EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 novembre 2003, sous la présidence de M. Jean Arthuis, la commission des finances a entendu une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.

Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Philippe Marini, rapporteur général, après avoir rappelé le cadre dans lequel s'inscrivait le prochain débat sur les prélèvements obligatoires, issu de l'article 52 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), a tout d'abord établi deux constats :

- l'Union européenne était en tête des grands ensembles régionaux de l'OCDE en termes de taux de prélèvements obligatoires (PO), 41 % du PIB pour 36,9 % du PIB en moyenne dans l'OCDE ;

- au sein de l'Union européenne, la France était elle-même parmi les pays connaissant les taux de PO les plus élevés (44,2 % du PIB en 2002).

Il a ensuite montré qu'à la faveur du cycle baissier que connaissait la France depuis 2002, le taux de PO était revenu en-dessous de 44 % du PIB, alors qu'il était de plus de 45 % du PIB entre 1998 et 2000, lorsque la conjoncture économique était favorable. Il a indiqué que cette diminution récente du taux de PO en France était en phase avec l'ensemble de l'OCDE, où 16 des 27 pays la composant avaient connu une baisse de leur charge fiscale en 2002, en partie grâce à des politiques de baisses d'impôts et, en partie, sous l'effet de la décélération économique.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite indiqué que les PO en France finançaient principalement les administrations sociales (48 % du total) et l'Etat (39 %), et minoritairement les administrations locales (12 %) et l'Union européenne (1 %). Il a relevé que la part des prélèvements affectés aux administrations de sécurité sociale n'avait cessé d'augmenter depuis 1986.

Il a ensuite détaillé la structure de la fiscalité française, proche de la moyenne européenne, à l'exception de l'imposition du travail, qui était, en France, de 12,4 % du PIB, contre 7,4 % en moyenne dans le reste de l'Union européenne. S'agissant de l'imposition des revenus des ménages (14,9 % du PIB en France et 15,9 % du PIB en moyenne dans l'Union européenne), il a indiqué que la France se caractérisait, avec un taux d'imposition maximal élevé et un seuil d'imposition au taux maximal assez faible, par une imposition relativement désincitative au travail. S'agissant de l'imposition des revenus des entreprises (2,9 % du PIB en France, comme dans l'Union européenne), il a considéré que la France était marquée par des taux nominaux élevés et un rendement relativement moyen en part de PIB. S'agissant de l'imposition de l'épargne longue, il a indiqué que celle-ci était défiscalisée aux trois quarts. Quant à l'imposition des dividendes, il a montré que la France, avec un taux marginal de prélèvement au taux supérieur de l'impôt sur le revenu de 62,75 %, était largement devant l'Allemagne (43,2 %).

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite souligné l'importance de la fiscalité dérogatoire avec, selon le XXI e rapport du Conseil des impôts, 418 mesures dérogatoires, pour un coût annuel total de 50 milliards d'euros. Il a estimé que la contrepartie d'une préférence pour des taux nominaux élevés était, ainsi, la création de « niches fiscales ».

Il a considéré que quatre défis devaient être relevés : celui de l'attractivité du territoire, celui du coût croissant des dépenses sociales, celui de la neutralité fiscale globale des transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités locales et celui des alternatives au recours aux PO (qu'il s'agisse du recours à l'usager ou du développement de partenariats public-privé).

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite fait quatre séries de propositions.

Il a souhaité qu'une réflexion soit menée sur un possible rapprochement de l'impôt sur le revenu (IR) et de la contribution sociale généralisée (CSG) et notamment sur la mise en place d'un avis d'imposition unique qui conférerait une vision consolidée de l'imposition personnelle ; par ailleurs, il a souhaité que la CSG demeure affectée à la sécurité sociale, au motif que les dépenses sociales constituaient le facteur le plus « dynamique » d'évolution de la dépense publique.

Afin d'encourager la compétitivité et l'emploi, il a estimé que le « cocktail gagnant » demeurait une baisse simultanée de l'IR et des charges sociales patronales. Il a ajouté qu'il convenait d'alléger la charge fiscale pesant sur les assiettes délocalisables, avec notamment la création d'un statut fiscal pour les impatriés, la rénovation de la fiscalité du patrimoine et la réforme de l'impôt sur la fortune (ISF). Il a également suggéré la piste d'une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sociale afin de dynamiser l'emploi.

S'agissant de la fiscalité de l'énergie, il a témoigné de son intérêt pour les biocarburants dont le régime fiscal lui était apparu archaïque. La récente publication d'une directive européenne sur le sujet, qui fixait d'ambitieux objectifs en termes de production de biocarburants, lui est apparue comme l'occasion d'une adaptation du cadre fiscal français. Il a, en conséquence, souhaité que le ministre de l'agriculture soit saisi de cette question lorsqu'il viendrait au Sénat présenter le budget pour 2004 de son département ministériel.

