2. Politique commune en matière de migration et d'asile

L'examen des rapports sur les questions liées aux politiques de l'immigration poursuit le débat entamé lors de la séance commune avec le Parlement européen (Cf. ci-dessus).

Les rapports sur les politiques communes de l'immigration et sur l'intégration des immigrés dans les États membres du Conseil de l'Europe invitent les États membres à une approche élargie et généreuse de la politique de l'immigration et de l'accueil des étrangers, au-delà des arbitrages complexes auxquels conduisent les négociations communautaires.

Dans leurs interventions, les membres de la délégation française qui se sont exprimés ont insisté sur l'exigence de réalisme qui commandait le succès d'une telle démarche.

M. Jean-Claude Mignon , Député, a appelé l'attention sur les causes qui expliquent la difficulté de définition de normes européennes communes dans le cadre de l'Union, notamment en matière d'asile :

« L'ambition de ce débat, comme en témoignent les rapports, est vaste. Il ne s'agit pas moins que de bâtir une politique commune de la migration et de l'asile pour les Etats membre du Conseil de l'Europe.

Je partage les valeurs de liberté et démocratie qui fondent le Conseil de l'Europe. Ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire lors de la réunion conjointe de jeudi, je crois que le Conseil de l'Europe, son Assemblée parlementaire en particulier, est un lieu de débat nécessaire pour une compréhension réciproque des positions de chaque Etat dans ce domaine. Il faut cependant mener ce débat en ayant présentes à l'esprit les réalités de la construction de toute l'Europe, la grande comme la petite.

Du côté de la petite Europe, ou, pour mieux dire, de l'Union européenne, on voit un contraste certain entre l'état d'avancement formel des propositions de la Commission, fondées sur le principe de la communautarisation des règles relatives au statut des étrangers et à l'asile, et la difficulté qu'éprouvent les États membres à parvenir à des positions communes sur ce point.

Seuls ceux pour qui l'Europe est une idée abstraite peuvent s'en offusquer. L'accueil des immigrés, la stabilisation de leur situation juridique, économique, sociale ne sont pas des concepts; ils exigent des décisions qui affectent la vie quotidienne des populations, imposent aux élus locaux des efforts d'adaptation, d'imagination, de conciliation considérables. Il s'agit de préventions qu'il ne suffit de blâmer pour dissiper. Ce sont des situations concrètes d'immigration clandestine - nos amis italiens le savent bien - qui appellent des décisions parfois bien dures à prendre.

La politique de l'immigration de la grande Europe, autrement dit la définition d'une politique de l'immigration et de l'asile dans le cadre du Conseil de l'Europe, doit être envisagée en tenant compte de ces limites et de ces réactions.

Par exemple, s'il est essentiel de respecter et de mettre en oeuvre le droit d'asile, on ne peut pas faire comme si cette procédure n'était pas détournée de son objet par des milliers de personnes attirées par la prospérité européenne. On ne saurait soumettre aux mêmes impératifs les mouvements de population internes à l'Europe élargie, même s'il est indispensable de prendre des mesures transitoires pour l'application de la libre circulation, et ceux qui impliquent les Etats membres ou non membres du Conseil de l'Europe, mais, en tout cas, extérieurs au processus d'élargissement.

Le nécessaire respect de la personne humaine et des garanties élémentaires d'une procédure équitable, sur lequel la doctrine du Conseil de L'Europe insiste à bon droit, ne dispense pas les Etats et l'Union européenne, chacun dans son domaine de responsabilité, de prendre les mesures propres à assurer leur sécurité et une maîtrise équilibrée des flux migratoires, en particulier, de mettre en place les contrôles convenables à cette fin.

Toutefois la diversité des situations politiques et juridiques des Etats membres fait du Conseil de l'Europe, pourvu que les considérations réalistes que je viens de rappeler soient bien intégrées dans sa démarche, un lieu tout à fait adéquat pour la conduite de réflexions communes. La délégation française apportera volontiers son concours à la poursuite de ces réflexions. »

M. Jean-Pierre Kucheida , Député, a donné plusieurs illustrations concrètes des difficultés d'intégration des immigrés dans la vie locale et dénoncé le risque du communautarisme :

« Bravo à nos deux rapporteurs qui ont réussi à rassembler dans un nombre minimal de pages une réflexion nourrie sur les nombreux problèmes que pose l'élaboration d'une politique commune de la migration et du droit d'asile. Ils l'ont fait, bien entendu, dans la perspective qui est celle du Conseil de l'Europe : la définition de politiques démocratiques dans le respect des droits de l'homme et de sa dignité.

