Rapport d'information sur colloque n° 295 (2004-2005) de M. Yves DAUGE , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 13 avril 2005

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N° 295

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 13 avril 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1), sur les métiers de l' architecture et du cadre de vie ,

Par M. Yves DAUGE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Jacques Legendre, Serge Lagauche, Jean-Léonce Dupont, Ivan Renar, Michel Thiollière, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Pierre Martin, David Assouline, Jean-Marc Todeschini, secrétaires ; M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jean-Marie Bockel, Yannick Bodin, Pierre Bordier, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Christian Demuynck, Denis Detcheverry, Mme Muguette Dini, MM. Alain Dufaut, Louis Duvernois, Jean-Paul Emin, Hubert Falco, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Hubert Haenel, Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, MM. Soibahaddine Ibrahim, Pierre Laffitte, Alain Journet, André Labarrère, Philippe Labeyrie, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Jean-Luc Mélenchon, Mme Colette Melot, M.Jean-Luc Miraux, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jean-François Picheral, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, André Vallet, Marcel Vidal, Jean-François Voguet.

Architecture.

TABLE RONDE N° 1
:
AMÉLIORER LES CONDITIONS D'EXERCICE
DES PROFESSIONS DE LA MAÎTRISE D'oeUVRE

M. Jacques VALADE, président de la commission des affaires culturelles

Je vous souhaite la bienvenue au Sénat, en qualité de président de la commission des affaires culturelles, commission qui organise les tables rondes de ce matin.

Un mot de présentation et d'introduction avant de céder la parole à Yves Dauge qui animera ces deux tables rondes.

La commission des affaires culturelles a naturellement, comme les autres commissions du Sénat, une première mission qui est d'ordre législatif : elle étudie les projets de loi, les propositions de loi et prépare leur discussion, avant leur vote en séance publique.

Elle participe également à la discussion et au vote du budget et, à travers celui-ci, au contrôle de l'action du Gouvernement et des institutions administratives de notre démocratie parlementaire.

Parallèlement à ces responsabilités, nous avons souhaité, depuis quelques années maintenant, réfléchir aux problèmes qui peuvent se poser dans nos domaines de compétences, soit à travers l'organisation de colloques (nous en organisons chaque année), soit en créant des groupes de travail, ou encore, en confiant à un sénateur le soin d'approfondir un sujet que nous avons sélectionné.

C'est ainsi que nous avons confié à Yves Dauge il y a quelques mois, la conduite d'une réflexion sur un sujet qu'il nous avait lui-même proposé et qui a débouché sur l'élaboration d'un rapport ayant pour titre : « Métiers de l'architecture et du cadre de vie : les architectes en péril ».

Ce rapport a été présenté devant la commission des affaires culturelles qui l'a adopté et a autorisé sa présentation publique, notamment devant la presse.

Ce rapport est naturellement disponible si certains d'entre vous le souhaitent. Mais nous n'avons pas voulu nous en contenter et, à l'initiative d'Yves Dauge, nous avons mis en place ces deux tables rondes, dans le prolongement du thème central de ce rapport : « Quel avenir pour les métiers de l'architecture et du cadre de vie ? ». Ces deux tables rondes auront respectivement pour sujet :

- « Améliorer les conditions d'exercice des professions de la maîtrise d'oeuvre » ;

- « Promouvoir une commande renouvelée ».

Mesdames, Messieurs, encore une fois, bienvenue. Je remercie nos collègues sénateurs qui sont venus nombreux, et en particulier mes collègues de la commission des affaires culturelles.

Je passe maintenant la parole à Yves Dauge qui va animer les deux tables rondes.

M. Yves DAUGE, sénateur d'Indre-et-Loire, rapporteur de la mission d'information sur les métiers de l'architecture et du cadre de vie

Merci beaucoup M. le Président, d'avoir bien voulu soutenir cette initiative et y participer.

Je sais que vous êtes très concerné par les questions d'architecture et d'urbanisme. N'oublions pas le rôle important que vous jouez à Bordeaux, cette ville étant un bel exemple de l'intervention des architectes dans un projet urbain riche d'enseignements, articulant les politiques de réhabilitation du centre-ville, de développement du centre avec les technologies nouvelles, les transports, le tramway, d'une manière tout à fait remarquable.

Merci à tous les membres de la commission qui ont bien voulu soutenir cette action et approuver ce rapport à l'unanimité.

Je suis conscient du fait que notre rapport n'a pas entendu faire une oeuvre entièrement nouvelle, et qu'il reprend des propositions qui ont parfois été avancées, tantôt par les syndicats, tantôt par les administrations de tutelle. Nous avons souhaité relayer un certain nombre de propositions, en insistant sur certains sujets qui nous ont paru importants.

Je salue le travail de tous, de l'UNSFA, du syndicat de l'architecture, de l'Ordre des architectes. Nous avions beaucoup apprécié « le livre blanc », réalisé par l'ensemble des organisations professionnelles qui avaient su se rassembler pour mettre sur la table un certain nombre de propositions. Tout en se faisant l'écho de ce que certains ont dit, nous avons cependant souhaité insister sur deux ou trois sujets particuliers.

Je voudrais remercier le secrétariat de la commission qui a fait un gros travail d'approfondissement à partir d'une analyse objective de statistiques officielles, pour tenter de donner des éléments de réponse à un certain nombre de questions :

Que se passe-t-il dans ce milieu ?

Quel est le nombre d'architectes ?

Quelle formation reçoivent-ils ?

Où vont-ils ?

Combien de temps restent-ils dans la profession ?

Comment évolue la pyramide des âges ?

Je salue tous les représentants des administrations concernées qui sont présents ce matin : ceux des ministères de la culture, de l'équipement, de l'intérieur, ainsi que M. Dominique Schmitt, directeur général des collectivités locales, qui nous fait l'honneur d'être présent ce matin.

La première table ronde doit traiter plus précisément des conditions d'exercice, des professions de la maîtrise d'oeuvre, la deuxième engagera une réflexion sur la question de la commande. Comment développer la commande, voilà le point fondamental.

Je vais tout de suite donner la parole à Mme Ann-José Arlot compte tenu de ses responsabilités importantes dans ce métier.

Elle est bien connue des milieux de l'architecture. Elle a travaillé jadis à l'Arsenal qui est un haut lieu de l'architecture où beaucoup de choses ont été faites comme à l'Institut français d'Architecture. Voilà des endroits où l'on a beaucoup parlé d'architecture et organisé des débats publics sur ce thème. Ces initiatives doivent être saluées. Il convient de dire combien l'État avec l'Institut français d'Architecture et la Ville de Paris ont travaillé pour qu'ait lieu ce débat qu'il faut poursuivre.

Mme Ann-José ARLOT, directrice, adjointe au directeur de l'architecture et du patrimoine, chargée de l'architecture, au ministère de la culture et de la communication

Je voudrais remercier Yves Dauge pour son initiative car je crois qu'à force de répéter toujours les mêmes choses on finira peut-être par les faire bouger.

Je crois que c'est important de le dire. Merci M. le sénateur, de vous consacrer ainsi à la profession d'architecte, parfois discréditée, souvent méconnue.

Le ministre de la culture et de la communication, M. Renaud Donnedieu de Vabres, a régulièrement affirmé le rôle de l'État en matière d'architecture.

Il a voulu l'affirmer de plusieurs manières.

Tout d'abord, en nommant un directeur en charge de l'architecture au ministère de la culture, il a affiché cette ouverture volontaire et régalienne du devoir et des missions de l'État vis-à-vis des architectes et d'une profession.

Il a voulu également réformer la direction de l'architecture et du patrimoine. Cette réforme a permis de créer une sous-direction de l'architecture et du cadre de vie, avec un volet architecture, un volet commandes publiques, et un volet maîtrise d'ouvrage.

Il a voulu aussi, à travers la sous-direction de l'enseignement, de la formation et de la recherche, affirmer la volonté du gouvernement d'une politique de formation continue. Nous avons donc aujourd'hui une volonté de formation tout au long de leur carrière pour les professionnels et les acteurs du cadre de vie qui est assistée par l'État.

Par ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir qu'une réforme des études d'architecture, en concordance avec cette volonté de diversifier les débouchés des jeunes architectes, a été conduite. Il s'agit de la réforme du LI.MA.DO, licence, master, doctorat.

L'État, et plus particulièrement le ministère de la culture et de la communication, s'est emparé de cette réforme, car il s'agissait d'offrir aux 18 600 étudiants en architecture en France, dans les 20 écoles françaises, des possibilités de débouchés diversifiés et de montrer que la maîtrise d'ouvrage est un des débouchés pour les architectes.

Il s'agissait aussi de pouvoir faire circuler les architectes français dans le monde et plus particulièrement en Europe en faisant reconnaître ce diplôme d'architecte au sein des 25 pays formant l'Union européenne.

Cette réforme est évidemment conduite avec l'aide des professionnels dont nous comptons sur le soutien pour cette dernière année de certificat de maîtrise d'oeuvre.

Ces études sont donc aujourd'hui structurées sur trois années ayant valeur de licence d'architecture, sur cinq années ayant valeur de master, et sur huit années équivalant à un doctorat en architecture, doctorat qui était demandé depuis trente ans en France.

Vous le saviez, il existait des doctorats autour de l'architecture. Aujourd'hui, l'enseignement supérieur a accepté de reconnaître un doctorat en architecture.

J'aurais tendance à dire que l'adoption de ces nouvelles dispositions constitue la réponse apportée par l'Etat aux difficultés que rencontre la profession d'architecte.

Ces difficultés sont inhérentes à la structuration des études d'architecture, qui, hors de la maîtrise d'oeuvre, n'offraient aucune profession alternative aux architectes.

Il faut compter aujourd'hui 7 ans et demi pour être architecte diplômé par le gouvernement, 1 200 DPLG sortent chaque année, 2 750 étudiants s'inscrivent chaque année dans les écoles d'architecture. Nous n'avons pas trop d'architectes en France mais nous avons une trop grande systématisation des débouchés. Il faut donc que nous élargissions ces débouchés, notamment au sein des collectivités territoriales, et tel est le sens de la réforme conduite par le ministère de la culture et de la communication.

M. Yves DAUGE

Merci. Vous avez à juste titre insisté sur les conditions d'exercice de la profession d'architecte tout en mettant l'accent sur la question de la formation. Une bonne formation est indispensable à l'exercice d'un métier.

Cette question de la formation est en effet absolument fondamentale.

M. François PÉLEGRIN, président de l'Union nationale des syndicats français d'architecture (UNSFA)

Nous sommes très sensibles au fait qu'un an pratiquement jour pour jour après le 7 février, date clé puisque nous nous réunissions pour cette manifestation autour du Livre blanc des architectes rédigé par l'Ordre, l'Unsfa et le Syndicat de l'Architecture, le Sénat se soit vigoureusement et magistralement emparé du sujet.

Dans sa présentation pour cette première table ronde, Yves Dauge soulève plusieurs points :

Tout d'abord, il a exposé la problématique de la complémentarité des acteurs de la maîtrise d'oeuvre.

Je pense que le sujet n'est pas là aujourd'hui. Il y a certainement des choses à améliorer mais contentons-nous de donner à la maîtrise d'oeuvre une juste rémunération pour constater que les acteurs sauraient encore mieux travailler ensemble.

On travaille tous les jours avec les ingénieurs. Les frictions qui peuvent apparaître résultent effectivement d'une insuffisante rémunération de la maîtrise d'oeuvre. Donnons-leur les justes moyens et la situation s'améliorera.

En revanche, un sujet m'importe : faut-il moraliser, et par quels moyens, les relations entre la maîtrise d'ouvrage publique ou privée et les prestataires auxquels ils font appel ?

Oui il faut certainement plus de respect et de professionnalisme.

Mais le vrai problème est d'ordre culturel. Il y a tellement peu de culture architecturale. La France dispose pourtant de la loi de 77 rappelant que l'architecture est d'intérêt public ; force est de constater que les pays qui nous entourent et qui n'ont pas cette loi accordent une plus large place aux architectes. Tout simplement parce que chez eux, les citoyens et les politiques savent naturellement raisonner en coût global (le vrai, celui qui prend en compte le coût du mal vivre).

Pour mettre les citoyens en appétit d'architecture, 2 mesures s'imposent immédiatement :

- dès le plus jeune âge et tout au long de leur scolarité, sensibiliser les enfants à l'architecture,

- lancer une campagne « un maire, un architecte » pour que l'élu soit éclairé dans ses décisions par un conseil avisé.

Nous souhaitons faire comprendre à tous ceux qui se revendiquent aujourd'hui ostensiblement du développement durable -et ils sont nombreux- que celui-ci n'est rien d'autre que du bon sens. Nous souhaitons leur expliquer que si l'on veut une société avec un cadre de vie amélioré -et je rappelle que le cadre de vie amélioré est un facteur de paix sociale, ce que Jean-Louis Borloo, je crois, a bien compris-, si on veut avoir une architecture à la hauteur des ambitions de notre pays, il faut s'en donner les moyens et investir dans trois postes : la programmation, la conception et la réalisation.

Tant qu'on continuera à lésiner sur l'un ou plusieurs de ces trois postes, on restera très loin du développement durable et la France continuera à accuser son retard.

Tous remèdes à cette situation sont connus.

Les propositions du livre blanc des architectes, les 30 propositions du Sénat -certains se recoupant- sont autant de solutions concrètes qu'il est urgent de mettre en pratique.

Pour l'heure, nous sommes très préoccupés par le projet de réforme de l'enseignement de l'architecture.

Cette réforme importante et nécessaire constitue une occasion unique pour construire les architectes dont la société aura de plus en plus besoin dès lors qu'elle aura décidé d'accorder à l'architecture la place qu'elle mérite.

M. Yves DAUGE

Merci M. François Pélegrin. M. Patrick Colombier, souhaitez-vous réagir ?

M. Patrick COLOMBIER, président du syndicat de l'architecture

Dans la présentation de cette table ronde, beaucoup de problèmes sont évoqués finalement.

C'est vrai que le syndicat de l'architecture a beaucoup réfléchi depuis sa création sur ce métier, et ses conditions d'exercice en particulier, pour conclure que des réformes profondes étaient à envisager.

Concernant ce métier et les dérives dans lesquelles il s'installe, il nous paraît indispensable de nous pencher sur les conditions d'accès à la commande aujourd'hui.

Nous nous alarmons de voir le peu de place qui est réservée aux jeunes architectes. On parle de formation ; c'est vrai, il n'y a pas beaucoup d'architectes en France par rapport au nombre d'habitants. Mais des jeunes arrivent et je ne sais pas ce qu'ils vont faire.

Les conditions d'accès à la commande sont devenues dramatiques. Pour ceux qui peuvent encore espérer accéder à une commande à travers un concours, une consultation quelconque dans le cadre des marchés publics ou des conditions européennes d'accès à la commande, c'est le dumping qui règne.

La situation est très difficile. Ainsi, des architectes acceptent de traiter des marchés à des prix absolument incroyables pour lesquels ils ne seront pas capables de fournir le travail, cela me paraît évident. Le travail est bâclé, ce qui implique qu'il faudra régénérer ou détruire et recommencer un peu plus tard.

Il s'agit d'un vaste sujet.

La réforme du permis de construire a fait l'objet de nombreuses discussions. Il est vrai qu'il y a trois jours nous étions au ministère de l'équipement où nous nous attendions à une vraie réforme. Nous n'avons eu droit qu'à une réformette, à peine un petit coup de balai... C'est absolument incroyable de se dire que le permis de construire est un handicap pour la population. Les citoyens attendent trois mois puisque la durée d'obtention devant augmenter pour une malheureuse maison dans la campagne, avant de s'apercevoir que ce document ne leur apporte aucune garantie.

Pourquoi, pour une fois, ne pas prendre exemple sur les anglo-Saxons et faire que le permis de construire garantisse réellement l'usager ?

Aujourd'hui l'usager n'a droit à rien avec le permis de construire. On vérifie simplement pendant des mois que la maison sera conforme à un document d'urbanisme qui en général est assez misérable. Il faudrait que, dans les relations entre les différents acteurs, chacun arrête de vouloir tirer la couverture à soi.

L'architecte qui reçoit la commande d'un bâtiment doit se comporter finalement comme un metteur en scène de cinéma : et il n'y a aucune honte à être le caméraman, l'éclairagiste, l'acteur, etc.

Il faut bien faire des choix à tous les stades d'un projet. Tel est le rôle de l'architecte.

Cela ne retire en rien les immenses compétences des paysagistes, des urbanistes, des ingénieurs, des économistes avec lesquels les architectes travaillent tous les jours. On forme des équipes de plus petite structure. En fin de compte, l'agence d'architectes représente toujours une vingtaine ou une trentaine de personnes qui travaillent ensemble et qui en ont l'habitude.

