LES CONDITIONS DE COORDINATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES AUX ÉTATS-UNIS ET L'INTERDÉPENDANCE ENTRE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE AMÉRICAINE ET LE CADRE FORMEL DE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE EN EUROPE

M. Olivier GARNIER, Directeur de la stratégie et de la recherche économique à la Société Générale Asset Management - Merci Monsieur le Président.

Je voudrais traiter le cas américain essentiellement parce que, vu d'Europe et particulièrement aujourd'hui, le cas américain est souvent présenté comme le cas idéal. C'est à la fois une économie qui a su, au moment des vaches grasses, dégager des excédents budgétaires et qui sait aujourd'hui, au creux du cycle, faire une politique de relance très agressive.

Les adversaires du Pacte de Stabilité prennent souvent l'exemple américain, donc je voudrais essayer de tirer quelques leçons de cet exemple en regardant trois points.

Premièrement, qu'en est-il des institutions et des règles aux États-Unis ? C'est-à-dire, est-ce qu'il y a ou non des règles aux États-Unis et comment ont-elles fonctionné ?

Deuxièmement - et cette question renvoie à ce que disait précédemment Monsieur ALLSOPP - quelle est l'articulation - je préfère parler d'articulation plutôt que de coordination - des fonctions de réaction des politiques monétaire et budgétaire aux États-Unis ?

Troisièmement, en conclusion, est-ce que, au regard de la politique budgétaire qui est menée actuellement aux États-Unis, les Européens doivent s'inspirer aujourd'hui de la politique budgétaire américaine ?

Sur le premier point : sur la question des règles et des institutions, tout à l'heure Jean-Paul FITOUSSI disait que finalement les règles expriment une défiance vis-à-vis de la démocratie. Je crois que si nous regardons le cas américain cela n'est pas le cas. Les États-Unis sont une grande démocratie mais nous voyons bien que, dans leur processus budgétaire, régulièrement ils ont eu besoin de se fixer des règles.

Une première chose qui est importante à noter, comme le disait aussi Monsieur ALLSOPP, est que souvent en Europe, curieusement, nous avons l'impression que la contrainte budgétaire vient seulement de Maastricht. Or, aux Etats-Unis, il y a aussi, de longue date, une certaine aversion vis-à-vis du déficit public, comme d'ailleurs vis-à-vis de l'impôt. Je vous rappelle d'ailleurs qu'en 1992 -et c'est quelque chose que nous ne voyons pas dans beaucoup de pays- il y avait un candidat aux élections présidentielles (R. Perot), dont le seul programme était de restaurer l'équilibre budgétaire.

Il a quand même eu environ 20 % de voix et a notamment causé la défaite du Président Bush père.

Le deuxième point à noter est que, régulièrement aux États-Unis, il y a un débat sur l'introduction ou non d'un amendement à la Constitution qui interdirait le déficit budgétaire. C'est un débat qui est encore revenu il y a quelques années.

Enfin, il existe aussi aux Etats-Unis des règles visant à contenir les déficits publics, notamment depuis les années Reagan. Il y a eu au milieu des années 80 la loi Gram-Rudman qui fixait des limites au déficit budgétaire. Elle a été réformée en 1990 avec une nouvelle loi qui, là, ne portait plus sur le déficit budgétaire lui-même mais qui, d'une part, fixait des limites à ce que les américains appellent les dépenses « discrétionnaires » et, d'autre part, obligeait, lorsque l'on votait par exemple des mesures fiscales, à voter en même temps le financement de ces mesures.

Cette loi a expiré en septembre 2002 et n'a pas été remplacée. Mais je crois que la première leçon que nous pouvons tirer est que ces lois, même si, souvent, elles n'ont pas été respectées, ont néanmoins contribué au redressement budgétaire américain entre le milieu des années 80 et la deuxième moitié des années 90. Surtout -et je crois que c'est la deuxième leçon que nous pouvons tirer de l'exemple américain à propos du Pacte de Stabilité- l'intérêt de règles, quelles que soient ces règles, est d'introduire un système de « checks and balances ».