Les quelques réflexions que je vais vous proposer maintenant relèvent de la même inspiration, mais d'une manière légèrement différente. Je crois, en effet, qu'adopter une attitude réaliste dans un domaine qui met en jeu l'avenir de nos sociétés est la meilleure manière d'être fidèle à l'inspiration des droits de l'homme. Les problèmes d'accueil et d'insertion des immigrés dans chacun de nos pays posent des questions très concrètes. Je suis bien placé pour les mesurer car ils forment une bonne partie du quotidien de ma vie de maire. Je suis plus sensible qu'un autre à cette affaire car je représente la troisième génération de l'immigration polonaise d'après 1914-1918.

Mon expérience me permet d'avancer sur ce sujet les deux idées qui me paraissent devoir être prises en compte dans toute réflexion, sur une possible politique commune à l'échelle de la grande comme de la petite Europe.

Je suis bien d'accord pour considérer que les Etats d'accueil ont le devoir de favoriser autant que possible l'intégration des personnes qui viennent s'y installer. Les rapporteurs ont raison d'insister sur la diversité des problèmes que pose cet accueil, s'agissant des conditions d'accès à l'emploi, de l'éducation des enfants ou d'une vie de famille normale. S'il faut en définir le régime juridique, il convient aussi de faire face, - et c'est la source de difficultés quotidiennes pour les collectivités locales, - à des responsabilités accrues: équipements sociaux, écoles, activités culturelles. C'est donc la fierté de nombreux maires de mener cette politique de façon déterminée et humaine, avec le concours des travailleurs sociaux, des associations et des représentants des travailleurs immigrés eux-mêmes.

Cependant, - cette réflexion me séparera peut-être un peu des rapporteurs, - je ne crois pas possible de mener des politiques d'intégration reposant sur ce que M. Hancock appelle «des plans d'action visant à promouvoir l'égalité ethnique et la non-discrimination dans toute la société».

S'il est légitime que des personnes apportant avec elles des traditions culturelles et un certain art de vivre conservent la mémoire de ces traditions et les perpétuent, il ne peut y avoir d'intégration réussie lorsque des communautés étrangères ou des fractions de ces communautés recréent dans le pays d'accueil des sociétés ou des manières de vivre ensemble qui les coupent du reste de la collectivité, accentuent les fractures et suscitent des risques certains d'incompréhension. La protection légitime de l'égalité des droits et du respect de la personne va aux individus, avec tout ce qui constitue leur personnalité, et non aux collectivités. En disant cela, je ne fais qu'appliquer, dans le débat particulier qui nous occupe en cet instant, les principes constitutionnels qui fondent la démocratie française ».

M. François Rochebloine , Député, a souligné que, même volontaire, la décision d'émigrer représentait toujours une rupture douloureuse :

« Le débat qui nous réunit en cet instant est affecté par les passions. Il l'est en France, mais il l'est aussi, je crois, dans chacun des États membres du Conseil de l'Europe. Et s'il est passionnel, c'est parce que, delà du problème de la différence, souvent mis en avant, il réveille dans l'opinion publique la question de l'avenir global de nos sociétés.

Dans ce débat, de surcroît, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe jouent, si je puis dire, chacun sa partition. L'Union, qui a pourtant inscrit le problème dans l'agenda de ses travaux depuis plusieurs années, peine à trouver une solution significative tenant compte des différences d'approche, de système juridique et de situations concrètes. Le Conseil de l'Europe, comme le rappellent les rapporteurs, ne peut aborder la question qu'à la lumière des droits fondamentaux de l'homme et de l'interprétation qui leur en est donnée par la pratique de ses institutions.

