CHAPITRE II :
LE NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DE LA PRÉSENCE FRANÇAISE

Ayant plus d'avantages que d'inconvénients à voir ces pays rejoindre l'Union européenne, la France doit soutenir leur adhésion et y développer sa présence.

- I. LA FRANCE A PLUS À GAGNER QU'À PERDRE DANS UNE UNION EUROPÉENNE À 27

A. DES RISQUES À INTÉGRER : LES DÉLOCALISATIONS

La mission a été très impressionnée par les phénomènes de délocalisation de pays tiers -et notamment depuis la France- à destination de la Roumanie et de la Bulgarie. Du fait de leurs avantages comparatifs, ces deux pays sont en passe de devenir des nouveaux lieux privilégiés pour les entreprises d'Europe occidentale souhaitant réduire au maximum leurs coûts de production, tout en conservant une certaine proximité géographique avec leurs centres de décision stratégique.

Ce phénomène peut être vu sous deux prismes différents : d'un côté, il correspond à la recherche -légitime- par ces pays d'investissements étrangers pour « alimenter » l'activité économique. De l'autre, ils provoquent des délocalisations protéiformes dont un pays comme la France risque particulièrement de souffrir à l'avenir.

1. Des pays cherchant légitimement à attirer les investissements étrangers

Du point de vue des dirigeants politiques, les délocalisations d'entreprises étrangères à destination de leur territoire représentent une opportunité, dans la mesure où elles permettent d'accueillir capitaux et investissements indispensables à la dynamisation de leur économie.

Aussi les gouvernements ont-ils mis en place des politiques cherchant à attirer les investisseurs étrangers, politiques dont les effets ont été variables selon le pays envisagé .

a) Un cadre politique, économique et social naturellement attractif

Dès le début des années 90, après la chute du régime communiste, de nombreux pays étrangers -surtout européens- ont investi en Roumanie et en Bulgarie. Ils y ont trouvé, en effet :

- un positionnement géostratégique incomparable, au carrefour de la Russie, du Moyen-Orient et des trois Europes (centrale, orientale et occidentale) ;

- une situation politique relativement stable qui, au cours de l'histoire, fait figure d'exception dans la région des Balkans ;

- la confirmation du processus d'intégration européenne, qui valorise fortement les atouts naturels et humains de ces pays et contribue, d'une manière générale, à promouvoir un cadre de plus grande stabilité juridique, économique et financière, réduisant ainsi sensiblement le risque-pays ;

- une proximité culturelle et historique assez forte ;

- une parité monétaire fixe, en ce qui concerne la Bulgarie, avec l'indexation du lev bulgare sur l'euro ;

- une main-d'oeuvre particulièrement qualifiée -notamment en informatique et en langues étrangères- et productive ;

- une modération salariale exceptionnelle puisqu'avec un salaire brut moyen de 170 euros en juin 2003, la Roumanie offre des coûts salariaux parmi les plus bas d'Europe. Ils sont quatre fois inférieurs à ceux de la Pologne et de la Hongrie, et une dizaine de fois moindres par rapport à ceux de la France.

- un marché intérieur de trente millions de consommateurs pour les deux pays, dont le niveau de vie, et donc le pouvoir d'achat, sera amené à augmenter rapidement ;

- un marché régional s'étendant aux pays avoisinants, qu'il s'agisse des Etats Balkans, des ex-Etats soviétiques ou du Moyen-Orient ;

- un accès relativement facile et rapide en matière de transports (trois à cinq jours-camion au départ de l'Europe de l'Ouest).

b) Un volontarisme marqué pour attirer les « investissements directs étrangers »

A de tels éléments structurels se sont ajoutées des politiques volontaristes visant, de la part des gouvernements de ces pays, à attirer sur leur territoire les investisseurs étrangers.

Ainsi, en Bulgarie, une législation destinée à attirer les investissements directs étrangers (IDE) découle d'une véritable stratégie d'accompagnement sur le long terme. La loi du 24 octobre 1997 relative aux IDE instaure le principe de non-discrimination, les entreprises étrangères bénéficiant de la règle du traitement national. Le principe de primauté des conventions internationales sur le droit interne est précisé. L'Agence pour les investissements étrangers (AIE), créée en 1995, propose des « projets d'investissement prioritaires » propres à bénéficier, sur décision du pouvoir exécutif, d'un régime spécial. Le risque de changement de législation est écarté par un gel de la législation en vigueur à la date du début du projet d'investissement. Une procédure d'arbitrage peut être mise en oeuvre en cas de litige entre cocontractants des deux pays.