Il faut aussi arrêter d'imaginer qu'on va se structurer comme le font les Anglais, les Américains ou les Allemands en agences énormes.

Tout travail de réflexion sur l'architecture nécessite du temps. Nous ne sommes pas des hommes d'affaires. Nous sommes des architectes. Nous devons réfléchir et après des personnes autour de nous font évoluer ce projet.

M. Yves DAUGE

Il s'agit d'un point important, vous l'avez évoqué tous les deux. Nous y reviendrons.

Évidemment, au coeur de ces métiers de la maîtrise d'oeuvre, il y a les architectes, mais aussi les paysagistes et les urbanistes. On peut dire un mot de l'urbanisme, M. Michel Rousset.

M. Michel ROUSSET, président de l'association des aménageurs et urbanistes dans l'Etat

Je suis président d'une des associations membres du Conseil français des Urbanistes et je représente ce matin Alain Cluzet qui en est le président.

Ce Conseil rassemble des associations nationales et régionales d'urbanistes qui organisent depuis huit - neuf ans maintenant des universités d'été largement ouvertes à l'ensemble des professionnels du cadre de vie. Je dirai pour commencer que ces professionnels se situent en amont de la maîtrise d'oeuvre, et qu'ils constituent avec les urbanistes, les paysagistes, les ingénieurs, avec tous les gens qu'on a déjà cités jusqu'à présent autour de la table ronde, des professionnels du cadre de vie, parce que leurs prestations ne sont pas uniquement centrées sur la question de la maîtrise d'oeuvre mais bien sur la question de l'organisation, de la gestion de ces territoires et de leur évolution.

C'est donc un point assez fondamental que je souhaitais relever. En effet, le rapport de M. Yves Dauge ne tranche pas entre une grande confédération des métiers de la maîtrise d'oeuvre et une grande confédération des métiers du cadre de vie. C'est la deuxième option qui me conviendrait le mieux parce qu'elle rassemble plus largement les professionnels qui relèvent de l'exécution et ceux qui sont partie prenante de la réflexion et de l'aide à la décision.

En ce qui concerne le Conseil français des Urbanistes, après une lecture rapide mais attentive de ce rapport que nous avons apprécié, il me semble que le sujet évoqué par le représentant du syndicat d'architectes « la place de l'architecture dans le monde de la maîtrise d'oeuvre » est essentiel. Nous pensons qu'il est très important parce qu'il peut engendrer un désordre ou une crise. Cela peut nous conduire largement à devoir détruire toutes les options en matière de planification, d'urbanisme stratégique, de réflexion prospective qui sont sur les territoires, et anéantir complètement les réflexions en amont et l'organisation pérenne des territoires à long terme.

Le deuxième débat qui me semble également important est la place de l'architecture dans les métiers du cadre de vie en général. Pour ma part, j'apprécie tout particulièrement les orientations prises par le ministère de la culture visant à trouver des débouchés professionnels autres que ceux de la maîtrise d'oeuvre pour les architectes.

Un dernier propos très rapide sur trois enjeux qui nous apparaissent assez forts.

Le premier concerne l'unité des professionnels du cadre de vie.

Le fait que les urbanistes aient développé un office de qualification professionnelle débouchant sur une véritable reconnaissance pour eux-mêmes, leur permet d'être mieux entendus par l'ensemble des professionnels. Nous souhaitons que des offices de qualification comparables se répandent dans toutes les professions du cadre de vie. Cela me semble être une très bonne initiative et une capacité de travail au front.

Le deuxième point souligne l'immense responsabilité que les collectivités territoriales et l'État ont vis-à-vis de ce milieu professionnel pour en organiser la qualité. Ce sont, en effet, les collectivités locales qui embauchent, qui structurent des services, qui ont recours à des professionnels. Il faut donc qu'elles puissent accéder en permanence à des professionnels dans la fonction publique territoriale et dans la fonction publique d'État, des professionnels variés et non uniquement des architectes, et qu'elles puissent également embaucher, ou du moins avoir recours à des prestataires privés extérieurs plus ponctuellement pour des actions plus créatives, plus incitatives et plus orientantes pour leur activité.

Le dernier point que je voulais aborder rapidement est la question de la formation.

Il est vrai que la réforme d'enseignement européen qui se traduit par le fameux LI.MA.DO nous invite largement à réfléchir.

Aujourd'hui on peut dire que beaucoup de professions, de disciplines, s'accompagnent d'une formation à l'urbanisme et que des architectes, des ingénieurs, des géomètres, des géographes, des sociologues vont acquérir une compétence sur le champ de l'aménagement, de la culture de la ville et de l'urbanisme. Il est probablement temps, vu l'ampleur du fait urbain généralisé dans nos pays développés et même dans les pays en développement, de considérer que la formation doit donner une vraie place à la dimension du cadre de vie, de l'urbanisme, et de créer une filière intégrée où, aux trois niveaux, licence, master, et doctorat, on doit pouvoir trouver des débouchés professionnels et des diplômes d'urbanisme et d'aménagement, avec des spécialités qui dépendent bien évidemment de l'architecture, du monde de l'ingénieur et du monde des universités, mais qui doivent se coordonner beaucoup plus.

M. Yves DAUGE

Merci beaucoup, la parole est maintenant donnée aux ingénieurs.

Vous avez raison d'insister sur l'opportunité exceptionnelle que représente l'application de la loi SRU (Solidarité et Renouvellement urbain) qui relance une planification forte avec les schémas de cohérence territoriale (SCOT), les plans locaux d'urbanisme (PLU).

Cette nouvelle planification ne pourra pas se faire sans des urbanistes, des architectes et des ingénieurs. Il y a une commande potentielle qui est très importante derrière tout cela. Vous avez raison d'évoquer le réseau des agences d'urbanisme que je voudrais bien voir se développer, y compris en partenariat avec de petites agences. Les plus importantes aideraient les petites et les moyennes, en liaison avec la profession d'ailleurs.

Peut-être n'avons-nous pas suffisamment insisté sur le rôle des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE).

Les CAUE c'est une belle histoire, c'est un beau réseau qu'il faut développer. Notre rapport a plutôt insisté sur des problèmes de dysfonctionnements mais il aurait pu évoquer le rôle exemplaire des CAUE pour montrer qu'il s'agit-là d'une belle réussite. Mais ils ne sont pas présents partout, comme en Indre-et-Loire par exemple, ce qui n'est pas normal. On a sans doute considéré là-bas qu'on avait tellement de patrimoine et tellement de chance avec nos paysages et nos architectures qu'on n'avait pas besoin de conseils.

M. Jacques VALADE

Avant de donner la parole à M. Jean Félix, y a-t-il des réactions dans la salle, l'interactivité étant la meilleure des choses ?

Un architecte, dans la salle

Sur un appel d'offres, il n'est pas rare de trouver 250 dossiers en compétition ! Cela vous donne une idée de la difficulté d'accès à la commande publique pour les architectes.

M. Jacques VALADE

Je voudrais faire écho à ce que vous venez de dire. Il est une tâche effroyable quand vous êtes de l'autre côté de la barrière : choisir parmi les 150, 200 candidatures qui sont de vraies candidatures. Quels critères utiliser ? Bien sûr, il faut des critères à la fois techniquement valables, mais aussi humainement supportables.

Par expérience personnelle comme le rappelait Yves Dauge, je vous garantis que c'est une tâche qui n'est pas cohérente avec les éléments qu'on est en train d'évoquer et les difficultés que nous percevons parfaitement des différentes professions qui sont assemblées autour de cet acte de construire.

M. Yves DAUGE

Une autre question ?

Un représentant du syndicat d'architecture

Pour rebondir à la fois sur la licence d'exercice et sur l'accès des jeunes à la commande, on a beaucoup étudié ce qui se faisait en Angleterre. Il faudrait peut-être regarder du côté de l'Allemagne. C'est un exemple à méditer parce qu'il y existe un système de parrainage. De très jeunes équipes sont parrainées par des équipes qui offrent toute garantie économique et technique, et qui ensuite éventuellement développent en commun, ou laissent libre cours aux jeunes équipes toujours sous parrainage, ou d'autres formules à étudier. Ces systèmes permettent non seulement d'accéder à la commande mais constituent une forme de licence d'exercice et de formation par une tutelle évidemment expérimentée.

M. Yves DAUGE

Merci. On va donner maintenant la parole à M. Jean Frébault.

M. Jean FRÉBAULT, président de la 5e section du Conseil général des Ponts et Chaussées

Je représente le Conseil général des Ponts et Chaussées où j'ai la responsabilité de la 5e section. Je voulais dire que contrairement à ce que son nom peut indiquer, le Conseil général des Ponts et Chaussées n'est pas composé seulement d'ingénieurs. Il y a aussi des architectes, des urbanistes, des paysagistes, des gens qui s'intéressent beaucoup au développement durable, et je voudrais apporter ce témoignage et ce soutien.

En quelques mots, par rapport à tout ce qui a été dit, nous avons apporté avec vous tous une contribution importante au rapport d'Yves Dauge que nous remercions beaucoup.

Tout d'abord, nous voulons fortement soutenir l'idée selon laquelle le combat des architectes doit être élargi à l'ensemble des professions qui contribuent à la qualité du cadre de vie. C'est d'ailleurs cette finalité d'intérêt général qu'il faut rappeler.

Je souhaiterais aussi rebondir sur le premier propos d'Ann-José Arlot sur les formations, qui me paraît extrêmement important.

Il a été question de la réforme LI.MA.DO. qui concerne évidemment les écoles d'architecture. Mais je voudrais rappeler aussi qu'elle concerne l'université, les écoles d'ingénieurs. Je pense qu'elle est l'occasion de développer des passerelles qui existent déjà un peu mais qui pourraient prendre une ampleur beaucoup plus importante dans cette nouvelle vision de l'avenir des professions.

Je pense notamment à la formation à l'urbanisme et à l'aménagement, aux métiers du cadre de vie. Il y a déjà des cursus ingénieurs-architectes. Des réflexions sont en cours au sein de l'université dans lesquelles sont impliqués différents ministères. Je me réjouis d'ailleurs beaucoup de voir côte à côte aujourd'hui le ministère de la culture et le ministère de l'équipement qui ont déjà engagé un protocole de coopération et qui peuvent, je pense, aller assez loin sur ces questions-là.

Je plaiderais pour ce que, sur ce champ-là, il y ait une coopération nettement renforcée entre tous ces établissements de formation, architecture, ingénieur, etc. J'espère que cette question sera abordée.

M. Jean FÉLIX, délégué général de Syntec-ingénierie

Merci, je voudrais effectivement revenir sur les propos qui ont été tenus par les uns et les autres.

Je suis Jean Félix, délégué général de la Fédération des professionnels de l'ingénierie, qui rassemble donc des sociétés d'ingénierie.

Tout d'abord, je voudrais rebondir sur le concept de balkanisation des métiers de la maîtrise d'oeuvre : c'est certes une réalité, mais il ne faut pas tomber dans une vision trop alarmante de la situation. Je constate que des opérations sont régulièrement saluées par la presse, ce qui prouve que finalement des gens présentés comme antagonistes arrivent à réaliser tous les jours des opérations. Je ne peux que m'en féliciter.

S'il en est ainsi, alors que cette balkanisation existe, que se passera-t-il le jour où réellement ces professionnels travailleront de concert ? Je pense qu'ils pourront faire de grandes réalisations. Notre présence est là pour souligner qu'il y a effectivement beaucoup mieux à faire et que nous sommes prêts à le faire.

Je souhaiterais intervenir sur quatre points.

Tout d'abord au sujet des complémentarités qui est pour nous un point important. Pour faire écho aux propos de M. Frébeau, nous pensons qu'effectivement il est important d'arriver à marier davantage la culture d'ingénieur et celle d'architecte. Deux actions particulières nous intéressent.

Il y a d'abord les problèmes de formation. À ce propos, je rappelle que nous avons travaillé pendant trois ans avec l'UNSFA, d'autres syndicats et tous les représentants de la maîtrise d'oeuvre sous l'égide du ministère du travail, à l'avenir des métiers de la maîtrise d'oeuvre.

Une série de propositions précises ont été élaborées, discutées et débattues. Le rapport a été publié en octobre 2001 et émet des propositions très concrètes en matière de formation que, malheureusement, je n'ai jamais vu reprises ou analysées, et surtout mises en application.

Je sais qu'il existe des obstacles innombrables pour jumeler des écoles d'ingénieurs qui dépendent d'un ministère, avec des écoles d'architecture qui dépendent d'un autre ; mais nous pensons que ces obstacles peuvent être levés.

Ne renonçons pas, ne baissons pas les bras. Mais nous, et je m'adresse à M. Pélegrin, je m'adresse aux syndicats, nous sommes les patrons de formations dans nos syndicats par des structures qui existent : organisons-nous ensemble, entre professionnels. Identifions des circuits, des parcours, que nous ferons valider par les professionnels et qui permettront d'avoir des passerelles, et qui peut-être seront un stimulant pour qu'ensuite les institutions que sont les ministères aillent un peu plus loin dans des troncs communs en matière de formation.

Je pense que nous pouvons faire des choses au niveau des organisations professionnelles en matière de formation de base et de formation continue.

Deuxième point : dans votre rapport vous passez, me semble-t-il, un peu vite sur les problèmes que sont les concentrations, les regroupements de forces, en disant qu'il y a effectivement là aussi certaines impossibilités. Mais nous pensons, à l'image de ce que nous avons vu dans le secteur de l'ingénierie, qu'il est possible, nécessaire même de regrouper les forces et qu'il est approprié de travailler à des structures de maîtrise d'oeuvre dans lesquelles on pourra :

- faire travailler des professionnels qui pour l'instant ne le peuvent pas en vertu de la loi ;

- trouver des capitaux qui permettront leur développement.

Nous pensons qu'un travail très important est à mener sans pour autant bouleverser l'équilibre de la loi de 1977, en lui apportant des aménagements sur deux points -vous voyez très bien desquels je veux parler-, je pense qu'ils sont très importants.

Troisième point essentiel, ce sont les relations entre la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre.

Cette question a été également abordée et il est certain que la maîtrise d'ouvrage a dans son comportement peut-être contribué à la fois à la « balkanisation » et à la « paupérisation » du secteur de la maîtrise d'oeuvre.

On doit pouvoir améliorer la situation, mais il faut fondamentalement un changement de comportement de la part des maîtres d'ouvrage ; je propose que les maîtres d'ouvrage refusent fondamentalement la sélection, sur le seul critère du moins-disant, d'une équipe de maîtrise d'oeuvre et s'intéressent aux compétences et aux qualifications nécessaires.

Je me permets de rappeler, pour ceux qui l'ignoreraient, qu'il existe aux États-Unis une loi fédérale sur laquelle je pourrais donner toutes les informations souhaitables, qui interdit la sélection sur le prix pour des prestations intellectuelles lorsque des financements fédéraux sont engagés.

Cette loi a été reprise dans 40 États américains. Il ne peut donc pas y avoir de sélection sur le prix pour des prestations intellectuelles sauf à perdre les ressources de l'État fédéral.

C'est un exemple bien sûr, qu'on ne peut copier purement et simplement, mais je pense qu'on pourrait s'inspirer de la philosophie qui est à l'origine de cette opération. Nous ne demandons pas des barèmes, nous pensons que les guides de la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP) permettent, dans des conditions raisonnables, d'organiser des négociations. Les maîtres d'ouvrage doivent considérer que la dépense de maîtrise d'oeuvre est un investissement sur le futur ; ce n'est pas une dépense qu'il faut réduire au minimum. Il faut effectivement prendre en compte les économies qu'elle va générer en termes d'exploitation, de fonctionnement, d'écologie, etc. C'est un investissement, ce n'est pas réellement une dépense.

Toujours sur ce même sujet, nous aimerions bien que la maîtrise d'ouvrage ne soit pas trop tentée par certaines facilités que lui offrent des procédures de marchés publics telles que les marchés de définition ou le dialogue compétitif.

Vous le savez peut-être, ce sont des procédures qui permettent de demander à des prestataires de services des offres quasi gratuites.

On les fait donc travailler plutôt deux fois qu'une, on utilise à la fois les idées et les éléments qui ont été apportés, et puis on les remercie pour leur gentillesse et on repasse un appel d'offres pour confier le tout à quelqu'un d'autre. Il y a là un vol intellectuel et des prestations non rémunérées qui peuvent être qualifiés d'abus de position dominante. C'est un réel problème dans les marchés de définition et dans les infrastructures, sur lequel j'attire l'attention des sénateurs et des responsables.

Le quatrième élément concerne la qualité architecturale que vous évoquez dans votre rapport à juste titre.

