CHAPITRE II :

L'OBLIGATION DE DÉPÔT AU TRÉSOR : L'ETAT CAISSIER DES COLLECTIVITÉS LOCALES

Votre rapporteur spécial, à l'opposé de ce qu'il avait fait dans son rapport d'information de 1989 où il avait davantage mis l'accent sur la gestion de trésorerie des collectivités locales que sur le compte d'avances 903-54, ne souhaite pas trop entrer dans le détail de l'obligation des dépôts, puisque cette question n'est pas de sa compétence, mais davantage du rapporteur spécial des charges communes, et parce qu'un rapport récent de votre commission 11 ( * ) relatif aux perspectives d'évolution de la fiscalité locale a d'ores et déjà fourni les principaux éléments du débat.

I. LE CADRE DE L'OBLIGATION DE DÉPÔTS AU TRÉSOR DES FONDS DISPONIBLES DES COLLECTIVITÉS LOCALES

A. UNE OBLIGATION ANCIENNE QUI N'A PAS ÉTÉ REMISE EN CAUSE PAR LA LOI ORGANIQUE DU 1er AOÛT 2001 RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES

1. Une obligation de dépôt ancienne...

La règle d'obligation de dépôt au Trésor des « fonds libres » des collectivités locales a pour la première fois été posée par un décret impérial en date du 27 février 1811. Ce décret disposait en son article 4 : « il (le ministre du Trésor) fera verser pour le compte de la caisse de service, chez les receveurs généraux et particuliers, les sommes qu'il jugera excéder les besoins du service, et les fera rétablir successivement aux époques où les besoins du service l'exigeront ». De cette obligation ne résultait pas le principe de non-rémunération des dépôts : « la caisse de service tiendra compte à chaque commune de l'intérêt des fonds qui lui seront versés, de la même manière qu'elle en tient compte aux particuliers ».

Étendue par la loi du 18 juillet 1892 relative aux départements, l'obligation de dépôt est assortie dès lors d'un principe de non-rémunération des encours. Pour les communes, la règle de non-rémunération des encours est plus tardive puisqu'elle date de la loi du 18 septembre 1941.

L'article 15 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 dispose ensuite que « sauf dérogation admise par le ministre des finances, les collectivités territoriales de la République sont tenues de déposer au Trésor toutes leurs disponibilités. »

Une circulaire des ministres de l'intérieur et des finances en date du 5 mars 1926 (circulaire Doumer-Chautemps), qui constitue le droit positif actuel, précise les dérogations qui peuvent être admises. Elle rappelle néanmoins au préalable les raisons liées à l'obligation de dépôt : « éviter que les deniers communaux demeurent, en attendant emploi au paiement des dépenses courantes, immobilisés dans les caisses des receveurs municipaux ».

La circulaire encadre les possibilités de placement selon l'origine des fonds, en distinguant les placements budgétaires des placements de trésorerie. L'offre de placement est limitée, puisqu'elle est restreinte aux valeurs d'Etat (BTN, OAT) ou garanties par l'Etat. Elle impose l'autorisation préalable du trésorier payeur général pour les placements de trésorerie et du ministre des finances pour des dérogations plus étendues.

2. Qui n'a pas été remise en cause par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances

L'obligation de dépôt n'a pas été remise en cause par la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Le rapporteur de votre commission sur ce texte, notre ancien collègue Alain Lambert, avait bien exprimé les raisons amenant à ne pas remettre radicalement en cause l'obligation de dépôt dans son rapport 12 ( * ) : « le débat autour des relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales ne doit pas s'immiscer dans celui portant sur la réforme de l'ordonnance organique. En effet, bien que l'obligation de dépôt des disponibilités des collectivités territoriales ne découle que de ce seul texte, elle n'en constitue pas moins un sujet détachable, dont les tenants et les aboutissants sont largement indépendants du texte de la loi organique relative aux lois de finances. Seul le lien entre les disponibilités déposées et les recettes de trésorerie qu'elles génèrent pour l'Etat justifie d'ailleurs la présence de cette disposition dans le texte organique. »

L'article 26 de la loi organique du 1 er août 2001 dispose ainsi que « s auf disposition expresse d'une loi de finances, les collectivités territoriales et leurs établissements publics sont tenus de déposer toutes leurs disponibilités auprès de l'Etat. »

Cet article applicable à compter du 1 er janvier 2004 va permettre de se pencher sur un éventuel élargissement des dérogations à l'obligation de dépôt et sur un assouplissement pour les collectivités locales des possibilités de gestion de trésorerie.