Les principaux dirigeants politiques bulgares ont insisté devant la délégation sur l'importance pour leur pays de continuer à mettre en place les conditions permettant un accroissement des flux d'investissement en provenance de pays tiers. L'actualité législative l'a remarquablement illustré puisque le Parlement bulgare était, durant notre séjour, sur le point d'adopter une nouvelle loi visant à favoriser l'investissement, en renforçant notamment le rôle de l'AIE.

En matière de fiscalité, Roumanie et Bulgarie cherchent également à attirer les investisseurs. Si le taux d'imposition roumain sur les bénéfices des sociétés est de 25 % - ce qui est tout de même nettement inférieur au taux français - , les profits tirés de l'exportation sont soumis à un taux d'imposition de 6 %, à la condition que ces profits en devises soient déposés sur le compte d'une banque roumaine. En Bulgarie, le Gouvernement a décidé de baisser régulièrement le taux d'imposition des sociétés, qui est ainsi passé de 28 % en 2001 à 19,5 % cette année.

Des mesures particulières ont été prises, par ailleurs, pour favoriser le développement des PME. En Roumanie, elles sont exonérées de taxes sur les bénéfices réinvestis et voient leurs impôts diminuer au fur et à mesure qu'elles créent des emplois. De plus, l'Agence gouvernementale pour les PME, qui a remplacé le ministère des PME, encourage leur essor via huit agences régionales. En Bulgarie, une agence du même type sert d'intermédiaire entre les PME, le gouvernement, les associations non gouvernementales, les associations d'entrepreneurs, les banques et l'Union européenne, pour proposer conseils et aides financières.

c) Des motivations diverses de la part des pouvoirs publics

Le consensus quant à l'accueil des investisseurs étrangers tient à la volonté de restructurer aussi rapidement que possible l'économie de ces pays. Le processus de privatisation entamé au début des années 90 rend en effet nécessaire d'importants transferts de capitaux qui ne peuvent, le plus souvent, que provenir de pays tiers.

Derrière cette volonté d'attirer les capitaux se profile la recherche de transferts de technologies . Les matériels et procédés utilisés dans de nombreux secteurs de l'industrie nécessitent en effet aujourd'hui de très importants investissements que des sociétés possédées par des nationaux peinent à réaliser. Les transferts de capitaux, mais aussi les accords de partenariat avec des entreprises étrangères, permettent aux sociétés roumaines et bulgares d'utiliser des technologies qu'elles ne pourraient à défaut acquérir.

La recherche d'IDE est également motivée par la volonté de maintenir ou de créer de nouveaux emplois sur le territoire national . Le rachat et la restructuration d'une entreprise roumaine ou bulgare par un grand groupe étranger ou par une société multinationale constituent en effet souvent une alternative appréciable à sa disparition.

Parfois se mêlent à ces priorités des considérations relatives à l'aménagement du territoire. Les avantages fiscaux consentis aux entreprises sont alors réservés à celles qui acceptent de s'implanter dans des provinces défavorisées, où elles sont susceptibles de redynamiser l'économie locale.

Enfin, les pouvoirs publics peuvent avoir à l'esprit des considérations davantage liées aux grands équilibres macro-économiques. L'apport d'IDE vient en effet compenser utilement les déficits de la balance des transactions courantes, d'autant que les investissements nationaux sont insuffisants pour assumer les coûts que représentent la transition démocratique et l'intégration à l'Union européenne.

d) Des résultats de degrés divergents en Roumanie et Bulgarie

Si les récentes évolutions atténuent ce constat, la Roumanie n'en demeure pas moins en retard par rapport aux autres pays d'Europe centrale et orientale ayant adhéré ou souhaitant adhérer à l'Union européenne. Cela tient très largement au fait que le programme de privatisation y a été engagé plus lentement qu'ailleurs et que la valeur des entreprises cédées sur le marché est souvent moins élevée que dans les pays voisins.