Effectivement, c'est un élément important mais nous pensons qu'il faut déborder le seul aspect de la qualité architecturale et qu'il faudrait parler d'une qualité globale.

Les textes relatifs aux contrats de partenariat, quel que soit le débat qu'on puisse avoir là-dessus, ont introduit l'idée qu'il fallait veiller à la qualité globale, c'est-à-dire en tenant compte de l'exploitation, du fonctionnement, des incidences et de l'ensemble des éléments.

Et pour pouvoir suivre cette qualité globale nous avons une proposition extrêmement précise : la création d'une véritable mémoire des ouvrages, par l'institution d'un guide du suivi, de la qualité de certains ouvrages tout au long de leur vie, qui soit spécifique à chaque ouvrage.

Il pourrait servir de base à l'organisation du suivi et à des encouragements de type financier ou fiscal qui seraient mis en place et seraient actualisés par les professionnels compétents qu'il conviendrait de définir.

En conclusion de mon intervention, je voudrais m'adresser d'abord aux pouvoirs publics, en leur demandant de ne pas ajouter de réglementations mais de donner de la souplesse à celles qui existent. Aux maîtres d'ouvrages, que je voudrais convaincre qu'une solide construction est le meilleur investissement qui puisse être fait pour économiser sur le futur. Et enfin, aux organisations d'architectes, pour leur proposer de travailler ensemble à des parcours de formation communs aux ingénieurs et aux architectes, ainsi qu'à des structures capables de les rassembler et d'attirer les capitaux nécessaires à leur développement.

M. Yves DAUGE

Peut-être y a-t-il quelques réactions à cette intervention et ensuite je passerai la parole aux représentants de la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques.

M. Jean-Paul SCALABRE, syndicat de l'architecture

Je crois qu'il faut s'éloigner d'une fausse opposition entre architectes et autres acteurs de la maîtrise d'oeuvre. C'est un faux débat et je pense qu'il ne faut pas y entrer.

En revanche, je voudrais interroger les pouvoirs publics qui sont là aujourd'hui et dire qu'il existe un certain nombre de problèmes non résolus. En effet, des chantiers ne sont pas terminés et mériteraient d'aboutir.

Le premier chantier, me semble-t-il, serait de savoir qui est architecte.

La réforme que Mme Ann-José Arlot propose est finalement qu'on puisse être architecte avec un diplôme à BAC+5.

Dans ces conditions, à quoi sert la profession réglementée ?

Qu'est-ce que l'Ordre des architectes ? À quoi sert-il ?

Et nos concitoyens, quelle image en auront-ils ?

Pour eux, qu'est-ce qu'un architecte ?

Est-ce quelqu'un qui a un diplôme BAC+5 ?

Est-ce quelqu'un qui est inscrit à l'Ordre des architectes ?

Est-ce un maître d'oeuvre qui pour l'instant n'offre aucune garantie de qualification ?

Une confusion aujourd'hui est donc entretenue sur le statut et la légitimité des architectes. Il semble qu'il y aurait des progrès à faire pour que nos concitoyens puissent savoir exactement qui est architecte et quelle mission il peut remplir.

Deuxième question, me semble-t-il, importante : qu'est-ce que fait un architecte ?

La loi de 1977 sur l'architecture rend obligatoire le recours à un architecte pour établir le projet architectural faisant l'objet d'une demande de permis de construire, mais ne tente pas de définir une mission de base.

On en est donc là aujourd'hui, avec les dérives que nous connaissons, en particulier dans le domaine des marchés privés, avec une instrumentalisation au plus petit de la mission des architectes quelquefois réduits simplement à signer un permis de construire.

Sur ces terrains qui relèvent de la loi sur l'architecture, quelque chose va-t-il bouger ?

Pour l'instant nous ne voyons rien venir.

Le troisième point, c'est le cadre de vie.

Tout le monde est attentif à ce que nous ayons le meilleur cadre de vie possible. On pourrait se demander si la situation s'est vraiment améliorée dans les vingt dernières années.

J'interpelle les pouvoirs publics pour leur demander quels sont les mesures prises concernant l'urbanisme et quels sont les financements donnés aujourd'hui pour le développement de l'étude d'urbanisme.

Quand on voit dans quelle situation sont les PLU et quel est le niveau d'investissements et de dépenses atteint pour avoir des documents d'urbanisme, quand on voit que le système aberrant du copier-coller se répand notamment au niveau des petites communes qui n'ont pas toujours les moyens de développer des études suffisantes, on peut quand même s'interroger sur ce qu'est vraiment la politique de l'urbanisme en France. Cela renvoie aussi à une conception commune : quelle conception de la ville avons-nous ?

Donc, quel espace public pouvons-nous partager ?

Il y a là sans doute un grand progrès à faire dans la théorie, la doctrine, parce qu'aujourd'hui on est en « basses eaux ».

Je voudrais simplement dire qu'on est encore dans l'ambiguïté sur certains chantiers et que le paysage n'est pas aussi rose qu'on veut bien nous le présenter.

M. Yves DAUGE

Le rapport que nous avons rédigé n'est pas très rose, peut-être plus rose-orangé...

Mais vous posez de bonnes questions et peut-être que Mme Ann-José Arlot pourra vous répondre, ainsi que M. Christian Levy.

Mme Ann-José ARLOT

Pour reprendre la phrase de M. François Pélegrin, « il faut créer la demande ».

Pour créer la demande il faut avoir envie de l'architecture. Le débat sur la lisibilité de l'action de l'architecte en France ne peut se cantonner à celui sur la lisibilité pour le citoyen mais je crois que le débat se situe au-delà de cet enjeu. Nous n'aurions en aucune manière ce type de débat si, en France, la position de l'architecture était affichée, réclamée et faisait envie.

Ne nous trompons donc pas sur des combats, presque désuets, alors qu'il faut vraiment donner cette envie d'architecture.

Je crois qu'on ne demande pas à un ingénieur, pour reprendre cet exemple : pourquoi ? à quel moment ? quel titre a-t-il ? et qu'est-ce qu'il fait ?

Je crois que le jour où on n'aura plus ce débat-là, cela voudra dire qu'on aura gagné sur la position de l'architecture en France.

M. Christian LEVY, sous-directeur des métiers de l'aménagement à la Direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction (DGUHC) au ministère de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer

Permettez-moi d'abord quelques mots introductifs pour remercier le Sénat d'organiser ce type de débat. Je pense qu'au-delà du rapport qui a un grand intérêt, le fait même de débattre fait progresser et permet de donner quelques idées pour faire avancer chacun dans les tâches qu'il a à accomplir.

Je voudrais simplement orienter mon propos sur deux thèmes et je répondrai ensuite aux questions sur les études urbanistes.

Premier thème -c'est ce sur quoi j'ai envie de mettre l'accent- c'est sur la non-opposition entre les missions de maîtrise d'oeuvre et les missions de maîtrise d'ouvrage : la qualité doit être dans les deux.

Les missions de maîtrise d'oeuvre ayant déjà été évoquées, je voudrais plutôt traiter des missions de maîtrise d'ouvrage.

Il me semble que chacun en connaît la complexité -vous avez, M. le Président, dit que votre mission était effroyable- je crois que les maîtres d'ouvrage doivent reconnaître qu'ils ont besoin à leurs côtés de compétences professionnelles particulières pour bien élaborer les commandes. Parce qu'une bonne commande, et chacun le sait, est le garant d'une bonne réalisation.

Aujourd'hui il y a un déficit, il y a une faiblesse dans l'élaboration des commandes.

Le nouveau code des marchés publics permet de tout faire, le pire comme le meilleur. Je crains qu'on recherche davantage la sécurité juridique avec l'approche du moins-disant offrant une vision plus sécuritaire, que la qualité.

Je crois donc qu'il faut nettement mettre l'accent sur les compétences à développer soit au sein des collectivités territoriales soit dans les structures annexes aux collectivités. Il faut que les maîtres d'ouvrage prennent l'habitude de recourir à des professionnels dès lors qu'ils entrent dans un processus de transformation de l'espace. Ceci concerne évidemment toutes les professions du cadre de vie, conception, architecture, urbanisme ou paysagisme.

Ce développement des missions en amont nécessite probablement un certains nombre de compétences et des professionnels nouveaux.

Il faut identifier ces professionnels et je crois que le rapport aurait dû insister sur ces nouvelles missions. Parce que c'est par elles, que les professionnels de l'espace et naturellement les architectes, seront au premier rang pour les exercer.

Ceci me permet de faire la transition avec le deuxième aspect qui est le LI.MA.DO. Le LMD est une chance formidable de « casser des barrières » et d'organiser des passerelles entre les différentes formations.

Nous avons illustré ce propos avec un angle davantage tourné vers l'urbanisme mais, bien évidemment, toutes les professions sont concernées.

Il nous semble qu'il faut, aussi bien à l'échelle de la France qu'à l'échelle européenne, identifier un certain nombre de lieux qui permettent ces échanges. Pour prendre l'exemple de l'urbanisme, il existe 250 formations dans ce domaine, ce qui est totalement illisible.

Les fonctions de conception de l'espace et les fonctions du cadre de vie doivent être identifiées. Il faut créer, probablement à l'occasion de la réforme LMD, ces lieux d'échange, ces lieux de cursus communs, dans lesquels l'étudiant pourra « faire son marché ». C'est véritablement l'esprit du LMD. Mais cela doit se faire avec un guide de lecture, appréhendable, avec une priorité donnée au cadre de vie.

Nous craignons, au ministère de l'équipement, que la réforme LMD ne soit pas l'occasion de ce renouveau, au risque, même si c'est un risque limité, de se réfugier dans les formations les plus classiques, les plus connues -histoire, géographie, sociologie- ou les plus basiques telles les formations historiques, et puis que finalement l'urbanisme et la conception de l'espace soient une variante de ces grandes formations historiques.

C'est un risque qui a été identifié dans certains pays, et ne souhaitant pas qu'évidemment en France nous ne connaissions le même risque, nous avons confié ce rapport à MM. Pouillet et Frébault pour que l'avancée qui a été acquise en France avec les instituts d'urbanisme, les échanges qui existent entre les écoles d'architecture et les écoles d'ingénieurs, soient encouragés. Je pense par exemple à Lyon ou à Marne-la-Vallée, où un certain nombre d'échanges se fait dans le cadre du LMD. Mais au-delà on devrait peut-être avoir une politique un peu plus volontariste. On vous fera des propositions dans quelques mois sur ce sujet pour identifier quelques lieux qui soient, à l'échelle européenne, lisibles pour l'ensemble des étudiants qui voudront se concentrer au métier du cadre de vie.

Sur les études d'urbanisme, je souhaite rappeler trois points :

Premièrement, suite à la loi sur l'habitat défendue par M. Gilles de Robien et votée il y a deux ans, désormais les collectivités peuvent inscrire ces dépenses dans la section investissements, ce qui est très important. Les études d'urbanisme sont considérées désormais comme un investissement. Ce ne sont plus des mots, c'est une instruction budgétaire avec les conséquences financières que cela comporte, chacun comprend en matière de TVA, etc.

Je ne suis pas sûr que tous les maîtres d'ouvrage aient saisi les conséquences de ce changement législatif et je rends d'ailleurs hommage aux parlementaires d'avoir voté cet article de loi. Maintenant, il faut que les collectivités territoriales en tant que maîtres d'ouvrage en tirent toutes les conséquences.

Pour accompagner ce mouvement, le ministre de l'équipement a rédigé une circulaire en concertation avec nombre de professionnels du cadre de vie pour affirmer clairement que le nouveau code des marchés publics devait être utilisé comme instrument pour développer la qualité et non pas pour le moins-disant. Le nouveau code des marchés publics doit mettre la qualité au coeur des critères.

J'insiste donc sur le fait que, pour bien apprécier la qualité -le Président y a fait allusion, c'est une mission effroyable- il faut développer les missions de maîtrise d'ouvrage.

Mme Catherine BERGEAL, sous-directrice des sites et des paysages au ministère de l'écologie et du développement durable

Je voulais apporter un témoignage par rapport au bilan que nous partageons totalement. Effectivement, la nécessité de payer la matière grise, de s'organiser et de répondre à une demande sociale forte est un constat amer, mais qui apporte également une note d'espoir.

Certes, on ne s'occupe pas convenablement de la formation et de l'organisation des formations de paysagistes.

Mais à cela je voulais apporter une note d'optimisme. On voit globalement une forte demande sociale de populations émergentes de paysagistes se structurer et pour laquelle l'organisation des formations est difficile. La réforme LMD est donc une chance fabuleuse pour cette profession qui essaie de s'organiser pour y répondre, en partenariat avec tous les autres professionnels du cadre de vie.

Côté public, je pense que « paysage » est équivalent à « intérêt général », et qu'effectivement c'est un signe directeur qui permet d'intégrer les différentes compétences autour d'un dessein commun. On doit débattre de ces populations, ça me semble être une donne importante de la « balkanisation » certes, mais aussi de la resociétisation autour de projets perfectibles, médiatisables et pouvant être débattus avec ces populations.

M. Yves DAUGE

Merci beaucoup. Y a-t-il d'autres questions ?

Le Président du syndicat des architectes du Val-de-Marne

Je voudrais en préambule vous remercier pour l'action que vous menez et qui relaie beaucoup nos difficultés que M. François Pélegrin a rappelées. Il y a un an nous étions dans la rue, et aujourd'hui nous sommes là pour essayer de faire avancer les différentes questions qui nous préoccupent.

J'ai malgré tout l'impression que chacun essaie de défendre sa profession, bien qu'en réalité, il ne s'agisse pas de cela. Je vais prendre mon cas personnel : j'ai une formation d'ingénieur et d'urbaniste également ; je suis donc vraiment au coeur du projet.

Je considère que mes compétences ne sont pas universelles. Dans cette chaîne immense qu'est celle de l'aménagement du cadre bâti, chacun prend sa place et il y a de la place pour tout le monde.

Ces conflits, ces bagarres ne riment absolument à rien. En revanche, il faut reconnaître la spécificité du métier d'architecte, et cette spécificité, je la vis.

Si je suis heureux c'est parce que je suis architecte et parce que je sais de quoi je parle lorsque je parle en amont avec un urbaniste. Je pense que mon apport est extrêmement utile comme le sera celui des architectes quand on arrivera à les introduire dans les milieux un peu « administratifs » s'ils ont également leur place dans ce domaine.

La spécificité de l'architecte est une donnée sur laquelle j'insiste afin qu'elle soit reconnue, et essentiellement au travers du projet.

Je voudrais citer un petit exemple parce qu'il est très important dans notre pays.

Nous avons à notre disposition, depuis 1976, le plan d'occupation des sols et il faut bien reconnaître que c'est un échec. C'est un échec parce que toutes nos administrations, en particulier les DDE, ont eu pour objectif exclusif l'application d'un règlement d'urbanisme. Mais ça n'est pas ça.

Le règlement d'urbanisme doit être un moyen ; or en quoi l'échec a-t-il consisté ?

En une simple photocopieuse qui a marché entre les différentes DDE. Nous avons des stéréotypes de règlements d'urbanisme alors qu'en réalité il ne s'agit pas de cela. Chaque projet doit être approprié à sa région. Si nous avions associé les architectes à l'élaboration des plans d'occupation des sols, nous n'en serions pas là.

Chacun a sa place, et je pense qu'il faut que nous voyions ces problèmes-là dans l'esprit de complémentarité dont tout le monde a parlé et sur ce point nous sommes d'accord.

Mme Sylvie WEIL, chargée de mission auprès du secrétaire général de la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP)

Je voudrais tout d'abord excuser notre Président, M. François Kosciusko-Morizet qui est souffrant et qui m'a demandé hier soir de le remplacer. Deux mots sur la MIQCP pour ceux qui éventuellement ne connaîtraient pas notre action et notre Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques.

La mission a été créée en 1977 pour aider la maîtrise d'ouvrage publique dans l'organisation de sa commande et dans les conditions à mettre en place pour obtenir un projet de qualité. Bâtiments publics, espaces publics, projets urbains, paysages sont nos domaines de réflexion et comme nous sommes une toute petite équipe, nous avons très vite identifié, à l'occasion d'enquêtes, d'écoute des professionnels, d'études sur la situation des autres pays d'Europe, que la qualité des constructions se fait en amont des opérations. Vous savez que le budget d'une opération est déjà engagé à 80 % alors que l'on n'est encore qu'au stade des études préliminaires et des premières esquisses, qui engagent à peu près 5 % du budget.

C'est-à-dire que 5 % du budget pour les études préalables, la programmation et les premières esquisses engagent et déterminent 80 % de l'opération dans sa finalité.

Vous comprenez donc pourquoi à ce moment-là nous insistons sur l'amont des opérations et sur ce couple fondamental qu'est le donneur d'ordres et le concepteur. Ce dialogue fondamental est notre préoccupation.