Alors que l'approche de l'Union européenne est inévitablement laborieuse, celle du Conseil de l'Europe est nécessairement généreuse. Les deux sont indispensables, mais il serait bon qu'elles ne paraissent pas trop dissociables. C'est une question de crédibilité et d'efficacité.

La réflexion sur les droits des immigrés à laquelle nous invitent les rapporteurs devrait à mon sens partir de deux observations complémentaires.

La première est qu'il n'y a pas de bonnes et de mauvaises immigrations. Souvent, dans le débat politique, on fait une sorte de tri entre communautés étrangères: celles qui seraient susceptibles de bien s'intégrer et qui apporteraient une contribution positive aux pays d'accueil, et les autres. Il peut y avoir des problèmes spécifiques liés aux traditions nationales, mais il y a aussi des personnes dont le comportement individuel pose des problèmes plus aigus que d'autres. Or on ne peut prétendre raisonner a priori dans un tel cas.

La seconde est une évidence souvent oubliée: même en partance pour l'Eldorado que représenterait l'Occident pour de nombreux immigrés, l'exil est toujours une blessure, une mutilation de l'être. On n'émigre pas par plaisir, mais par nécessité: nécessité économique, nécessité politique.

Dans les années 60, en France, nombreux étaient ceux qui pensaient que la main d'oeuvre immigrée que l'on faisait venir pour les besoins de la grande industrie n'était là que pour peu de temps et que son retour pourrait être envisagé dès qu'ils auraient répondu à la demande immédiate qui avait provoqué leur venue. En dépit de toutes les déclarations, l'évidence s'est vite imposée: un tel schéma était une vue de l'esprit. Je ne suis pas sûr, pour autant, que cette vue ait disparu de tous les esprits, même d'esprits peu portés à l'extrémisme.

Parce que l'exil est toujours une blessure, il est bon de réfléchir aux moyens de développement qui permettraient aux personnes, envisageant d'émigrer, de rester dans leur pays et de contribuer à son essor. Il est bon de déterminer, en liaison avec les États d'origine, des méthodes de nature à assurer le retour chez eux des immigrés qui le souhaitent, mais qui se trouvent trop souvent, de fait, au bout de quelques années, étrangers dans leur propre pays où n'existe pour eux aucun débouché. En tout cas il faut agir en considération des personnes.

A cette condition, les politiques de maîtrise des flux migratoires et de contrôle des étrangers que l'Union peine tant à mettre en oeuvre, trouveront leur justification au-delà des considérations de simple police ».

M. Jean-Guy Branger , Sénateur, prend à son tour la parole dans cet important débat pour appeler à une approche responsable, tenant compte non seulement des aspirations des candidats à la migration mais aussi des équilibres à assurer dans les sociétés d'accueil :

« Un mot d'abord sur l'intitulé du débat commun avec nos collègues du Parlement européen : liberté de circulation, migration et contrôles aux frontières... Or, derrière chiffres et règlements, il y a des hommes, des femmes, des enfants.

Un rappel encore : ces flux ont une origine, les migrants proviennent de pays où sévissent la misère, l'oppression et la guerre. Ils ont aussi une destination, les pays développés, bien souvent l'Europe.

Si je rappelle ces points, c'est parce que trop souvent le débat sur les flux migratoires se réduit à une opposition caricaturale entre ceux qui veulent l'abolition de tout contrôle et les tenants d'une approche exclusivement sécuritaire.

D'abord, prendre en compte les hommes avant les chiffres.

L'exil est toujours un arrachement aux liens de famille, aux paysages et à la civilisation où on a grandi, bien souvent à la langue maternelle. C'est un malheur qu'il faut gérer, non pas nier, encore moins encourager, ni même masquer aux candidats à l'émigration.

L'arrivée dans le pays d'émigration est elle aussi pleine de risques.

Si nous devons absolument défendre la protection de la dignité des immigrants même illégaux, nous sommes aussi responsables de la paix civile dans nos propres pays.

