B. LA DIVERSIFICATION DES SOURCES DE FINANCEMENT DES ENTREPRISES

1. Le soutien au développement de la titrisation de créances

a) Un dispositif particulièrement bienvenu

(1) L'essor de la titrisation synthétique, un avantage concurrentiel que la France peut désormais exploiter

L'intérêt de la titrisation a été maintes fois souligné ; nous rappellerons simplement qu'elle présente en particulier les avantages suivants :

- sur le plan bilantiel : externalisation d'une partie des risques et déconsolidation comptable (sous réserve de l'impact « reconsolidant » des nouvelles normes internationales IFRS), libération de capital réglementaire (s'agissant des établissements de crédit) et amélioration potentielle du retour sur fonds propres ;

- amélioration du financement : diversification des sources de financement en cas de raréfaction du crédit bancaire, liquidité garantie à terme à des conditions financières compétitives, compte tenu de la décorrélation entre le risque du cédant et le risque des parts du fonds commun de créances (FCC), transformation d'actifs illiquides en titres de créances négociables, accès aux marchés financiers ou au placement privé ;

- préservation de la qualité de la relation client : maintien d'une relation récurrente et continuité de la gestion et de l'administration de l'actif.

Les opérations de titrisation sont donc très utilisées par les entreprises commerciales, mais aussi par les banques, pour transférer certains risques de crédit et alléger leur bilan. L'étude d'impact jointe au projet de décret afférent aux articles 64 et 65 de la LSF (cf. première partie) relève ainsi que le volume des émissions publiques françaises à long terme a progressé de plus de 20 % en 2003 par rapport à 2002, pour s'élever à près de 13 milliards d'euros, alors qu'il s'élève à 260 milliards d'euros en Europe. Les opérations françaises relèvent de titrisations classiques , par lesquelles un créancier cède des créances qu'il possède à une entité ad hoc , en l'espèce un FCC, qui en finance l'acquisition par l'émission de parts.

Or, un nombre croissant d'opérations internationales sont réalisées par le biais de titrisations dites « synthétiques » , qui permettent, par l'utilisation de dérivés de crédit, de transférer des risques de crédit sans transférer des actifs. Le cadre réglementaire français antérieur à la LSF ne permettait pas de telles opérations, qui représentent un volume de 71 milliards d'euros en Europe et de 500 milliards de dollars dans le monde, transitant par des entités « off-shore » ou anglo-saxonnes ( special purpose vehicle - SPV). Les dispositions de la LSF permettent donc de « rapatrier » une partie de ces opérations réalisées par des entreprises françaises ou étrangères, dans des conditions de transparence et de sécurité satisfaisantes pour l'investisseur.

L'étude d'impact précitée souligne également que « les FCC, n'étant pas jusqu'alors autorisés à émettre des titres de créances, se re-finançaient par le biais de SPV étrangers qui acquéraient leurs parts et émettaient des titres de créances. La réforme permettra de supprimer cet étage de re-financement , source de complexité et de coût inutile ».

Au-delà du développement attendu de la titrisation synthétique en France, les établissements arrangeurs cherchent à se positionner sur le marché des PME , qui ont besoin de financement non bancaire et sont généralement des entités non cotées. Des opérations « clefs en main » proposées avec une documentation juridique standardisée pourraient ainsi être proposées, mais s'adresseront nécessairement, dans un premier temps du moins, à des entreprises de taille relativement importante, compte tenu de l'adaptation des systèmes d'information et de la diversification des débiteurs cédés que la titrisation requiert.

(2) Le compte d'affectation spéciale : des difficultés juridiques applanies

L'article L. 214-46 du code monétaire et financier, introduit par l'article 64 de la loi de sécurité financière, consacre l'existence d'un compte d'affectation spéciale , qui existe déjà dans des pays tels que l'Espagne et l'Allemagne et dont le principe avait été reconnu par la jurisprudence pour isoler du patrimoine du cédant les encaissements reçus par lui pour le compte du FCC 136 ( * ) . Cette disposition particulièrement utile permet ainsi aux sociétés de gestion des FCC de mieux couvrir le « commingling risk » , source d'insécurité juridique pour les sociétés de gestion, c'est-à-dire le risque de non-cantonnement des liquidités reçues en échange des actifs titrisés. Ce risque implique par exemple que en cas de faillite du cédant, ces liquidités soient acquises au patrimoine de la faillite sans identification de la nature des fonds 137 ( * ) .

Le compte d'affectation spéciale permet désormais de « sanctuariser » ces encaissements, la rédaction de l'article L. 214-46 étant à cet égard explicite. Il est ouvert au nom du recouvreur des créances cédées (en général le cédant, mais il peut mandater une autre société), avec indication en rubrique du nom du bénéficiaire et titulaire réel du compte, permettant à ce dernier de revendiquer les sommes créditées sur le compte en cas de faillite du cédant.