Quand on parle de complémentarité c'est pour nous évidemment la connaissance des autres métiers du cadre de vie, mais c'est aussi pour les architectes et les maîtres d'oeuvre un devoir de connaître les préoccupations de la maîtrise d'ouvrage. Enfin, c'est aussi pour la maîtrise d'ouvrage, qui est un métier complexe, la responsabilité de trouver une formation (qui n'existe pas) et d'être attentive aux métiers de la maîtrise d'oeuvre.

C'est en connaissant les métiers des uns et des autres, à travers une formation initiale puis à travers des formations permanentes, qu'on espère que ce dialogue entre maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'oeuvre ainsi que les conditions des contrats vont s'améliorer, suivant une juste rémunération.

Pour nous évidemment les métiers de la maîtrise d'oeuvre, architecte, urbaniste, paysagiste sont fondamentaux dans ce processus parce qu'il faut bien reconnaître que seuls ces métiers forment à la synthèse, à la coordination, de la conception jusqu'à la fin de la réalisation.

Je pense donc que c'est là qu'il faut insister pour améliorer la formation et la valorisation de ces métiers, leur mise en place dans des processus d'opérations pour assurer une cohérence, une continuité de leur intervention du plus en amont au plus en aval. Cela explique donc la diversification des positionnements par la suite, les uns préférant être conducteurs de projet sur la maîtrise d'ouvrage ou la programmation, les autres préférant travailler en maîtrise d'oeuvre parce qu'on a besoin aussi de maîtres d'oeuvre pointus dans différents domaines.

Je voudrais insister sur un point qui est peu évoqué. M. Pélegrin a parlé tout à l'heure de programmation, de conception, de réalisation. Nous tenons à mettre en lumière aujourd'hui des actions qui sont rarement mises en place : il s'agit de l'évaluation.

Il faut favoriser le développement des actions d'évaluation pendant et après l'opération. C'est une culture totalement indispensable qu'il faut développer. On ne voit pas comment on peut traiter les problèmes qui sont mis en avant aujourd'hui tels que le coût global, le développement durable, l'évolution des contrats dans la durée d'une opération, sans mettre en place des pratiques d'évaluation et sans les prévoir en amont des opérations. Cela peut passer par des livres de bord, par un mémoire etc.

Je rappelle que les programmistes, associés au sein de l'IPAA (Institut de la programmation pour l'architecture et l'aménagement), avaient commencé un travail extrêmement intéressant sur ce domaine. Cette étude n'a pas pu aboutir, l'IPAA ayant disparu faute de moyens, mais aussi du fait du décès très brutal au mois de mai de deux de ses chevilles ouvrières qui étaient Jacques Allègre et François Lombart.

Donc dans le contexte de la maîtrise d'ouvrage, je crois que la programmation et l'évaluation sont des thèmes sur lesquels il faut réfléchir à nouveau.

M. Yves DAUGE

Merci beaucoup madame, il y a une demande d'intervention.

Mme Dominique RIQUIER-SAUVAGE, ancienne présidente de l'UNSFA

On a proposé d'insister sur les phases importantes des études de programmation, de conception et de réalisation et on a parlé de la juste rémunération.

Mais je voudrais qu'on parle un peu des délais. Au stade de la programmation, il faut aller très vite, on ne prend pas le temps de réfléchir, on ne nous laisse pas le temps de concevoir correctement.

En France on est victime, en ce qui concerne la conception architecturale, de la fréquence des élections. Il y a les élections municipales, ce qui donne deux ou trois ans aux élus pour réfléchir et décider juste avant les prochaines élections qu'il faut construire une école. Le besoin existe bel et bien mais on ne prend pas le temps de réfléchir à la manière de procéder.

Alors, s'il vous plaît, laissons un peu de temps à la réflexion en amont.

M. Yves DAUGE

Merci madame, votre description est la définition de la réalité mais je crois qu'il faut l'étendre. Vous avez illustré votre problème au niveau municipal mais il faudrait aussi le développer au niveau de l'État...

Donnons la parole à M. Tricaud, président de la Fédération française du paysage.

M. Pierre-Marie TRICAUD, président de la Fédération française du paysage

Monsieur le sénateur, merci tout d'abord de nous avoir invités, nous qui sommes une profession limitrophe de l'architecture.

J'aime bien cette définition parce que je pense que les paysagistes sont des gens des limites : on est toujours entre la ville et la campagne, entre l'architecture et l'écologie, l'agronomie, entre le passé assumé d'un site et son avenir que le projet laisse ouvert, etc.

J'avais préparé une intervention en répondant aux trois points et même en regardant les 30 propositions que vous avez faites puisque beaucoup sont intéressantes. J'ai envie de réagir dessus. Je pourrais par la suite vous informer plus précisément sur nos positions.

Quelques points qui émergent rapidement, sur ces limites et ces complémentarités d'abord entre les différentes professions.

J'interviens après un certain nombre d'autres personnes avec qui je partage plusieurs points qui ont été dits. L'heure est en effet aux équipes pluridisciplinaires etc. Je pense que le temps où nous étions les simples planteurs d'arbres appelés à la fin du projet est révolu. Nous sommes reconnus par les architectes comme des concepteurs à part entière et ça fonctionne relativement bien.

Le problème se pose évidemment lorsque les équipes ne se font pas. On voit encore des annonces de concours où, pour un aménagement d'espace extérieur, on demande expressément comme mandataire un architecte inscrit à l'Ordre. Évidemment, quant à nous, nous ne réclamons pas de recours obligatoire aux paysagistes...

Je pense par ailleurs qu'on a beaucoup parlé de ces trois professions qui ont pas mal de choses en commun que sont les architectes, les urbanistes, les architectes-paysagistes. Un terme les regroupe finement puisqu'on parle de « spacialistes », c'est-à-dire ceux pour qui l'espace est l'objet même de notre travail et pas simplement un support.

Je pense qu'il faut en effet continuer à avoir des relations assez étroites sur la question des formations. Je m'intéresse à ce qui se fait en ce moment sur l'évolution, l'adaptation des enseignements du paysage à la réforme LMD. Il est certain qu'on ne peut pas travailler dans notre coin sans tenir compte de ce qui se fait, notamment dans les équipes d'architecture. Il faut qu'on travaille vraiment ensemble.

Il y avait une idée que je trouvais tout à fait intéressante dans vos propositions, celle de Confédération des métiers de la maîtrise d'oeuvre. C'est une idée à creuser.

Doit-il s'agir d'ailleurs d'une grande Confédération de tous les métiers de la maîtrise d'oeuvre ?

N'y a-t-il pas plusieurs métiers, peut-être plusieurs modèles de confédérations ? Par exemple, une pourrait regrouper les spécialistes, peut-être une autre les professionnels de la filière bâtiment de façon plus large.

De la même façon, nous avons créé pour les métiers du paysage, en collaboration avec les entrepreneurs et avec les pépiniéristes, une Confédération des métiers du paysage dont il existe peut-être aussi l'équivalent dans la filière bâtiment.

Ensuite, sur le deuxième point, faut-il moraliser les relations ? On peut difficilement répondre par la négative. Ce point a été largement et brillamment traité par mon voisin représentant des ingénieurs. Il y a les problèmes de la concurrence avec l'ingénierie publique, des problèmes plus spécifiques aux professions de la conception, des problèmes de reconnaissance et de rémunération et puis des problèmes plus spécifiques aussi au domaine du paysage puisque la loi ne reconnaît pas le paysage ; nous sommes donc rémunérés dans des taux beaucoup moins élevés. Ce problème mériterait d'ailleurs une adaptation de la loi.

En ce qui concerne l'ingénierie publique, certes les paysagistes sont souvent de toutes petites structures et la co-traitance avec l'ingénierie publique leur permet parfois d'accéder à certains marchés, mais il faut voir dans quelles conditions. C'est souvent un mariage assez dangereux, au terme duquel le paysagiste ne fait que quelques vacations de maîtrise d'oeuvre mais exerce quand même des responsabilités.

Il y a donc un assainissement à mener en faisant attention que cela ne conduise pas à un morcellement des marchés. Je crois que ce souci est aussi partagé par les architectes.

Enfin sur le troisième point, comment inciter les pouvoirs publics à favoriser la qualité architecturale et paysagère ? Vous parlez de susciter un goût de l'architecture, une sensibilisation à la beauté architecturale. Je pense que c'est important parce que c'est d'abord une culture de l'espace et de la beauté ; j'ajouterai simplement qu'on pourrait favoriser un goût du paysage et de la qualité des paysages évidemment.

Ensuite il y a la présence de ces fameux « spacialistes » auprès de la commande, dans tout ce qui est justement en amont et en aval du projet, c'est-à-dire les politiques, la programmation, la commande, la maîtrise d'ouvrage, la gestion, l'évaluation aussi et surtout tous ces points. Nous, nous militons évidemment depuis longtemps pour que notre profession y soit plus présente. En Allemagne par exemple, on compte par centaines les paysagistes dans le secteur public alors qu'en France on les compte sur les doigts de la main.

Des améliorations ont été faites ou sont en cours. Il y a quelques années ont été créés des paysagistes conseils de l'État qui restent libéraux mais qui ont une mission comme les architectes conseils, ce qui a constitué une avancée très importante. Il y en a eu encore récemment pour l'accès des paysagistes à la fonction publique. Mais on est encore loin du compte : pourquoi ne pas intégrer les paysagistes au corps des architectes urbanistes de l'État ?

Au niveau de la fonction publique territoriale, pour l'instant, il est possible d'accéder au corps des ingénieurs territoriaux.

Enfin se pose aussi la question de l'instruction qui nous concerne évidemment. Nous nous intéressons, vous vous en doutez, au volet paysager du permis de construire institué par la loi de 1993.

Certes même sans instruction sérieuse, l'obligation de ce volet a le mérite de pousser le pétitionnaire à évaluer lui-même l'implantation de son projet. C'est parfois intéressant d'avoir des règlements qui poussent simplement à réfléchir. Le but n'est pas tant de faire une réglementation supplémentaire mais d'obliger les gens à faire des projets.

Je pense donc que c'est déjà une bonne avancée, même s'il faudrait, comme l'ont rappelé les représentants du syndicat d'architectes, que tout cela soit quand même un peu mieux fait.

Voilà quelques points...

M. Yves DAUGE

Merci, monsieur, on a encore un peu de temps pour discuter au sein de cette table ronde ; on travaille toujours sur les conditions d'exercice et on passera tout à l'heure à la commande.

M. Dominique Schmitt, préfet, qui est directeur des collectivités locales a demandé la parole et je m'en réjouis.

M. Dominique SCHMITT, directeur général des collectivités locales

A ce stade de la réflexion, je voudrais faire part de deux problématiques.

Tout d'abord, lorsque le Gouvernement a commandé à une équipe de fonctionnaires qui comprenait des représentants du ministère de l'intérieur et de l'équipement, une réflexion sur les trois lois Voynet, Chevènement, SRU ; cette équipe a conclu sur la nécessité de développer la planification car en France elle est très insuffisante et source de coûts pour les pouvoirs publics. Des coûts induits par une mauvaise utilisation et un gaspillage de l'espace et des investissements réalisés de façon non cohérente.

Dans ce contexte, non seulement nous avons appuyé le maintien des stocks, mais nous avons conclu à la nécessité d'avoir des réflexions sur des territoires plus larges, notamment sur les territoires littoraux, qui nous ont conduit à nous demander ce que pouvait être le complément de cette planification, en intégrant la double problématique de décentralisation et de déconcentration, afin de savoir qui allait être responsable et de quelle façon la concertation entre l'État et les collectivités locales allait pouvoir se faire.

À ce stade il est tout à fait évident que cette planification nécessite des moyens financiers pour pouvoir la mettre en oeuvre et des moyens humains notamment à travers des équipes polyvalentes capables de la mener à bien. Les planifications devront ensuite être opérationnelles sur le terrain.

C'est la première remarque que je voulais faire.

La deuxième maintenant : nous allons connaître des réformes assez fondamentales de la fonction publique. Vous savez que la fonction publique territoriale était structurée autour de filières et de cadres d'emploi ; pourquoi ? Parce qu'il fallait à la fois répondre à la spécificité de 50 000 employeurs et à l'unité statutaire qui était nécessaire, c'est pour cela qu'on n'a pas repris le concept de corps mais de cadres d'emploi.

Cette problématique on la retrouve aujourd'hui. Les responsables de programmes sont obligés de faire leur marché sur le marché de l'emploi public afin de pourvoir les emplois pour garantir des objectifs et des résultats.

On va d'ailleurs retrouver une logique très proche de ce qui avait amené à l'époque la fonction publique territoriale à s'organiser en filières et cadres d'emploi.

Dans ce contexte, la fonction publique territoriale va elle-même connaître des évolutions avec un projet de texte qui est en cours d'élaboration à travers deux axes.

Le premier, c'est que nous allons largement libéraliser le recrutement de cadres en supprimant un certain nombre de seuils qui empêchaient les petites collectivités locales de recruter des cadres de bon niveau.

L'impact portera directement sur la maîtrise d'ouvrage parce qu'évidemment, à partir du moment où les projets ont été bien pensés au niveau de la définition des programmes, la liaison entre la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre est meilleure.

Voilà un premier axe de réforme très important.

Deuxième axe : nous sommes partis sur des formations initiales que nous allons raccourcir, au profit d'une formation continue tout au long de la carrière.

Et ceci va avoir un impact sur l'organisation de toutes les écoles et de tous les centres de formation. On va se retrouver dans des schémas où il faudra repenser ce qui était initialement une formation initiale pour l'ajuster sur une formation continue dans un contexte de passerelle État-collectivités locales.

Nous menons actuellement toute une série de pourparlers avec toute une série d'écoles dont la première est l'ENA avec l'INEP ; mais ces discussions se poursuivront avec les écoles techniques de l'État, pour essayer de bâtir des formations communes qui intègrent le fait que la demande majoritaire doive se situer au niveau de la formation continue.

Ces formations devront être filtrantes et nous allons de plus en plus utiliser la validation des acquis de l'expérience pour reconnaître ces titres.

Ce qui veut dire que dans des problématiques comme celles de l'ingénieur, de l'architecte ou de toute une série de disciplines qui, au niveau de différentes formations, permettent les complémentarités entre différents métiers et différentes spécialités, tout un champ d'action nouveau va apparaître avec cette réforme fondamentale de la fonction publique.

M. Jacques VALADE

M. le Préfet, merci infiniment parce que les deux sujets que vous avez traités sont tout à fait fondamentaux. Mais je me permets de revenir sur des questions qui ont été évoquées et qui sont cohérentes surtout avec le second point que vous venez de traiter.

Il a été dit ce matin qu'il importait d'avoir une bonne formulation de la commande.

La formulation d'une bonne commande suppose que les collectivités territoriales disposent de personnes compétentes.

Mais malheureusement, par expérience, je constate que ça débouche souvent sur un raffinement dans l'expression de la commande qui est très contraignant, très limitatif pour l'expression des qualités de création et de créativité, notamment, pour celles des architectes.

En outre, si on n'y prête attention, cela revient pratiquement à substituer l'opinion de nos collaborateurs techniques à la qualité de la présentation d'un projet. Par conséquent cela va être singulièrement limitatif au niveau du jugement.

Et l'élu va se trouver confronté à un dilemme : soit examiner les projets qui sont formulés, notamment en termes d'architecture, soit s'en tenir au respect de la lettre de commande qui a dépendu de ces collaborateurs techniques. A ce moment-là, soit il va être totalement prisonnier de la formulation de sa propre commande qui lui a échappé notamment parce qu'il n'est pas techniquement compétent soit il va s'en affranchir et on retombe sur une nouvelle difficulté, qui est la difficulté du choix.

Et je suis là en aval de ce qu'on évoquait initialement, c'est-à-dire le passage des 150 ou 200 candidats qui sont susceptibles de faire partie des 3 ou 4 qui seront sélectionnés.

Il y a là un vrai problème, M. le Préfet. On peut sans doute le régler d'une façon réglementaire, mais il faudra aussi que l'on accorde les différentes professions sur la réelle maîtrise de l'acte de construire, parce que sinon la dualité que vous évoquiez et que nous avons évoquée ce matin entre maîtrise d'oeuvre et maîtrise d'ouvrage va subsister et aboutir à des situations qui quelquefois sont très difficiles à maîtriser.

Je voudrais également, pour terminer, mettre en exergue ce qui a été évoqué ce matin également : il est bien évident que les élus que nous sommes sont « terrorisés » par ces questions de sécurité juridique. Car quand on regarde le cheminement d'un projet depuis son début jusqu'à sa réalisation, il est clair qu'à chaque instant il peut y avoir des péripéties qui mettent en cause son orthodoxie du respect des procédures, qui peuvent limiter non pas les ambitions mais les réactions de l'élu vis-à-vis d'une réglementation qu'il souhaite respecter, qu'on lui impose d'une façon quelquefois très sévère, pour ne pas dire arbitraire, et qui risque par la suite de lui retomber dessus.