Règles de rémunération et de placement des fonds des collectivités et établissements publics locaux

RAPPEL DES PRINCIPES GENERAUX

Principe d'obligation de dépôt au Trésor des disponibilités pour toutes les collectivités territoriales et les établissements publics ( art. 15, alinéa 6, de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances)

En complément à cette obligation, aucune rémunération n'est consentie sur les fonds déposés au Trésor (loi du 14 septembre 1941).

MISE EN OEUVRE DES PLACEMENTS

Les règles d'obligation de dépôt au Trésor des fonds des correspondants du Trésor et de gratuité de ces dépôts connaissent des exceptions :

I. POUR CERTAINES CATÉGORIES DE STRUCTURES :

Ø les organismes d'HLM :

- les OPHLM : en vertu de l'article R. 423-60 et R. 423.-61 du Code de Construction et de l'Habitat (CCH), les fonds des OPHLM peuvent aussi être déposés à un compte de chèques postaux, à la Caisse des dépôts et consignations, à une caisse d'épargne ou, sur autorisation du Ministre chargé des Finances, à la Banque de France

- les OPAC : en vertu de l'article R. 423-14 et R. 423-15 du CCH, les fonds appartenant à l'office peuvent aussi être déposés à un compte de chèques postaux, à la Caisse des dépôts et consignations, en caisse d'épargne, à la Banque de France, et, sur autorisation donnée par le Ministre chargé des Finances et le Ministre de la construction et de l'habitat, dans des établissements bancaires.

Ø les établissements publics locaux à caractère industriel et commercial (EPIC) : les régies dotées de la personnalité juridique et de l'autonomie financière bénéficient d'une rémunération au taux de 1 % des fonds laissés au Trésor. Elles peuvent par ailleurs, en vertu de l'article R. 2221-41 du CGCT, se faire ouvrir un compte de dépôt dans un établissement de crédit avec l'autorisation du TPG.

Ø les établissements publics de santé et établissements sociaux et médico-sociaux (EPS et ESMS) : pour ces établissements, le Code de la Santé Publique et le Code de l'Action Sociale et des Familles ont prévu l'intervention d'un décret. Celui-ci n'ayant jamais été élaboré, c'est le régime de la circulaire du 5 mars 1926 qui s'applique par défaut.

 
 

II. EN FONCTION DE L'ORIGINE DES FONDS : UN RÉGIME GÉNÉRAL DE CONDITIONS DE PLACEMENT EST PRÉVU PAR LA CIRCULAIRE DU 5 MARS 1926. IL S'APPLIQUE À L'ENSEMBLE DES COLLECTIVITÉS LOCALES ET ÉTABLISSEMENTS PUBLICS LOCAUX.

I. PLACEMENTS BUDGÉTAIRES

II. PLACEMENTS DE TRÉSORERIE

Peuvent être placés les fonds qui proviennent de :

- libéralités (dons et legs non grevés de charges)

- aliénation d'éléments du patrimoine

- excédent définitif non susceptible d'être utilisé autrement, c'est-à-dire employé à réduire les charges des administrés, soit directement par l'allègement des impositions, soit indirectement par amortissement de la dette.

- fonds de réserves obligatoires ou facultatifs (ne concerne que les établissements et services publics locaux à caractère industriel et commercial, dotés de la personnalité juridique et de l'autonomie financière).

Peuvent faire l'objet d'un placement :

- les emprunts dont l'emploi est différé pour des raisons indépendantes de la volonté de la collectivité

- les cessions d'éléments patrimoniaux lorsqu'elle intervient pour assurer le financement de la partie de travaux non couverte par l'emprunt et qu'un différé se produit dans le lancement des travaux.

- Ils doivent être prévus au budget et nécessitent une délibération de l'assemblée délibérante.

- Pas d'autorisation préalable du Trésorier-Payeur Général, sauf dans le cas particulier des fonds provenant de libéralités, placés en valeurs mobilières.