Enfin, il a souhaité qu'une « loi d'orientation fiscale » confère une meilleure visibilité à la politique fiscale menée par le gouvernement et que le Parlement puisse faire appel en tant que de besoin à l'expertise du Conseil des impôts.

Rappelant que M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie s'était récemment interrogé sur l'utilité du débat sur les prélèvements obligatoires, M. Jean Arthuis, président, a estimé que la présentation qui venait d'être faite par le rapporteur général était bien la preuve de l'intérêt de ces questions. Il l'a félicité pour la clarté et la pédagogie dont il avait, à nouveau, fait preuve dans la présentation de ces matières, éminemment complexes. Il a ensuite posé la question de la compatibilité des prélèvements obligatoires français avec la mondialisation, dans un contexte marqué par une accélération des délocalisations. Il a estimé qu'un impôt à la consommation à vocation sociale constituait, selon lui, une intéressante piste de réflexion.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Jean-Philippe Lachenaud s'est déclaré favorable à l'idée d'un rapprochement entre l'IR et la CSG, mais a rappelé que l'actuel ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire avait soulevé un certain nombre d'objections. Il s'est, par ailleurs, interrogé sur la faisabilité d'une loi d'orientation fiscale telle que la proposait le rapporteur général, rappelant que l'histoire fiscale française avait toujours été extrêmement chaoteuse, que les cycles économiques ne permettaient que rarement le respect d'engagements de moyen terme, que l'instrument fiscal était l'un des seuls instruments encore aux mains des gouvernements nationaux et que la définition d'une politique fiscale équilibrée était un exercice particulièrement difficile.

M. René Trégouët a obtenu une confirmation du fait que le projet de « TVA sociale », qu'il jugeait intéressant, était euro-compatible. Il a également marqué son intérêt pour la proposition de rénovation du régime fiscal des biocarburants et a indiqué que des recherches sur l'énergie issue de l'hydrogène étaient actuellement en cours, pour la produire soit à partir du pétrole, soit à partir de la biomasse.

Rappelant que la complexité fiscale ne profitait qu'à ceux qui avaient « les moyens de se faire conseiller », M. Philippe Adnot a plaidé pour une imposition sur le revenu à taux unique avec prélèvement à la source. Il a également rappelé que la commission avait voté en 2002 la modulation de l'allègement fiscal en faveur des biocarburants et s'est donc félicité de l'intervention de M. Jean Arthuis, président, lui indiquant que les biocarburants constituaient depuis le début de l'année 2003 l'un des sujets de réflexion prioritaires de la commission, ainsi que son bureau en avait décidé.

En revanche, M. Aymeri de Montesquiou a émis quelques doutes sur l'avenir des biocarburants compte tenu de leur coût de production prohibitif. Il a par ailleurs souhaité des précisions sur l'attractivité du territoire français au regard du flux des investissements nationaux.

M. Yves Fréville a estimé qu'il fallait, au regard de l'évolution des PO, étudier également l'évolution des dépenses publiques car le déficit était une source de PO futurs. S'agissant de l'instauration d'une « TVA sociale » qui engendrerait une certaine inflation, il s'est interrogé sur sa compatibilité avec le fonctionnement de la monnaie unique. Enfin, il a estimé que les avantages fiscaux accordés à l'épargne longue permettaient de financer la dette publique, notamment via la souscription d'obligations au travers de contrats d'assurance-vie.

M. Paul Girod a dit craindre qu'un document global retraçant l'imposition personnelle du contribuable n'ait un effet « dévastateur » et constitue alors un « encouragement efficace » à l'expatriation. Il s'est dit favorable à l'instauration d'une TVA sociale à condition qu'elle remplace la CSG. Il a déploré que la France, auparavant chef de file en matière de biocarburants, soit aujourd'hui dépassée par l'Allemagne.

M. François Marc s'est dit favorable aux biocarburants dans une optique de développement durable. Il a indiqué qu'une récente étude du cabinet Ernst & Young montrait que la France demeurait attractive et que la fiscalité ne constituait pas un élément dissuasif pour les investisseurs étrangers. Il a estimé que la récente diminution du taux de PO en France devait beaucoup à la politique de l'emploi du précédent gouvernement. Il s'est montré dubitatif quant aux chiffres avancés par le rapporteur général relatifs à l'imposition des dividendes. Enfin, il s'est déclaré hostile à un impôt sur le revenu à taux unique, rappelant que la fiscalité contribue à renforcer la solidarité entre les citoyens.