De 1991 à la mi-juin 2003, le stock total était inférieur à 10 milliards de dollars, selon les chiffres de l'Agence roumaine pour les investissements étrangers, ce qui est faible. Il est vrai que certains secteurs capitalistiquement lourds (énergie, transports ...) ont été encore assez peu concernés par les privatisations, qui ont connu des retards dans leur calendrier de mise en oeuvre.

En termes de répartition géographique, 3/5èmes des IDE proviennent de l'Union européenne, les trois plus importants pays investisseurs étant les Pays-Bas, l'Allemagne et les Etats-Unis. En termes de répartition sectorielle, les IDE se sont concentrés à 56 % sur l'industrie, à 15 % sur les services et à 8 % sur les transports. En termes de nombre d'implantations, l'Italie est de loin le premier investisseur (plus de 12 000 sociétés), devant l'Allemagne (10.000 environ).

En Bulgarie au contraire, les IDE ont décuplé en dix ans et ont connu en 2003 des hausses record (+60 %, soit un flux de 1,4 milliard de dollars). Les trois premiers investisseurs ont été l'Allemagne, l'Italie et la Belgique. Selon l'AIE, 16.000 emplois ont été créés depuis trois ans par les vingt premiers investisseurs étrangers dans le pays.

2. Des pays devenus la destination d'un nombre croissant de délocalisations françaises aux formes diverses

La délégation a visité un nombre important d'entreprises dirigées par des français s'étant implantés en Roumanie ou en Bulgarie, dans de nombreux secteurs d'activité (agriculture, textile, industrie automobile, services informatiques ...).

Elle a pu constater la diversité, tant des motivations animant ces entrepreneurs que des formes prises par ces processus, dont le développement pourrait se révéler très préjudiciable pour un pays comme le notre.

a) La forme négative : la délocalisation opportuniste

Certains des chefs d'entreprise rencontrés par la délégation avaient pour motivation exclusive -et ils ne s'en cachaient d'ailleurs pas- en s'installant dans ces pays, d'y profiter d'une main d'oeuvre qualifiée et surtout peu coûteuse, ainsi que de réglementations sanitaires, sociales et environnementales bien plus « souples » qu'en France.

Le dirigeant d'une entreprise fabriquant en Roumanie des produits pour le jardin en bois a parfaitement illustré ce type de délocalisation. Soulignant qu'il ne cherchait pas à conquérir un marché intérieur dont la demande était insuffisamment développée, il a reconnu qu'il profitait en Roumanie de très faibles coûts salariaux et d'une réglementation du travail beaucoup moins exigeante que dans un pays comme la France.

Il a précisé avoir choisi la Roumanie plutôt qu'un autre pays d'Europe centrale nouvellement adhérent du fait justement de son éloignement de l'Union européenne, expliquant que cette situation lui permettrait de profiter plus longtemps de normes moins strictes.

Prenant l'exemple d'un escalier en bois aujourd'hui fabriqué par une PME française pour le compte d'un grand revendeur français d'équipements et matériaux en bois pour la maison, il a indiqué qu'il s'était donné comme objectif pour la prochaine saison commerciale d'en fabriquer de qualité équivalente pour un tarif substantiellement inférieur, afin de ravir le marché à l'entreprise française. Le fait -parfaitement intégré- que celle-ci risquait de se trouver dans une situation difficile en raison de la perte d'un client attitré ne remettait pas en cause sa stratégie de production.

Ce type de délocalisation a particulièrement heurté les membres de la mission, dans la mesure où elle constitue une façon de contourner les réglementations protectrices de notre pays, et surtout où elle s'accompagne de la destruction d'emplois en France.

La délégation a pu constater le même phénomène en Bulgarie, lors de la visite d'une usine de confection textile dirigée par un français. Son responsable a en effet expliqué qu'il effectuait une prestation de service à distance pour des industriels français en réalisant, à des coûts salariaux extrêmement faibles, l'assemblage des pièces et accessoires qu'ils lui fournissaient. Or, cette entreprise, auparavant implantée en France, y a fermé son site de production pour s'installer en Bulgarie, substituant ainsi des emplois bulgares à des emplois français.

