b) Une Europe suspendue aux décisions américaines de politique économique

L'un des enseignements majeurs de la période en cours est qu'alors que les Etats-Unis sont en mesure de mettre en oeuvre une riposte économique à l'affaiblissement de la croissance, tel n'est pas le cas en Europe.

Tout se passe comme si l'Europe était suspendue à l'efficacité des politiques économiques décidées aux Etats-Unis.

Votre rapporteur attribue cette situation à deux causes principales.

Sur le front de la politique budgétaire, les marges de manoeuvre des gouvernements européens sont faibles
(voir supra ).

Le niveau d'endettement public atteint dans les grands Etats européens impose le retour à une certaine rigueur budgétaire. Le Gouvernement français prévoit, par exemple, dans sa programmation pluriannuelle de finances publiques pour la période 2005-2007, d'améliorer chaque année le solde structurel des administrations publiques de 0,5 ou 0,6 point de PIB. La réduction des marges de manoeuvre des Gouvernements européens est accentuée par les modalités de fonctionnement du Pacte de Stabilité et de croissance, qui s'attache, chaque année, au respect de soldes nominaux de déficits publics par les Etats. Le fonctionnement du Pacte pourrait être amélioré en prêtant davantage d'attention à la situation conjoncturelle de la zone euro, ce qui autoriserait la mise en oeuvre de politiques budgétaires plus réactives.

Votre Délégation a d'ailleurs élaboré des propositions précises de réforme de Pacte de Stabilisé, organisées autour du respect de trois soldes budgétaires 4( * ) .

Sur le front de la politique monétaire , si votre rapporteur est de ceux qui estiment que les « politiques » doivent s'efforcer à une certaine retenue dans leurs commentaires sur les orientations de la Banque centrale européenne (BCE) 5( * ) , force est de constater que celle-ci est, dans la période en cours, intervenue moins massivement que la Fed américaine et avec retard.

A ce stade, votre rapporteur n'en tire pas d'autre conclusion que celle d'un constat d'une fonction de réaction de la BCE moins capable, à tort ou à raison, d'assouplir, de son propre mouvement, les conditions monétaires que son « homologue » américaine .

B. UNE CROISSANCE ACQUISE AU PRIX D'IMPORTANTS DÉSÉQUILIBRES
L'écart de croissance entre les Etats-Unis et les autres pays développés est source de déséquilibres, à tel point que la question de la pérennité de la reprise annoncée se trouve posée.
1. Le déficit des comptes courants américains s'aggrave
Les périodes de récession offrent généralement l'occasion, après une période d'excès, de rétablir les grands équilibres macroéconomiques. Pourtant, le déficit de la balance des comptes courants américains ne s'est que fort peu réduit lors de la phase basse du cycle que les Etats-Unis viennent de traverser ( cf. graphique supra ). La faiblesse de la demande chez les grands partenaires des Etats-Unis n'a pas favorisé la résorption de leur déficit courant. De plus, la consommation des ménages américains est restée relativement soutenue ; or, une part croissante des biens de consommation achetés aux Etats-Unis sont des biens importés. Enfin, le creusement du déficit budgétaire a rendu nécessaire la poursuite d'un important afflux de capitaux vers les Etats-Unis : les flux de capitaux étrangers ont moins servi à financer l'investissement privé, mais se sont reporté sur le financement des déficits publics (réapparition des « déficits jumeaux »).

Le retour de la croissance en 2003 s'est accompagné d'un nouveau creusement du déficit, ce qui conduit à s'interroger sur l'évolution à venir de la valeur du dollar. Dans son dernier panorama de l'économie mondiale, le CEPII 6( * ) souligne que le déficit courant américain avoisine aujourd'hui le niveau (5 % du PIB) que diverses observations historiques permettent de considérer comme « un seuil au-delà duquel s'opère une correction ».

A partir de ce constat, deux scénarios sont envisageables : celui d'un brusque décrochage du dollar , ou celui, plus bénin, d'une poursuite des tendances passées .

Théoriquement, un pays confronté à un important déséquilibre de sa balance courante voit la valeur de sa devise se déprécier. Cette dépréciation améliore la compétitivité-prix de ses entreprises à l'exportation, ce qui permet, après un certain délai d'ajustement, un retour à l'équilibre. Depuis plusieurs années, nombre d'économistes redoutent une forte et brutale dépréciation du dollar, qui serait préjudiciable à la croissance européenne. D'après les simulations de la direction de la Prévision et de l'Analyse Economique, une dépréciation de 10 % du dollar tendrait à exercer un effet négatif, à hauteur de 0,5 point de PIB, sur l'activité de la France et de la zone euro, à horizon de deux ans. L'accrochage au dollar d'un grand nombre de devises des pays émergents pourrait aggraver le phénomène.