M. François PÉLEGRIN

Je pense que si on commençait par mettre un architecte aux côtés de chaque maire, ce serait déjà le duo gagnant et la pédagogie pourrait être faite là où elle doit l'être.

Si effectivement on laisse à du personnel purement technique le soin de conseiller l'élu, on risque de tomber dans un travers.

M. Jacques VALADE

Excusez-moi, quand j'ai dit personnel technique j'ai nommé toutes les professions y compris celle d'architecte, parce que si on met les architectes à côté du maire, celui-ci va être « prisonnier de ses architectes ».

M. François PÉLEGRIN

Non, pas si ceux-ci s'en tiennent à leur mission de conseil.

La MIQCP peut en témoigner, le ministère de l'équipement a une armée d'architectes conseils, le ministère de la culture également et ils savent tenir leur rang.

Je voudrais juste revenir sur cette spirale de l'échec parce que spirale de l'échec il y a, c'est évident. On a parlé du coût global, nous sommes ardents militants de cette formule mais du coût global, le vrai, c'est-à-dire de celui qui va jusqu'à chiffrer le coût du mal vivre. Je crois qu'aucune politique, aucun élu ne peut ne pas admettre sa pleine et entière responsabilité.

Alors c'est vrai que les textes sont ce qu'ils sont. C'est la pratique et la lecture que les hommes en font qui sont idiotes. Que ce soit le code des marchés publics ou alors les directives européennes qui s'apprêtent effectivement à traiter les marchés de services, et en particulier l'architecture, comme un achat banal qu'il faut donc prendre au moindre coût, etc. En vérité, rien ne nous oblige à cela.

C'est donc à vous, élus, d'avoir une lecture vertueuse de ce code des marchés publics et d'avoir le courage d'effectuer votre mandat comme il faut en donnant la bonne lecture des choses.

Enfin je voudrais dire que la MIQCP depuis plus de vingt ans a avancé plusieurs recommandations. La plus grande victoire serait de faire disparaître la MIQCP lorsqu'elle ne sera plus nécessaire.

Ce qui est aberrant, c'est de voir que tout ça s'entasse dans des armoires et dans des placards et que personne n'en fait un véritable usage.

Donc tant que nous continuerons à jouer à cache-cache avec des textes et à ne pas avoir le courage d'assumer nos responsabilités, on ne sortira pas de cette spirale de l'échec.

M. Yves DAUGE

C'est bien...

Mme Ann-José ARLOT

Je voulais juste dire rapidement que M. François Pélegrin attire l'attention sur la responsabilité du maître d'ouvrage, qu'il soit élu ou État, et c'est important.

En effet on peut reprocher des tas de choses à des tas de documents qui existent. L'exemplarité nous devons l'initier et c'est pour ça que je voulais demander que les grands élus des collectivités territoriales fassent le même effort que l'État. L'État s'est engagé, au sein du gouvernement avec le ministère de l'équipement et le ministère du logement et de la Ville, à se rendre exemplaire au travers d'une charte de qualité.

Et je crois que les collectivités territoriales ne doivent pas se cacher derrière des recommandations de juristes pour ne pas prendre les mêmes types d'engagements.

M. Yves DAUGE

C'est vrai, certains sont bien contents de se cacher derrière les textes pour ne pas prendre de risque politique et faire finalement leur travail.

Il y avait une question.

Un intervenant de la Fédération française du paysage

Je vais revenir brièvement sur le recrutement par la fonction publique de nouveaux experts qui aideraient à la commande.

Je me demande si on ne va pas créer à nouveau quelques agents qui vont rester dans une même collectivité locale bien que l'intérêt, je pense, des architectes conseils ou paysagistes conseils de l'État par exemple, soit d'avoir une expérience à mettre à disposition d'un maître d'ouvrage.

Je trouve beaucoup de vertus à ce dicton qui affirme que c'est avec les vieux braconniers qu'on fait les meilleurs gardes-chasses. Ce serait en effet dangereux d'avoir quelques agents dépourvus d'expérience du terrain.

Encore une fois, un maire, un élu est tout à fait à même de constituer ponctuellement une équipe qui saura le conseiller judicieusement.

M. Yves DAUGE

Vous dîtes vrai.

Mais vous voyez, on est déjà dans la deuxième table ronde.

Je voudrais qu'on termine sur la première, en restant un peu sur les conditions d'exercice et en concluant là-dessus parce qu'on va beaucoup parler de ce que vous dites maintenant.

Même intervenant de la Fédération française du paysage

Excusez-moi, mais on parle aussi bien à la table que dans la salle d'être vertueux.

Quelque chose est profondément anti-vertueux et anti-développement durable : c'est le code des marchés publics.

Je vais être très concret.

Dans le code des marchés publics, quand on fait appel à une candidature, on demande dans le meilleur des cas des références de moins de 5 ans, quand ce n'est pas de moins de 3 ans.

Alors l'aménagement durable, la durée, on les oublie complètement.

Après, parmi les critères d'attribution et cela a déjà été dit par d'autres intervenants que moi-même, figure le délai des études : donc, moins on réfléchit, plus on a de chance d'être sélectionné.

Mais si on réfléchit moins, on est moins payé et le cercle vertueux est complètement faussé.

Quand bien même nous avons à faire à des décideurs qui sont peut-être parmi nous, ou encore une fois à des élus qui s'en occupent et qui après passent le projet à leur service des marchés, cela devient catastrophique. Parce qu'on a des personnes qui s'abritent derrière la réglementation et qui achètent de la prestation d'aménagement d'espaces publics comme ils achètent les chaises d'un réfectoire.

Et tant qu'on en restera là, les choses malheureusement n'évolueront pas favorablement.

M. Yves DAUGE

Merci.

Un architecte, enseignant à Paris

Je voulais revenir sur un point qui me paraît crucial et que vous avez évoqué M. Valade : la question de la programmation qui est, selon moi, une des causes de la spirale infernale dont parle M. Pélegrin. Pourquoi ?

Regardez l'histoire de l'architecture, regardez les bâtiments que vous admirez, vous observerez bien entendu qu'entre la conception du bâtiment et sa programmation, autrement dit entre l'examen des besoins, l'expertise du site, du lieu et puis la fabrication du projet lui-même, il y a une liaison, il y a quelque chose de très concret, un travail qui participe à celui de l'architecte.

L'architecte pour moi, au-delà de tout ce qui a été dit, qui est très vrai je pense, est avant tout quelqu'un capable de faire l'expertise des environnements dans lesquels nous vivons. Les environnements dans lesquels nous vivons en France, en Europe et partout dans le monde changent très vite ; l'architecte sait faire, c'est sa compétence.

Et à partir de cette expertise des environnements, l'architecte est capable de proposer une évolution de ces environnements, et, ce qui n'appartient qu'à lui, il est le seul à proposer des représentations de ces environnements en devenir. Vous ne trouverez personne qu'il s'agisse des ingénieurs, des géographes ou d'autres spécialistes ou experts dans le cadre de vie comme on dit, qui soit capable de donner des représentations d'un environnement en devenir.

Il nous appartient donc de défendre cette compétence et cette capacité.

Or nous le voyons, moi comme beaucoup de mes confrères, plus le temps passe, plus le cahier des charges, comme on l'appelle maintenant, est lourd et précis, plus on donne de contraintes, plus on donne de grilles excel, plus le travail est prémâché ; et évidemment, moins on donne à l'architecte la possibilité d'imaginer cet environnement nouveau, d'en définir les formes, les solutions, les images. Tant que vous, élus et décideurs, n'aurez pas pris des décisions sur ce point, on n'aura pas changé les choses.

Je pense qu'il faut travailler ces questions du cahier des charges, de la programmation, des réglementations, des règles du jeu qui sont celles de la commande publique, mais aussi celles de la commande privée puisque maintenant la commande privée s'en inspire.

J'ai entendu parler de la MIQCP, mais je pense que nous, architectes aujourd'hui, réalisons que la MIQCP, c'est une histoire passée. Cette commande publique exemplaire est derrière nous, et les défis que nous avons à relever le seront moins avec la commande publique qu'avec une commande privée qui s'élargit, qui devient internationale.

M. Jacques VALADE

Merci M. l'architecte, cela doit susciter sans doute quelques commentaires.

M. Rousset a demandé la parole depuis un moment.

M. Michel ROUSSET, président de « Aménageurs et urbanistes dans l'Etat » (AUDE)

Je voulais réagir à votre propos, M. le Président. En vous remerciant tout d'abord de la sincérité de ce propos parce qu'il éclaire un des problèmes que nous rencontrons globalement pour la gestion de ces affaires difficiles d'aménagement et de gestion du cadre de vie.

Tout à l'heure, les professionnels ont affiché que leur communauté de point de vue n'était pas difficile à atteindre entre nous.

Et puis dans la salle, une intervention a évoqué le problème de la maîtrise d'ouvrage et des élus locaux, et du tempo dans lequel ils sont enfermés avec les échéances électorales.

Elle a fait réagir la salle. Pour ma part je n'étais pas dans une réaction aussi positive que la salle à ce moment-là et je pense que votre propos fait écho à cette réaction-là.

Donc, notre problème est de nous faire confiance les uns les autres. Il est clair que si un élu n'a pas confiance dans ses propres techniciens, il ne peut pas avoir confiance dans les techniciens qui travaillent en dehors de ses services.

Cette question de la confiance est donc très importante.

Je la retourne, ayant été un praticien d'urbanisme dans une collectivité locale, pour considérer la confiance du technicien vis-à-vis des élus.

Qu'est-ce qu'il peut faire ? Jusqu'où va-t-il ? etc.

Ces choses-là se régulent au quotidien. Elles ne sont pas instaurées une fois pour toutes.

Ces questions sont donc à gérer au quotidien. Nous, professionnels, avons autant de responsabilités que les élus, mais c'est vrai qu'il faudrait sortir de cette dimension d'opposition parce qu'elle est dommageable.

Juste un petit exemple pour dire qu'en urbanisme, pendant trop longtemps, on a substitué la décision politique à l'établissement préalable d'une règle, la seconde enfermant la première.

Cela sécurisait probablement l'administration de l'État qui avait la responsabilité de l'urbanisme à l'époque. Et aujourd'hui, heureusement, avec le plan d'aménagement en développement durable, il y a une capacité d'expression du politique, de la stratégie au niveau des problèmes d'urbanisme ; c'est là-dessus que le débat peut se poser et qu'une relation entre professionnels et élus peut s'établir de façon claire et nette. Mais c'est vrai que c'est une régulation à obtenir tous les jours et sur laquelle nous, urbanistes, qui n'avons comme employeurs permanents ou ponctuels que des élus locaux, sommes très attentifs.

M. Yves DAUGE

Alors une dernière question et puis M. Jean Félix.

Un architecte de la Marne

Je vais être un peu plus terre à terre parce que dans notre agence de 5 personnes, on intervient à 95 % pour des clients privés (habitats, entreprises, industriels).

On se rend de plus en plus compte d'une complète déconnexion du citoyen avec l'architecte.

Cela conduit d'ailleurs tout simplement à une demande croissante de personnes qui veulent venir faire signer un plan, il faut entendre signature de complaisance.

L'autre élément qui vient en notre défaveur, c'est tout simplement que nous sommes dans une société où les choses avancent de plus en plus vite, où les décisions doivent se prendre de plus en plus vite, notamment dans les entreprises.

Nous, au contraire, nous expliquons à nos clients qu'il faut du temps parce que le permis de construire est de trois mois, que des commissions passent, etc.

Merci.

M. Jean FÉLIX

Je voulais simplement suggérer de mettre en perspective le débat et les réflexions qui ont eu lieu avec les travaux qui sont menés par le Conseil général des Ponts que j'évoquerai brièvement.

Il s'agit de l'étude AGORA 2020. C'est une réflexion prospective sur les grandes ruptures porteuses de fortes déstabilisations à l'horizon de 2020.

Après deux années de réflexion, un premier rapport est sorti dont je vous cite les plus forts éléments qui apparaîtront dans les vingt prochaines années et qui auront l'impact le plus important :

1. Le déclin de l'Europe et le basculement de l'économie mondiale vers l'Asie. Par conséquent, il faut réfléchir aux professions dans une perspective internationale.

2. La cible majeure du périurbain.

3. Le changement climatique avéré et accéléré.

4. L'épuisement des ressources pétrolières.

5. La généralisation de la culture risque zéro qui est un problème majeur se posant actuellement.

6. Une crise financière majeure de l'État.

Je pense qu'on ne peut pas développer des réflexions sur l'avenir des professions à long terme sans avoir en tête ces quelques éléments.

M. Yves DAUGE

Mes chers amis, ne perdez pas le moral, restez avec nous.

M. Jacques VALADE

Je vous propose également de rester car nous allons passer tout de suite, avec M. Dauge, à la seconde table ronde.

Vous nous avez rappelé, M. le Président, que l'année dernière à la même époque, vous étiez dans la rue : Yves Dauge et moi-même préférons vous savoir ici avec nous, cette année, plutôt que dans la rue.

Mais peut-être ne faut-il pas en rester là. Bien sûr, nous n'allons pas renouveler indéfiniment ce type de rencontres, car cela n'aurait pas de sens de les multiplier à l'infini sans jamais déboucher sur du concret et du positif.

Je crois que nous avons bien vu que tout affrontement entre partenaires complémentaires n'a pas de sens et qu'il vaut mieux essayer de travailler ensemble et de se comprendre.

Nous avons compris que la solution ne résidait pas nécessairement dans la multiplication de réglementations nécessairement imparfaites -quelles que soient les qualités de ceux qui les préparent- et qui sont souvent difficiles à comprendre et à appliquer.

En qualité d'élu de la Nation, et d'élus locaux nous disposons d'une influence qui peut vous être utile, notamment auprès des pouvoirs publics, comme s'y est efforcé notamment Yves Dauge, à travers son rapport qui est marqué par cette volonté de concertation présente également lors des débats de ce matin.

Voilà ce qui, au point où nous sommes parvenus, me paraîtrait pour ma part, possible et sans doute souhaitable : mais cela, c'est à vous de nous le dire.

TABLE RONDE N° 2
:
PROMOUVOIR UNE COMMANDE RENOUVELÉE

M. Yves DAUGE

Nous allons aborder notre deuxième table ronde. Je signale, avant de commencer, que des représentants du « Moniteur des travaux publics et du bâtiment » sont avec nous, et je leur adresse mes remerciements parce qu'ils ont reproduit notre rapport dans un cahier spécial tiré à près de 75 000 exemplaires.

Nous revenons donc sur la commande : comment développer la commande ? Comment l'améliorer ?

Je passe d'abord la parole à Mme Ann-José Arlot.

Mme Ann-José ARLOT, directrice, adjointe au directeur de l'architecture et du patrimoine, chargée de l'architecture au ministère de la culture et de la communication

L'Etat à travers la commande publique, comme les collectivités, se doit d'être exemplaire. Même si la part de la commande publique est tout à fait infime par rapport à la commande privée, l'Etat ne saurait se soustraire à ce devoir d'exemplarité de la commande publique.

Je crois qu'il est important de le rappeler.

Nous pouvons donner, nous l'État, au travers des missions conjointes que nous conduisons, des directives, des exemples, des volontés, des messages forts de respect de ce tandem maître d'ouvrage/maître d'oeuvre. Mais la commande privée dispose d'une grande autonomie et si elle veut les ignorer, il n'y aura rien à faire.

Yves Dauge écrivait dans son rapport que, dans les années 1970, les logements sociaux avaient incarné cette exemplarité de la commande et de la qualité de l'architecture en France, ce qui est exact.

Je dirais que les nouveaux mécènes sont l'État et les collectivités territoriales, avec la même volonté de qualité, mais une zone d'influence nécessairement limitée.

Je voudrais rappeler l'intérêt des marchés de définition, chers aujourd'hui aux collectivités territoriales, qui permettent ou permettaient aux maîtres d'ouvrage éclairés d'entendre les architectes avec lesquels ils se proposent de travailler.

C'était peut-être effectivement une mauvaise-bonne solution, parce que ces études et ces travaux n'étaient pas bien payés et n'étaient pas forcément bien reconnus. L'objectif de l'État et des collectivités était d'entendre de nouveau les maîtres d'oeuvre.

Je crois qu'il faut le rappeler. C'est important puisque ce sont ces maîtres d'ouvrage exceptionnels qui sont salués aujourd'hui, et qui ont, avec le ministre de l'équipement et celui de la culture conjointement, porté cette volonté de rendre la parole aux architectes.