Ce phénomène est d'autant plus inquiétant qu'il fait progressivement l'objet d'une « montée en gamme » : alors que les délocalisations de ce type ne concernaient à l'origine que des activités de main-d'oeuvre réalisées dans des « usines tournevis », elles tendent de plus en plus, ainsi que l'ont confirmé à la délégation plusieurs des dirigeants d'entreprises rencontrés, aux activités immatérielles. Il a été ainsi constaté que les activités de service, en informatique notamment, font en effet de plus en plus l'objet de délocalisations à l'occasion de la visite de deux sociétés de service informatique situées, l'une en Roumanie, l'autre en Bulgarie.

L'utilisation des moyens modernes de communication et d'échange d'informations, par nature très poussée dans l'informatique, permet à ce type d'entreprises de travailler dans ces pays pour le monde entier. En l'espèce, les entreprises visitées, confrontées à la concurrence de sociétés similaires basées en Inde et dans les pays du Maghreb, avaient pour clients aussi bien des américains que des russes ou des australiens. Le dirigeant de l'une d'entre elles a estimé ne voir aucun frein technique à l'externalisation des services, qu'il a comparé à un « déplacement d'électrons de n'importe où vers n'importe où ».

Les conséquences de ces délocalisations sont directement lisibles sur l'évolution du montant et de la structure de notre solde commercial par rapport à ces pays. Ainsi, la Mission économique française à Sofia observait dans une note d'avril 2004 que l'excédent bilatéral en notre faveur tendait à diminuer du fait de l'accroissement de nos importations informatiques et de biens de consommation, en raison des délocalisations.

b) La forme du « moindre mal » : délocaliser ou périr

Pour certains des entrepreneurs rencontrés, la délocalisation partielle de leur entreprise en Roumanie ou en Bulgarie relève de la nécessité car elle constitue la seule alternative à une cessation d'activité.

Ce cas de figure se retrouve en France dans des secteurs particulièrement touchés par les restructurations ces dernières décennies (fabrication de chaussures, petit matériel électronique ...). Le manque de compétitivité de l'industrie nationale dans ces domaines par rapport au reste du monde condamne en effet à plus ou moins long terme les entreprises françaises implantées sur notre territoire. La délocalisation partielle constitue alors une solution intermédiaire entre la délocalisation pure et simple (transférer dans des pays à bas coût de main-d'oeuvre l'ensemble des activités de la société) et la fermeture de l'usine . Il n'en reste pas moins vrai qu'elle se traduit concrètement par la substitution d'employés de nationalité étrangère à des salariés français, même si les postes stratégiques de l'entreprise demeurent situés en France.

Subie davantage que choisie, la délocalisation est en effet, dans ce cas, généralement partielle et restreinte au minimum. Ainsi, la direction de l'entreprise et les activités liées à l'ingénierie, la conception des produits, les études marketing, la modélisation informatique, la communication ... sont conservées autant que possible sur le territoire français, seule la réalisation matérielle des produits étant transférée dans un pays tiers. Ensuite, soit les produits sont envoyés en France où ils font l'objet d'un assemblage ou d'une finition demandant des compétences techniques très pointues, avant d'être conditionnés, emballés puis commercialisés sur le marché intérieur ou international, soit ils font directement l'objet d'une commercialisation à partir du territoire de fabrication.

Peuvent être assimilés à ce type de délocalisation les cas dans lesquels une entreprise française est obligée de transférer, sous peine de faillite, ses sites de production en Roumanie ou en Bulgarie, non parce que sa compétitivité est insuffisante, mais parce qu'elle fournit sur le long terme de gros clients qui ont déjà transférés leurs propres sites et exigent de leur fournisseur qu'il en fasse de même sous peine de mettre fin à leur contrat de fourniture. La délégation a rencontré plusieurs chefs d'entreprise français leur ayant expliqué se trouver dans une telle relation de dépendance et avoir de ce fait été contraints de délocaliser.

Cela a été le cas, par exemple, pour une entreprise française fabriquant des pièces en plastique équipant des téléphones fixes et mobiles, conduite à transférer son site de production en Roumanie pour y suivre l'un des leaders européens de l'électronique grand public, son principal client. Cela a également été le cas pour une entreprise française fabriquant des châssis automobiles, qui s'est implantée en Roumanie pour fournir Dacia, la filiale nationale de Renault. Ce cas était, il est vrai, un peu particulier dans la mesure où l'entreprise fournisseur était détenue indirectement par l'entreprise cliente.

