LES VOIES DE RÉFORME DU PACTE DE STABILITÉ

M. Jean-Paul FITOUSSI, Président de l'Observatoire français des conjonctures économiques - Merci.

Je dois dire que je me sens vraiment chez moi ici pour plusieurs raisons. La première est que le Sénat a toujours considéré avec une grande sympathie l'existence d'un institut indépendant capable de produire des études rigoureuses et qui puisse l'aider dans sa mission.

La deuxième raison qui est peut-être la plus importante est que nous nous sentons bien ici et qu'il est très agréable d'y venir. Les débats sont apaisés, quelles que soient les positions qui sont tenues et c'est un apport considérable au débat public et à la recherche de cette vérité très fugitive que nous cherchons tous.

Le sujet de ce colloque est : "De nouvelles règles pour les politiques budgétaires en Europe ?". Nous aurions pu aussi poser la question : faut-il des règles pour les politiques budgétaires en Europe ? Car il y a un débat sur ce sujet mais il y a aussi un débat sur la notion même de règle.

Les économistes se sont illustrés de façon majestueuse dans le domaine monétaire en produisant des règles qui ne survivaient pas au temps. Depuis la fin de l'Etalon Or ils ont été à la recherche de règles. Ils ont d'abord produit la profession des observateurs de masses monétaires et puis ils se sont mis aujourd'hui à la cible d'inflation. Et puis, constatant que la cible d'inflation pouvait avoir quelques inconvénients, ils se sont mis à la cible flexible. Mais les règles ne résistent pas au temps ; c'est ma première remarque. Quoi que nous disions, il n'existe pas de règle qui ne reflète l'environnement économique et intellectuel dans lequel elle est conçue .

La règle du Pacte de Stabilité, c'est évident, reflète cet environnement économique et doctrinal des années 90 et reflète aussi un certain nombre de craintes devant ce que l'on appelait aussi, à l'époque, « les pays du Club Med » dont il faut dire qu'aucun n'est, aujourd'hui, sous les fourches caudines de la Commission.

Mais le problème d'une règle est que plus elle est rigide, plus elle est liée au contexte dans lequel elle a été conçue, plus fréquemment elle doit être redessinée et changée. Donc, il existe un arbitrage entre la précision de la règle et la fréquence de son changement : plus la règle est précise, plus elle devra être changée fréquemment ; plus elle est générale, donc plus elle est flexible, moins il sera nécessaire de la changer.

Le problème que pose le Pacte de Stabilité est qu'il a été décidé à un moment où la plupart des pays européens sortaient d'un effort budgétaire de restriction très important pour satisfaire aux critères de Maastricht, un effort de consolidation budgétaire -comme nous disons pour éviter le mot « restriction »- d'autant plus pénible qu'il fut conduit dans une période de basse conjoncture pour la plupart des pays européens.

Par exemple -et pour ne citer que l'exemple français- il a fallu en 1995 augmenter le taux de TVA de deux points et évidemment, en conséquence de cela, nous l'avons réduit d'un point en 1999 alors que ce n'était pas le bon moment pour le faire. De sorte qu'ayant été conçu à ce moment particulier de l'histoire, de façon trop précise, il a amené les gouvernements à conduire des politiques procycliques. Il les avait conduits avant, indépendamment du pacte -parce qu'il y avait d'autres règles notamment dans le cadre du système monétaire européen- à une politique restrictive en période de récession, de ralentissement, dans les années 94-97. Lorsque la croissance est revenue ils n'ont pas eu le coeur de continuer de conduire des politiques restrictives. Donc ils ont été deux fois procycliques et aujourd'hui on dit aux gouvernements qu'il faut qu'ils soient restrictifs parce qu'ils n'ont pas su l'être en période de retour de la croissance .

Le cercle vicieux dans lequel cette règle nous conduit est que nous ne pouvons pas sortir des politiques procycliques. Il faut être procyclique parce que nous l'avons été dans le passé. C'est une vraie difficulté car il faut, à un moment, casser le cercle vicieux parce que nous savons qu'il a des effets très importants sur l'économie.

Les politiques procycliques ont pour effet de rallonger les périodes de ralentissement et de raccourcir les périodes de reprise.

Elles rallongent les périodes de ralentissement parce que les politiques deviennent restrictives au moment où le secteur privé est en souffrance ; elles raccourcissent les périodes de reprise parce que les politiques deviennent expansionnistes -on distribue des « cagnottes »- en période de croissance, ce qui a pour risque d'aggraver les tensions inflationnistes et donc une réaction des autorités monétaires qui interrompt la reprise. Ce problème, d'emblée, concerne le Pacte de Stabilité.