Dans le cas américain, à quoi sert la règle ? Il y a tout d'abord une certaine automaticité, et d'ailleurs nous voyons bien que dans certains états fédérés, aujourd'hui, les fonctionnaires risquent de ne plus être payés parce que dès qu'il y a un déficit il y a des couperets qui tombent. Mais le point important est ailleurs, et c'était déjà le cas dans les systèmes du type Gram-Rudman ou même dans ce qui a prévalu pendant les années 90 : c'est que lorsqu'il y a une limite aux dépenses ou une limite à la dette, tout dépassement de cette limite exige que le Congrès se réunisse pour voter une nouvelle limite. Cela introduit davantage de transparence et oblige chacun à assumer ses responsabilités.

Ce qui est dangereux dans un système où il n'y a aucune règle, c'est que, finalement, tout se passe un peu en catimini et que justement le Congrès ou l'exécutif n'assument pas du tout leurs responsabilités. Pour avoir une vision constructive du Pacte de Stabilité -c'est un peu ce qui se passe actuellement-, il faudrait se demander ce qui se serait passé ces dernières années s'il n'y avait pas eu le Pacte de Stabilité. Qu'est-ce qui aurait été différent en matière de politique budgétaire ?

Nous aurions sans doute vu des dérapages budgétaires beaucoup plus importants sans que nécessairement les politiques menées aient été plus constructives pour la croissance. Cela aurait sans doute été des dérapages passifs liés à des dépenses supplémentaires quasi-mécaniques.

En même temps, nous voyons bien qu'il y a eu quand même une interprétation intelligente du Pacte de Stabilité. Celui-ci n'a pas été un couperet imposant à l'Allemagne ou à la France de réduire de manière automatique leurs dépenses. Nous voyons bien qu'il y a un certain nombre de pays dont le déficit est passé au-dessus de 3 % du PIB.

Le point important -c'est là ce qui pourrait être un bon fonctionnement du Pacte de Stabilité- est que lorsqu'il y a un problème dans un pays, on se réunit et on voit ce que l'on fait à partir du cas de ce pays. C'est un peu comme aux Etats-Unis, où lorsqu'on bute sur la limite en matière de dépenses ou sur la limite en matière de dette, on peut effectivement voter pour relever cette limite mais en tout cas on se pose la question. C'est à cela que sert d'abord le Pacte de Stabilité.

Voilà, sur le premier point des règles et des institutions, les enseignements que je tire du cas américain.

Sur le point concernant l'articulation entre politique monétaire et politique budgétaire -et c'est un point qui me paraît vraiment important dans le cas américain- ce qui est devenu la doctrine américaine aussi bien dans la pratique que chez les universitaires américains, c'est que, finalement, du point de vue de la politique de stabilisation, l'instrument premier est la politique monétaire, et non pas la politique budgétaire. Ce n'est donc pas la politique budgétaire qui doit avoir pour objectif de stabiliser le cycle. C'est un premier postulat qui est très important.

Le deuxième point important est que trop souvent en Europe nous avons une vision floue de l'articulation de la politique monétaire et de la politique budgétaire. C'est, d'un côté, une vision un peu utopique, celle de l'Ecofin ou de l'Eurogroupe, par exemple. Elle consiste à dire : « Nous nous réunissons avec les banquiers centraux et nous arrivons à nous mettre d'accord selon un schéma du type : moi je réduis mes dépenses publiques de tant, toi tu baisses les taux de tant ». Or, nous savons bien que ce type d'accord ne peut pas marcher. Nous avons aussi, en pratique, un fonctionnement peu satisfaisant, avec une Banque Centrale qui se croit la responsabilité de vouloir elle-même imposer la discipline budgétaire. Cela ne peut pas marcher non plus.

Ce qui normalement devrait être le bon fonctionnement, c'est que les règles concernant la politique monétaire et la politique budgétaire soient compatibles. Dans le cas américain, je me souviens justement d'un exemple typique au début des années 90. Il y avait alors à nouveau le débat sur l'amendement à la Constitution interdisant le déficit budgétaire. J'étais à ce moment-là dans le staff de la Réserve Fédérale et A. Greespan nous avait demandé de faire un travail pour voir quelles seraient les conséquences pour la politique monétaire d'une adoption de cet amendement. Ce travail avait conclu que finalement cela ne posait pas de problème pour la Fed à partir du moment où elle continuait à avoir le même objectif en matière de croissance du PIB nominal. Simplement la politique monétaire devrait, en période de creux de cycle, baisser les taux un peu plus, ou les relever un peu plus dans le cas contraire. Mais nous étions capables d'assurer le même sentier de croissance du PIB nominal.

