ÉCHANGE AVEC LA SALLE

Etienne DULIN (délégué SEMA) s'adresse à monsieur DUTREIL qui a parlé des régions et qui a attaché une grande importance à la future liste des métiers. Chaque région a ses artisans spécialistes et monsieur LOOS a tout à l'heure insisté sur les programmes régionaux. Le danger, c'est que n'appartenant pas à une région, quand ce n'est pas dans la spécialité même, toutes les aides disparaissent. Au niveau de cette régionalisation, il faut faire attention à la protection du savoir.

Il propose par exemple, lorsqu'une région se spécialise ou emmène des industriels d'une corporation, que tous les artisans de ladite corporation, par le biais du fichier, soient tous invités.

Renaud DUTREIL reconnaît que c'est l'un des écueils de la décentralisation. Tout le gouvernement est partisan de décentraliser, c'est-à-dire de rapprocher la décision du citoyen, mais il n'en reste pas moins qu'il y a aussi un espace pour des politiques nationales. Lorsqu'il s'apprête à décentraliser le FISAC, dont une part importante va être confiée aux conseils régionaux le 1 er janvier 2005, Renaud DUTREIL veille toutefois à conserver une partie de cette enveloppe pour des politiques nationales parmi lesquelles figure le soutien aux métiers d'art.

Si l'on veut soutenir les Journées des métiers d'art qui auront lieu en octobre 2004, et Renaud DUTREIL souhaite que ces journées puissent être consacrées en grande partie aux jeunes, et notamment à toutes les formations qui existent en matière de métiers d'art, il faut que l'Etat lui-même puisse garder des outils d'intervention. Il faut également veiller à ce qu'il y ait une bonne coopération entre les régions et que, lorsqu'une région développe un programme, les autres régions puissent participer à ces opérations, notamment lorsqu'elles sont tournées vers l'extérieur. François LOOS a dû expliquer à quel point aujourd'hui le gouvernement tient à ce qu'il y ait davantage de clarté dans les interventions en matière de soutien au commerce extérieur. Si tout le monde fait la même chose, c'est une déperdition d'énergie et il faut essayer de développer la coopération interrégionale sur ce point-là.

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Hélène FARNAULT (mission des métiers d'art, ministère de la Culture) trouve magnifique l'enthousiasme de monsieur DUTREIL et le partage sur de nombreux plans. Cependant, elle est étonnée de constater que certains bruits qui ont commencé à courir ont été confirmés aujourd'hui par monsieur le ministre et elle se fait l'écho des maîtres d'art et de quelques membres du Conseil. Monsieur DUTREIL a parlé de coopération avec le ministère de l'Education nationale et avec d'autres, mais il n'a pas parlé de coopération, de collaboration et de concertation avec le ministère de la Culture. Par ailleurs, la mission des métiers d'art du ministère de la Culture n'a pas été associée à la réflexion concernant le titre de maître artisan d'art.

Il est regrettable que la présidente de l'association ne soit pas présente aujourd'hui, aussi Hélène FARNAULT se fait son porte-parole pour dire d'une part que c'est un peu préjudiciable, d'autre part, qu'il existe déjà un certain nombre de titres (maître artisan, maître d'art), qu'il existe par ailleurs un conseil des métiers d'art avec 30 membres professionnels dont M. Pierre CHEVALIER et M. Gérard DESQUAND.

Hélène FARNAULT est étonnée que le conseil n'ait pas été concerté ni associé à cette réflexion et que son avis n'ait pas été sollicité. Si cela avait été le cas, le conseil aurait immédiatement indiqué que les appellations « maître d'art » et « maître artisan d'art » créent la confusion, que le titre de maître d'art n'est pas encore particulièrement bien assis, que le ministère de la culture y travaille depuis 1994, qu'il y a probablement dans l'assistance quelques maîtres d'art. Aussi elle aimerait avoir davantage d'informations sur le sujet.

