N° 36

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 octobre 2004

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation pour l'Union européenne (1) sur les conséquences constitutionnelles des dispositions relatives aux parlements nationaux figurant dans le traité établissant une Constitution pour l'Europe ,

Par M. Hubert HAENEL,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM.  Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Yannick Bodin, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, André Dulait, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Melot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Turk, Serge Vinçon.

Union européenne .

INTRODUCTION

Traditionnellement, dans les traités relatifs à la Communauté européenne et à l'Union européenne, il n'est pas prévu de mention explicite des parlements nationaux. Le processus d'élaboration des normes européennes repose sur le triangle constitué par la Commission, le Conseil et le Parlement européen. Les parlements nationaux n'interviennent pas dans ce processus.

Au fil des révisions des traités, depuis l'Acte unique jusqu'au traité de Nice, en passant par le traité de Maastricht et celui d'Amsterdam, les États membres ont affirmé leur volonté de démocratiser le fonctionnement de la Communauté et de l'Union européenne. À cet effet, ils ont augmenté de manière continue les compétences législatives du Parlement européen. Toutefois, ils ont rapidement pris conscience que la démocratie, dans le fonctionnement de ce système si particulier qu'est le système de l'Union européenne, ne pouvait pas être assurée seulement par le Parlement européen, mais qu'elle devait également reposer sur les parlements nationaux . C'est pourquoi on a vu apparaître, dans les années 1990, la volonté d'associer les parlements nationaux aux affaires européennes.

C'est ainsi que le traité de Maastricht s'est accompagné d'une déclaration relative aux parlements nationaux et à la coopération interparlementaire. Le traité d'Amsterdam est allé plus loin puisqu'un protocole sur « Le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne » lui a été annexé.

Or, tandis qu'une déclaration a une valeur politique, mais n'a pas de caractère obligatoire, en revanche, les dispositions d'un protocole ont la même valeur juridique que les articles du traité, c'est-à-dire une valeur normative.

Cependant, le protocole annexé au traité d'Amsterdam continue de reposer sur l'idée que le rôle européen de chaque parlement national est avant tout, si ce n'est exclusivement, le contrôle de l'action de son Gouvernement au sein du Conseil. Tout au plus, le protocole annexé au traité d'Amsterdam reconnaît-il l'existence de la COSAC, créée en 1989.

La COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires), qui est la réunion semestrielle des représentants de toutes les commissions européennes des parlements nationaux de tous les États membres, est essentiellement un organe de débat et de dialogue entre les parlements nationaux et entre ceux-ci et le Conseil de l'Union qui y est représenté par les ministres du pays qui exerce alors la présidence.

Le protocole annexé au traité d'Amsterdam permet à la COSAC d'adopter des contributions sur les activités législatives de l'Union et de les adresser au Parlement européen, au Conseil et à la Commission. Toutefois, aucune suite n'est prévue pour ces contributions qui revêtent simplement un caractère déclaratoire et peu opérationnel.

Avec le traité constitutionnel, c'est une nouvelle vision du rôle européen des parlements nationaux qui se fait jour. Certes, le premier rôle de chaque parlement national consiste toujours à contrôler l'action de son Gouvernement au sein du Conseil. Mais le traité constitutionnel prévoit également l'implication des parlements nationaux dans les travaux menés par les institutions de l'Union. Et il prévoit cette implication, non seulement dans un protocole (le protocole n° 2), mais aussi dans dix articles différents de la Constitution .

Notamment, la Constitution européenne prévoit une association et une intervention des parlements nationaux dans trois nouveaux domaines :

- l'application du principe de subsidiarité,

- les procédures de révision simplifiée du traité constitutionnel,

- la mise en place de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Tous les parlements nationaux des États membres vont être amenés à réfléchir à la mise en oeuvre de ces dispositions qui entraîneront des modifications dans le fonctionnement des assemblées parlementaires. Lors de la dernière réunion de la COSAC, en mai dernier, de même que lors de la dernière Conférence des présidents des parlements de l'Union européenne, en juillet dernier, la question de l'intervention des parlements nationaux dans le mécanisme de contrôle du principe de subsidiarité a fait l'objet de nombreuses interventions. Les commissions européennes des parlements des vingt-quatre autres États membres commencent en effet de réfléchir à la manière dont les dispositions du protocole qui confère un rôle spécifique aux parlements nationaux à cet égard pourront être mises en oeuvre dans leurs assemblées.

Il est donc nécessaire que la délégation du Sénat pour l'Union européenne entame à son tour une réflexion à ce sujet. Il est d'autant plus urgent et important de commencer à examiner cette question que, en France, il est possible qu'elle appelle des modifications de la Constitution.

La Constitution de la V e République place le Parlement français dans une situation très particulière en Europe. Généralement, dans la plupart, sinon dans la totalité des parlements des autres États membres, une assemblée a la possibilité de procéder librement à des votes sur les sujets de son choix. Il n'en va pas de même en France. Le Conseil constitutionnel, au tout début de la V e République, a en effet considéré que les assemblées parlementaires ne pouvaient voter que sur la loi, ainsi que dans les cas limitativement prévus par la Constitution. C'est ainsi que, en 1992, il a été nécessaire d'introduire l'article 88-4 dans la Constitution pour permettre aux assemblées d'adopter des résolutions sur les textes européens. Faute d'une telle disposition constitutionnelle, l'Assemblée nationale et le Sénat auraient été dans l'impossibilité d'adopter une position en séance plénière à l'égard d'un texte européen.