Toutefois, la reprise de l'économie américaine , appuyée sur de remarquables gains de productivité, offre aux épargnants qui investissent dans ce pays la perspective d'un rendement du capital élevé. Une poursuite de la remontée des taux d'intérêt américains pourrait, en outre, intervenir en 2004. On ne peut donc exclure que l'afflux de capitaux privés vers les Etats-Unis se poursuive l'année prochaine, ce qui permettrait d'équilibrer la balance des paiements américaine sans baisse de la valeur du dollar. De plus, le statut de monnaie d'échange et de réserve internationale du dollar en fait un actif particulièrement apprécié par les créanciers internationaux. On ne peut donc exclure que ceux-ci s'accommodent encore un temps de la situation actuelle.
2. Persistance d'importants déséquilibres d'épargne
Le déficit courant américain est comblé par d'importants flux de capitaux en provenance d'Europe et du Japon. Ces flux financiers sont rendus possibles, et nécessaires, par l'écart entre les comportements d'épargne des ménages, de part et d'autre de l'Atlantique.

La vigueur de la croissance outre-Atlantique s'appuie sur une robuste consommation des ménages, favorisée par la faiblesse de leur taux d'épargne. Au contraire, les ménages européens, et particulièrement les ménages français, épargnent beaucoup.

Un rééquilibrage apparaît nécessaire et souhaitable.

Dans ses Perspectives économiques 2003-200, l'Institut Rexecode indique, que « le taux d'épargne des ménages [américains] ne s'est que peu redressé [en 2003] et reste bas, tandis que leur endettement continue à croître de façon vertigineuse ». En effet, la dette totale des ménages américains envers l'ensemble des agents financiers représentait 109,8 % de leur revenu disponible brut annuel au 30 juin 2003, contre seulement 102,6 % un an plus tôt.

Source : Rexecode



Source : Rexecode

La prolongation des tendances passées n'apparaît pas tenable, même si deux facteurs favorables ont, jusqu'ici, permis aux ménages américains de faire face à leurs obligations. En premier lieu, les ménages américains ont bénéficié de la hausse des prix de l'immobilier, et de la remontée des cours boursiers, qui leur ont permis d'améliorer leur situation patrimoniale nette. En second lieu, le bas niveau des taux d'intérêt réels a limité la charge de la dette supportée par les ménages. Dans ces conditions, les ménages américains apparaissent très vulnérables à une remontée des taux d'intérêt, à un krach des prix de l'immobilier, ou à une rechute des cours de Bourse.

De leur côté, les ménages européens, et particulièrement les ménages français maintiennent des taux d'épargne élevés, et plutôt orientés à la hausse.

Taux d'épargne des ménages

en pourcentage du revenu disponible des ménages

 

1999

2000

2001

2002

2003*

2004*

France

10,4

10,8

11,5

12,2

12,0

12,1

Allemagne

9,8

9,8

10,1

10,4

10,5

10,8

Italie

15,4

14,5

15,4

16,0

16,1

15,9

Etats-Unis

2,6

2,8

2,3

3,7

4,6

4,8

Royaume-Uni

5,3

4,3

5,5

5,2

5,5

5,8

* Prévisions

Source : OCDE

Les statistiques présentées dans ce tableau correspondent au taux d'épargne net des ménages, c'est-à-dire que de leur épargne brute est retranchée leur consommation de capital fixe (usure du capital détenu par les ménages et les entrepreneurs individuels). C'est pourquoi le taux d'épargne affiché pour la France est plus faible que celui couramment cité, issu des comptes nationaux de l'INSEE. A titre indicatif, le tableau suivant présente l'évolution du taux d'épargne des ménages français depuis 1999, suivant la définition retenue par l'Institut national de statistiques (Epargne brute/ Revenu disponible brut).

Taux d'épargne des ménages français

en pourcentage du revenu disponible brut des ménages

1999

2000

2001

2002

2003*

2004*

15,3

15,7

16,2

16,7

16,3

16,4

* Prévisions D.P.

Source : INSEE, base 1995 des Comptes nationaux

Le taux d'épargne élevé des ménages français a pesé sur les évolutions conjoncturelles de ces dernières années. Les économistes peinent à trouver des explications pleinement satisfaisantes au comportement d'épargne des ménages français. Leur niveau d'épargne est supérieur à ce que l'emploi des modèles macroéconométriques usuels laisserait prévoir, ce qui rend difficile tout exercice de prévision en la matière. Il est vraisemblable que la persistance d'un chômage de masse, depuis une quinzaine d'année, ait entraîné l'apparition de comportements nouveaux d'épargne de précaution, phénomène aggravé, jusqu'à une période toute récente, par les incertitudes entourant le financement futur des pensions de retraite. L'augmentation du besoin de financement des administrations publiques pourrait également être un facteur incitant au maintien d'une épargne élevée. Les conditions de l'accès au crédit bancaire pourraient jouer, ainsi que la structure de la fiscalité. On peut, sur ce point, souligner que les ménages américains déduisent de leur revenu imposable les charges d'intérêt qu'ils supportent.

Ces questions sont importantes. Des réponses doivent leur être apportées afin de trouver une solution à un problème de croissance qui semble structurel.

En tout état de cause, la forte propension des ménages français à épargner doit nous inciter à considérer avec prudence les scénarios économiques, qui font reposer le retour de la croissance sur une hypothèse de baisse forte du taux d'épargne. Une telle hypothèse est, par exemple, retenue, dans l'un des scénarios élaborés par l'OFCE pour la Délégation.

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