Mme Christiane SINDING

Directrice de Recherche CERMES - Centre CNRS Villejuif

Merci beaucoup. Je me permets aussi de signaler que j'ai fait partie du comité scientifique du Dictionnaire de la pensée médicale qui vient de sortir aux PUF et qui était dirigé par Dominique LECOURT. C'est un ouvrage collectif qui est destiné à aider à penser la médecine.

Moi, je ne suis pas du tout spécialiste. Je suis médecin, certes, donc j'ai quelques idées sur ces questions, mais je ne suis absolument pas une spécialiste au sens d'expert de ces questions.

Je vais juste essayer de proposer une ou deux pistes, comme ça, de réflexions à partir d'un schéma simple de définition de la technique parce que, en fait, c'est de cela qu'il s'agit. On a des inventions techniques, de technologie, et il faut essayer d'évaluer ou de prévoir les conséquences que l'invention de ces techniques va avoir.

Le schéma que je propose, c'est le schéma aristotélicien. Rassurez-vous ! Je ne vais pas partir dans un exposé de philosophie. Aristote définissait la technique comme un moyen en vue d'une fin, donc les problèmes vont se poser au niveau de la fin. La fin, c'est-à-dire la finalité, le but recherché par le développement de certaines techniques.

On a déjà commencé à en discuter, d'ailleurs, en posant la question de savoir qui, qu'est-ce que c'est que cette demande de médicaments, de thérapies. Demande sociale est un terme très vague, il faut essayer de le préciser, peut-être d'informer, on en parlera tout à l'heure, le public beaucoup mieux et d'essayer de voir s'il est vraiment demandeur de ces techniques, ce qui n'est pas totalement évident.

Qui décide ? Est-ce que c'est le public ? Non, probablement pas. Mais il faudrait faire des enquêtes sociales plus précises. C'est un avis que je donne comme ça mais qui n'est peut-être pas tout à fait justifié.

Mais est-ce que ce n'est pas plutôt la communauté scientifique ou les communautés scientifiques qui, on l'a dit, sont un peu dans leur tour d'ivoire ? En même temps, elles sont quand même insérées dans des sociétés et donc, un chercheur est à la fois scientifique, certes, mais aussi fait partie de la société, donc il a les besoins des autres citoyens. On ne peut donc pas dire qu'il est complètement coupé de ces fameux besoins de la société qui, encore une fois, demandent à être précisés.

C'est le problème de la responsabilité scientifique qui est un problème difficile, qui demande à être un peu éclairé, mais je ne vais pas me lancer dans ce débat ici.

Ce que je veux dire c'est qu'il n'y a pas seulement le problème de la fin et du but poursuivi, sans compter que souvent on n'arrive pas exactement avec toutes ces techniques et ces inventions à la fin qu'on voulait au départ. Souvent, on arrive à quelque chose d'un peu différent.

Mais surtout, au cours du développement et de l'utilisation des techniques en général, et plus particulièrement des techniques dans le domaine du médical, apparaissent un certain nombre d'effets secondaires qu'on n'avait pas prévus au départ. Tout le monde sait ça.

Je prends l'exemple des farines animales. Celui ou ceux qui les ont inventées (c'est probablement une communauté de chercheurs ou de scientifiques qui a inventé ça), c'est juste un exemple, il y en a bien d'autres, ne pensaient certainement pas, au départ, qu'ils allaient répandre une maladie qui ferait parler d'elle.

Ou ceux qui ont extrait l'hormone de croissance dans des hypophyses humaines n'ont pas pensé, c'était quand même un outil thérapeutique assez formidable, qu'ils allaient beaucoup plus tard contribuer à disséminer la même maladie, la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Il y a toute une série d'effets secondaires imprévus de pratiquement toutes les techniques, la technique en général. Alors, est-ce qu'il y a des problèmes plus particuliers au niveau des nanotechnologies ? Encore une fois, je ne suis pas compétente mais j'ai quand même lu quelques textes (...) pour généraliser un peu ou synthétiser que ces techniques posaient problème du fait qu'elles sont petites et qu'elles peuvent être disséminées facilement. On pense bien sûr à l'ouvrage de science fiction de Crichton mais bon... on ne va pas sombrer dans ce biocatastrophisme.

Les nanotechnologies en particulier, s'il y a des problèmes spécifiques, ça tiendrait donc au fait que les objets sont petits, micro ou nano, donc faciles à disséminer dans certains scénarios de science fiction, c'est pour ça que je me suis mise à parler de Crichton...

La deuxième chose, je crois que c'est surtout ça le point important, c'est que la plupart de ces techniques sont très informatisées, ce qui les rend extrêmement utiles dans les domaines biomédicaux mais qui peut faire aussi qu'elles peuvent être utilisées, par exemple, à des fins de contrôle des individus ou de traitements qu'ils n'auraient pas forcément souhaité avoir. On pourrait imaginer, par exemple, des distributions de psychotropes par ces dispositifs qu'on a un peu évoqués tout à l'heure.