Il en eut été autrement si le Pacte de Stabilité avait prévu une période de transition vers l'apurement des déficits et qu'il ait prévu, comme cela a été fait pour toutes les périodes de transition et notamment celle vers la monnaie unique, que nous n'obéissions au Pacte que de façon progressive. Mais quoi qu'il en soit, ayant été conçu à un moment donné, il ne peut pas, pour l'éternité, définir les politiques budgétaires en Europe.

D'autre part, le type de coordination qu'il prévoit est une coordination par le bas au lieu de prévoir une coordination par le haut qui serait une coordination sous forme de projet. Voilà pourquoi il existe de nombreuses propositions de réinterprétation ou de changement du Pacte de Stabilité. Toutes ces propositions ont en commun de chercher à rendre le Pacte de Stabilité plus flexible , à rendre la règle plus flexible et à introduire dans la règle des éléments de choix politiques et cela est normal s'agissant du budget. Nous voyons mal le budget d'une nation ou d'une fédération être sous pilotage automatique , c'est le lieu des choix politiques donc il faut qu'il y ait place pour ces choix.

La première proposition a été de débarrasser le calcul du déficit budgétaire de ses éléments conjoncturels , de fonder le déficit budgétaire sur les recettes publiques et les dépenses publiques qu'une économie connaîtrait en situation de croissance normale, en situation de croissance potentielle. Mais cela a conduit à d'autres propositions qui souhaitaient qu'une pluralité de critères soient pris en compte, notamment l'inflation, notamment le taux d'emploi .

C'est vrai qu' il est intéressant de regarder le taux d'inflation parce que les pays dont le taux d'inflation est le plus important bénéficient d'un ballon d'oxygène budgétaire relatif par rapport aux autres. Pour un pays qui a un taux d'endettement de 60 % et qui a pour objectif de stabiliser sa dette publique, un point d'inflation en plus par rapport à la moyenne lui permet un déficit budgétaire de 0,6 point inférieur à la moyenne.

Lorsque nous comparons l'Espagne et l'Allemagne, nous nous apercevons que l'existence d'une inflation supérieure en Espagne soulage nettement le budget espagnol . Nous pourrions dire les choses autrement : le fait que l'inflation soit, en Allemagne, plus basse qu'elle ne l'est en moyenne implique que le déficit budgétaire allemand, du seul fait de la mécanique de la dette publique et des intérêts sur la dette publique, soit plus élevé.

Le problème avec une pluralité de critères est que cette pluralité équivaut finalement à supprimer la règle . Si nous pouvons tenir compte de trop de critères de façon simultanée, tout dépend des pondérations que nous allons accorder à un critère ou à l'autre.

La deuxième proposition est le critère de la dette et ce critère semble robuste et simple à appliquer : il s'agit de considérer un objectif de dette publique par rapport au PIB qui permettrait de s'accorder sur un objectif de dette publique. Et il faudrait prévoir une période transitoire pour les pays qui en sont éloignés. Mais, en tout cas, il a un avantage par rapport au Pacte de Stabilité c'est qu'il implique un déficit budgétaire à moyen terme qui n'est pas nécessairement nul.

L'exemple des 60 et des 3 % -60 % de dette publique et 3 % de déficit budgétaire- le montre bien. 3 %, c'est le chiffre du déficit budgétaire qui stabilise la dette publique à 60 % du PIB lorsque la croissance connaît son rythme potentiel. Donc si nous nous accordions, par exemple, sur un objectif de dette publique de 40 % du PIB, nous pourrions permettre aux pays européens d'avoir un déficit budgétaire de longue période de 1,5 point de PIB.

Le problème de ce critère est qu'il n'est pas suffisant pour refléter la situation économique des pays. Pourquoi ? Parce que nous allons juger de la même manière deux pays qui ont un même ratio de dette publique, l'un ayant des équipements publics et des services publics qui sont efficients et l'autre ayant des services publics et des équipements publics qui sont très dégradés . Or s'il est une des raisons pour lesquelles les gouvernements s'endettent c'est bien pour accroître le capital collectif de la nation. Si nous nous apercevons que ce capital collectif n'a pas crû à la hauteur de l'endettement nous pourrons nous dire : « À quoi sert l'endettement ? »

Nous voyons bien qu' à partir du moment où nous mettons un critère de dette il faudrait, en regard , comme cela est normal pour le secteur privé, avoir un critère d'actif . Quels sont les actifs qui sont la contrepartie de ces dettes ? Est-ce que toute croissance de la dette publique est à rejeter, même lorsque cette augmentation de la dette publique permet d'acquérir des actifs qui accroîtront la productivité de l'économie ? La question est loin d'être résolue et nous voyons bien d'ailleurs que c'est cette question qui anime la politique budgétaire au Royaume-Uni aujourd'hui, qui fait que le gouvernement a décidé d'augmenter son endettement pour rétablir le patrimoine public, pour rétablir le fonctionnement normal de certains services publics.