Examiner les problèmes que posera l'application en France des dispositions du traité constitutionnel relatives aux parlements nationaux suppose bien sûr de réfléchir aux nouvelles méthodes de travail que devra adopter le Sénat, et aux modifications qu'il conviendra d'apporter à son règlement, mais demande en premier lieu de s'interroger pour déterminer s'il n'est pas nécessaire ou souhaitable que des dispositions spécifiques soient introduites à cet effet dans la Constitution.

*

Je vais donc présenter le contenu des différentes dispositions de la Constitution européenne qui touchent le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne. Sur chacun des points, je tenterai de souligner les questions qu'il faudra résoudre afin de pouvoir mettre en application, en France, la disposition concernée. Il serait utile que chacun réfléchisse aux différentes possibilités qui peuvent être envisagées avant que se tienne un débat plus approfondi au cours duquel la délégation pourrait prendre position. Il n'est pas souhaitable, en effet, de laisser le Gouvernement décider seul, sans interlocuteur parlementaire, de ce qui devra figurer dans la loi constitutionnelle qui précèdera la ratification du traité constitutionnel, notamment en ce qui concerne le rôle des parlements nationaux.

I. LE RÔLE DES PARLEMENTS NATIONAUX DANS L'UNION EUROPÉENNE

Le premier ensemble de dispositions du traité constitutionnel relatives au rôle des parlements nationaux résulte du protocole n° 1. Ce protocole n° 1 s'inspire du protocole qui avait été annexé au traité d'Amsterdam. Il comporte deux parties :

- le titre I, qui traite des informations destinées aux parlements nationaux,

- le titre II, qui traite de la coopération interparlementaire.

Le titre I énumère les informations qui doivent être transmises aux parlements nationaux afin qu'ils puissent exercer le mieux possible leur fonction de contrôle du gouvernement dans son action législative au sein du Conseil de l'Union. En France, ce mécanisme découle aujourd'hui de l'application de l'article 88-4 de la Constitution.

Il convient de rappeler que l'ensemble des texte communautaires - qu'il s'agisse de textes relatifs à des directives ou des règlements, qu'il s'agisse de livres verts, de livres blancs, ou encore de communications de la Commission - sont tous transmis au Sénat par le Gouvernement. Ces textes - il y en a environ un millier par an - sont transmis par le Gouvernement par voie électronique et sont disponibles auprès du service des Affaires européennes.

En plus de cette transmission systématique, le Gouvernement saisit le Sénat, d'une manière plus officielle, de tous ceux de ces textes qui comportent des dispositions entrant dans le domaine de la loi au sens français du terme. C'est l'application de l'article 88-4 de la Constitution qui prévoit : « le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative » . Ces documents sont imprimés par l'Assemblée nationale et le Sénat et sont mis à la disposition de l'ensemble des députés et des sénateurs. Il y en a environ 250 par an. Ces 250 documents constituent un sous-ensemble des quelque 1000 documents qui sont transmis par ailleurs par voie électronique. C'est sur ces 250 documents environ que le Sénat et l'Assemblée nationale ont la possibilité d'adopter des résolutions qui leur permettent de faire connaître au Gouvernement leur sentiment.

Le protocole n° 1 annexé au traité constitutionnel apporte certaines modifications par rapport au protocole actuellement en vigueur. En premier lieu, les documents de consultation et les projets d'actes législatifs européens devront être dorénavant transmis directement par la Commission aux parlements nationaux . Cette transmission directe se substituera, sans changement significatif, à la transmission généralisée qui se faisait par l'intermédiaire du Gouvernement et par voie électronique. En deuxième lieu, le protocole n° 1 prévoit qu' aucun accord politique ne doit intervenir au sein du Conseil sur un projet d'acte législatif européen au cours des six semaines suivant sa transmission aux parlements nationaux . Ceci renforce légèrement le délai minimum qui est garanti actuellement aux parlements nationaux pour examiner un projet d'acte législatif européen. En troisième lieu, le protocole prévoit la transmission directe aux parlements nationaux des ordres du jour et des résultats des sessions du Conseil . Là encore, cela n'apportera guère de changement car, aujourd'hui, le Gouvernement transmet déjà ces informations aux assemblées. Enfin, le protocole prévoit la transmission directe aux parlements nationaux du rapport annuel de la Cour des comptes . Celui-ci était déjà publié et accessible à tout parlementaire national qui le souhaitait.

Par ailleurs, le protocole consacre deux articles à la coopération interparlementaire et notamment à la COSAC.

Les dispositions de ce protocole peuvent, de manière un peu marginale, améliorer l'application de l'article 88-4 de la Constitution en France. Mais, d'aucune manière elles ne remettent en cause ce mécanisme. Elles n'appellent pas par elles-mêmes l'introduction d'une nouvelle disposition spécifique dans la Constitution de la V e République, ni même peut-être de modifications dans les règlements des assemblées.

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