Le schéma assez simple de ce deuxième type de délocalisation, où sont transférées dans des pays tels que la Roumanie et la Bulgarie les activités de pure main-d'oeuvre, tandis que les activités de conception, représentant la plus grande part de valeur ajoutée, restent sur le territoire français, tend toutefois à s'éroder en pratique. Aux dires de plusieurs des dirigeants d'entreprises rencontrés par la délégation, les activités de recherche et développement, si elles restent le plus souvent implantés en France, tendent de plus en plus à être également délocalisées. Le haut niveau de qualification du personnel, notamment des ingénieurs informaticiens, dans des pays tels que la Roumanie et la Bulgarie, mais aussi la Chine ou l'Inde, explique ce phénomène.

c) La forme positive : une stratégie de conquête de nouveaux marchés

Cette dernière forme de délocalisation -mais l'on devrait plutôt parler de « délocalisation offensive », ou bien de « localisation »- a heureusement été souvent rencontrée par la délégation au cours de ses visites. Elle consiste, pour une entreprise, à implanter de nouveaux sites de production -ou à racheter des sites déjà existants- sur des territoires étrangers sans pour autant fermer ceux situés sur le territoire national, dans le but de conquérir de nouveaux marchés et de nouveaux consommateurs .

Cette stratégie de « croissance externe » ne se traduit donc pas par la destruction d'emplois en France et permet la création de nouveaux emplois à l'étranger. Les revenus tirés de ces productions délocalisées servent pour partie à rémunérer le personnel du site implanté à l'étranger et à y financer les diverses charges de fonctionnement et d'investissement, et viennent pour le reste abonder les comptes du groupe et lui permettre de réaliser de nouveaux investissements de production dans d'autres pays.

Ce type de délocalisation est plus généralement le fait de grandes ou de très grandes entreprises, souvent multinationales, qui bénéficient d'une surface financière suffisante pour construire de nouveaux sites dans le monde entier. La délégation a ainsi pu visiter des filiales d'Alcatel, de Renault, de Valeo, de Michelin ou encore de Schneider Electric qui se sont implantées dans cette optique en Roumanie ou en Bulgarie. Comptant plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de salariés, ces filiales s'inscrivent dans une stratégie d'expansion internationale de leur groupe prenant appui sur tous les continents.

Les nouveaux marchés visés par ces entreprises ne sont le plus souvent pas uniquement les marchés internes à la Roumanie et à la Bulgarie, qui ne comportent pas un nombre suffisant de consommateurs solvables pour être financièrement intéressants. Les sites installés en Roumanie et en Bulgarie servent fréquemment de « bases arrières » à une stratégie d'exportation couvrant une aire géographique beaucoup plus large, allant de l'Europe centrale et orientale aux Balkans, à la Russie et au Moyen-Orient.

Les produits fabriqués par ces grands groupes sur les territoires roumain et bulgare sont souvent « adaptés » à la demande locale, c'est à dire restreints à des modèles standards ou d'entrée de gamme afin d'être attractifs en termes de prix pour des consommateurs n'ayant pas -encore- atteint le niveau de vie des habitants d'Europe occidentale. Ainsi, la dernière automobile produite et commercialisée en Roumanie par Dacia, filiale du groupe Renault, est vendue au prix d'appel de 5.000 euros. Dans le même esprit, les pneumatiques fabriqués par Michelin en Roumanie pour les marchés locaux sont de « catégorie 3 », catégorie satisfaisant à tous les critères de sécurité requis pour les modèles de qualité supérieure mais dépourvue de certaines caractéristiques ou options non strictement indispensables.

Ces délocalisations offensives constituent en principe un jeu « gagnant-gagnant » pour les pays de base et d'accueil . Elles permettent en effet au premier de laisser ses entreprises s'internationaliser en trouvant des relais de croissance dans des pays dont les volumes de production et de consommation sont en forte hausse car bénéficiant d'un processus de rattrapage économique, mais aussi d'augmenter l'assiette des revenus imposables. Elles permettent aux seconds de satisfaire une importante demande de travail qui va en outre bénéficier de conditions de travail et de rémunération supérieures à la moyenne nationale, mais aussi de bénéficier de transferts de capitaux et de technologies indispensables au décollage d'une économie en phase de reconstruction.

Au final, toutes les délocalisations ne se ressemblent pas et ne présentent pas les mêmes dangers pour notre pays, certaines offrant même
- comme cela vient d'être évoqué- des perspectives positives. Il n'en reste pas moins que la mission a été fortement impressionnée par l'ampleur d'un phénomène qui est inévitablement amené à se développer .