Afin de promouvoir une commande renouvelée, le fondement est bien de rendre cette parole aux architectes, ce que nous venons d'obtenir en défendant vis-à-vis de l'Europe la spécificité française à l'oeuvre dans l'organisation des concours d'architecture. C'est ainsi que nous pourrons de nouveau entendre les architectes lors de ces concours.

Voilà ce que je voulais dire en préambule.

M. Yves DAUGE

Je donne la parole à M. Jean-Marie Galibourg, secrétaire général adjoint de la Mission interministérielle, parce que là, nous sommes dans le coeur du sujet.

M. Jean-Marie GALIBOURG, secrétaire général adjoint de la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques

Le Président Valade a fait très plaisir à la MIQCP tout à l'heure lorsqu'il a évoqué en termes très justes la culture de la commande, car celle-ci nous semble être très importante.

On observe à la MICQP beaucoup de choses. On est en contact quotidiennement avec les services de maîtrise d'ouvrage et on s'aperçoit que, de ce côté-là, la situation a plutôt tendance à se dégrader.

Il y a autour du vrai décideur de plus en plus de services, de conseillers de tous genres qui n'arrêtent pas d'insister sur la complexité de la commande. Je pense qu'on ne réalise pas qu'on est en train de perdre ici le sens de la commande, le savoir être en face de la commande architecturale.

Il me semble aussi que dans les collectivités la commande est sur-administrée, notamment sur le plan administratif et juridique. Beaucoup de personnes jouent à faire peur, à « terroriser » même -le terme a été employé- les maîtres d'ouvrage.

Ce qui fait que tout le monde est un peu paralysé, et je crois qu'on a envie que la commande se libère et retrouve le sens de la qualité.

J'insisterais également sur l'importance du travail intellectuel (Sylvie Weil y a déjà fait allusion) et sur l'intérêt de payer le juste prix dans toutes les études en amont, que ce soit de programmation, ou de maîtrise d'oeuvre. Nous croyons, et nous en sommes toujours persuadés, que c'est le meilleur investissement qu'on puisse faire.

Mme Sylvie Weil tout à l'heure a fait un rapprochement entre l'investissement en études et l'investissement du bâtiment. Lorsqu'on a réalisé ces études qui représentent 15 % du coût global, on a en fait déterminé 90 % de l'investissement global.

Je crois donc qu'il faut reprendre une action très vigoureuse sur la commande et sur la fonction du maître d'ouvrage que l'on peut illustrer par des politiques de sensibilisation des maîtres d'ouvrage public et de formation, etc.

Nous le faisons avec les petits maîtres d'ouvrage et avec les CAUE en particulier, mais cette action devrait être démultipliée.

Je crois qu'il faut rendre un hommage particulier aussi à l'association architectes et maîtres d'ouvrage (AMO) qui développe des actions visant à faire se rencontrer des maîtres d'ouvrage et des maîtres d'oeuvre.

Je crois qu'il faut aussi développer les architectes conseils dans les collectivités, pour leur permettre d'être en contact direct avec les vrais décideurs. On a un peu l'impression que les assistants font écran entre les concepteurs et les maîtres d'ouvrage.

Il faut aussi qu'il y ait des architectes dans la maîtrise d'ouvrage publique, ou des personnels ayant reçu une formation initiale en architecture.

A une condition bien sûr : qu'ils abandonnent leur casquette de concepteur pour se mettre au service de la maîtrise d'ouvrage, ce qui exige des savoirs nouveaux.

Il faut enfin qu'il y ait des formations ciblées, à la fois avec des centres de formation des personnels des collectivités territoriales, mais aussi avec un cycle supérieur de formation pour les décideurs, les élus, surtout les hauts fonctionnaires, les secrétaires généraux, etc.

Je voudrais également insister sur le problème des coûts. Il faudrait se souvenir que la qualité a un coût.

Première chose, on observe très souvent que les ambitions du programme dépassent les enveloppes qui sont consacrées aux opérations.

On confond très souvent l'enveloppe d'opérations avec l'enveloppe des travaux. Donc le chiffre qui est lancé est un chiffre politique sur lequel on ne peut pas revenir et toute l'opération dérape à partir de ce moment-là.

A la fin, on a beau jeu de dire : « Mais regardez, les architectes se font plaisir, regardez comme ils dérapent, ils ne tiennent pas compte des objectifs du maître d'ouvrage. » Et cela retombe sur les épaules des concepteurs et sur l'image qu'on a d'eux.

Bien sûr -cela a été dit également-, si on veut que les gens travaillent bien il faut les payer !

J'ai un petit exemple à vous citer ; nous faisons des actions de sensibilisation avec les CAUE sur la Haute qualité environnementale -la HQE- et ça ne manque jamais. Lorsqu'on donne la parole à la salle, tout le monde est bien convaincu de son intérêt et il y a toujours un élu local pour prendre la parole et dire : « Moi je veux bien faire, ça m'intéresse, mais il ne faut pas que ça me coûte plus cher. » Eh bien, non !

Non, si on veut faire de la qualité environnementale, ça coûtera plus cher à l'investissement. On en récupérera une bonne partie, bien sûr, pendant la durée de vie de l'ouvrage, mais il faut mettre un peu plus d'argent à l'origine.

Voilà ce que je voulais dire dans un premier temps.

M. Yves DAUGE :

C'est très bien. M. Bernard Roth ?

M. Bernard ROTH, président de l'Association architecture et maîtres d'ouvrage (AMO)

Je voudrais d'abord rebondir sur ce que vient de dire M. Jean-Marie Galibourd.

J'approuve d'autant plus l'idée que la qualité a un coût, que la non-qualité en a un aussi. Les ouvrages mal faits, difficiles à entretenir, dont la maintenance est plus lourde que prévue, voire qui ne satisfont pas les usagers, ni les acquéreurs, ni les utilisateurs, etc., tout cela a un coût indirect qu'on n'a pas fini de mesurer, puisqu'il s'étend au fil des années.

J'ai ici l'honneur et le plaisir de représenter l'Association architecture et maîtres d'ouvrage. Ma très modeste contribution est de vous apporter le témoignage de vingt et un ans d'expérience d'une association, fondée sur l'idée que la qualité architecturale repose d'abord et avant tout sur la qualité de la relation entre le maître d'ouvrage et l'architecte. C'est une idée qui ne vous surprendra pas, je l'ai entendue à plusieurs reprises ce matin. Mais je voudrais simplement vous dire que nous nous efforçons, depuis ces années, de la vérifier pratiquement.

Comment procédons-nous ?

Nous mettons tout simplement ensemble ces deux catégories que sont les maîtres d'ouvrage et les architectes dans un laboratoire, sous forme de maison offrant des visites, des conférences, des voyages, des colloques, des publications et, avec un peu d'ethnologie, nous regardons comment ça marche et comment ça se passe.

Je peux peut-être aujourd'hui vous apporter les résultats de ces vingt et un ans d'expérience et les quelques petites conclusions très simples, ou en tout cas les quelques convictions qu'on peut en tirer.

Premièrement, on découvre que le maître d'ouvrage et l'architecte ne parlent pas tout à fait la même langue. Mais on se demande comment cela pourrait être autrement.

Les formations des maîtres d'ouvrage et des architectes, qui sont diverses, n'ont absolument rien de commun si ce n'est d'être à peu près exprimées en français toutes les deux. Je ne vais pas les développer mais, quelle que soit l'origine des maîtres d'ouvrage, universitaire ou en école, qu'ils soient ingénieurs, économistes, juristes, managers, etc., combien d'heures ont été consacrées à la sensibilisation à l'architecture pendant leurs études ? Zéro.

Combien d'heures dans la formation d'un architecte sont consacrées au management, au droit, par exemple au contentieux administratif qui n'est pas un sujet mineur dans sa future vie professionnelle ? À peu près zéro également.

Chacun a une formation d'assez grande qualité, mais totalement fermée sur elle-même et qui ne le prédispose en aucune façon, par aucun moyen, à établir un dialogue avec son futur partenaire.

La deuxième observation est au contraire assez optimiste, puisque, quand on met les différentes professions ensemble, ça fonctionne finalement très bien. Il passe, dans cette vitre blindée que je viens de décrire, un peu d'air dans un sens et dans l'autre.

L'architecte s'aperçoit que le maître d'ouvrage public ou privé, n'est pas qu'un être assoiffé de résultats, de culture de résultats uniquement exprimée en termes de coûts, de délais, de qualité d'exécution, mais qu'il est capable aussi de curiosité et de sensibilité pour peu qu'il en prenne le temps, et qu'il peut ressentir et devenir sensible aux espaces, aux lumières, aux matières. J'emploie trois mots qui ne figurent pas dans la culture apprise par le maître d'ouvrage dans les écoles ou à l'Université.

Le maître d'ouvrage, quant à lui, découvre que l'architecte n'est pas une espèce de saltimbanque qu'il faut canaliser absolument par tous les moyens, etc.

Il découvre aussi que l'architecture contemporaine, qui représente une très large partie de nos visites et de nos voyages, n'est pas si en rupture que cela avec l'architecture traditionnelle et que, derrière quelques signes de différence, d'opposition, voire de provocation dans certains cas, il y a peut-être plus de continuité et de choses communes à retenir et à découvrir... que de rupture.

Il découvre aussi au fur et à mesure des voyages et des commentaires que le style fait peut-être l'homme, mais qu'il ne fait pas l'architecture. L'ensemble des signes et de l'écriture architecturale ne doit pas occulter ce qu'est réellement l'architecture.

On l'a dit ici, et donc je n'insiste pas, mais il découvre concrètement, visite après visite, que l'architecture est une réponse. Je peux écrire des poèmes si l'envie m'en prend, mais je ne peux pas faire d'architecture si je n'ai pas une commande et si je n'ai pas quelqu'un qui me fixe un programme.

A propos de ce que j'ai entendu ce matin, je voudrais dire qu'au moins deux ou trois idées rejoignent les convictions que j'évoquais tout à l'heure.

J'ai notamment entendu parler de se faire confiance. J'ajouterai de se respecter, mais pour cela je crois qu'il faut parler la même langue sinon c'est très difficile. Mais parler la même langue signifie finalement avoir la même lecture.

Et ceci me conduit au deuxième point : pour apprendre à lire, on n'a pas besoin de connaître l'intégralité de la littérature universelle de tous les pays. Je dirais même que c'est plutôt l'inverse : lorsqu'on a appris à lire, alors on a une petite chance d'entrer dans la littérature.

Je crois qu'il en est de même pour un non-architecte par rapport à l'architecture : il faut d'abord apprendre à lire l'architecture.

Apprendre à lire l'architecture revient à cesser de penser que l'architecture est une façade. On croit avoir parlé d'architecture en disant : « J'aime ou je n'aime pas cette façade. » Mais on a seulement parlé de soi-même. L'intérêt est donc assez limité et l'énorme inconvénient en est d'empêcher d'entrer dans le sujet et d'essayer de le comprendre.

C'est aussi cesser de regarder l'architecture à travers des plans, et peut-être à travers des coûts, parce que si on veut bien prendre conscience un instant que l'homme ne vit pas en deux dimensions mais en trois, et que ce qui nous réunit ici n'est pas un plan, car le lieu dans lequel nous nous trouvons en ce moment est plutôt un espace, alors on a un autre regard et on commence à réfléchir à la qualité de cet espace.

Donc, lorsqu'on a fait cet apprentissage de la lecture, c'est-à-dire appris à décortiquer à partir de quelques grilles très simples la compréhension de l'objet- et quand on a la compréhension de l'objet à l'intérieur, il n'est pas difficile de l'avoir de l'extérieur, c'est-à-dire passer à l'urbanisme et voir comment cet objet se situe lui-même et est l'un des objets de l'ensemble de la ville -, je crois qu'on a véritablement brisé la glace dont je parlais tout à l'heure, et on peut commencer à se comprendre.

Le dernier point que je voudrais évoquer, parce que nous le vivons, c'est que la découverte et la compréhension de l'architecture, quand on n'est pas architecte, sont choses passionnantes. Il ne s'agit pas que de chiffres, de calculs, de réglementations, c'est aussi de la passion, de l'émotion. C'est peut-être sur ce point que je voudrais conclure.

Parallèlement au remarquable ensemble de propositions et d'observations qui ont été faites ce matin, il ne faut pas oublier ce qui est peut-être essentiel et évidemment beaucoup plus difficile à formuler en termes législatifs : pour réussir ce que nous souhaitons, il faut faire aimer l'architecture.

M. Yves DAUGE

On va faire comme tout à l'heure, il y a encore des intervenants...

Mais on va se tourner vers vous ; si des personnes dans la salle veulent intervenir...

C'est le cas, tant mieux, qu'on leur donne des micros.

Un architecte dans la salle

Je suis dans l'architecture depuis un demi-siècle si je compte mes années d'études, et je suis proche de ma retraite puisque l'architecture est une maladie dont on guérit difficilement.

C'est donc avec un grand plaisir que je participe à cette table ronde.

Ce qui à mon sens menace la profession d'architecte et plus généralement celle de la maîtrise d'oeuvre, c'est effectivement un manque de compréhension et de culture chez le citoyen français ; disons-le carrément : le Français ne sait pas ce que c'est que l'architecture. Il n'en voit pas la nécessité et il est très clair qu'il ne s'intéresse pas à son cadre de vie.

Je pense donc que si on veut sauver cette profession il faut créer les moyens de donner une culture aux générations qui arrivent et que, tout comme on enseigne la musique, les arts graphiques, la gymnastique dans les lycées, on devrait enseigner ce que sont l'architecture et l'organisation de l'espace.

Je parle d'organisation de l'espace car personnellement je ne vois pas de grandes différences entre un architecte d'intérieur, un architecte tout court et un architecte urbaniste. Ce n'est qu'une question d'échelle.

La formation et la tournure d'esprit sont les mêmes. Il s'agit de discuter avec l'utilisateur de ses besoins et de les satisfaire au mieux.

M. Yves DAUGE

C'est une question qui nous renvoie à des politiques difficiles.

On parle beaucoup des fondamentaux, et je pense que cette culture de base sur l'architecture mériterait d'y figurer.

D'autres interventions ?

Un représentant de la Société française des urbanistes

Je représente ici la Société française des urbanistes qui, avec la Société française d'architecture, sont les plus vieilles organisations professionnelles en France (1907 et 1911). Je suis chargé de la communication au sein du bureau.

Je vous lis une citation :

« Pour réussir la décentralisation, il importe que tout le réseau des professionnels compétents puisse être mobilisé au service des élus locaux, qu'il s'agisse d'éclairer les choix ou de mettre en oeuvre les politiques. »

Comme le sénateur Yves Dauge avait été à l'initiative, en octobre 1986, de ce document qui s'appelle « Élus et urbanisme », signé à l'époque par le ministre M. Pierre Méhaignerie et par le Président de l'Association des maires de France, il serait intéressant que le débat d'aujourd'hui s'inscrive dans cette lignée.

En ce qui concerne la confiance, les métiers d'urbanisme sont aussi concernés, tout comme ceux du paysage et d'autres aussi... Je pense que derrière leurs organisations et leurs confédérations, tous les urbanistes français, dont une très grande part sont des diplômés en architecture - donc il n'y a absolument pas de dichotomie et de lutte entre architectes et urbanistes sur ce point -, sont prêts à vous apporter une contribution.

Il y a un point que je voudrais souligner : c'est encore Yves Dauge, dans sa grande modestie, qui a contribué à créer un organisme, l'IFMO (Institut français de la maîtrise d'ouvrage), et j'ai eu la chance d'être l'un des premiers stagiaires ; l'IFMO se voulait « l'ENA de la maîtrise d'ouvrage ».

J'ai eu la chance de pouvoir faire cette formation qui a duré deux ans, à raison d'une semaine par mois, et nous étions issus de tous les milieux. Pour ma part, j'étais le directeur de Pacte de base ; il y avait des gens du ministère, des architectes libéraux, des directeurs adjoints d'organismes de logements sociaux, des représentants de collectivités...

Nous nous retrouvions pour des stages sur le terrain, avec des professeurs illustres venant de prestigieuses écoles comme les Ponts et Chaussées, ou étant des professionnels. Nous faisions des stages dans les collectivités. Il y a eu deux vagues d'une vingtaine de stages et puis tout s'est arrêté.

Je pense que ce serait intéressant de les relancer sous cette forme-là ou sous une autre. Aujourd'hui par exemple, les architectes d'Île-de-France parlent de pôles de compétences et un certain nombre de réflexions au niveau des professionnels sont en cours. Il faudrait analyser ce qu'a été à cette époque l'IFMO et relancer quelque chose dans ce sens-là avec une dimension nouvelle, à l'échelle européenne. Tout le monde a entendu parler de la circulaire sur les services qui fait couler beaucoup d'encre aujourd'hui ; je crois que c'est dans cette voie-là que nous devons quand même nous situer.