Nous voyons bien que le vrai problème -c'est ce que disait le Professeur ALLSOPP- est peut-être moins dans le Pacte de Stabilité en lui-même que dans le cadre de la politique monétaire. C'est-à-dire que si nous avions un cadre de politique monétaire qui soit réellement « forward looking » -comme disent les Anglo-saxons-, nous aurions moins de problèmes. Nous pourrions dire, par exemple, à tel ou tel pays : « Vous devez, à horizon des prochaines années, réduire de ½ point par an votre déficit structurel », nous calculerions combien cela fait pour l'ensemble de la zone euro et la politique monétaire prendrait à son compte les ajustements nécessaires.

Autre remarque : nous voyons bien que, par rapport à tous les débats à propos des chocs symétriques ou asymétriques, sur les années récentes c'est d'abord et avant tout un choc symétrique qui s'est produit. Donc, même s'il y a des problèmes spécifiques en Allemagne, le premier problème a bien été un ralentissement au niveau mondial. Et force est de constater que nous avons eu un problème d'articulation des fonctions de réactions budgétaire et monétaire face à ce problème.

La dernière question à se poser à propos du « policy mix » actuel aux États-Unis est la suivante : faut-il, parce que les États-Unis font aujourd'hui une politique de relance budgétaire de très grande ampleur, faire la même chose en Europe ?

Je crois que non, car il y a des éléments différents dans les cas américain et européen.

Le premier élément -qui renvoie un peu à ce que je viens de dire en matière de politique monétaire- est que les marges de manoeuvre aujourd'hui ne sont pas du tout les mêmes en matière monétaire aux États-Unis et en Europe. Tout à l'heure je disais que la doctrine américaine est que la politique monétaire est le principal instrument de stabilisation. Ce qui fait que la politique budgétaire est redevenue un peu à la mode ces temps-ci aux Etats-Unis, c'est que l'on a maintenant des taux d'intérêt proches de 0. On sait alors que la politique monétaire risque de devenir moins efficace. Peut-être est-ce un cas où il faut utiliser la politique budgétaire. Mais, pour le moment, nous ne sommes pas dans cette situation dans la zone euro. Donc nous avons d'abord des leviers à utiliser au niveau de la politique monétaire.

La deuxième différence est la situation interne, notamment du point de vue de l'épargne. Aux Etats-Unis, au départ, le principal déséquilibre est venu non pas du côté des finances publiques mais du côté des finances privées, avec un déficit du secteur privé qui était arrivé à 6 ou 7 % du PIB. Nous voyons bien aujourd'hui ainsi que la politique monétaire touche ses limites, parce qu'en baissant encore les taux, on incite les ménages à s'endetter encore davantage, ce qui n'est peut-être pas la solution la plus adéquate aujourd'hui.

Dans le cas européen, nous sommes plutôt dans une situation avec des taux d'épargne très élevés, et donc nous ne faisons pas du tout face à la même situation macro économique. Ce qui veut dire d'ailleurs -c'est une parenthèse que je fais- que ce serait une erreur de vouloir définir les politiques budgétaires seulement au regard des déséquilibres extérieurs. Aujourd'hui, il y a une tendance à dire qu'il est inapproprié que les Américains fassent du déficit budgétaire alors qu'ils ont déjà un déficit extérieur très élevé, tandis qu'inversement les Européens devraient faire du déficit budgétaire parce qu'ils ont un excédent courant. Je crois que c'est une vision simpliste qui n'est pas justifiée.

Voilà un peu brièvement résumés -je vais m'arrêter là parce que le temps a passé- quelques enseignements que je tirerais du cas américain.

M. Joël BOURDIN, Président. - Merci Monsieur GARNIER.

Je vais demander maintenant à Marco BUTI, qui est expert auprès de la Commission, de prendre la parole -à titre personnel, il n'engage pas la Commission par sa parole-. Je pense qu'il aura une vision un peu différente de celle présentée par les précédents orateurs. Monsieur BUTI allez-y !

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