CONCLUSION

Au final, votre rapporteur spécial émet un jugement contrasté sur le fonctionnement du fonds de modernisation.

Il le croit utile et pertinent dans ses objectifs initiaux. Compte tenu du contexte actuel et de la crise que vit la presse quotidienne, il observe la tentation d'un élargissement progressif du fonds de modernisation et d'une certaine automaticité des aides . Il croit que ce ne serait pas aider la presse. L'Etat ne peut assurer évidemment le quotidien des entreprises de presse. Il doit en revanche les accompagner de manière exigeante dans un changement décisif pour leur avenir.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 7 juillet 2004 , sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , la commission a, au cours d'une première séance tenue dans la matinée, entendu une communication de M. Paul Loridant, rapporteur spécial, sur le fonds d'aide à la modernisation de la presse .

M. Paul Loridant , rapporteur spécial , a indiqué au préalable, qu'en tant que rapporteur spécial des comptes spéciaux du Trésor, il ne pouvait prétendre à être un spécialiste du secteur de la presse et a rappelé, qu'à l'origine, son contrôle sur le fonds d'aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d'information politique et générale et à la distribution de la presse quotidienne nationale d'information politique et générale, engagé en application de l'article 57 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, devait être mené avec M. Claude Belot, rapporteur spécial des crédits de la presse, ce qui n'avait pas pu finalement être le cas en raison de contraintes d'emploi du temps. Il a indiqué néanmoins que la lecture des rapports spéciaux de M. Claude Belot lui avait été très profitable.

En introduction à sa communication, M. Paul Loridant, rapporteur spécial, a fait remarquer que la liberté de la presse, invoquée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, était considérée comme partie prenante de « la libre communication des pensées et des opinions »et reconnue comme « un des droits les plus précieux de l'Homme ». Il a expliqué que, dans ce contexte, les aides publiques à la presse visaient à garantir le pluralisme des opinions dans une société démocratique, afin d'éviter notamment le retour à la situation de l'entre-deux-guerres où des grands groupes industriels dominaient le secteur de la presse. Il a observé que les aides existantes n'avaient permis d'enrayer ni la baisse du lectorat, ni la diminution du nombre de titres et la concentration du secteur, aujourd'hui dominé par deux groupes d'industriels de l'armement.

M. Paul Loridant, rapporteur spécial, a montré, en ce qui concerne le fonds d'aide à la modernisation de la presse, que ce fonds constituait certes une partie limitée des aides directes à la presse - 24,43 millions d'euros sur les 1,2 milliard d'euros d'aides dont bénéficiait la presse - mais qu'il constituait la seule aide directe destinée à accompagner le changement des entreprises de la presse quotidienne et à leur permettre de surmonter la crise qu'elles subissaient aujourd'hui. Il a jugé un contrôle de ses crédits nécessaire pour deux raisons, considérant d'une part que l'importance des reports incitait à examiner en profondeur le mode de fonctionnement et de gestion du fonds de modernisation, estimant, d'autre part, que la grave crise que traversait le secteur de la presse quotidienne invitait à « questionner » les instruments de soutien inventés par la puissance publique et à mesurer leur efficacité.

Au terme de plus de 25 auditions, de plusieurs déplacements en province et à l'étranger (aux Pays-Bas et en Suède), de l'examen des réponses à un questionnaire spécial obtenues de la direction du développement des médias des services du Premier ministre, des enseignements d'une étude de législation comparée commandée auprès du service des études juridiques du Sénat, il a abouti à la conclusion que la crise de langueur que connaissait de longue date la presse française était rendue insoutenable par le cycle baissier récent. Il a invité les entreprises de presse à une prise de conscience des nouvelles conditions du marché et s'est déclaré avoir été frappé, au cours de son travail, par la vitalité de la presse dans d'autres pays européens et la concurrence tonique introduite par de nouvelles formes de presse, comme les gratuits, qui administraient la preuve que les Français, à commencer par les plus jeunes, même issus des classes populaires, souhaitaient lire chaque jour un titre de la presse quotidienne.

Dans cette perspective, il a indiqué que la création du fonds de modernisation participait de cette prise de conscience nécessaire. Il a expliqué que ce fonds, d'un volume financier relativement modique, ouvrait la voie à un redéploiement des crédits publics alloués aux entreprises de presse, à partir des subventions d'exploitation actuelles, inconditionnelles et permanentes, vers des aides dédiées à des projets, limitées dans le temps, faisant observer que des aides publiques à la presse se justifiaient, en effet, si elles étaient facteur de changement. Il a jugé que, cinq ans après sa création, l'effet de levier du fonds avait été décisif, face à l'apparition d'un nouveau cycle « schumpeterien » lié aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il a évalué les investissements réalisés par la presse dans le cadre du fonds de modernisation à plus de 370 millions d'euros, pour une participation financière de l'Etat inférieure à 30 %.