Une difficulté juridique s'est posée à propos de la nature du droit dont dispose le FCC sur les sommes figurant sur le compte d'affectation spéciale : s'agit-il d'un véritable transfert de propriété au cessionnaire ou d'une forme de sûreté dont il dispose ? Le droit de propriété étant d'essence législative, le texte du projet de décret ne l'invoque pas explicitement, mais introduit par le II de son article 22 une formulation claire et emportant des effets équivalents : « Les sommes portées au crédit du compte bénéficient exclusivement au fonds ». Les incertitudes encore récentes sur les modalités de fonctionnement du compte, notamment l'établissement d'une convention spécifique quadripartite 138 ( * ) prévue par l'article 22 du projet de décret, ont également été levées.

b) Améliorer la couverture du risque de faillite du cédant

En seconde lecture, une disposition introduite par l'Assemblée nationale, approuvée par votre rapporteur général, a été retirée par le Sénat, qui a voté un amendement de suppression présenté par le gouvernement, et ne figure pas dans le texte final de la loi de sécurité financière. Cet amendement disposait que les créances réalisées sont également acquises au FCC, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaires réalisée à l'encontre du cédant postérieurement à la cession, permettant ainsi de sécuriser la situation des créanciers et de rendre en particulier les cessions de créances futures opposables à l'administrateur judiciaire ou au liquidateur du cédant. La même disposition avait été introduite pour les cessions et nantissements de créances de type « Dailly ».

Une telle disposition contribuerait à accroître la sécurité juridique des cessions de créances - et donc les possibilités de financement alternatif des entreprises - par une meilleure couverture en amont du risque de non-reconnaissance d'une « cession parfaite » ( true sale ) . Ce risque consiste en particulier en l'invalidation de cessions conclues avant le jugement d'ouverture d'un redressement judiciaire, pendant la période dite « suspecte » 139 ( * ) . Ce risque d'invalidation a une incidence sur la notation des créances par les agences , élément déterminant de la qualité et de la commercialisation des FCC 140 ( * ) , dans la mesure où celles-ci sollicitent une opinion juridique, émise par un expert juridique extérieur, sur le caractère certain des cessions opérées. Or ces appréciations juridiques se révèlent généralement prudentes, assorties de réserves et d'hypothèses de nature à dégrader l'appréciation du risque. Il se révèle dès lors difficile d'obtenir une notation « triple A » , gage d'excellence du risque de crédit et de placement aisé, pour les actifs des FCC 141 ( * ) . Le risque de nullité impérative, afférent à la mise en oeuvre de la période suspecte, paraît quasi nul pour un FCC 142 ( * ) , mais la nullité facultative, de l'avis de certains professionnels, est plus difficile à écarter 143 ( * ) , même si elle n'est que très rarement mise en oeuvre pour des opérations de financement analogues, telles que l'affacturage.

Le futur projet de loi de sauvegarde des entreprises 144 ( * ) pourrait dès lors constituer un véhicule adéquat pour introduire une telle disposition. Votre rapporteur général rappelle en outre que le III de l'article 96 de la LSF a permis aux sociétés de crédit foncier de bénéficier de cette sécurisation des cessions de créances en cas de mise en oeuvre des procédures collectives. Une telle mesure n'a pas vocation à profiter à une catégorie restreinte d'entreprises.

* 136 Il est en effet fréquent que le cédant continue de collecter les intérêts pour le compte du FCC, avant qu'ils ne soient versés sur le compte de ce dernier, pour ne pas perturber ses relations avec les débiteurs.

* 137 Les paiements relatifs aux actifs titrisés sont alors mêlés avec ceux des autres activités du cédant et sont donc potentiellement traités de la même façon en cas de faillite.

* 138 Entre la société de gestion du FCC, le dépositaire des actifs, l'établissement chargé du recouvrement des créances cédées au fonds et l'établissement teneur de compte.

* 139 La période suspecte est une période au cours de laquelle les actes passés par une entreprise en difficultés financières sont susceptibles d'être remis en cause. Elle désigne la période qui précède le jugement d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire et qui a pour point de départ la date de cessation des paiements de l'entreprise. Elle ne peut en principe excéder 18 mois (24 mois à titre exceptionnel).

Les articles L. 621-107 et L. 621-108 du code de commerce instituent ainsi le principe de la nullité obligatoire ou facultative de certaines catégories d'actes effectués par l'entreprise pendant cette période.

* 140 Les mécanismes de rehaussement du crédit pour couvrir le risque de performance des créances (par exemple en faisant en sorte que les premières pertes éventuelles, dues à des retards de paiement ou à d'autres facteurs, soient conservées par le client), contribuent également à l'amélioration de la notation des titres, qui devient distincte et indépendante de la qualité du risque de crédit global du cédant.

Le FCC comprend ainsi à son actif le portefeuille de créances cédées et des liquidités, et à son passif des parts senior (commercialisées dans le cadre d'un placement public ou privé), des parts junior subordonnées, un surdimensionnement fonction de l'historique de performance des créances et de l'objectif de notation du portefeuille, et un fonds de réserve mobilisé en cas d'incident de paiement du cédant.

* 141 Des possibilités d'amélioration du risque existent (notation de la qualité économique du portefeuille sans appréciation juridique, reversement quotidien au fonds des liquidités perçues par le cédant, arrêt du « rechargement » du FCC après le franchissement d'un « seuil d'alerte »...), mais se révèlent contraignantes pour l'établissement arrangeur et pénalisantes pour le cédant.

* 142 La nullité obligatoire semble en effet pouvoir être systématiquement écartée, dès lors que les cessions de créances sont effectuées au nominal et que la seule obligation des cédants, conformément au contrat de cession, est de céder les créances.

* 143 La preuve de la connaissance de l'état de cessation des paiements par le cessionnaire, au moment de la réalisation de la cession, doit être apportée par le juge s'il souhaite invoquer une telle nullité du contrat de cession.

* 144 Auquel M. Francis Mer avait fait référence, lors de l'examen en seconde lecture du projet de loi au Sénat, le 5 juin 2003.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page