- Pas d'autorisation préalable du Trésorier-Payeur Général, sauf dans le cas particulier des fonds provenant de libéralités, placés en valeurs mobilières.

- Pas d'intervention systématique de l'assemblée délibérante. Une décision de l'ordonnateur suffit.

- Autorisation du TPG, préalable à l'achat des titres, dans tous les cas.

- Contrôle de légalité exercé par le représentant de l'Etat et le tribunal administratif.

PRODUITS DES PLACEMENTS

PLACEMENTS BUDGÉTAIRES

PLACEMENTS DE TRÉSORERIE

Ø Valeurs d'Etat (français) :

- emprunts d'Etat (OAT)

- bons du Trésor négociables (BTF, BTAN)

Ø Emprunts garantis par l'Etat

Cas particulier : valeurs mobilières inscrites à la cote officielle d'une bourse française pour les fonds provenant de libéralités importantes et régulières.

 

Bons du Trésor :

• BTAN : seuil minimal de 150 000 euros

• BTF : seuil minimal de 1 000 euros, uniquement pour les collectivités locales et leurs établissements publics locaux

OAT :

• par tranches de 200 euros sur le marché primaire

• les titres de la dette de l'Etat ont une valeur nominale de 1 euro et peuvent donc être négociés à partir de ce montant.

B. L'ENCOURS DES DÉPÔTS DES COLLECTIVITÉS LOCALES AU TRÉSOR

1. La répartition des dépôts

Le graphique ci-dessous traduit l'augmentation progressive du solde du compte au Trésor au 31 décembre 13 ( * ) pour l'ensemble des collectivités territoriales (communes, départements et régions). D'un montant total de 6,7 milliards d'euros (43,7 milliards de francs) fin 1993, il atteint plus de 14,6 milliards d'euros au 31 décembre 2002.

Evolution du solde au 31 décembre du compte au Trésor des collectivités locales

(en millions d'euros)

Evolution du solde au 31 décembre du compte au Trésor des collectivités locales

(en millions d'euros)

Exercice

Départements

Régions

Communes

Ensemble

1993

630

294

5.746

6.669

1994

866

420

6.516

7.801

1995

986

247

6.499

7.731

1996

1.084

394

7.010

8.488

1997

1.702

367

8.022

10.091

1998

1.795

681

8.745

11.237

1999

2.323

750

9.998

13.073

2000

3.165

964

10.154

14.264

2001

3.265

973

9.682

13.920

2002

3.275

1.008

10.373

14.656

Évolution du solde au 31 décembre du compte au Trésor des EPCI
et Groupements à fiscalité propre (GFP)

(en millions d'euros)

Années

EPCI

Dont GFP

1999

4.267,95

 

2000

4.621,68

 

2001

5.262,19

2.312,87

2002

5.084,59

2.690,84

2. Le poids prépondérant des communes

L'analyse par type de collectivité met en évidence le poids prépondérant de la trésorerie des communes : au 31 décembre 1993, leurs dépôts représentaient plus de 85 % de l'ensemble de la trésorerie disponible. Depuis, leur part s'est progressivement amoindrie, passant à 70 % au 31 décembre 2002. Parallèlement, le poids de la trésorerie des départements et des régions s'accroît : les départements représentent 22,3 % des dépôts au 31/12/2002, contre 9 % seulement en 1993. La progression de la part régionale est moins rapide mais régulière : elle dépasse 6 % depuis 1998.

Ventilation de l'encours au 31 décembre par échelon de collectivité territoriale

(en %)

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

Départements

9,4

11,1

12,7

12,8

16,9

16,0

17,8

22,2

23,5

22,3

Régions

4,4

5,4

3,2

4,6

3,6

6,1

5,7

6,8

7,0

6,9

Communes

86,2

83,5

84,1

82,6

79,5

77,9

76,5

71,2

69,6

70,8

Ensemble

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

Les dépôts des communes dans le solde du compte au Trésor au 31 décembre ne sont pas proportionnels à leurs dépenses réelles. En effet, si les communes n'effectuent en 2001 que la moitié (53 %) des dépenses réelles totales des collectivités locales et groupements à fiscalité propre (GFP), leurs dépôts représentent 60 % du solde au 31 décembre 2001 du compte au Trésor. En revanche, les départements et régions représentent une part plus importante dans les dépenses totales que dans l'encours total au 31 décembre. Ces conclusions s'observent également lorsqu'on rapproche les dépenses budgétaires journalières de l'encours journalier moyen de trésorerie.

