit sur les partenaires ne doit pas être surestimé . Les ressources d'épargne privée sont particulièrement élevées en Europe.

Enfin, un arbitrage doit être réalisé entre les risques . Faut-il préférer les conséquences fâcheuses pour la croissance de la zone d'une règle trop stricte qui accentuerait le ralentissement d'un pays de l'UEM ou la garantie contre des conséquences indésirables à la probabilité limitée d'un creusement temporaire du déficit d'un Etat ?

En avançant ces propositions, votre Délégation récuse tout procès qui les présenterait comme de circonstance. Elle entend, au contraire, mieux structurer la discipline budgétaire en Europe. Le seul débat qui vaille est celui de la pertinence du cadre européen des politiques budgétaires. A l'heure où l'impulsion budgétaire donnée à la croissance aux Etats-Unis s'accommode d'un déficit public de 6 points de PIB, il appartient aux défenseurs du plafond actuel des déficits publics en Europe de montrer qu'il est économiquement justifié.

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