D. QUEL CHAMP DONNER AU PRINCIPE DU PAYS D'ORIGINE ?

Si le PPO était accepté, la question se pose des exceptions à ce principe. Le texte de la Commission en prévoit certaines, avec un caractère temporaire, mais de très nombreux sujets ne sont pas réglés.

1. Les services d'intérêt économique général (SIEG)

Si les services d'intérêt général (SIG) tels que les définit la CJCE et notamment les services fournis par l'État dans le cadre de sa mission de service public (éducation, justice) sont exclus du champ de la proposition de directive, les services d'intérêt économique général (SIEG) sont concernés, ce qui touche en particulier le domaine social et la santé.

Si le volet de la directive relatif à la liberté d'établissement et à la suppression des régimes d'autorisation pose des questions importantes, par exemple quant à l'implantation de cliniques privées ou de laboratoires étrangers sur le territoire national, le principe du pays d'origine pose d'autres difficultés liées en particulier au contrôle des qualifications professionnelles des prestataires de soins.

Les difficultés soulevées dans le domaine de la santé peuvent exister également dans d'autres secteurs nécessitant un traitement spécifique au titre de leurs missions d'intérêt général. Il faut rappeler que la Cour de Justice a une conception large des services économiques, et y inclut par exemple l'organisation contre rémunération de cours de formation supérieure, l'activité des résidences pour personnes âgées, la fourniture de services de transport d'urgence et de services de transport de malades (les services de transports étant toutefois exclus du champ de la proposition de directive).

2. Le secteur culturel et audiovisuel

La proposition de directive couvre un très large éventail de services, y compris les activités culturelles, ce qui revient, selon les professionnels, à remettre en cause leur spécificité et la compétence des États membres en la matière. Les principes du marché intérieur ne tiendraient pas compte des objectifs d'intérêt général que sont la liberté d'expression, le pluralisme des médias et la diversité culturelle.

Les professionnels craignent que l'assujettissement des services audiovisuels au régime général de la directive services remette en cause le régime sectoriel spécifique posé notamment par la directive 98/552/CEE révisée par la directive 97/36/CE, dite directive « Télévision sans frontière » (TVSF).

En application de cette directive, les États membres ont la faculté d'établir des règles plus strictes que celles posées par la directive en matière de quotas de diffusion d'oeuvres européennes ou de production indépendante. A ces dispositions s'ajoutent les compétences exercées par les États membres, par exemple en matière de contrôle de la propriété des médias, et d'octroi de licences de radiodiffusion.

Les services culturels et de cinéma, qui ne sont pas des services audiovisuels couverts par la directive TVSF, relèvent de la compétence des États membres et l'Union européenne n'a qu'une compétence d'appui en vertu de l'article 151 du Traité instituant la Communauté européenne. Or, certaines dispositions de la directive poseraient problème en interdisant aux États membres de conditionner des déductions fiscales ou des aides financières à l'utilisation d'un prestataire de service établi dans l'État membre ou au lieu d'exécution de la prestation. Cette disposition remettrait en cause le principe de territorialité des aides d'État au cinéma.

Des craintes se sont également exprimées quant à la remise en cause de la protection des salariés du domaine de la culture et du spectacle , et en particulier de leur présomption de salariat, qui fait l'objet d'un contentieux avec la Commission européenne, contentieux porté devant la Cour de justice. Des activités exercées par des salariés pourraient en effet être réalisées par des prestataires de services aux conditions fixées par leur pays d'origine.

Enfin, la proposition de directive en prévoyant que les prestataires de services seront soumis uniquement aux dispositions nationales de leur État d'origine quant aux conditions d'accès à un service et à son exercice, quel que soit l'État destinataire de leurs prestations, serait également de nature à remettre en cause l'application effective de la réglementation française des sociétés de gestion collective .

Dans la proposition de la Commission européenne, le droit d'auteur et les droits voisins font l'objet d'une dérogation au principe du pays d'origine. Cependant, la rédaction de cette dérogation ne permet pas d'affirmer qu'elle couvre également la gestion collective des droits.

3. Les professions juridiques réglementées

La question de l'inclusion dans l'ensemble de la proposition de directive des professions juridiques réglementées pose problème. Les professions en cause sont celles exercées par les officiers publics ministériels nommés par le Garde des Sceaux, c'est-à-dire les notaires, huissiers de justice, avoués près les cours d'appel, avocats au Conseil d'État et à la Cour de Cassation, commissaires-priseurs judiciaires et greffiers des tribunaux de commerce.

La Commission propose d'exclure les activités couvertes par l'article 45 du traité des communautés européennes, c'est-à-dire « les activités participant dans un État membre, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique ».

Or, si les professions juridiques réglementées participent à l'exercice de l'autorité publique, certaines de leurs activités ne seraient pas couvertes par cette définition.

En effet, les professions juridiques réglementées ont des activités qui, sans être liées à l'exercice de l'autorité publique, peuvent être considérées comme faisant partie du service public de la justice.

Certaines professions ont, par exemple, une réelle utilité en phase précontentieuse en évitant ou en limitant la durée du procès. Les notaires exercent une mission d'intérêt général qui est le service de la preuve, l'établissement et la conservation des contrats. Les huissiers de justice accomplissent une mission de certification des titres exécutoires et de recouvrement judiciaire des dettes et les avoués et avocats au Conseil d'État et à la Cour de Cassation diligentent les procédures devant les cours d'appel et les juridictions suprêmes. Or, par exemple, pour les notaires, la proposition de directive, en excluant seulement « les actes pour lesquels la loi requiert l'intervention d'un notaire » n'exclut que cinq catégories d'actes notariés, c'est-à-dire une faible partie de leurs activités.

Le document précité de Mme Gebhardt prend l'exemple de la directive sur les avocats, qui fait partie des exclusions du principe du pays d'origine. Cependant, toutes les activités des avocats ne sont pas couvertes par cette directive.

En conclusion, les professionnels souhaitent que les professions juridiques réglementées elles-mêmes, et non leurs activités liées à l'exercice de l'autorité publique, soient exclues de la directive sur les services. En réalité, il conviendrait d'exclure toutes les activités de ces professions ressortant du service public de la justice et plus généralement d'une mission d'intérêt général. Il n'appartient évidemment pas à une directive relative aux services de légiférer dans le domaine « justice et affaires intérieures » qui relève de dispositions communautaires spécifiques.

Par ailleurs, il ne faut pas négliger le fait que d'autres professions réglementées devraient être touchées par la proposition de directive. Si devait leur être appliqué le principe du pays d'origine, la question de leur indemnisation devrait être posée.

4. Les jeux d'argent

Au titre des demandes d'exclusion du champ de la proposition de directive figurent également les jeux d'argent, qui bénéficient dans la plupart des pays de l'Union européenne de dispositions spécifiques, et notamment de monopoles publics. Des considérations d'ordre public et d'intérêt général expliquent ces dispositions spécifiques. Les activités de la Française des jeux et du Pari mutuel urbain (PMU) seraient touchées par certaines dispositions de la proposition de directive, qui pourraient aboutir à une mise en concurrence avec des opérateurs étrangers ne présentant pas toutes les garanties en matière de protection des consommateurs ou de lutte contre la fraude.

Il convient de préciser que les jeux d'argent figurent parmi les dérogations transitoires au principe du pays d'origine, mais que l'intention de les soumettre au PPO existe bien puisque la dérogation devrait expirer « lorsque l'harmonisation communautaire sera réalisée ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page