LE PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE VU DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

M. Marco BUTI, Expert auprès de la Commission Européenne - Merci beaucoup, Monsieur le Président. Veuillez m'excuser tout d'abord pour mon accent et pour les fautes que je vais faire dans mon exposé et je vais faire encore plus de fautes car au lieu de lire le papier que j'avais préparé, étant donné qu'il y a eu beaucoup de sollicitations de la part des intervenants, je vais essayer de répondre et de mettre mes observations dans le cadre qui a été présenté par tous mes prédécesseurs. C'est pourquoi je vais peut-être faire un exposé un peu erratique et je m'en excuse d'avance.

Ce qui semble se dessiner dans les propos de certains intervenants -moins dans les observations de Monsieur GARNIER- est une série de propositions sur lesquelles je voudrais m'interroger.

Tout d'abord il y aurait un biais restrictif dans les règles de l'Union monétaire à la fois dans les règles budgétaires et dans les règles monétaires. En particulier on dit qu'il y a un biais procyclique qui serait inhérent aux règles mêmes et qui vient de là.

Ensuite -et c'est très lié au premier point- nous aurions eu une politique inadaptée, inadéquate, trop restrictive dans les premières années de l'Union monétaire.

Enfin, les règles ne seraient peut-être pas toutes utiles. De toute façon, les règles que nous avons seraient mauvaises par rapport à d'autres règles au niveau national, en particulier au niveau des règles que s'est donné le Royaume-Uni.

Est-ce que tout cela est vrai ?

Sur le premier point est-ce que les tendances procycliques sont inhérentes au Pacte de Stabilité ? La réponse est non. Avant le Pacte de Stabilité, les règles de Maastricht ont été dessinées à la fin des années 80 et au début des années 90, après une période de croissance très forte, durant la deuxième moitié des années 80 qui était le résultat à la fois du contre choc pétrolier de l'époque et de la construction de l'Europe avec le marché unique.

Dans cette période de croissance très forte, au lieu de saisir l'occasion pour baisser le déficit, pour ne pas laisser augmenter la dette ou même la réduire, pour créer des marges de manoeuvre pour la période suivante, qu'est-ce que nous avons fait ? Le contraire ! C'était avant Maastricht. Maastricht est en quelque sorte une réponse aux problèmes que nous avons accumulés durant cette période. Nous sommes rentrés dans les années 90 avec des situations de finances publiques placées dans un sentier d'insoutenabilité.

Nous avons fait l'assainissement budgétaire qui a certainement contribué dans les années 90 à la croissance assez faible de l'époque. C'était le prix à payer, du fait de la situation que nous avions héritée du passé et c'était un prix à payer inévitable pour mettre de l'ordre dans la maison et pour pouvoir réagir aux chocs à venir.

Par ailleurs je voudrais faire référence aussi à plusieurs analyses empiriques qui ont regardé les effets économiques des assainissements budgétaires des années 90. Il se trouve que le multiplicateur dans cette période restrictive a été moindre que ce que nous attendions sur la base des multiplicateurs hérités des modèles keynésiens traditionnels. C'est-à-dire qu'il y a eu, surtout dans certains pays, des effets non keynésiens qui ont, au moins partiellement, compensé les effets directs de la restriction budgétaire.

Le comportement procyclique n'est pas lié directement au Pacte de Stabilité, c'est une tendance inhérente dans le fonctionnement des systèmes et dans les décisions des politiques économiques. Quel est le système ? C'est l'exemple de la « cagnotte » qui a été donné ici. Quand on est candidat à l'élection présidentielle, ici ou dans d'autres pays, qu'est-ce qu'on fait ? On promet de baisser les impôts une fois que la croissance sera là. On se comporte de façon inhérente, de manière procyclique. Qu'est-ce que l'on fait quand les choses vont mieux ? Il est difficile de résister à la pression pour distribuer l'argent. Cela ne signifie pas que le Pacte de Stabilité ne pose pas un problème, mais il n'a pas corrigé cette tendance procyclique. Je vais revenir à cela dans les propositions et dans les hypothèses de modifications possibles du Pacte de Stabilité.

Le deuxième point porte sur les comportements des premières années de l'Union monétaire. Est-ce que les politiques économiques ont eu une orientation restrictive ?

En fait, nous avons eu une politique assez neutre en 1999, et en 2000 une politique budgétaire expansionniste, avec une politique monétaire restrictive. L'année 2000, je vous le rappelle, est l'année où nous avons eu le choc pétrolier. Il y a eu une poussée inflationniste et une réponse de la politique monétaire avec une croissance qui, pour la zone Euro dans son ensemble, était de 3,5%.