M. Paul Loridant, rapporteur spécial, a néanmoins relevé dans le fonds de modernisation certaines limites, notamment en termes de fonctionnement. Il a montré que la cogestion du fonds par les professionnels de la presse et l'existence de clés de répartition implicites des crédits avaient pu provoquer un certain « filtrage » des dossiers et la constitution de files d'attente, alors qu'il aurait été souhaitable qu'il y ait, au contraire, émulation entre les différents projets de modernisation. Il a noté, par ailleurs, que la taxe sur le hors media, affectée au fonds de modernisation, qui avait une assiette particulièrement pointue et un nombre de redevables potentiels très élevé, était peu adaptée pour financer une modernisation de la presse qui était du ressort de l'impôt et du budget général, faisant valoir qu'il n'y avait aucune raison à ce qu'existe un lien automatique entre les ressources issues de la taxe affectée et les besoins de modernisation des entreprises de presse.

Il a ensuite souligné l'importance des reports, dont le montant atteignait 84,15 millions d'euros, soit 3 fois et demie les ressources disponibles en 2004. Il a évalué les reports en gestion, définis par l'écart entre les ressources disponibles et les décisions d'attribution des aides signées par le ministre de la culture, déduction faite des dossiers abandonnés « en cours de route » par les éditeurs de presse, à 34,54 millions d'euros fin 2003, soit 140 % des crédits du fonds pour l'exercice 2004.

En termes d'efficacité économique ensuite, M. Paul Loridant, rapporteur spécial, a souligné que l'évaluation des investissements financés n'avait jamais eu lieu, la commission de contrôle normalement compétente ne s'étant jamais réunie. Il s'est par ailleurs montré inquiet de la préférence manifestée par les entreprises de presse pour des investissements lourds liés au processus de fabrication, alors que les imprimeries de presse constituaient d'importants foyers de pertes, constatant un effet d'éviction non négligeable au détriment des investissements réalisés dans les rédactions ou en matière commerciale, sans évoquer les projets sur internet qui ne représentaient que 0,5 % des dossiers financés en 2003. Il s'est dès lors interrogé sur les conditions d'analyse des dossiers réalisée par le comité d'orientation du fonds, jugeant les argumentaires économiques des entreprises fort succincts, le retour sur investissement évalué de manière évasive et les réductions de coûts ou l'impact des projets sur les ventes insuffisamment chiffrés. En conséquence, il lui est apparu souhaitable que le comité d'orientation du fonds adopte une approche plus économique dans l'examen des dossiers afin d'évacuer la tentation du « toujours plus » en matière de subventions publiques, rappelant qu'il n'y avait aucun droit de tirage automatique sur le fonds de modernisation de la presse.

M. Paul Loridant, rapporteur spécial, a regretté que, cinq ans après sa création, le fonds de modernisation n'ait malheureusement pas permis une amélioration substantielle de la rentabilité des entreprises de presse, jugeant nécessaire de s'interroger sur l'opportunité, pour l'Etat, d'avoir financé une modernisation technologique, alors même qu'une modernisation sociale complète du secteur n'était pas encore intervenue.

Il a proposé enfin quelques mesures pour améliorer le fonctionnement du fonds. Il a indiqué qu'il fallait, dès à présent, prévoir la clôture du fonds de modernisation à l'échéance 2010, avec réexamen préalable des investissements réalisés à l'horizon 2007, parce que toute crise, toute mutation d'un secteur économique, avaient une fin. Il a appelé par ailleurs à la budgétisation du fonds de modernisation afin d'assurer une fongibilité des crédits dédiés aux aides à la presse. Il a déclaré ne pas être opposé au relèvement des taux de cofinancement, de 30 % à 40 % pour les subventions de projets individuels et de 50 % à 60 % pour les subventions de projets collectifs, ainsi que les plafonds des aides, de 1,83 million d'euros à 2,45 millions d'euros. Pour tenir compte de la situation financière de certains titres, il a proposé de moduler les taux de subvention, à 50 %, pour les titres à faibles ressources publicitaires et les titres de la presse hebdomadaire régionale. Enfin, il a estimé utile de réhabiliter des pratiques financières vertueuses comme les avances, en supprimant les frais de gestion de 2 % et en redéployant les reports au profit de la presse hebdomadaire régionale et de la presse quotidienne départementale, qui étaient solliciteuses de telles avances.