M. Yves DAUGE

Bien, j'en profite pour dire que vous représentez ici le mouvement PACT-ARIM (Protection - Amélioration - Construction - Transformation - Association de restauration immobilière) en tant que membre ; on a ici des promoteurs constructeurs, on a l'Union des HLM. Ce n'est pas rien, ce mouvement des PACT-ARIM qui travaille avec une dimension très sociale et très urbaine, avec les centres-villes, les quartiers. C'est un acteur très important qui fait travailler les architectes, les urbanistes. Il y a un potentiel énorme là aussi et vous redites ce que tout le monde dit : « Relançons les formations croisées, les échanges et ces types de formation. » C'est vrai qu'il faut aller sur le terrain, il faut voir, discuter... Passer deux ou trois jours avec des gens d'origines diverses dans un pays étranger ou dans une ville en France, ou une demi-journée, même ici, éclaire énormément l'esprit et fait du bien. En plus on se fait des amis dans ces contextes-là. J'avais créé « Architecture et Construction » à une époque. Il faut que l'effort se poursuive pour que cette connaissance réciproque des métiers et des réalisations, nous fasse progresser. On peut relancer cela dans un grand mouvement, les uns et les autres, ce qui fait peut-être un peu partie de ce que le Président Valade a dit : « Si on veut se concerter entre nous pour passer aux actes, faire des choses, on peut vous aider, nous, au Sénat, pour ces actions-là. »

Il a évoqué un point qui rejoint le thème suivant : comment développer la commande ?

C'est vrai qu'une relance de la planification est nécessaire ; il faut que cela soit financé au bon niveau.

Il faut vraiment faire un investissement intellectuel dans ce pays en ce moment ; il faut que l'État maintienne son apport. Je sais que les contraintes financières sont dures, mais il faut que les régions prennent aussi le relais. Il est du ressort des régions d'avoir une compétence en matière d'aménagement du territoire. Quand on fait des schémas de cohérence territoriale, on fait de l'aménagement du territoire.

Il faut que chacun mette du sien pour le développement et, dans cette action de planification, nous avons besoin des urbanistes, des paysagistes, des architectes et des ingénieurs. Il y a une économie globale du développement durable.

C'est par des actes plus porteurs pour développer l'intelligence - et tout le monde le sent bien -, c'est autour d'un axe comme celui-là qu'on rassemblera des moyens financiers pour qu'il y ait davantage de matière grise...

Il y avait une autre question ? Non ?

Je salue la présence de notre collègue sénateur Jean-Pierre Sueur qui est l'auteur d'un excellent rapport sur le problème des villes.

Je donne la parole au président de la Fédération nationale des promoteurs constructeurs que je remercie vivement d'être avec nous.

M. Marc PIGEON, président de la Fédération nationale des promoteurs constructeurs

Je ne comprends pas tout ce j'écoute : j'ai l'impression que je ne vis pas dans le même monde. Avec mes architectes on s'entend bien, cela se passe bien, il n'y a pas d'échec ; on peut toujours s'améliorer, se perfectionner, mais ce n'est pas aussi terrible que tout ce que j'entends là.

Je ne le perçois pas comme ça. Je ne perçois pas non plus la caricature que vous avez exprimée tout à l'heure sur le maître d'ouvrage qui serait un ingénieur ou un financier et à qui il manquerait de légères sensibilisations. Moi, je suis sensibilisé toutes les heures, comme vous l'avez dit, toutes les minutes.

Des actions de sensibilisation, j'en ai au quotidien. Et croyez bien que -j'en ai bien conscience aussi, parce qu'on a des enfants et qu'on ne veut pas faire du béton seulement pour faire de l'argent et des honoraires- ça ne se passe pas comme ça chez Mac Donald ! Il faut quand même être un peu sérieux.

Je vous parlerai en revanche des problèmes qui n'ont pas été évoqués, auxquels vous ne vous intéressez pas et pourtant, à mon sens, vous le devriez.

Je vais vous dire ma vision de la maîtrise d'ouvrage, mais seulement pour la commande privée car je ne peux pas parler de la commande publique.

Je vais réagir seulement sur quelques éléments.

Tout à l'heure, vous parliez d'ignorance mutuelle ; moi, je n'ignore pas mon partenaire architecte parce que dans un programme à deux, on réussit ou on échoue à deux ; quand je dis à deux, je parle de tous les partenaires, les techniciens, etc., même si le président de votre syndicat avait considéré tout à l'heure qu'il n'était pas technicien.

À titre personnel, quand je lance mes programmes, je suis avec un paysagiste au départ, et je m'aperçois d'ailleurs pour les grandes opérations que c'est plutôt lui qui va faire le plan de masse, qui va voir la manière de le mettre dans l'espace, etc., et que nous sommes toute une équipe. Ces choses, ces clans, je ne les vis pas au quotidien, pourtant j'ai une entreprise, je ne suis pas Président de la Fédération comme ça...

Je n'ignore pas mes partenaires architectes et tous mes partenaires concernés, premier point.

Deuxième point, pour la commande, la juste commande, la vraie commande.

J'aimerais d'abord vous rappeler que, concernant la commande, on est deux : le maître d'ouvrage, d'une part, et ses partenaires, d'autre part.

Parfois, c'est le maître d'ouvrage qui propose et qui précise le contexte de la commande.

Parfois même -et je vous le dis pour mon entreprise-, en termes de prix, il demande : « Combien veux-tu ? Qu'est-ce que tu souhaites ? »

Et c'est lui qui détermine le prorata. Mais ce n'est pas toujours le couteau sous la gorge, je ne l'expérimente pas ainsi tous les jours...

Vous avez cité des exemples, moi aussi je vais vous en citer...

Ce n'est pas normal qu'à la commande on ne perçoive pas déjà quelques honoraires...

Mais moi, je ne prendrais pas un crayon à votre place, tant que je n'aurais pas l'assurance d'être payé.

Au lieu de dire que c'est la faute du maître d'ouvrage, vous devriez régler le problème en interne ; faites donc le ménage chez vous avant de le réclamer chez les autres.

Il peut, il est vrai, être quelquefois très utile d'avoir des gens qui font l'investissement ; je vais vous raconter deux histoires, pour illustrer mon propos.

Comment un jeune va-t-il démarrer ?

Moi, quand j'ai démarré ma boîte, je n'avais pas un sou, zéro.

J'ai demandé à un architecte qu'il veuille bien faire une étude ; il l'a faite gratuitement ; mais nous n'avons pas obtenu le permis de construire, du fait des exigences de la Loi littoral.

Depuis, il fait 60 % de mes projets sur la commune ; c'est vrai qu'il n'a rien touché pour cette première affaire. Mais ainsi j'ai pu démarrer et, lui, il travaille pour moi depuis quinze ans.

Cela mérite réflexion.

Maintenant, les objectifs.

De temps en temps, on nous dit : « Il me faut des objectifs précis parce que je veux une maîtrise d'ouvrage forte. » Cela n'est pas notre métier parce que nous, nous ne savons pas travailler dans le vague ; on le fait une fois, deux, trois, quatre, cinq fois et puis ça ne va pas, ça ne se fait jamais. On veut une vraie maîtrise de l'ouvrage.

Tout à l'heure, j'entendais que les cahiers des charges sont trop serrés.

Ce n'est pas facile à faire entre les deux : c'est vrai que les cahiers des charges sont peut-être parfois un peu compliqués. Mais je vous signale que les cahiers des charges compliqués sont rarement donnés par la maîtrise d'ouvrage privée. En tout cas j'invite tous les promoteurs, dans des démarches de certification de processus, etc., à donner justement à leurs architectes des objectifs quantitatifs : qu'est-ce que je veux ? Quel type de produit ? Quelle qualité, qui ait un objectif de coût (après on réussit ou on ne réussit pas, puis on fait le point ensemble) ? Mais je crois que dans le contrat, l'objectif doit être donné par le maître d'ouvrage.

J'entendais aussi une autre réaction relative à la satisfaction.

La plupart des promoteurs (pas tous) font des questionnaires de satisfaction, c'est-à-dire qu'à la fin, six, neuf ou douze mois après, ils se renseignent sur la manière dont les choses sont perçues, etc.

Je n'ai pour ma part jamais vu un architecte avec lequel je travaille me dire : « Donnez-moi la liste de vos clients, j'aimerais bien savoir s'ils sont satisfaits. » Cela ne m'est jamais arrivé.

Et pourtant, il apprendrait des choses intéressantes, parce que c'est à moi qu'on fait les reproches : « Ah, ceci a été mal conçu, on aurait dû... ».

Certaines parties me concernent et je peux vous assurer qu'il serait intéressant que vous, maîtres d'oeuvre, vous demandiez à vos maîtres d'ouvrage de faire un petit paragraphe d'architecture pour un projet d'aménagement, d'urbanisme... Jamais je n'ai vu un architecte me demander cela.

Je peux vous assurer que ce serait très intéressant parce que l'on fait souvent ce reproche au maître d'ouvrage privé : « Ah, il est toujours à freiner », etc. Non, ce n'est pas ça ; de temps en temps, on se met à la place du client, c'est-à-dire qu'on est là théoriquement pour vous dire ce qu'il attend.

J'ai été obligé d'envoyer un fax, il y a environ un mois et demi, à un architecte et pas des moindres puisqu'il a reçu une équerre d'argent il y a peu.

J'ai été obligé de lui dire (mais vous n'allez pas le croire) : « Au rez-de-chaussée, vous faites des commerces, et les commerçants voudront les surmonter de leur enseigne, mais au-dessus, il va y avoir des logements destinés à l'habitation ».

On est obligé de temps en temps de dire : « Attention, il y a des problèmes de moyens financiers ! » Tout à l'heure, vous parliez du coût environnemental ; oui, on est d'accord pour faire de l'environnemental, mais les énergies renouvelables coûtent plus cher pour le moment.

Et pour le moment c'est difficile de dire « vous ferez des économies dans dix ans » à quelqu'un qui ne peut pas acheter aujourd'hui parce qu'il lui manque l'apport personnel de 5 000 ou 10 000 €.

Je vais arrêter là, parce que je vais en prendre pour mon grade...

M. Yves DAUGE

Non, mais de toute façon, la salle va réagir.

M. Marc PIGEON

J'ai juste quelque chose à ajouter, s'il vous plaît : vous devriez vous occuper d'un élément très important concernant les jeunes architectes.

Pourquoi ? Parce que, quand on fait des concours pour des appels d'offres, nous autres, maîtres d'ouvrage privés, n'avons pas beaucoup de chance si, parmi les gens qui sont sélectionnés, figure un jeune architecte dans les listes - je préfère vous le dire - et que nous nous retrouvons toujours avec les mêmes architectes car vous achetez des noms, souvent d'ailleurs avec des CDD à l'intérieur, et la personne qui fait les plans du rez-de-chaussée (je m'excuse encore de dire des vérités) n'est pas celle qui fait les plans du 3 e étage, encore moins celle qui fera les plans d'exécution.

Vous avez donc une vraie préoccupation pour ces jeunes architectes.

M. Yves DAUGE

C'est bien. Qui veut réagir ? Monsieur. Vous avez la parole.

Un architecte membre du syndicat de l'architecture

Je ne veux pas polémiquer, mais il faudrait quand même préciser une chose. Vous parliez de choix, on a beaucoup parlé de commande publique.

Le choix d'un architecte par un promoteur n'a rien à voir avec la course d'obstacles qu'endure le maître d'ouvrage public pour choisir son architecte.

Dans le cadre de la commande publique, l'architecte est plus souvent choisi sur la qualité de son projet - heureusement d'ailleurs pour la qualité de la commande publique - que sur sa capacité à être docile - le mot est péjoratif -, ou en tout cas à bien écouter son maître d'ouvrage privé.

Il y a quand même une question de clientélisme et de fidélisation.

Vous ne pouvez donc pas comparer la manière dont vous sélectionnez vos architectes et celle dont vous travaillez avec eux ; le fait que vous leur donniez une avance sur honoraires entre dans un système de fidélisation.

Quant à la mission dont vous parlez, je crois franchement qu'il faut arrêter de faire des caricatures aussi grotesques, surtout si vous parlez d'un architecte qui a reçu une équerre d'argent.

En revanche, j'ai entendu dans cette phrase quelque chose : vous avez parlé de « plan d'exécution ». Je pense effectivement que, quand on parle de qualité et de suivi, la première chose est d'abord d'associer les architectes, par contrat, au suivi et à la vie de leur ouvrage et pour cela, je ne connais aucun maître d'ouvrage privé qui le fasse - ni public d'ailleurs, parce que le public ne peut pas le faire. Je ne parle pas de contrat de partenariat, ça viendra peut-être à travers cela, mais en tout cas les maîtres d'ouvrage privés, qui associent leurs architectes à la vie de l'opération, utilisent ainsi un moyen constructif de leur faire un retour sur leurs éventuelles erreurs.

Mais, pour construire d'autant plus correctement les bâtiments, confiez-vous effectivement ces missions d'exécution que vous avez glissées comme ça dans une phrase ? Parce que c'est aussi une partie du suivi de la vie de l'opération que de savoir construire et savoir faire un retour sur l'investissement intellectuel de son travail.

M. Marc PIGEON

Vous dîtes que vous ne connaissez aucun maître d'ouvrage privé, alors, à partir de maintenant vous ne pourrez plus le dire, parce que vous en connaîtrez au moins un : il n'est pas un seul projet où, quand l'architecte ne veut pas la mission complète, je ne lui confie pas une mission de suivi architectural.

S'il est en mission complète, il a même le droit de s'occuper du service après vente.

Mme Ann-José ARLOT

Je respecte tous les modes d'évaluation de la commande, privée ou publique. Je m'interroge en revanche dès lors qu'un maître d'ouvrage quel qu'il soit se permet immédiatement, dans un débat exceptionnel - et là, M. le Président ; je salue à nouveau votre initiative -, de caricaturer dans les cinq premières secondes de son intervention la profession qu'il est venu valoriser, défendre ou mettre en avant.

M. Yves DAUGE

Je crois que quelqu'un veut poser une question...

Un architecte membre de l'UNSFA 92

En fait, je rejoins ce que viennent de dire Mmes Olivia Arène et Ann-José Arlot... Le maître d'ouvrage public ou privé choisit son architecte mais l'architecte choisit aussi son maître d'ouvrage, ça fonctionne dans les deux sens. J'ai personnellement un critère de choix pour travailler avec un maître d'ouvrage privé.

Tout d'abord, la mission complète jusqu'à la réalisation :

Aujourd'hui, nombre de promoteurs ne confient pas la mission d'exécution à l'architecte ; il suffit de faire le tour de Paris, de la banlieue et autre, et de regarder les panneaux de chantier, vous verrez qu'ils distinguent le maître d'oeuvre de conception et le maître d'oeuvre d'exécution.

Donc, ça commence par là, la discussion sur le fait que l'architecte maintienne son projet dans la qualité jusqu'au bout, jusqu'à la réalisation, jusqu'au rendu de l'ouvrage à son maître d'ouvrage.

Combien de réalisations, combien de promoteurs ou de maîtres d'ouvrage privés confient finalement un tableau à l'architecte ? On lui dit : « Vous allez me faire une façade et vous signez au bas de la page. » ; C'est un critère de qualité et c'est l'entretien et la confiance mutuelle qui passent par ce stade-là ; quelques années auparavant, on n'aurait pas vu cela de la part d'un maître d'ouvrage public ; maintenant, des maîtres d'ouvrage publics détachent la partie de conception de la partie de réalisation, ce qui constitue un détournement de la loi de 1985.

M. Yves DAUGE

C'est très important effectivement parce que si on veut moraliser la commande, la développer et l'améliorer, il faut donner le plus possible de missions complètes sinon on risque de se limiter à acheter un permis...

Encore un mot, M. Marc Pigeon ? Et ensuite, je donne la parole à un autre maître d'ouvrage : l'Union nationale des HLM.

M. Marc PIGEON

Ce que vous dites, monsieur, n'est pas inexact puisque effectivement, il y a des maîtres d'ouvrage qui ont pris la décision d'assurer la maîtrise d'oeuvre d'exécution.

Quand on leur pose la question, ils disent qu'ils n'ont pas eu de satisfaction pour l'exécution. C'est leur réponse, je vous donne la mienne maintenant : je pense que ça dépend si l'architecte est équipé ou pas, ou a les compétences pour ce faire. Je vous donne mon sentiment : certains architectes ne souhaitent pas, il faut le reconnaître, avoir la maîtrise d'oeuvre d'exécution et suivre le chantier.