Renaud DUTREIL explique que la préparation de ce projet a fait l'objet d'une collaboration entre différents ministères, et le ministère de la Culture a été bien évidemment informé. Mais il n'y a pas de concurrence entre ce titre de maître d'art et le titre de maître artisan d'art. Il y a 800 000 artisans en France, tous peuvent prétendre au titre de maître artisan. Il s'agit simplement de décliner à l'intérieur de ce titre de maître artisan qui existe, une mention « maître artisan d'art ». Il s'agit bien de rester dans une politique de soutien à l'artisanat. Les artisans aujourd'hui se segmentent de plus en plus, et c'est la preuve d'ailleurs de leur capacité à répondre à l'évolution de l'économie. Ils se segmentent et, en se segmentant, ils cherchent à être plus visibles dans leurs particularités.

Parmi les 800 000 artisans, certains sont des artisans d'art. Il s'agit simplement de mettre le droit en accord avec la réalité ; il est important pour le consommateur que les artisans d'art puissent être reconnus. Il faut que le consommateur soit informé et qu'il puisse être sûr que ce qu'il trouve dans la boutique, dans l'atelier ou dans un centre d'exposition réponde à des critères de métier. Il est très important que cette élite des maîtres d'art qui est peu nombreuse, ne préjudicie pas au fait qu'un plus grand nombre d'artisans en France mérite d'être distingué vis-à-vis du consommateur.

Outre le soutien à ces artisans, ce qui intéresse Renaud DUTREIL en créant ce titre de maître artisan d'art, c'est aussi la bonne information du consommateur. On voit bien que le tourisme s'appuie de plus en plus sur les métiers d'art. Il est très important que le touriste flamand qui découvre la route des métiers d'art et qui trouve des objets à vendre dans tel et tel espace de commercialisation, puisse être sûr que ces produits-là ont été fabriqués par des artisans français, sur place, avec tous les savoirs qui sont liés à cet artisanat.

Dans l'esprit d' Hélène FARNAULT, il n'y a pas de concurrence au niveau du titre, mais elle pense que cela crée une confusion au niveau d'un plus large public et qu'il aurait peut-être fallu réfléchir à autre chose. Mais le problème n'est pas tellement là, ce n'est pas grave. Par ailleurs, il est vrai que le titre de maître d'art est très élitiste et très confidentiel, et depuis 1996, le ministère de la Culture a veillé à développer des dispositifs régionaux dans lesquels interviennent des artisans d'art qui ne sont pas maîtres d'art, mais qui sont très reconnus pour leur excellence et la qualité de leur savoir-faire, et on ne peut pas les nommer parce que le titre est relativement réservé.

Renaud DUTREIL pense que les arguments d'Hélène FARNAULT confortent la proposition.

De la salle (délégué SEMA - Gard) - L'âge arrivé de la retraite, cet artisan d'art relieur doreur s'est mis au service des enfants. En effet, il fait de l'itinérance dans les collèges et dans les classes de 4 e et de 3 e aux fins de faire découvrir son métier. De façon à rendre la chose attractive, il fait des démonstrations de dorures du XVII E à la feuille d'or en direct et l'aspect spectaculaire incite les enfants à beaucoup de curiosité. Il pense qu'il faudrait essayer de trouver une solution pour que des artisans, témoins de leur temps et de leur passé, mais aussi de leur métier, puissent de façon utile et bénévole, faire cette démarche auprès des enfants. Dans le département du Gard, la démarche a tellement de succès que par ellipses successives, il donne maintenant des conférences à Pékin, à Moscou, à Tunis... un petit peu partout, et il se réjouit de s'associer au travail de la SEMA dans la mesure de son maigre temps disponible.

Monsieur le ministre a fait allusion au fait que l'Education nationale n'était plus une vieille dame frileuse, cet artisan d'art peut le confirmer, au moins pour le département du Gard où l'ensemble du corps enseignant, y compris parfois pour les classes de CM2, reçoit parfaitement ce message. Les artisans retraités pourraient trouver là une superbe vocation complémentaire.