Répartition des dépenses totales des collectivités locales en 2001

Répartition du solde des collectivités locales et GFP au 31 décembre 2001

C. QUELS GAINS POUR L'ÉTAT ?

Les tableaux ci-dessous montrent les gains pour l'Etat résultant de la mise à disposition gratuite par les collectivités locales de leur trésorerie. Ces gains ont évidemment baissé depuis l'année 2002 en raison de la nette diminution des taux d'intérêt : ils s'élevaient en 2000 à 511 millions d'euros, en 2001 à 488 millions d'euros. En 2002, le bénéfice pour l'Etat liée à l'obligation de dépôt s'est établi à 402 millions d'euros.

Estimation du gain pour le Trésor des dépôts des collectivités locales en 2000 14 ( * )

2000
(en millions d'euros)

ENCOURS
journalier moyen

TAUX
annuel (en %)

RENDEMENT
financier estimé au taux BTF

Janvier

11.919

3,4

34

Février

10.718

3,56

32

Mars

11.005

3,72

34

Avril

10.917

3,81

35

Mai

11.847

4,29

42

Juin

12.484

4,39

46

Juillet

12.297

4,56

47

Août

12.157

4,76

48

Septembre

12.198

4,84

49

Octobre

12.083

4,92

50

Novembre

11.671

4,92

48

Décembre

11.933

4,75

47

Total

 
 

511

Estimation du gain pour le Trésor des dépôts des collectivités locales en 2001

2001
(en millions d'euros)

ENCOURS
journalier moyen

TAUX
annuel (en %)

RENDEMENT
financier estimé au taux BTF

Janvier

13.043

4,55

49

Février

11.036

4,59

42

Mars

11.109

4,54

42

Avril

11.618

4,52

44

Mai

12.617

4,48

47

Juin

13.007

4,28

46

Juillet

12.176

4,27

43

Août

11.948

4,18

42

Septembre

11.758

3,88

38

Octobre

11.701

3,36

33

Novembre

11.633

3,21

31

Décembre

11.659

3,15

31

Total

 
 

488

Estimation du gain pour le Trésor des dépôts des collectivités locales en 2002

2002
(en millions d'euros

ENCOURS
journalier moyen

TAUX
annuel (en %)

RENDEMENT
financier estimé au taux BTF

Janvier

12.881

3,29

35

Février

10.738

3,32

30

Mars

11.342

3,41

32

Avril

11.523

3,46

33

Mai

12.955

3,51

38

Juin

13.339

3,51

39

Juillet

13.049

3,36

37

Août

12.769

3,26

35

Septembre

12.518

3,15

33

Octobre

12.323

3,03

31

Novembre

12.168

2,94

30

Décembre

12.765

2,78

30

Total

 
 

402

* 11 Rapport d'information n° 289 (2002-2003) de M. Jean Arthuis au nom de la commission des finances - documents en annexe notamment transmis par M. Jean Bassères, directeur général de la comptabilité publique.

* 12 Rapport n° 343 (2000-2001) de M. Alain Lambert au nom de la commission des finances du Sénat.

* 13 A cette date, les mouvements financiers de pure trésorerie sont de plus en plus nombreux. Ils concernent en particulier des opérations liées à des contrats d'emprunts assortis d'une option de tirage sur ligne de trésorerie (CLTR de Dexia-Crédit Local, OCLT de la Société Générale, PCTM de la Banque de Financement et de Trésorerie...). Ces emprunts sont souvent mobilisés au 31 décembre de l'année et font l'objet d'un remboursement anticipé dès les premiers jours de l'exercice suivant, ce qui génère un gonflement des dépôts sur le compte au Trésor à cette date.

* 14 Collectivités disposant d'une fiscalité propre (communes, départements, régions, EPCI). Seules ces collectivités perçoivent des avances sur fiscalité directes.

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