Si les délocalisations à destination de la Roumanie et de la Bulgarie ont au moins le mérite de pourvoir à des emplois dans des pays européens, elles risquent cependant d'être peu à peu remplacées par des délocalisations vers des destinations plus à l'Est, au fur et à mesure que les conditions de travail et de rémunérations de ces deux pays s'équilibreront avec celles des autres pays de l'Union européenne.

Il s'agit donc là d'une priorité en matière de politique économique pour notre pays, qui ne pourra faire l'économie d'une réflexion plus approfondie sur la physionomie de ce phénomène et les réponses à élaborer. La délégation ne saurait trop, à cet égard, renvoyer vers le rapport d'information élaboré sur la « délocalisation des industries de main-d'oeuvre » récemment adopté par notre commission des Affaires économiques 2 ( * ) .

B. DES GAINS À ESPÉRER

Si le danger lié aux délocalisations en Roumanie et Bulgarie existe objectivement, ces deux pays n'en sont pas moins dotés de formidables potentialités pour un pays comme le notre.

Pays francophones, mais également francophiles, ils voient d'un très bon oeil la présence française et constituent de ce fait des espaces à investir pour nos compatriotes.

1. Un environnement général très favorable à notre pays

La proximité historique, culturelle et, surtout, linguistique, constitue sans doute l'élément le plus favorable à toute présence française dans ces pays, où la France bénéficie d'un capital de sympathie extrêmement important . Si cet élément était connu pour la Roumanie -et il s'est d'ailleurs trouvé confirmé en tous points-, il a en revanche étonné la mission en Bulgarie, où notre pays et ses habitants font l'objet d'une grande admiration et d'un accueil particulièrement chaleureux.

Sur le plan de la langue, c'est bien sûr en Roumanie que le sentiment de proximité reste le plus fort, la langue française s'y étant diffusée dès le XVIIIème siècle, lorsque les fils des grandes familles roumaines venaient faire leurs études à Paris. Le pays compte aujourd'hui 25 % de locuteurs français et 2,2 millions d'apprenants, soit 50 % des effectifs scolarisés (contre 33 % pour l'anglais). Nombre des chefs d'entreprise français auxquels la délégation a rendu visite ont indiqué que l'usage très répandu du français avait constitué un critère de choix majeur dans la sélection de leur pays d'installation, certains ajoutant même que le fait pour un dirigeant d'entreprise de parler français constituait un « plus » dans ses relations avec la clientèle.

Résolument francophone et d'ailleurs candidate à l'organisation du XIème sommet de la francophonie en 2006, la Roumanie a récemment signé avec la France une déclaration commune affirmant la volonté des deux pays de relancer la coopération en matière culturelle, preuve s'il en était besoin de sa francophilie. Par ailleurs, la France a participé depuis une demi-douzaine d'années à plusieurs dizaines de projets de jumelages franco-roumains.

Sur le plan culturel, les liens entre la France et la Roumanie sont pluriséculaires. De ce fait, le réseau de coopération et d'action est large, puisqu'il comprend trois Centres culturels français (Timisoara, Cluj Napoca, Iasi), un Institut français (Bucarest) et cinq Alliances françaises (Brasov, Contanta, Craiova, Pitesti, Ploiesti). Les discussions que la délégation a pu avoir avec le responsable du centre culturel de Timisoara lui ont permis de constater le succès rencontré par ces structures de coopération culturelle.

Si l'usage du français est beaucoup moins développé en Bulgarie, le pays est néanmoins membre à part entière, à sa demande, du mouvement francophone depuis le sommet de l'Ile Maurice en 1993. D'autre part, le réseau d'enseignement en langue française est particulièrement développé : près de 10 000 élèves sont en effet accueillis dans 59 lycées bilingues -sans oublier le lycée français « Victor Hugo » de Sofia- et il existe 8 filières universitaires francophones relayées par un vaste programme de bourses d'études.