Cette responsabilité nous impose une triple réflexion :

- sur l'équilibre interne de nos pays. Il n'est pas possible à long ni à même à moyen terme, de concilier les délocalisations des industries de main-d'oeuvre hors d'Europe que nous impose l'OMC, l'indispensable développement de l'Europe centrale et orientale, avec l'accueil, année après année, de centaines de milliers d'immigrants non européens ;

- une réflexion aussi sur les raisons qui poussent ces centaines de milliers d'hommes et de femmes et leurs enfants à prendre les risques, parfois mortels, du voyage vers l'Europe. Les contrôles ne seront que vexations inutiles si l'action ne se porte pas aussi sur le rétablissement de la paix, la lutte contre la corruption et l'oppression qui privent des populations entières des richesses nationales accaparées par quelques tyrans ou chefs de guerre.

J'ajouterai, à ces causes, le maintien, sous prétextes religieux, de structures archaïques comme le déni des droits des femmes : claustration, polygamie, mariages précoces et forcés, analphabétisme, privation de droits politiques...

Est-ce un hasard si trois cartes coïncident : celle de l'oppression des femmes, celles de la misère et celle des terres d'émigration ?

Le meilleur investissement que peuvent faire les organisations de coopération internationale en faveur du développement humain, c'est l'éducation des filles, au besoin par des aides liées, échappant donc aux emplois somptuaires, aux détournements de la corruption, voire au simple gaspillage.

- Enfin, une réflexion est indispensable aussi pour sortir du débat caricatural, « pour ou contre le contrôle des flux migratoires » : il s'agit de s'interroger sur l'évolution de ces flux.

Deux éléments doivent être pris en compte : l'intervention de passeurs, voire de circuits mafieux, d'une part ; la révélation brutale, le 11 septembre 2001, de la diffusion du risque terroriste, mettant à profit la liberté de circulation dans le monde.

Il ne s'agit pas d'assimiler tout candidat à l'émigration, même illégale, dans un État du Nord, avec un trafiquant de personnes humaines ou un terroriste.

Mais l'angélisme n'est plus permis.

Dois-je rappeler l'horreur de la mort de 56 clandestins chinois dans le camion où un passeur les avait enfermés, non sans leur avoir extorqué des milliers de dollars pour prix du voyage vers l'Angleterre ?

Ou encore l'esclavage où sont réduites les jeunes femmes contraintes de se prostituer par des proxénètes, eux aussi passeurs à l'occasion ?

Ces formes de trafics d'être humains ne doivent pas être tolérées et justifient les contrôles et les sanctions les plus sévères.

Enfin, les contrôles sont nécessaires pour entraver autant que possible la diffusion du terrorisme.

On sait que la souffrance des victimes de certains conflits au Moyen-Orient, dans le Caucase ou en Asie centrale est le terreau des foyers d'infiltration des groupes islamistes terroristes qui sont déjà à l'origine des milliers de morts de Manhattan et de Washington.

Il appartient à tous les États démocratiques de mettre ces criminels hors d'état de nuire, notamment par des contrôles aux frontières, y compris la communication des éléments pertinents.

Seule une politique responsable peut priver les mouvements xénophobes de leurs arguments, préserver l'équilibre socio-économique de nos pays, conforter l'adhésion de nos concitoyens à une Europe espace de sécurité et de prospérité, dans la fidélité aux valeurs universelles des Droits de l'Homme.

Voici, mes chers collègues, les compléments que je souhaitais apporter à l'approche, nécessaire mais insuffisante, du problème des flux migratoires telle qu'on nous la propose. Il est de notre responsabilité d'élus européens de concilier le plein respect de la personne et en particulier des migrants, avec la lutte contre les trafics d'êtres humains et le développement du terrorisme. »

À l'issue de ce débat, l'Assemblée a adopté deux recommandations.

La première (n° 9889), relative à la politique commune en matière d'immigration et d'asile, affirme la nécessité de définir, entre les États membres du Conseil de l'Europe, des normes minimales d'accueil dont elle détaille le contenu par rubriques : contrôle aux frontières, rétention liée à l'immigration ou à l'asile, conditions de conformité des procédures d'admission aux normes de la Convention européenne des droits de l'homme (équité, assistance d'un conseil, assistance d'un interprète, durée de la procédure), expulsion, situation des mineurs, répression des trafics.

La seconde (n° 9888), définit en termes larges les actions propres à assurer une véritable intégration des immigrés.

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