B. UNE IDENTITÉ À CONSTRUIRE

1. Un rayonnement qui nécessite le soutien fédéral

• Une identité qui reste à affirmer

La réunification allemande a eu des effets contradictoires sur Berlin.

Si le rayonnement de la ville, et notamment l'attrait qu'elle exerce auprès des étrangers, s'est accru, la nouvelle capitale peine à affirmer son identité de capitale dans un Etat fédéral.

En effet, dans la conception du fédéralisme allemand, l'existence d'une capitale n'apparaît pas évidente et les autres Länder expriment une forte réticence, dans un contexte économique morose, à en assumer le coût.

Cette ambiguïté du statut de capitale s'illustre dans le domaine culturel, domaine qui relève en vertu de la Constitution de la compétence des Länder.

On pourra sur ce point se référer à l'analyse d'Alfred Grosser dans l'ouvrage précédemment cité qui, en évoquant le transfert à Berlin du siège des autorités politiques fédérales, s'interroge : « Berlin est-il devenu pour autant une capitale comme Paris ? Bonn pouvait être comparé à Washington, à Canberra ou à Brasilia, villes où siège le pouvoir, mais à l'écart de la grande agglomération.

« Dans un Etat fédéral, la grande ville-capitale ne peut évidemment pas tenir la place que tient Paris dans une France centralisée. Encore aujourd'hui, la suprématie de la capitale française est symbolisée par le réseau en toile d'araignée de la SNCF. En matière culturelle, Munich, Hambourg, Francfort, Stuttgart ont eu leur vie propre, leur rayonnement propre même pendant l'« âge d'or » de la Première République, au milieu des années 1920. Il semble que les dirigeants politiques allemands ne se rendent que très lentement et très difficilement compte de la nécessité d'un éclat particulier à donner à la capitale retrouvée. Hier, la République fédérale et la RDA rivalisaient pour faire de leur partie de Berlin une vitrine culturelle. Depuis la réunification, Berlin est plutôt traitée en simple Land. Il n'est point nécessaire d'imiter Paris pour lequel les chefs d'Etat décident d'une voie express, d'un Centre culturel à architecture originale, d'un musée d'Orsay, d'un Louvre rénové, d'une Grande Arche de la Défense ou d'une Très Grande Bibliothèque, se réservant même le choix de l'architecte, en prenant clairement la suite de Louis XIV. Mais ne devrait-il pas être clair que, par exemple, la Museumsinsel, la petite île sur la Spree où se trouvent concentrées des richesses uniques, est un bien national dont l'entretien et le développement sont à la charge de l'Etat central ? Il est vrai que le gouvernement fédéral doit éviter de donner l'impression qu'il viole la prérogative des Länder. Le chancelier Schröder n'a-t-il pas été fort critiqué pour avoir introduit dans son gouvernement « un ministre d'Etat pour les affaires de la culture et des médias » ? Berlin a une riche histoire, surtout depuis le XVII e siècle, mais deux périodes seulement sont vraiment importantes pour l'image que la capitale veut donner et se donner d'elle-même : celle du national-socialisme et celle de la division du second après-guerre. Le maniement du passé n'est pas aisé. »

• Un soutien fédéral négocié

Les difficultés financières auxquelles il est confronté contraignent le Land de Berlin à consentir d'importantes économies sur les dépenses culturelles qui pèsent lourdement sur son budget et à conduire des réformes structurelles en s'appuyant sur le soutien fédéral.

Cependant, force est de constater que ce soutien n'est pas spontané et que l'entorse faite au profit de Berlin à la règle constitutionnelle qui reconnaît la compétence exclusive des Länder en matière culturelle ne s'est pas faite sans de vives polémiques.

La souveraineté culturelle des Länder, affirmée dans son principe lors de la Conférence des ministres de l'éducation et de la culture le 18 octobre 1949, est, en effet, profondément ancrée dans les mentalités. Elle renvoie au processus historique de l'unification allemande au XIX e siècle qui s'est faite à partir d'Etats dotés d'identités culturelles spécifiques mais également à la réalité actuelle du fédéralisme allemand.

Cependant, la réunification a conduit à remettre en cause cette conception. En effet, dans la mesure où Berlin, Land réduit à la dimension d'une métropole, n'a pas les moyens d'assumer seul le coût d'institutions culturelles nombreuses, dont beaucoup dotées d'une renommée ou d'une vocation nationale, s'est posée la question de leur financement par les autres Länder, et donc, de manière plus générale, de la responsabilité de ces derniers à l'égard de la nouvelle capitale.

Les premières dissensions se sont manifestées sur le sujet du financement de la Fondation prussienne , institution singulière qui a en charge la gestion du patrimoine de l'ancien Etat prussien.