M. Michel Sergent, tout en relevant la clarté de la présentation faite par le rapporteur général, a également affirmé son attachement à la progressivité de l'impôt, rappelant que la France se caractérisait, déjà, par le faible poids de ses PO progressifs. S'agissant de la question de l'attractivité des territoires, il a estimé que la Grande-Bretagne était « moins bien lotie » que la France en termes de services publics.

M. Claude Belot a estimé que les comparaisons internationales devaient s'attacher aux taux de PO, mais aussi aux contreparties de ces impôts. S'agissant des biocarburants, il a estimé, compte tenu du coût de production de cette énergie, qu'un véritable choix politique devait être fait. Il a par ailleurs, regretté que la France se caractérise par une fiscalité défavorable aux réseaux de chaleur. Enfin, il a estimé que la défiscalisation de l'épargne longue constituait un gaspillage compte tenu du taux d'épargne très élevé des ménages en France.

Après avoir souligné la qualité de la présentation faite par le rapporteur général , M. Jacques Oudin a déploré « l'instabilité fiscale » dont la France était « championne ». Il a, toutefois, considéré que la diminution de l'attractivité de la France s'expliquait, avant tout, par les 35 heures et la rigidité du droit du travail. Il s'est dit inquiet de la dérive des dépenses sociales et a souhaité que le recours à l'usager se fasse dans la transparence.

M. Roland du Luart s'est dit sceptique quant à l'opportunité d'une loi d'orientation fiscale. Il a appelé de ses voeux une réforme de la fiscalité du patrimoine et de l'épargne, en déplorant que « les Français qui réussissent quittent le pays ». Enfin, il a indiqué que les biocarburants ne pourraient se développer qu'au prix de fortes subventions.

M. Marc Massion a évoqué la situation de la Suède, où le taux de PO était supérieur à 50 %, mais ne suscitait pas autant de débats qu'en France. S'appuyant sur l'exemple des cantines scolaires, il s'est montré opposé au transfert systématique du financement des services publics du contribuable vers l'usager.

A cet égard, M. Jean Arthuis, président , a estimé que la question du partage du coût entre l'usager et le contribuable était cruciale.

En réponse aux différents intervenants, M. Philippe Marini, rapporteur général, a indiqué, s'agissant du rapprochement entre l'IR et la CSG, que l'année 2004 devait être mise à profit par la commission pour avancer sur cette question, estimant qu'il était indispensable que tous les Français se sentent contribuables.

Au sujet de la loi d'orientation fiscale, il a indiqué qu'elle était déjà en germe dans le débat sur les PO prévu par l'article 52 précité de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), et en particulier son deuxième alinéa. Il a reconnu qu'il s'agissait d'un exercice difficile, mais auquel le gouvernement et le Parlement devaient s'astreindre, sauf à placer la politique fiscale entre les mains des « techniciens » de cette matière.

S'agissant des biocarburants, il s'est félicité de l'intérêt des commissaires sur ce sujet. Il s'est dit confiant dans les différentes options techniques et économiques envisageables et a souhaité que la France retrouve sa place de chef de file.

Sur le niveau optimal des PO, il a reconnu qu'il fallait considérer les dépenses publiques qui en étaient la contrepartie. Il a évoqué la Suède, où le pacte national repose sur un taux de PO élevé et un contrôle fiscal beaucoup plus fouillé qu'en France. Il a par ailleurs souhaité qu'une analyse de l'évolution structurelle, et non pas conjoncturelle, du taux de PO puisse être faite, rappelant les théorèmes de « DSK » (les impôts baissent mais les PO augmentent, en période de forte croissance) et de « Lambert » (les impôts baissent et les PO baissent encore plus, en période de faible croissance). Il a considéré que la France demeurait en « cohabitation fiscale », compte tenu de l'accumulation des réformes.

Enfin, il a estimé que le courage politique de cerner les problèmes et d'y porter remède pouvait parfois être récompensé par l'opinion publique.

Puis la commission des finances a donné acte au rapporteur général de sa communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information .

DÉBAT SUR LES PRÉLÈVEMENTS

OBLIGATOIRES

ET LEUR ÉVOLUTION : PRÉPARER

LA FRANCE DE DEMAIN

Ce rapport d'information a été établi en vue du débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, prévu par l'article 52 de notre « Constitution financière », la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

Ce débat est essentiel.

Il constitue un « facteur commun » à la discussion annuelle du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale en procurant une vision consolidée des prélèvements supportés par les Français, qu'ils alimentent le budget de l'Etat ou la sécurité sociale.

Ce débat doit également être conçu comme un « débat d'orientation fiscale », permettant de s'interroger sur la structure des prélèvements obligatoires et d'envisager les inflexions qu'il faudrait lui apporter.

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