Renaud DUTREIL estime les applaudissements parfaitement mérités pour ce type d'initiative, et il croit absolument qu'il faut les développer et les soutenir. Une association, « L'outil en main », accomplit également un travail très intéressant pour que les jeunes puissent découvrir les métiers à travers des artisans. Monsieur le ministre souhaite conforter cette évolution et il est convaincu que la double activité fait partie des vraies révolutions sociales. Dans un projet de loi qu'il est en train de préparer sur les nouvelles formes d'activités professionnelles, il espère développer deux statuts ou deux supports nouveaux pour les retraités :

que l'artisan retraité puisse avoir une activité de tuteur d'un jeune dans une entreprise. Il faut que cette activité soit indemnisée, mais il ne faut pas non plus que cette indemnisation pénalise les droits à la retraite de l'artisan ;

que l'artisan retraité puisse accompagner un repreneur. Aujourd'hui, les artisans partent à la retraite et mettent la clef sous la porte du jour au lendemain. On pourrait imaginer que pendant trois ans, un artisan accompagne son repreneur. La valeur de l'entreprise qu'il transmet, c'est sa connaissance des clients, sa connaissance de l'outil de travail et du métier, c'est sa connaissance du marché.

Cette transition en douceur, il faut vraiment la développer dans tous les aspects nouveaux de la société. Il faut arrêter d'avoir des ruptures brutales entre telle et telle phase de sa propre vie, mais avoir des évolutions en sifflets qui permettent d'avoir à la fois sa retraite à taux plein et une activité qui sera peut-être partielle, mais qui apportera quelque chose à la société sur le mode de la transmission du savoir-faire. Il faut stopper cette déperdition considérable de savoirs qui est liée à l'inactivité. La retraite ne doit pas être synonyme d'inactivité, ce doit être une autre forme d'activité correspondant à une autre période de la vie. Ce qui vient d'être exposé va dans le bon sens et Renaud DUTREIL est prêt à soutenir toutes ces initiatives.

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Philippe BODARD (luthier, délégué SEMA - Doubs) explique qu'il a participé, il y a quelques années, avec d'autres luthiers, à la préparation du nouveau DMA lutherie qui est préparé à l'école de lutherie de Mirecourt. Il avait été décidé que deux ans de formation, c'était beaucoup trop court, aussi ils ont imposé une année supplémentaire obligatoire de mise à niveau. Il leur a même été demandé une année supplémentaire pour la restauration, dont une quatrième année.

Il y a une différence entre l'ancien DMA et le nouveau. L'ancien DMA était préparé en 5 ans : seconde, première, terminale qui préparaient un BT Lutherie, ensuite deux années supplémentaires en DMA. Philippe BODARD aimerait savoir comment était préparé ce DMA aujourd'hui dans les lycées professionnels.

Renaud DUTREIL juge cette question beaucoup trop savante pour son niveau de compétence. Toutefois, il propose à monsieur BODARD de lui formuler et de lui laisser ses coordonnées afin qu'il puisse lui apporter une réponse précise et technique.

On voit bien qu'il y a une exigence générale d'élévation du niveau de formation, notamment dans les métiers d'art. On ne peut pas « lâcher » quelqu'un s'il n'a pas eu un certain temps de formation, et la modularité des parcours doit être aussi une réponse pour permettre à des jeunes d'aller à vitesse variable vers les diplômes les plus élevés possible. Il y a un grand intérêt à essayer d'emmener un certain nombre de jeunes au-delà du niveau CAP le plus souvent possible.

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Danielle LE GOFF (Fédération nationale des ateliers d'art) revient la double activité du professionnel et du professorat. A son avis, c'est aujourd'hui quelque chose de très important. Toutefois, il y a des professionnels qui sont chargés d'enseignement dans certains établissements, mais qui ne sont jamais assurés de la pérennité de ce poste. A long terme, il peut y avoir des dérives, c'est-à-dire des gens qui peuvent occuper ces postes au prétexte qu'ils ont certains diplômes que n'ont pas ces professionnels, et il y aura une déperdition de savoir-faire, et notamment de savoir-faire du métier. L'enseignement donné par un professionnel est indispensable pour les étudiants et pour les élèves.

