II. LA SITUATION POLITIQUE INTÉRIEURE

Le système institutionnel iranien est assez atypique 2 ( * ) . Les autorités iraniennes ont affirmé à la délégation que leur régime se présentait comme « le porte-drapeau de la démocratie au Moyen-Orient » 3 ( * ) .

Ils appuient cette affirmation sur le fait que le peuple iranien vote pour élire ses représentants. En effet, le président de la République, les députés, les représentants dans les municipalités et les membres de l'Assemblée des experts sont élus au suffrage universel direct. De l'avis des observateurs internationaux, les élections sont libres.

Toutefois, les institutions élues ne disposent pas de tous les pouvoirs politiques car les institutions religieuses ont un poids prépondérant dans les processus de décision. De ce fait, le régime s'apparente plutôt à une République théocratique.

Ainsi, comme le souligne le rapport de notre collègue M. Xavier de Villepin 4 ( * ) , le système institutionnel iranien, tel qu'il fonctionne aujourd'hui, présente l'originalité de faire cohabiter deux légitimités : une légitimité démocratique et politique, d'une part, issue du suffrage populaire, et une légitimité religieuse, d'autre part, incarnée par le Guide de la Révolution.

A. LES INSTITUTIONS POLITIQUES IRANIENNES

1. La dualité du pouvoir exécutif

a) Le président de la République

Les électeurs iraniens élisent, au suffrage universel, un président de la République pour une durée de quatre ans. Son mandat est renouvelable une seule fois.

Toute candidature à la présidence de la République doit répondre à un certain nombre de conditions pour être acceptée par le Conseil des gardiens de la Constitution, institution religieuse qui, entre autres missions, valide les candidatures. Le candidat doit notamment posséder les compétences administratives nécessaires pour assumer cette fonction, être une personnalité religieuse ou politique reconnue, être d'origine ou de nationalité iranienne et être digne de confiance, vertueux et dévoué à l'islam et au régime de la République islamique.

Par ailleurs, les résultats de l'élection du président doivent également être entérinés par le Conseil des gardiens et le Guide de la Révolution.

En outre, le président ne peut être considéré comme le chef de l'Etat. Il serait plutôt le chef du pouvoir exécutif. Bien qu'il préside le Conseil des ministres, ses pouvoirs sont davantage comparables à ceux du Premier ministre français qu'à ceux du président de la République. Il est responsable devant le Parlement et chaque ministre nommé par lui doit, en outre, recevoir l'approbation du Parlement, qui peut les démettre, individuellement ou collectivement 5 ( * ) .

b) Le Guide de la Révolution

En revanche, le Guide de la Révolution -actuellement l'ayatollah Khamenei- est le premier personnage du régime. Ses prérogatives ont été élargies avec la révision constitutionnelle de 1988-1989.

Désigné par l'Assemblée des experts, composée exclusivement de religieux, il détermine, après consultation du Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime, les principes généraux et les lignes directrices de la politique de l'Etat islamique et supervise l'exécution de cette politique. Il peut décider d'organiser un référendum pour toute législation importante et il arbitre les conflits entre pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Le Guide est également le Chef des armées et il nomme ou révoque les commandants des forces armées.

Le Guide a en outre la haute main sur le pouvoir judiciaire car il en nomme le chef.

Le Guide de la Révolution décide enfin des orientations importantes dans le domaine de la politique extérieure. Ses fatwas, comme celle de l'ayatollah Khomeiny refusant la création d'un Etat israélien et d'un Etat palestinien, sont incontestables.

2. Une prééminence des institutions religieuses

a) Le Conseil des gardiens de la Constitution

Cette institution, qui correspond peu ou prou au Conseil Constitutionnel français, est composée de douze membres désignés pour six ans : six religieux nommés par le Guide et six juristes élus par le Majlis sur proposition du pouvoir judiciaire. Sa principale fonction est de veiller à la compatibilité des lois à la Constitution et aux principes de l'islam : la Charia. En effet, l'article 4 de la Constitution de 1979 dispose que l'ensemble des lois et règlements doit être fondé sur les préceptes de l'islam. Le contrôle de la conformité des lois aux principes de l'islam relève exclusivement de la compétence des membres religieux du Conseil.

Toutes les lois votées par l'Assemblée doivent obtenir l'approbation du Conseil des gardiens. Si ce dernier conclut à une incompatibilité, il ne peut, de lui-même, procéder à une annulation. Il revient alors au Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime d'arbitrer le différend.