En ce qui concerne l'efficacité économique des aides, M. Paul Loridant, rapporteur spécial, s'est interrogé sur l'opportunité de réserver le financement des rotatives aux seuls projets collectifs, reconnaissant qu'il s'agissait d'une mesure drastique, mais a manifesté son inquiétude à l'idée que la puissance publique puisse financer des surcapacités de production dans les imprimeries de presse sans s'assurer, au préalable, de la rentabilité de l'investissement. Il a souhaité que le comité d'orientation du fonds sélectionne les projets à financer non plus selon des critères juridiques, mais en fonction du retour sur investissement attendu et du « business plan » de l'entreprise de presse. Dans cette perspective, pour bénéficier d'expertises nouvelles, il a estimé qu'il fallait ouvrir le comité d'orientation à un troisième collège composé de personnes qualifiées extérieures aux entreprises de presse et mettre en route enfin la commission de contrôle, afin de procéder à une évaluation économique ex-post des projets financés et assurer la capitalisation des expériences.

M. Paul Loridant, rapporteur spécial, a émis au final un jugement contrasté sur le fonctionnement du fonds de modernisation, le jugeant utile et pertinent dans ses objectifs initiaux. Compte tenu du contexte actuel et de la crise qui frappait la presse quotidienne, il a observé la tentation d'un élargissement progressif du fonds de modernisation et d'une certaine automaticité des aides. Il a estimé que cette option ne pouvait aider la presse, l'Etat n'ayant pas vocation à assurer, évidemment, le quotidien des entreprises, mais devant, en revanche, les accompagner de manière exigeante dans un changement décisif pour leur avenir.

Un débat s'est alors engagé.

M. Jean Arthuis, président, s'est montré inquiet du fait que les gains de productivité réalisés par les entreprises de presse dans leurs imprimeries aient pu être absorbés intégralement par l'augmentation de la masse salariale.

M. Claude Belot faisant état des travaux qu'il avait menés en sa qualité de rapporteur spécial de la presse, a jugé que le secteur de la presse quotidienne souffrait d'un certain nombre d'archaïsmes en matière de distribution, du fait de la loi Bichet, mais aussi en matière sociale, en raison du poids considérable du syndicat du Livre. Il a regretté l'absence de dynamisme des entreprises, montrant notamment que la presse quotidienne régionale n'avait pas « surmonté la géographie de la fin de la guerre ». Il a souligné que le lectorat était en train de fondre et que la réaction des titres, face à l'émergence des hebdomadaires locaux ou des télévisions locales, était par trop défensive. Il a souligné le paradoxe consistant pour la France, à avoir, dans toute l'Europe, la presse la plus aidée et la plus en difficulté. Il a dès lors considéré comme une fatalité le mouvement de concentration en cours. En ce qui concerne les aides, il s'est montré opposé à la tentation d'utiliser les reliquats du fonds d'aide à la modernisation de la presse pour financer du fonctionnement et a appelé à un certain courage politique pour mettre de l'ordre dans les aides à la presse.

M. Maurice Blin a mis en évidence les concurrences multiples frappant la presse quotidienne aujourd'hui. Il a montré que le mouvement de concentration actuel risquait d'amener à la même situation qu'avant guerre. Il a souligné la différence de situation de la presse entre la France et les pays du Nord, établissant une comparaison entre les « peuples de la Bible » voués à la lecture et les « peuples des Cathédrales » voués à l'image.

M. Jean Arthuis, président , a montré la dépendance de la presse vis-à-vis de ses annonceurs, comme la grande distribution. En ce qui concerne le pluralisme de l'information, il a relevé que les tendances actuelles du secteur de la presse donnaient une légitimité certaine à la Chaîne parlementaire, indépendante des annonceurs et mieux à même de contribuer à l'animation des débats d'opinion.

En réponse, M. Paul Loridant, rapporteur spécial , a expliqué que les systèmes d'aide à la presse étaient dans les autres pays plus limités qu'en France, indiquant qu'en Suède, seul, le second titre sur le marché recevait des aides afin de préserver la diversité. Il s'est déclaré impressionné par le dynamisme des gratuits, qui recherchaient, en matière de publicité, une diversification des annonceurs.

La commission a alors, à l'unanimité, donné acte de sa communication à M. Paul Loridant, rapporteur spécial, et décidé que les conclusions de sa mission feraient l'objet d'une publication sous la forme d'un rapport d'information .

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