On retrouve là encore cette notion de biactivité ou de pluriactivité, et il faut veiller, notamment dans le secteur de l'artisanat et de l'artisanat d'art en particulier, que ceux qui enseignent aient pratiqué, puissent non seulement dispenser un savoir théorique, mais en plus avoir une expérience. Renaud DUTREIL est partisan de la multiplication des statuts pluriels. De plus en plus, il est nécessaire d'avoir une gamme d'outils juridiques qui soit au service des gens et non pas les gens au service de conceptions juridiques toujours très fertiles, et que la loi devienne vraiment un outil au service de chacun. Il est de plus en plus nécessaire que des gens qui, par ailleurs, continuent une activité, forment et transmettent les savoirs, mais ils ne faut pas qu'ils en soient pénalisés, et a contrario , veiller à ce que ceux qui forment soient bien des gens qui aient pratiqué les métiers qu'ils enseignent.

Isabelle EMMERIQUE précise que c'est exactement son cas puisque, à la fois, elle exerce une activité professionnelle et elle enseigne à l'ENSAAMA, mais pour se titulariser, il lui faut demander sa titularisation, elle sera alors reprise en tant que fonctionnaire sans tenir compte de son expérience professionnelle, c'est-à-dire qu'elle redeviendra un enseignant débutant et son salaire sera diminué de 30 %.

Renaud DUTREIL pense que cette notion de validation des acquis professionnels, qui est un concept assez nouveau et très fort, devrait se développer dans le secteur des métiers d'art. S'il y a un secteur où elle a du sens, c'est bien celui-là. L'exemple qui vient d'être cité montre bien que les règles sont souvent très éloignées de la réalité, et dans tous les secteurs, il faut adapter les règles à la réalité et non pas l'inverse.

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Charles-Adrien BUENO (délégué SEMA) propose deux thèmes de réflexion :

Monsieur BAQUÉ a expliqué tout à l'heure la volonté du ministère de développer, outre le côté technique, le côté culturel dans la création. Par ailleurs, il a été dit que de plus en plus les sections « céramique » fermaient dans les écoles de Beaux-Arts. Comment peut-on concilier ces deux choses en même temps ?

Monsieur DUTREIL a dit tout à l'heure qu'il y avait des jeunes sans métier et des métiers sans jeunes, malgré toutes les formations. La preuve est faite qu'on ne choisit pas un métier parce qu'il existe des formations, mais aussi par goût. Star Academy a créé toute une génération de jeunes qui veulent être chanteurs, tout le monde veut chanter aujourd'hui et tout le monde veut être acteur, mais comment faire pour que certains jeunes aient le goût, l'envie d'entrer dans la céramique, dans la laque, dans tous ces métiers ? Qu'est-ce que l'on peut faire et qu'est-ce que l'on fait ? Sans oublier que souvent le public n'est pas informé et s'il y avait quelque chose dans ce domaine, le public lui-même aurait du goût pour l'objet céramique, pour l'objet laqué, etc.

Renaud DUTREIL pense que, encore une fois, il faut faire preuve d'imagination. On pourrait nommer à la direction des programmes de TF1 un artisan d'art, ce serait peut-être une solution, mais il n'est pas certain que l'on atteigne cet objectif : « Métiers d'art Academy ».

En tout cas, on peut quand même considérer que la curiosité des concitoyens augmente, elle va dans le bon sens. Le sens de l'histoire, c'est un intérêt croissant pour ces métiers qui allient tout ce qu'un être humain est capable de faire en matière de créativité et en restant dans un univers matériel de la réalisation, du concret, etc. Aujourd'hui, les Français sont de plus en plus cultivés, on est passé d'un consommateur un peu étriqué avec uniquement la conception de l'usage du bien et du prix du bien, à un consommateur global de plus en plus capable d'intégrer une dimension autre de la consommation : la culture, la symbolique, l'affectivité...

La communication, c'est quelque chose d'assez compliqué, il y a des modes. Il y a deux ans, c'était la « femme flic », dans toutes les séries, les héros étaient des femmes policières. Maintenant, c'est Star Academy, le jeune homme ou la jeune fille chanteuse. Il faut aussi faire preuve d'imagination et trouver de nouveaux supports. Les Journées des Métiers d'art sont un bon succès. En octobre 2004, elles auront un rayonnement tout à fait particulier, il faut pouvoir mobiliser les régions qui ont un intérêt majeur à ce que leur identité s'incarne dans ces métiers - certaines régions sont très en avance sur ce point -, il faut pouvoir créer des héros à la télévision. Aucune société ne peut se mettre en branle, ne peut évoluer si ses valeurs ne s'incarnent pas dans des hommes et des femmes. Il faut donc créer des héros qui soient visibles.