Si nous prenons ce critère de dette, si nous essayons d'interpréter le Pacte de Stabilité à l'aune de ce critère, comme le Pacte de Stabilité prévoit que le déficit budgétaire doit être nul sur le cycle, le critère du Pacte de Stabilité signifie que, en réalité, l'objectif de dette publique à long terme est une dette publique quasi-nulle en proportion du PIB. Qu'est-ce qui légitime un tel objectif de dette publique ? C'est tout simplement le fait qu'il existerait des engagements cachés -comme par exemple les retraites- que le passif des gouvernements va augmenter l'effet des retraites et il faut bien compenser cette augmentation du passif.

Je crois que dans une démocratie des questions de ce type doivent être réglées de façon beaucoup plus ouverte que par la médiation d'une règle parce qu'il existe beaucoup d'autres façons de réformer les systèmes de retraite -nous le voyons d'ailleurs en France- qui permettent de ne pas faire peser ces systèmes de retraites sur le budget de l'État.

La troisième voie de réforme du Pacte de Stabilité, celle que je préfère , qui a été proposée depuis longtemps, et que j'avais proposée dans un travail commun avec Franco Modigliani, qui est appliqué au Royaume-Uni, est ce que nous appelons la Règle d'Or des finances publiques. Elle consiste à sortir du champ du calcul du déficit budgétaire l'investissement public mais l'investissement public conçu au sens large, l'investissement public matériel et immatériel.

Si une telle méthode avait été adoptée, les pays européens auraient probablement pu mettre en oeuvre la stratégie qu'ils avaient décidée à Lisbonne.

Le dernier point sur lequel je voulais insister est qu'il y a un grand débat sur cette question de sortir du calcul du déficit budgétaire l'investissement, un grand débat qui est fondé à tort ou à raison sur une défiance par rapport à la démocratie et sur une défiance des hommes politiques par rapport à leurs propres actions. C'est en tout cas ce que j'ai entendu. Ils disent « Mais cela permet le plus grand laxisme, on pourra toujours décider de sortir l'investissement public au moment électoral idoine, réaliser des investissements qui n'ont pas du tout d'efficacité mais qui ont un certain effet de court terme. »

D'abord je ne partage pas cette défiance générale vis-à-vis de la démocratie, ce n'est pas l'exemple qu'ont donné en moyenne les pays européens depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Après tout ils n'ont pas connu des envolées de dette publique -sauf quelques cas particuliers- qui pourraient faire croire qu'ils ont une gestion laxiste.

Et surtout, nous pourrions remédier à ce point en décidant -c'est ce que j'appelle la coordination par le haut- que l'investissement public soit défini par le Conseil Européen. La définition de l'investissement public par le Conseil Européen serait une coordination par le haut parce que ce serait une coordination par le projet. Le Conseil Européen dirait, par exemple : « Nous avons décidé que telle fraction de la recherche et développement soit comptée comme de l'investissement public. » et les pays seraient libres de le faire ou de ne pas le faire mais il y aurait au moins en Europe une coordination par le haut, c'est-à-dire une coordination par le projet.

Dès le moment où nous parlons d'investissement nous nous projetons dans le futur. C'est cela, à mon avis, qui manque le plus à la règle du Pacte de Stabilité parce que nous nous projetons le plus souvent, du fait de cette règle, dans le passé. L'argument le plus souvent entendu est que nous ne pouvons rien faire aujourd'hui car hier nous n'avons pas été très précautionneux. Merci.

M. Joël BOURDIN, Président. - Merci Monsieur le professeur. Vos observations ont été, comme d'habitude, très stimulantes.

Je vais maintenant donner la parole à Jean PISANI-FERRY pour analyser les problèmes institutionnels de la gouvernance européenne dans le domaine des politiques budgétaires et je voudrais simplement indiquer, avant de lui donner la parole, que dans le petit document du Sénat que vous avez trouvé à l'entrée vous trouverez sur ce point quelques suggestions. Les unes portent sur le rôle de surveillance des positions budgétaires exercé par la Commission, les autres sur le dialogue des institutions européennes -la Commission et le Conseil- avec les parlements nationaux, ce qui évidemment ne vous étonnera pas dans cette enceinte.

Monsieur PISANI-FERRY vous avez la parole.

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