Cependant, l'un des pouvoirs les plus importants du Conseil est celui lui permettant de procéder à une sélection dans les candidatures aux élections présidentielles et législatives ou à l'Assemblée des experts. Ainsi, ne peuvent se présenter aux élections que les personnalités qui ont été déclarées comme respectant les principes religieux et ne remettant pas en cause le socle de ces valeurs. Cette prérogative constitue l'un des principaux moyens de contrôle des pouvoirs par les religieux.

b) Le Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime

Cette institution a été créée en 1988 par décret de l'imam Khomeiny. Elle a pour mission d'arbitrer les litiges apparus entre le Parlement et le Conseil des gardiens.

Le Conseil de discernement est composé de membres de droit et de membres nommés par le Guide. Il comprend notamment les six membres religieux du Conseil des gardiens, le président du Parlement, le chef du pouvoir judiciaire, le président de la République, le ministre concerné par le litige ainsi qu'une dizaine d'autres personnalités.

Sa fonction initiale s'est cependant peu à peu élargie et le Conseil de discernement, en cas de circonstances exceptionnelles, s'est reconnu le droit d'ajouter des clauses à une législation contestée entre le Conseil des gardiens et le Parlement. Ainsi dispose-t-il, depuis la période de guerre Iran-Irak, du droit d'édicter « des solutions pour les difficultés insurmontables du régime ». Cette disposition donne ainsi une sorte de compétence législative extraordinaire à un organe qui n'en est pas légitimement ou légalement investi.

c) L'Assemblée des experts

L'Assemblée des experts, composée d'environ 80 religieux élus pour huit ans au suffrage universel direct -avec un taux de participation très faible- a pour rôle de désigner le Guide de la Révolution et, le cas échéant, de le démettre.

3. Le pouvoir législatif

Le Parlement iranien, le Madjlis, est monocaméral. Il est composé de 290 députés élus pour quatre ans au suffrage universel direct. Cinq d'entre eux ont vocation à représenter les minorités confessionnelles reconnues par le régime : zoroastriens, juifs et chrétiens (majoritairement arméniens).

Comme dans tout régime parlementaire, le Parlement vote la loi, approuve ou renverse l'exécutif, y compris le président de la République, selon une procédure particulière. Si un tiers des députés met en cause le président de la République, ce dernier est alors contraint de s'expliquer devant l'Assemblée dans un délai d'un mois. Si deux tiers des députés lui refusent leur confiance, le Guide en est informé et peut, éventuellement, le destituer.

Les pouvoirs du Parlement sont néanmoins limités par le contrôle du Conseil des gardiens et du Conseil de discernement. Le Parlement, dont les députés ont été élus lors des élections de 2000, est actuellement composé à 80 % de députés réformateurs.

4. Un pouvoir judiciaire très autonome

A en croire la plupart des observateurs, le pouvoir judiciaire reste l'un des principaux freins à la mise en oeuvre de la politique réformatrice voulue par l'actuelle majorité parlementaire qui détient les 4/5 ème des sièges du Madjlis.

Selon la Constitution, révisée en 1989, le Guide nomme, pour une période de cinq ans, le chef du pouvoir judiciaire. Ce dernier établit les organisations légales juridictionnelles, prépare les projets de loi concernant le fonctionnement du pouvoir judiciaire et se charge du recrutement des juges.

Le ministère de la justice est, quant à lui, surtout responsable des rapports entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs.

Parmi les tribunaux, seuls la Cour de cassation et les tribunaux militaires et administratifs sont institués par la Constitution. Les tribunaux révolutionnaires jouent un rôle politique important, tout comme le tribunal réservé au clergé -la Cour spéciale pour le clergé- instituée en 1987.

Les tribunaux de la Révolution sont autorisés à juger les délits contre la sûreté de l'Etat, les complots contre la République islamique ou encore l'espionnage, ce qui leur laisse un vaste domaine d'intervention sur tout ce qui touche de près ou de loin à la politique et à la sécurité du régime.

Enfin, il convient de signaler que le système judiciaire jouit d'une forte indépendance. En pratique, les différents tribunaux sont en grande majorité contrôlés par les religieux. Cette situation rend difficile la mise en oeuvre d'une politique pénale unifiée et, par là même, autorise une grande hétérogénéité dans les jurisprudences des divers tribunaux. Surtout, les juges constituent un moyen de pression important sur la presse et les députés réformateurs. Des journaux ont ainsi été interdits et des députés condamnés pour infraction à la Charia.

* 2 Voir en annexe 2, le schéma résumé des institutions politiques nationales.

* 3 Selon les termes utilisés par un parlementaire rencontré par la délégation.

* 4 Rapport d'information, n° 457 (1999-2000), fait, au nom de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la suite d'une mission effectuée en Iran du 14 au 21 avril 2000, présidée par M. Xavier de Villepin

* 5 Voir Mohammad-Reza Djalili « Iran : l'illusion réformiste », Presse de Sciences-Po, octobre 2001.

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