Renaud DUTREIL souhaite que de plus en plus de héros de la société française soient des artisans ; il y a en a déjà un grand nombre qui sont connus, qui ont accédé à la notoriété, mais il faut les valoriser. Dans quelque temps, le ministère va apporter une modeste contribution à la réalisation d'un dictionnaire des métiers d'art avec les 250 métiers d'art qui vont être officialisés et qui sera parrainé par une centaine d'écrivains, de philosophes, de sociologues, de gens qui sont dans l'univers de l'esprit. Il est très important que ces deux univers puissent se féconder mutuellement. Erik ORSENNA (Académicien, conseiller d'Etat, écrivain, romancier) qui va patronner la réalisation de cet ouvrage est passionné par l'artisanat de marine. Ces deux univers qui sont deux univers de la qualité, du travail bien fait, du soin, de la capacité de s'exprimer, ont vocation à travailler de plus en plus étroitement ensemble, et il est nécessaire que les métiers d'art soient portés par des gens qui ne sont pas dans l'univers des métiers d'art, mais qui en sont les administrateurs ou les disciples, qui sont fascinés par tout ce que cela représente en termes de civilisation et d'espoir aussi pour l'économie.

Renaud DUTREIL n'a pas parlé de la céramique, mais c'est le problème des sections à petits effectifs pour lesquelles il est très difficile d'organiser leur survie, mais leur survie passe probablement par un travail interrégional plus important. Il est évident que si chaque région crée des micro-sections, la tentation sera assez rapidement de les fermer faute d'effectif suffisant. Au niveau interrégional, il faut arriver à développer des sections très ciblées, très particulières, mais qui puissent, grâce à une assiette interrégionale, recruter davantage de jeunes.

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Jean-Luc LEROUX (proviseur du lycée professionnel François Clouet à Tours) était ouvrier, il avait une entreprise et il est devenu par goût et par envie « transmetteur de savoir ». Maintenant, il dirige un lycée professionnel avec des secteurs de métiers d'art, notamment au niveau de la mode dont on a peu parlé. Tous ceux qui sont là aujourd'hui aiment leur métier, ils aiment le métier. Monsieur le ministre a beaucoup parlé de l'apprentissage et très peu des lycées professionnels.

Les jeunes viennent dans ces établissements soit par goût (c'est une minorité), soit parce qu'ils n'ont pas d'autre choix (c'est la majorité). Certains arrivent en disant qu'ils viennent au lycée Clouet parce que c'est « un bon lycée ». « Que voulez-vous faire ? -- Je ne sais pas, n'importe quoi du moment qu'il y a une place ». Belle motivation !

Même problème pour l'apprentissage. Comment motiver les jeunes pour les métiers ? C'est vrai que depuis des décennies, les entreprises viennent dans les lycées et les collèges pour monter leur savoir-faire. Ce n'est pas suffisant ! Ils viennent parler ; il faut qu'ils viennent montrer. La différence est là. Si les entreprises, si les ouvriers d'art, les artisans d'art viennent montrer leur métier dans les collèges ou dans les lycées, il sera possible « d'attirer le client ».

Jean-Luc LEROUX demande à monsieur le ministre quel statut propose-t-il pour les élèves de lycées professionnels qui, eux, n'ont que le statut de lycéen et rien d'autre. Sachant qu'en concurrence par rapport à eux, l'apprenti est rémunéré et a les années de formation qui comptent pour la retraite. Maintenant que la retraite est un petit peu éloignée, que pense faire monsieur le ministre pour les élèves de lycées professionnels ?