Au point de vue culturel, le dispositif de coopération, fortement réactivé depuis une dizaine d'années, repose sur l'Institut français de Sofia et le réseau des huit Alliances françaises de province. La délégation a d'ailleurs eu l'occasion de constater de visu le dynamisme de ce réseau, dont elle a rencontré le responsable pour la ville de Plovdiv. Par ailleurs, la France a participé depuis 1998 à treize jumelages institutionnels avec la Bulgarie, ce qui la place en ce domaine au second rang des Etats membres derrière l'Allemagne.

De façon plus générale, les Français venant s'installer en Roumanie ou en Bulgarie peuvent être assurés d'y trouver -cela a été dit à plusieurs reprises par de nombreux membres de la communauté française dans ces deux pays- un cadre et des conditions de vie très agréables, tant au point de vue de l'environnement naturel que des relations sociales, des perspectives professionnelles, du pouvoir d'achat, des loisirs ou encore de la vie culturelle.

2. Un cadre institutionnel et financier propice aux investisseurs français

Au-delà des nombreux obstacles -précédemment évoqués- auquel se trouve confronté tout investisseur dans un pays émergent, la Roumanie et la Bulgarie présentent, pour les dirigeants français de grandes entreprises comme de PME, de réelles opportunités : taille du marché, qualité et faible coût d'une main d'oeuvre souvent polyglotte, sérénité du climat politique et social, importance des débouchés, accroissement à venir du pouvoir d'achat suite à l'adhésion prochaine à l'Union européenne ...

Il est également à souligner que ces pays offrent aux investisseurs français, plus particulièrement aux créateurs de PME ou aux dirigeants relativement peu expérimentés, une certaine souplesse, voire une relative « indulgence » à l'égard de leurs erreurs éventuelles. Comme l'a évoqué l'un des chefs d'entreprises rencontrés, il reste encore possible, dans ces pays, de « faire des erreurs » qui seraient, en France, irréversibles.

D'autre part, les investisseurs français doivent savoir que leur installation dans ces pays se trouvera grandement facilitée par un réseau de partenaires, tant publics que privés, apportant leur soutien à des implantations de ce type. A ce titre -et la délégation a pu constater l'excellence de leur travail-, les missions économiques dépendant de nos deux ambassades sont à même de renseigner les nouveaux arrivants sur de nombreux points touchant aussi bien au cadre politico-économique de chaque pays qu'à sa législation en matière sociale ou fiscale. Les nombreux documents produits par chaque mission font d'ailleurs l'objet d'une mise en ligne régulière et réactualisée, et sont donc très facilement accessibles à tous les investisseurs potentiels souhaitant réaliser une étude de marché depuis la France. Tout aussi utiles et indispensables pour les entrepreneurs sont par ailleurs les informations délivrées par les ambassades roumaine et bulgare en France, à travers notamment leur site Internet.

On évoquera également, s'agissant de la Roumanie, l'existence de plusieurs cabinets français installés de longue date dans le pays, d'une banque commerciale majeure ainsi que de la Chambre de commerce et d'industrie française dans ce pays, sans oublier les centres culturels en régions, qui constituent d'utiles sources de renseignements et d'avis préalables à toute implantation. On observera qu'il est aussi préconisé aux investisseurs de privilégier des implantations dans des régions où sont déjà installées des firmes françaises : outre l'expérience qu'elles peuvent leur transmettre à titre gracieux, elles sont susceptibles de constituer des partenaires privilégiés pour passer des accords d'approvisionnement ou d'expédition permettant de réduire les coûts.

Enfin, sur le plan des financements, existent de nombreux dispositifs émanant de bailleurs de fonds non seulement locaux et internationaux, mais aussi français. Leur utilité n'est pas que théorique puisque les dirigeants d'entreprises rencontrés par la délégation ont indiqué n'avoir pas rencontré de problèmes particuliers pour financer le développement de leur projet.

Ainsi, certains projets peuvent être financés par des fonds provenant du programme PHARE de l'Union européenne, de la BERD ou de la SFI (Société financière internationale), filiale de la Banque mondiale. Les banques commerciales nationales accordent également des crédits aux entreprises, soit en recourant aux mêmes sources que les bailleurs internationaux, soit indépendamment. En France, la procédure du Fasep-garantie permet aux entreprises souhaitant financer l'implantation d'une filiale dans ces pays d'obtenir une garantie facilitant l'obtention d'emprunts, les dossiers étant instruits dans ce cas par les directions régionales de la Coface et de la BDPME (Banque de développement des petites et moyennes entreprises).

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