Ici nous voyons déjà qu'on accumule les problèmes. 2000, c'était une année où nous venions de rentrer dans l'Union économique et monétaire, nous étions encore proches de 3 % de déficit public et, au lieu de saisir l'occasion, nous relâchons la politique. En 2001-2002 nous nous trouvons de nouveau dans cette configuration. C'était justifié parce que les perspectives économiques et la situation économique se sont détériorées. C'était la réaction normale que l'on attend quand on a une mauvaise conjoncture.

Je ne pense pas que nous puissions dire que dans les premières années de l'Union économique et monétaire nous ayons eu une politique restrictive et que les règles aient poussé les Etats membres à avoir des politiques procycliques. La seule année où elles jouent dans le sens du cycle, d'une façon perverse, c'est en 2000 quand nous avons eu la croissance la plus forte de ces dernières années.

Le troisième point consiste à évoquer la nécessité d'avoir des règles dans une Union monétaire. Il y un degré de méfiance parmi les Etats membres qui est toujours présent. Je pense qu'il faut l'assumer et les règles sont aussi là pour répondre à ce manque de confiance réciproque. Je pense que nous ne considérons pas assez quand nous analysons les règles budgétaires que les règles que nous adoptons au niveau supranational ce n'est pas la même chose que les règles que nous adoptons au niveau domestique, par un gouvernement qui se donne lui-même des règles.

Je prétends ici que des règles qui peuvent être bonnes ou optimales au niveau d'un Etat membre pris individuellement, qu'un gouvernement se donne, peuvent être un « ter best » -même pas un « second best »- au niveau supranational.

Il y a un élément indispensable dans les règles supranationales, c'est la simplicité. Il faut être capable, dans une union où l'on est à plusieurs, donc différents, d'avoir des règles qui sont facilement contrôlables. Il devrait y avoir une agence centrale, la Commission, dont le pouvoir devrait être renforcé sur ces points de surveillance.

Le degré de hasard moral, quand on est à plusieurs, le risque de hasard moral est plus important que quand on se donne des règles domestiques. Je pense que cela milite contre une règle type la Règle d'Or qui serait difficilement applicable au niveau supranational et au niveau européen.

La réponse de Jean-Paul FITOUSSI est de dire qu'il faut que le Conseil Européen décide. Ce n'est pas facile. Qu'il décide quoi ? Quelles sont les bonnes dépenses ? Jean-Paul FITOUSSI citait son manifeste avec Franco Modigliani en 1998. Je voudrais citer une autre étude du Professeur Modigliani avec M. Padoa-Schiopa, un peu plus ancienne où ils essayaient de voir à l'intérieur du budget total de l'Italie et des dépenses publiques ce qu'étaient les dépenses favorables à la croissance. A l'époque -c'était avant la « new economy », peut-être que maintenant nous pourrions en rajouter- nous arrivions, si je ne m'abuse, aux alentours de 16 % du PIB. Nous exclurions 16 % du PIB du calcul du déficit ? Je me pose la question.

Lisbonne, par ailleurs, dessine une stratégie de croissance où il y a les dépenses de recherche et développement, de formation, etc... qui sont des « dépenses soft » plutôt que des dépenses d'infrastructures. C'est un peu la nouvelle voie pour une stratégie de croissance. Tout cela devient très flou. Il me semble difficile, même avec une décision du Conseil Européen, d'appliquer de telles règles.

Il y a une réponse qui est plus facile, c'est que s'il y a des dépenses importantes au niveau communautaire, nous les fassions au niveau communautaire. Je ne sais pas si j'enfonce une porte ouverte en disant qu'il faudrait couper dans la politique agricole commune pour financer de telles dépenses.

Pour la Règle d'Or, je rejoins un peu ce que Monsieur ARTHUIS disait auparavant : imaginons ce qui va se passer si d'emblée nous décidons aujourd'hui, en réunion extraordinaire de l'Ecofin, que selon la Règle d'Or nous ne comptons plus x % pour les investissements publics définis selon le schéma du Professeur FITOUSSI. Qu'est-ce qui se passerait demain ? Est-ce que vous pensez que les Etats membres, en considérant les modes de fonctionnement, les pressions, etc., vont augmenter les bonnes dépenses ? Non.