Renaud DUTREIL va faire une réponse d'une totale hypocrisie puisqu'il va immédiatement renvoyer le problème au conseiller du ministre de l'Education nationale dont c'est la compétence... Toutefois, on peut tout à fait imaginer le développement des CFA en lycées professionnels, c'est une voie intéressante à explorer. C'est un peu comme pour les statuts du travail, il faut ouvrir les systèmes et qu'ils s'entrecroisent. Renaud DUTREIL ne trouverait pas anormal que des jeunes apprentis rejoignent un lycée professionnel ou un lycée d'enseignement général parce qu'ils auront acquis des modules dans leur CFA, tout cela lui convient parfaitement, il est plutôt adversaire des modèles hyper cartésiens qui finalement créent des filières ghetto. Tout ce qui peut permettre à ces filières de dialoguer entre elles à travers des passerelles lui paraît aller dans le bon sens.

Sur la motivation, et ça, Luc FERRY est très déterminé là-dessus, développer l'ouverture aux métiers dans les collèges est vraiment quelque chose d'essentiel. Il y a les classes en alternance qui sont évidemment une très bonne réponse, on pourrait aussi développer les stages découverte. Par exemple, en Alsace Moselle, les stages découverte sont très importants dans les établissements scolaires, c'est une région où cela fonctionne plutôt bien. On pourrait imaginer, de la 6 e à la 3 e , 10 journées dans la vie de l'enfant qui soient des journées passées en découverte des métiers en entreprises, dans des ateliers. Tout cela est aujourd'hui sur le point d'être mûr et il est très important de constater que le monde enseignant soutient maintenant de plus en plus cette démarche d'ouverture et ce rapprochement est aujourd'hui très fécond.

Pierre BAQUÉ ne répondra pas au chef d'établissement qui vient de parler, il lui propose simplement de venir le voir au Cabinet où lui-même et d'autres conseillers le recevront pour étudier la question.

En revanche, il voulait rebondir sur l'intervention de M. Robert LEYDET qui est relieur et qui va dans les établissements parler de son métier et susciter vraisemblablement des vocations. Son intervention tombe à point dans la mesure où dans le projet de rénovation très avancé de la classe de 3 e , qui est la classe de transition entre le collège et le lycée, entre la fin de la scolarité obligatoire et l'époque où les élèves vont faire des choix, six heures sont consacrées à ce que l'on appelle « la découverte professionnelle ». C'est une très grande nouveauté et sans doute qu'à partir de ce moment-là, les interventions bénévoles de cet ordre-là et qu'il faut continuer à encourager, cette transmission des savoirs et de la passion va trouver un cadre institutionnel qui arrive à un bon moment pour répondre à des questions posées depuis longtemps.

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Alain ROUILLARD (maître verrier - Loire-Atlantique) représente les professionnels des métiers d'art de la chambre des métiers de Loire-Atlantique, l'organisation nationale professionnelle des maîtres verriers pour la formation initiale et continue, ainsi que la CAPEB pour la commission nationale des maîtres verriers et le groupe patrimoine national.

Il y a eu beaucoup d'intervenants de qualité et il s'est dit beaucoup de choses, Alain ROUILLARD voudrait parler au nom des artisans et des réalités de terrain. Tout d'abord, le titre de ce colloque, « Construire l'avenir économique des métiers d'art » lui apparaît très opportun, étant lui-même artisan d'art, animant un atelier d'une douzaine de salarié, l'économique est bien le souci quotidien des artisans d'art.

Par ailleurs, on ne peut parler d'économie sans parler de marché. Parmi les marchés qui sollicitent les savoir-faire des métiers d'art, il y a ceux du patrimoine. On en a parlé effectivement, mais peut-être pas suffisamment par rapport au poids que cela représente. On peut dire aussi qu'une grande part de tous les métiers d'art sont issus des savoir-faire hérités du bâti ancien, de son aménagement et de sa décoration. Par ailleurs, les chiffres disent que l'entretien, la conservation restauration du patrimoine, c'est 40 % de l'activité des artisans pour la décennie à venir. Ce n'est pas rien ! La proposition d'Alain ROUILLARD à cette première remarque serait de parler systématiquement de métiers d'art et du patrimoine, ce qui aurait pour intérêt de repositionner ces métiers avec la réalité de l'économie de marché.