Maintenant, si l'on en vient plus spécifiquement à la médecine, je crois que le schéma le plus simple pour discuter, c'est celui qu'on a dans le programme du colloque et que la plupart des intervenants ont suivi, c'est-à-dire que les problèmes vont se poser aux différentes étapes de la pratique médicale, notamment le diagnostic et la thérapeutique.

Au niveau diagnostic, je ne vais pas faire une énumération, ce n'est pas mon but. Mais simplement dire que, peut-être, même à l'étape diagnostic qui paraît neutre et innocente, on peut avoir des problèmes imprévus, notamment le cas du « diagnostic » génétique. Je le mets entre guillemets parce que je ne crois pas qu'il y ait de véritables diagnostics autres que cliniques.

Par exemple, une étiquette génétique de maladie collée à un individu peut avoir d'abord des effets fâcheux sur cet individu. Si ce diagnostic, autre exemple, est posé chez un embryon, on est dans un problème d'incertitude parce qu'on ne sait jamais exactement si la maladie apparaîtra et sous quelle forme elle apparaîtra, sauf dans quelques très rares cas de maladies dites monogétiques.

Donc on voit qu'on est toujours dans l'incertitude, contrairement à ce qu'on croit souvent. Ce problème de l'incertitude est l'un des problèmes majeurs de toutes les inventions techniques.

Pour continuer dans le domaine du diagnostic, on a évoqué des dispositifs qui sont quand même tout à fait intéressants, comme ces petites caméras miniaturisées dans des gélules. Pour le moment, on ne voit pas d'effets négatifs ou de problème social, sauf peut-être le problème du coût. Là, je crois qu'on va aussi évoquer le problème de l'accès aux soins, la médecine à deux vitesses...

Maintenant, il n'est pas exclu, parce qu'il est toujours difficile de prévoir les effets négatifs, il n'est pas exclu que dans cette technique ou dans d'autres, on voie en cours de route apparaître des effets secondaires qu'on n'avait pas prévus au départ.

Ça, c'est au niveau du diagnostic. Maintenant, au niveau de la thérapeutique, c'est peut-être là -c'est l'impression que j'ai parce qu'on a quand même commencé à utiliser un certain nombre de ces techniques en médecine-, il me semble que c'est vraiment dans le domaine thérapeutique que, pour le moment en tout cas, ces nanotechnologies sont les plus prometteuses.

Déjà, les dispositifs qu'on a vus de distribution, de vectorisation des médicaments sont extrêmement intéressants parce qu'un médicament ne vaut que par la façon dont il est administré, les doses, la répartition dans les journées, le mode d'administration, etc... Il n'y a pas de molécules qui porteraient en elles la guérison ou l'effet palliatif. Ça, c'est tout à fait intéressant.

A priori, je ne vois pas de problèmes, sauf si ces dispositifs étaient utilisés à l'insu du patient, ce qui n'est pas impossible. On a vu dans certains pays, et ça doit exister encore, des utilisations plus classiques de médicaments comme les psychotropes pour traiter les opposants politiques...

Donc il n'est pas exclu, comme d'habitude, qu'on se serve d'une technique pour des buts qui n'étaient pas inclus ou prévus ou départ.

Il y a, par contre, des dispositifs plus complexes tout à fait intéressants, je ne veux pas entrer dans le détail, comme par exemple la pompe à insuline qu'on a évoquée tout à l'heure, qui sont des dispositifs qui visent plus ou moins à remplacer un organe qui serait défaillant, comme le pancréas dans le diabète.

C'est l'exemple classique dans ces technologies mais c'est un exemple réellement intéressant parce que, s'il marche (il commence à marcher mais on peut progresser), il permettrait d'éviter le recours aux greffes d'organes qui sont quand même des techniques très problématiques à la fois sur le plan éthique, sur le plan des résultats, on n'en parle pas assez, et sur le plan bien sûr du don d'organes.

Je suis peut-être en train de dépasser mon temps... Excusez-moi, je vais m'arrêter là. Je finirai en disant que les problèmes posés sont à la fois liés à l'incertitude même de l'invention technique et puis ajouter quand même les problèmes économiques qu'on a évoqués, que je ne connais pas bien, les problèmes d'appropriation des brevets, etc... Voilà. C'est juste une petite piste de discussion.


M. Alain CIROU

Merci beaucoup, Mme SINDING. Je propose maintenant à M. Douglas PARR de rejoindre le pupitre pour présenter en dix minutes les préoccupations éthiques et environnementales. M. Douglas PARR représente la direction scientifique de Greenpeace et s'exprimera en anglais traduit en direct live.

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