Quand on se trouve d'emblée avec une marge de manoeuvre supplémentaire qu'est-ce qu'on fait ? On augmente les mauvaises dépenses et pas les bonnes. Ce n'est pas par hasard que l'on coupe dans les investissements quand on fait de l'assainissement budgétaire dans une proportion plus forte que les autres dépenses qui sont beaucoup plus difficiles à réduire.

Par ailleurs -c'est une observation pratique sur le « policy mix »- je pense qu'il y a aussi des réserves théoriques sur la Règle d'Or qui sont importantes. La Règle d'Or est justifiée sur la base d'une équité intergénérationnelle. Du point de vue d'un modèle d'équilibre général, il n'y a pas nécessairement de raisons pour préférer cela plutôt que de réduire les taxes et les impôts, ce qui augmente le capital privé et nous laissons à la nouvelle génération plus de capital privé que de capital public et des possibilités de croissance peut-être plus importantes. Il n'est pas clair dans un pays que je connais bien qu'il soit mieux de laisser aux nouvelles générations un peu plus d'infrastructures avec une dette plus élevée plutôt que le contraire. C'est une question empirique et pas une question de principe.

Tout cela m'amène au dernier point qui concerne les options de réforme. Je suis en faveur d'une réforme du Pacte de Stabilité qui soit une réforme interne plutôt qu'une réforme qui remet tout en cause.

Par ailleurs je disais tout à l'heure -mais nous le voyons tous les jours- qu'une des caractéristiques des règles supranationales est que c'est extrêmement difficile à changer. Quand un gouvernement se donne des règles nationales il le fait souvent pour passer une période de mauvaise conjoncture. L'examen des règles des pays européens -et pas seulement dans le passé- montre que lorsqu'on passe une période de mauvaise conjoncture on change les règles. Au niveau supranational, c'est beaucoup plus difficile.

Nous avons fait l'expérience il y a deux jours sur l'Ecofin d'une recommandation à la France, à laquelle deux pays se sont opposés. Pour changer les règles du Pacte de Stabilité, même sans toucher les traités, il faut l'unanimité. C'est très difficile à obtenir. La poursuite d'une voie interne de réforme me semble être plus prometteuse qu'une réforme qui remettrait tout en cause, avec le risque de rester sans règle.

Quelles sont les possibilités ? Une série de propositions ont été déjà évoquées ici. Je pense qu'il y a une uniformité excessive des règles du Pacte de Stabilité. Je pense que nous pourrions mettre davantage la dette dans le jeu et avoir des règles qui, au niveau de l'équilibre à moyen terme, soient diversifiées selon le niveau de la dette , explicite et implicite avec, alors, la nécessité de prendre en compte ce qui est implicite comme le système des pensions et diversifiée selon ce critère.

Je pense qu'il faut augmenter la transparence et ici il s'agit d' améliorer la surveillance de la politique budgétaire . Il y a une nécessité de corriger les biais procycliques dont je parlais tout à l'heure. Ici il y a une question de « early warning » pas seulement en mauvaise période mais aussi quand les choses vont mieux.

Je pense que les propositions discutées au niveau de la Convention, de donner à la Commission la possibilité de lancer des avertissements directs plutôt que de passer par le Conseil, qui est nécessairement partisan, sont bonnes.

Je pense aussi que nous pourrions également envisager la possibilité d' améliorer les éléments incitant à bien se comporter en bonne période . Une proposition serait d'avoir la possibilité d'avoir des fonds de réserve mis de côté en bonne période, au lieu de les distribuer, pour les réutiliser après en mauvaise période.

Je terminerai par l'application non partisane des règles avec la Commission qui a le pouvoir de décider quand c'est manifeste tandis qu'on laisserait au Conseil le pouvoir de donner les indications sur ce qu'il faut faire pour corriger les déficits, en termes de mesures à prendre. C'est une décision politique et cela resterait du ressort du Conseil. Mais, quand quelqu'un se comporte mal, il est clair que ce devrait être la Commission qui tire la sonnette. Merci.

M. Joël BOURDIN, Président. - Merci Monsieur BUTI.

Je pense que le débat va être fourni tout à l'heure puisque nous avons des positions qui se contrastent.

Je vais faire appel à un modérateur, à Jean-Luc TAVERNIER qui va conclure. Il est Directeur de la Prévision. J'ai entendu une petite pique sur la Politique agricole commune, je suis Rapporteur de l'agriculture au Sénat, Monsieur BUTI alors je pense que Monsieur TAVERNIER va faire justice à la politique agricole de la France. Enfin ce n'est pas l'objet. Je vous laisse la parole.

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