Cette fondation, créée en 1957, est dotée d'un patrimoine exceptionnel dont la constitution a été inspirée par la conception prussienne défendue au XIX e siècle par les frères Humboldt, selon laquelle la culture fonde la Nation et dont l'intégrité a été restaurée lors de la réunification. Elle a en charge la gestion de 17 musées berlinois -dont la prestigieuse île des musées qui fait l'objet d'un programme de rénovation de grande ampleur-, des archives de l'Etat et d'une bibliothèque nationale.

Compte tenu de son ampleur, ce patrimoine dont la vocation nationale ne fait guère de doutes ne pouvait être mis à la charge du seul Land, notamment dans la perspective de sa réhabilitation et de sa mise en valeur. Cependant, ce n'est qu'à l'issue de longues discussions que la solution d'un financement fédéral fut retenue.

Le financement de la Fondation est désormais assuré à la fois par la Fédération et les Länder selon les modalités suivantes.

Le programme d'investissement, qui s'élève à 250 millions d'euros, consacré pour moitié aux projets muséographiques et pour moitié aux archives et à la bibliothèque nationale est pris en charge par la Fédération. En ce qui concerne le fonctionnement, le budget de la Fondation est financé à 75 % par la Fédération et à 25 % par les Länder.

Cette responsabilité fédérale se manifeste également par le vote du budget de la Fondation par le Bundestag et la nomination de son président par le président de la République. Par ailleurs, siègent dans son conseil d'administration le ministre fédéral de la culture et les ministres de la culture des Länder. Pour autant, la Fondation bénéficie d'un statut d'autonomie et n'est pas soumise à la tutelle de la Fédération.

Le programme muséographique mis en oeuvre vise, en premier lieu, la réhabilitation de l'île des musées, riche ensemble patrimonial au centre de la capitale, composé de :

- l'Altes museum consacré aux antiquités grecques et romaines (réouverture en 2006) ;

- le très fameux « Pergamon » dont la scénographie laissera place à l'aménagement d'un axe commun joignant les deux ailes du musée ; les travaux sont programmés pour s'achever en 2015 ;

- l'Alter nationalgalerie qui fut le premier musée à accueillir une oeuvre de Manet ( Dans le jardin d'hiver ) et qui a rouvert ses salles au public en décembre 2001 ;

- le Bodemuseum qui sera à nouveau accessible au public en 2005 pour le centième anniversaire de sa création, une fois sa présentation modernisée ;

- le Neues museum qui, profondément endommagé par les bombardements de la seconde guerre mondiale, n'avait pas fait l'objet de travaux de restauration avant 1986 et qui devrait rouvrir en 2006 pour présenter des collections comprenant, notamment, le fameux buste peint de Néfertiti, jusque là présenté au musée de Charlottenbourg.

D'après les informations communiquées à la mission, cet ensemble muséographique prestigieux devrait pouvoir accueillir à terme près de 4 millions de visiteurs par an. A titre de comparaison, on indiquera que la fréquentation du Louvre s'établissait à 5,7 millions de visiteurs en 2003.

Afin d'éviter de fermer au public ces collections alors que Berlin connaît un important afflux de touristes, il a été décidé que, durant les travaux de rénovation, resteraient ouverts en permanence au moins trois bâtiments sur les cinq que comptent l'île.

A côté de ce pôle, la Fondation développe des collections d'art contemporain (Kulturforum Potsdamer Platz) et envisage l'implantation dans un quartier périphérique d'un centre consacré aux arts extra-européens.

La Fondation entretient de nombreux contacts au niveau international avec des institutions muséographiques, et notamment le Louvre et le Centre d'art et de culture Georges Pompidou dans la perspective de l'organisation d'un événement franco-allemand en 2005 dans le domaine de la création contemporaine.

De ces contacts et de la qualité des manifestations organisées par la Fondation, dépendront sa visibilité et sa capacité à légitimer l'engagement de la Fédération dans son financement.

On notera également que, dans cette perspective, la Fondation s'assigne comme objectif d'irriguer le territoire allemand, d'une part, en pratiquant une politique de dépôts et de prêts et, d'autre part, en faisant circuler dans les Länder les expositions qu'elle organise dans la capitale, ambitions que rend possible la richesse des collections des musées berlinois.

La Fondation prussienne est sans soute un élément clé de la capacité de Berlin à acquérir un véritable rayonnement culturel. Lors de l'entretien qu'il a accordé à la délégation, M. Klaus-Dieter Lehmann, président de la Fondation, a d'ailleurs souligné l'importance de la culture pour conforter Berlin dans son statut de capitale et a insisté sur la nécessité pour la ville de prendre part à la compétition qui existe en Allemagne entre différents centres culturels et à susciter l'adhésion des Länder à la cause de son rayonnement.