Son deuxième propos portera sur la formation. Tout d'abord, une réalité de terrain : Aujourd'hui, de nombreux ateliers cherchent des techniciens qualifiés qu'ils ne trouvent pas. Monsieur le ministre l'a souligné, c'est vrai dans tout l'artisanat, mais particulièrement dans les métiers d'art. En face, nous trouvons tous azimuts, des formations privées, publiques, longues, courtes ; de nombreux examens (CAP, BMA, DMA) sont obtenus tous les ans sans que cette situation n'évolue. Un premier constat, on utilise beaucoup d'argent, on perd beaucoup d'énergie pour une efficacité incertaine.

Les artisans constatent ensuite que la compétence de l'apprenti et son insertion professionnelle ne sont pas toujours au centre du dispositif de beaucoup de formations. Enfin, la concertation avec les institutions représentant les professionnels qui connaissent bien le marché et ses besoins n'existe que trop peu.

Pour prendre un exemple, les chiffres de 2002 pour les vitraillistes disent que 71 CAP ont été attribués ; 17 jeunes seulement étaient présentés par des professionnels, les autres provenaient de diverses formations : quelques formations publiques, mais beaucoup de formations privées, avec des examens passés dans diverses structures accueillant le plus souvent les impétrants en candidats libres. Le CAP ainsi utilisé pour valoriser des formations dont on ne peut pas tellement vérifier la qualité et qui ne font souvent vivre que les formateurs, se trouve totalement banalisé par les jeunes diplômés. Après quelques jours d'essais dans les ateliers, ils rejoignent les rangs des demandeurs d'emploi. Voilà une réalité de terrain !

Alain ROUILLARD rappelle que les métiers d'art sont aussi et avant tout des métiers de rigueur et de technicité, et que les professionnels reconnus restent les mieux armés pour transmettre les savoir-faire. Pour éviter ce gâchis dû à un manque de structuration évident, voici quelques propositions :

-?Il serait souhaitable que les organisations structurées représentant les professionnels des métiers d'art soient systématiquement impliquées dans les formations ;

-?Que l'on favorise la formation en alternance avec l'intervention systématique des artisans d'art dans l'enseignement technologique et celui de la pratique professionnelle ;

-?Que l'on regroupe au niveau national ces métiers à faible effectif là où il existe une structure métiers d'art efficace ;

-?L'âge moyen des artisans en France est élevé, des départs massifs en retraite sont prévisibles, les professionnels des métiers d'art et du patrimoine redoutent que si la transmission de certains savoir-faire ne se fait pas maintenant de façon rigoureuse et professionnelle, ils soient perdus à tout jamais et qu'à très court terme, il ne soit plus possible de répondre aux besoins de notre prestigieux patrimoine, ainsi qu'aux attentes des jeunes en voie d'insertion qui sont pourtant très attirés par les métiers d'art ;

-?Mettre les organisations d'artisans d'art au service de l'Administration pour travailler tous ensemble.

Renaud DUTREIL indique qu'à partir du 1 er janvier, va s'appliquer la partie de la loi initiative économie qui a un volet sur la transmission d'entreprise très important. La fiscalité va fortement baisser au 1 er janvier pour la transmission des outils de travail et des entreprises. Par exemple, aujourd'hui, la transmission d'un outil de travail de moins de 300 000 € est bien souvent lié à une fiscalité insupportable par le repreneur qui n'a pas toujours les moyens pour payer l'impôt. Il n'y aura plus aucun euro de fiscalité à moins de 300 000 € de transmission d'actif. De même, la taxation des plus-values de cession qui est un impôt lourd, 26 % des plus-values réalisées par l'artisan dans la valorisation de son entreprise, va passer à 0 % à partir du 1 er janvier dans 80 % des transactions. 2004 est une année où le régime fiscal de la transmission d'entreprise change du tout au tout et dans des conditions vraiment de nature à permettre la reprise par des jeunes. Par ailleurs, les remarques qui ont été faites sur l'apprentissage font partie du débat.

Renaud DUTREIL remercie l'assistance du très vif intérêt témoigné à ce sujet, le sien n'est pas moins important, et précise que toutes propositions et suggestions sont les bienvenues.

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