Au-delà des subsides dont il bénéficie à travers la Fondation prussienne, Berlin bénéficie du soutien fédéral dans le cadre du « contrat de capitale » conclu pour les années 2001-2004 entre le Land de Berlin et la Fédération.

En vertu de ce « contrat », la capitale bénéficie de subventions annuelles de l'ordre de 77 millions d'euros.

Ces subventions sont destinées au financement :

- du musée juif ;

- de la maison des cultures du monde ;

- du Martin-Gropuis Bau ;

- et des Berliner Festpiele .

Ces institutions sont regroupées, depuis août 2002, dans un organisme commun, le Kulturveranstaltungen des Bundes in Berlin Gmbh .

Par ailleurs, la Fédération finance diverses institutions dont l'action dépasse les frontières du Land de Berlin :

- une dotation annuelle de 10 millions d'euros alimente le fonds culturel de la capitale, destiné à financer des projets culturels innovants à vocation nationale ou internationale ;

- 1,8 million d'euros sont consacrés par la Fédération au soutien de la Staatskapelle et de la Staatsoper unter den Linden ;

- et, 10 millions d'euros à la Rundfunk - Orchester und - Chöre Gmbh (RDC).

Les subventions fédérales versées chaque année à Berlin pour le financement de la culture sont évaluées à 300 millions d'euros. On rappellera que, d'après les statistiques disponibles, les dépenses culturelles engagées par la Fédération s'élèvent à 700 millions d'euros.

La crise financière que Berlin traverse actuellement a contraint le Bund à accentuer son effort.

Un accord, signé le 10 décembre 2003 entre le Bund et la capitale, prévoit la prise en charge par la Fédération :

- des coûts d'exploitation de la Hamburger Bahnhof, qui dépend de la Fondation prussienne et qui abrite une collection d'art contemporain ;

- de l'Académie des Beaux-arts, et de la fondation de la cinémathèque allemande, qui relevaient jusque-là du Land de Berlin.

Ces diverses dépenses avoisinent 22 millions d'euros.

En outre, la Fédération rendra possible la réforme des opéras de Berlin en apportant le capital initial -8 millions d'euros- de la Fondation prévue pour assurer la gestion des trois institutions jusque-là dotées de statuts distincts.

La création de cette fondation, dont le principal avantage devrait être la réalisation d'économies d'échelle, permettra au Land de Berlin de réduire le montant du principal poste de ses dépenses culturelles sans pour autant prendre la décision -qui aurait été fortement impopulaire- de fermer une des maisons d'opéra et qui aurait été de plus interprétée comme vexatoire pour la partie de la ville concernée.

La réforme statutaire, qui est entrée en vigueur le 1 er janvier 2004, est mise en oeuvre sous la responsabilité du Land de Berlin. Son objectif est la transformation des trois opéras, du ballet et des services techniques en cinq sociétés anonymes à responsabilité limitée distinctes appartenant au Land et leur regroupement autour d'une fondation chargée d'en contrôler la gestion.

On rappellera qu'en 2003, les subventions versées par le Land aux trois opéras, qui s'élevaient à 114,5 millions d'euros constituaient 25 % de son budget culturel. Les économies attendues de la réforme sont de l'ordre de 9 millions d'euros.

On évoquera également ici la participation de la Fédération à l'édification du monument à la mémoire des juifs d'Europe assassinés.

Ce monument en cours de construction situé au coeur même de Berlin à proximité de la porte de Brandebourg est l'aboutissement d'une initiative portée par des bienfaiteurs privés. Lancée en 1989, cette initiative a donné lieu à plusieurs années de débat.

La conception du projet retenu repose sur l'érection de 2 700 stèles de béton gris de différentes hauteurs destinées à composer un « champ ondoyant ».

Le Bundestag a d'ores et déjà voté pour ce monument des crédits à hauteur de 25 millions d'euros. Les travaux engagés en avril 2003 devraient être achevés au printemps 2005. Une fondation de la Fédération assure la responsabilité de la construction.

Cette présentation, forcément succincte, fait apparaître que le soutien fédéral au rayonnement culturel de Berlin est encore conçu comme un dispositif transitoire -à l'exception des modalités de financement de la Fondation prussienne- ou ponctuel mais surtout renégociable car essentiellement fondé sur le mode contractuel .

Il convient de souligner que le principe d'une participation de la Fédération au financement de la culture à Berlin a toujours été défendu avec vigueur par les personnalités qui se sont succédées depuis sa création en 1998 au poste de ministre adjoint à la culture de la Fédération, qui semblent y avoir vu un des moyens de légitimer l'existence et l'affirmation d'une politique culturelle fédérale.

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