Et puis, certains architectes, à mon sens, n'ont pas les capacités de le faire alors que d'autres le peuvent : plusieurs possibilités existent.

M. François PÉLEGRIN, président de l'Union nationale des syndicats français d'architecture (UNSFA)

C'est l'éternelle dialectique de la poule et de l'oeuf : si on a une mission correctement rémunérée, on va se passionner pour le chantier, on va faire un excellent travail et le maître d'ouvrage ne voudra plus se passer de vous par la suite...

M. Yves DAUGE

Oui, ça c'est certain. Madame Laurence Croslard.

Mme Laurence CROSLARD, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes

Je voudrais dire, au-delà de la poule et l'oeuf, que si on est face à cette situation d'avoir des architectes qui ne sont plus en mesure de suivre des chantiers ou de réaliser une mission complète, c'est justement parce qu'on les a acculés à cette position-là. C'est-à-dire que d'un côté on nous dit de nous préparer à l'international, et d'un autre côté, que nous n'avons qu'à nous contenter de faire des permis de construire, cela nous suffisant comme mission.

Je pense que si on veut avoir une profession qui se crédibilise aux yeux de ses clients, il faut avoir une formation initiale de base qui prenne en compte l'ensemble du travail de l'architecte, de la conception initiale jusqu'à la réalisation. À ce moment-là, on sera en mesure aussi d'avoir la capacité de constituer des structures capables d'assurer l'ensemble des missions. Il ne me semble pas que soit le fait des architectes de refuser de suivre un chantier ; c'est plutôt que, compte tenu de ce qu'on leur donne comme mission, ils sont incapables de constituer des structures suffisantes. Dans une agence d'architecture -j'ai chez moi des conducteurs de chantiers, une paysagiste, des architectes-, quand on commence à constituer une équipe, on répond de façon correcte à l'ensemble de la mission d'un architecte. On n'a pas besoin d'être 25 d'ailleurs, on est une équipe de 8, et c'est déjà pas mal.

Mais il faut donner aux architectes des missions complètes pour qu'ils puissent se structurer et répondre à la demande des maîtres d'ouvrage.

M. Yves DAUGE

Il va falloir qu'on travaille tous ensemble, avec la MIQCP, pour y inciter les maîtres d'ouvrage.

Je me souviens d'un cas de figure caractéristique, dans ma ville, avec un office d'HLM. L'office a travaillé avec un architecte qui devait venir de Paris, ce qui n'est pas simple. Ce dernier a fait un beau projet. Une fois payé, pour tout remerciement, on lui a dit que l'on n'avait plus besoin de lui pour la suite ! C'est vraiment honteux.

Comment peut-on se conduire comme cela avec des architectes ?

Je crois qu'il faut dénoncer ce type de pratiques, comme inadmissibles ! Le travail sur le chantier est un travail énorme : il faut le payer, il coûte cher, il faut donner des honoraires normaux, il faut que ces professionnels soient payés, comme le sont les avocats dès que vous leur demandez le moindre conseil.

Un des participants a très bien dit : « Eh bien, il faut maintenant que nous, les architectes, solidairement, disions que nous ne prenons plus le crayon si on ne nous paye pas ! »

M. Marc PIGEON

C'était moi !

M. Yves DAUGE

Vous avez bien fait !

Mme Laurence CROSLARD

Je poursuis mon propos : je pense que la formation des architectes se prolonge évidemment tout au long de la carrière et en particulier sur les chantiers. On apprend son métier autant sur un chantier qu'à la table à dessin.

À mon avis, si vous voulez avoir des gens performants en face de vous, il faut qu'ils fassent du chantier, et cela fait partie complètement du métier. La conception et la réalisation sont un tout qu'on ne doit pas isoler l'une de l'autre.

M. Yves DAUGE

Vous avez raison !

Je donne la parole à l'Union des HLM.

M. Jean-Michel DORÉ, délégué général adjoint de l'Union sociale pour l'habitat

J'espère que l'exemple cité par Yves Dauge n'est qu'une exception dans le milieu HLM, mais je pense que, comme partout, tout le monde n'est pas parfait et certains organismes ne se comportent pas forcément comme il le faudrait.

Entre l'architecte et l'Union HLM, il y a une longue tradition de travail en commun. La plupart des grands architectes ont travaillé pour des sociétés HLM dans les années 1970-1980 ; et effectivement, depuis cette période, les liens se sont un peu distendus, dans la mesure où les programmes que nous lançons sont globalement moins nombreux, et la taille des programmes s'est également réduite. Ce sont maintenant de petits programmes où le geste architectural est moins important.

Sur l'exercice architectural peut-être faut-il dire aussi que parfois nous avons, avec le recul, quelques états d'âme, dans la mesure où le maître d'ouvrage et l'architecte se sont fait plaisir. Mais cela a pu contribuer aussi à stigmatiser un peu plus les HLM.

Nous sommes donc très attentifs, là aussi, au geste architectural sur des programmes d'importance.

Depuis quelque temps, notre activité s'est considérablement réduite, mais je crois que nous repartons sur une activité qui devrait, dans les cinq prochaines années au moins, devenir extrêmement importante. Car nous avons l'objectif, avec les pouvoirs publics, de construire 100 000 logements sociaux par an, et nous avons un programme ambitieux de rénovation urbaine et d'amélioration.

Nous sommes impliqués dans cet ensemble avec, de plus, une préoccupation qui était déjà la nôtre il y a quelques années : l'amélioration de la qualité du service rendu aux habitants.

Je crois que maintenant pour nous, en ce qui nous concerne, notre problème est l'habitant qui vient au centre-ville.

Auparavant on construisait, on faisait du bâti de bonne qualité -pas toujours sous l'angle de la qualité environnementale, je le reconnais- mais au moins en matière de logements et de qualité du bâti ; aujourd'hui, ce qui nous préoccupe surtout, c'est la qualité, le confort, la santé, enfin tout ce qui est sensible pour l'habitant. C'est lui qui est au centre de nos préoccupations. Nous sommes très attentifs à ce que les architectes, dans leur approche, partagent également cette préoccupation.

Je crois que nous avons besoin maintenant de resserrer nos relations, qui se sont distendues, d'abord au niveau de la liaison des fédérations nationales, ensuite sur le terrain, mais surtout entre nous. Nous avons très peu de dialogue depuis quelques années, mais il faut le reprendre pour tenter ensemble de définir ce qu'est la commande publique, la commande HLM de cette période, qui n'est plus la même qu'il y a vingt ans.

Une nouvelle commande, plus complexe, qui intègre des éléments nouveaux de confort, de santé, de bien-être, de service rendu aux habitants. Mais nous avons aussi à travailler absolument en commun sur -j'en ai entendu parler ce matin- une espèce de surenchère de normes techniques et de réglementations techniques qui est aussi préjudiciable au maître d'ouvrage qu'à l'architecte, car elle oblige celui-ci à s'entourer de toutes sortes de techniciens, que ce soit en thermique, en énergie, en sécurité ascenseur. Nous militons pour une révision et une simplification de cette réglementation technique.

Je pense que cette commande, à redéfinir ensemble, doit s'accompagner d'un retour d'un travail en commun avec les architectes. Nous avons parfois accueilli dans les congrès des solutions apportées par des architectes et je crois qu'il faut aller plus loin maintenant ; et je crois qu'il serait important que les jeunes architectes ou les architectes en cours d'études puissent venir dans les organismes HLM, qui, pour beaucoup, sont prêts à les accueillir, afin d'apprendre ce qu'est le métier de maître d'ouvrage.

Que le maître d'ouvrage prenne en considération l'architecte, c'est tout à fait normal mais il faut que l'architecte puisse voir quelles sont les contraintes de gestion d'un maître d'ouvrage, pas seulement en matière de construction, mais aussi au niveau de la vie dans l'ensemble. Je proposerais donc aux représentants des architectes que nous y réfléchissions ensemble, pour voir comment on pourrait monter des stages de formation dans les organisations HLM, à l'intention des architectes qui le souhaiteraient, de façon à ce que les relations s'établissent sur des bases nouvelles...

M. Yves DAUGE

Très bien, vous êtes donc prêts à relancer un travail avec les architectes sur la commande, dans une perspective de croissance de conception de logements sociaux, comme ça s'est fait à une époque...

C'est vrai, j'ai ressenti un peu une baisse de volonté et d'ambition dans ce domaine. J'ai dit cela gentiment, mais il faudrait qu'on sente que ça redémarre.

M. Marc PIGEON

Je voudrais dire une chose à ce sujet. J'ai lancé depuis l'année dernière le concours des Pyramides , à l'image des oscars pour le cinéma. On a fait cela sur le thème du développement durable de l'architecture, pour inciter justement à améliorer les choses, à travers un concours national.

M. Yves DAUGE

Merci. M. Philippe Grand qui n'a pas encore parlé va intervenir, ensuite la salle, puis le Président conclura.

M. Philippe GRAND, chef du service de la stratégie et de la législation à la direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction

Oui, merci de me donner la parole. Je voulais essayer de donner quelques éléments sur l'une des questions qui a été posée. Quel est rôle de l'État dans tout ça ?

Sachant, comme cela a été bien dit, que l'État n'est plus qu'un maître d'ouvrage minoritaire et de peu d'importance, on a déjà évoqué beaucoup de sujets : on a parlé de son rôle au niveau européen, on a parlé de la formation, on a parlé de la sensibilisation, on a évoqué son intervention pour faire connaître les bons exemples et les encourager en respectant les spécificités de chacun sans plaquer de modèle tout établi ; je trouve aussi respectables les Pyramides citées par le Président de la FNPC que telle consultation faite par une association régionale HLM, que la prestigieuse Équerre d'argent du Moniteur, ce n'est pas dans la même cour mais c'est bien que tout le monde coure.

Il est donc essentiel de soutenir et d'encourager ces initiatives.

Au-delà de cela, je crois que le rôle de l'État est de fixer les règles du jeu quand même, fondamentalement ! Je voudrais souligner deux points qui ont été un peu évoqués par l'intervenant de l'Union des HLM.

D'abord, je rappelle que dans le développement durable on commence par vouloir satisfaire les besoins du présent qui sont de construire et je pense que l'État a un rôle fondamental en mettant en place les outils qui permettent de construire ; qu'il s'agisse de faire du Robien par exemple, qui a été à la base de la relance de la construction en 2004, il faut le dire, ou qu'il s'agisse du plan de cohésion sociale, avec les 500 000 HLM à réaliser en cinq ans qui ont été évoqués.

Ensuite je voudrais insister aussi sur un point, un domaine dans lequel l'État intervient très fortement : le domaine de la politique de la ville et du renouvellement urbain pour lequel beaucoup d'argent est mis sur la table, avec un effort très important de l'État et une nouvelle approche du traitement de quartiers, pour lesquels on n'a pas beaucoup d'expérience et surtout d'expériences réussies.

Et cette nouvelle approche demande beaucoup de matière grise : c'est un enjeu capital pour les professions du cadre de vie, les architectes, mais aussi les urbanistes et les paysagistes. Ils doivent apporter un savoir-faire spécifique, un savoir-construire, un savoir-conduire ces opérations de renouvellement urbain qui sont pratiquement sans précédent, à l'échelle où on les conduit ; et ce n'est pas évident de trouver suffisamment de maîtres d'oeuvre, de conducteurs de projets sur l'ensemble du territoire national eu égard à la masse des enjeux du ressort des collectivités locales et par rapport à l'importance des populations qui sont concernées par ces enjeux.

Je crois qu'il y a un premier enjeu très fort pour les professions du cadre de vie, qui est de se mobiliser, de se former sur ces thèmes-là.

La deuxième responsabilité de l'État derrière cet aspect de mise en place financière, c'est que l'État est chargé de la réglementation ; ça n'amuse pas tout le monde mais c'est quand même ça.

Alors, du point de vue que j'ai depuis l'Arche de la Défense, la situation est tout à fait contrastée.

Dans le domaine de l'urbanisme, cela a été évoqué, je trouve qu'on est sur une tendance plutôt positive :

On a eu la loi Urbanisme et Habitat, on a aujourd'hui une ordonnance qui nous permet de simplifier le permis de construire, non pas sur le fondement, mais de simplifier la manière dont on l'instruit en supprimant un certain nombre de pièces ; et puis dans quelques semaines, on aura le rapport de M. Pelletier commandé par le garde des Sceaux et le ministre de l'équipement, sur le thème : « Comment limiter le contentieux dans le domaine de l'urbanisme ».

Je parle de cela, ça a l'air d'être très loin de notre sujet, mais je voulais le rappeler parce que cela été évoqué ce matin ; si on simplifie le permis de construire et si on limite le contentieux, ça permettra aux maîtres d'ouvrage de ne plus mettre en priorité numéro 1 la sécurité juridique des actes, mais de replacer le projet et la qualité au centre de leurs préoccupations ; je crois que c'est un élément important pour la qualité et pour la manière dont travailleront ensemble aussi les maîtres d'ouvrage et les maîtres d'oeuvre.

Là-dessus, j'aborde le deuxième enjeu pour les professions :

C'est la profession qui fait le règlement qu'elle appliquera ; je lance donc un appel très fort pour qu'on fasse des PLU avec des règlements simples.

La qualité d'un document d'urbanisme ne se mesure pas au nombre de lignes de son règlement, je crois que les élus éclairés en sont persuadés. Certains bureaux d'études où les architectes se croient obligés de faire des règlements lourds pour justifier leurs honoraires ; et ce n'est pas justifié. Un règlement léger est meilleur qu'un règlement lourd, je crois que nous en sommes tous persuadés. Et ça je pense que c'est un deuxième enjeu très fort pour la profession.

Le troisième point que je voudrais souligner, quand je parlais de réglementation, c'est la réglementation de la construction déjà évoquée ; et là, je trouve que le bilan est assez mitigé pour le moins. Pourquoi ? Parce qu'on a quand même actuellement une accumulation réglementaire un peu inquiétante.

Alors, on a beaucoup de lois qui sont toutes pertinentes, toutes extraordinairement pertinentes et dont personne n'a l'idée de remettre en cause les fondements, par exemple, des lois sur la sécurité et sur les risques (c'est évident qu'il faut prendre en compte les risques et la sécurité dans le bâtiment) ; une loi sur les économies d'énergie (c'est évident que c'est un enjeu fort du développement durable, de la lutte contre l'effet de serre) ; une loi sur l'accessibilité des handicapés (c'est une priorité absolue de permettre l'accès aux handicapés).

Or, cette législation appelle la rédaction de textes d'application réglementaires, qui demandent énormément de travail si l'on veut qu'ils ne soient pas contradictoires dans la mesure où les lois ont été votées séparément. Ces textes conduisent à un empilement qui commence à être un peu inquiétant.

Et là, je crois qu'il y a un nouvel enjeu pour que les professions arrivent à maîtriser cet empilement parce qu'il n'y aurait rien de pire que de transformer la création architecturale en une espèce de check-list réglementaire de 150 points à avoir remplis pour avoir le droit de construire ; j'appelle donc la profession à une approche extrêmement vigilante là-dessus : j'espère une pause législative, mais c'est un voeu qui n'est peut-être pas partagé par tous. Néanmoins c'est un troisième aspect extrêmement important pour l'avenir des professions de la construction et du cadre de vie.

M. Yves DAUGE

Merci beaucoup.

En aparté avec Mme Ann-José Arlot, nous nous disions que si les DDE ne conçoivent plus de POS à coup de photocopies c'est parce qu'il n'y a plus de photocopieuses dans les DDE ; il n'y a plus de papier et, bientôt, il n'y aura plus de DDE ! Bon, je plaisante, mais je regrette un peu et même beaucoup l'effondrement de certains services de l'État ; j'ai fait moi aussi des propositions sur ce sujet, notamment autour des services départementaux d'architecture et d'urbanisme... C'est un sujet important. Mme Croslard...

Mme Laurence CROSLARD

Les DDE n'ont peut-être plus les moyens de faire des photocopies, mais elles conservent le contrôle de légalité et elles encadrent bien, d'une façon ou d'une autre, notre travail au point que dans notre région en tout cas, les PLU commencent à ressembler à des photocopies. Ce que je voulais dire aussi c'est que les enjeux sur le logement social sont importants, mais on parle beaucoup de quantité et on va revenir à notre préoccupation première qui est celle de la qualité et donc de l'urbanisme ; se pose la question du lieu où on va les construire, ces logements.

Au-delà même de la recherche qu'on peut faire sur le logement proprement dit, je pense qu'après l'expérience du début des grands ensembles, il faut maintenant se poser, en priorité, la question du lieu où on va les faire : pas tous ensemble au même endroit, et de la même façon ! Donc ne pas faire des modèles, ne pas faire des ZUP. Ça suppose d'avoir une politique de la ville vraie, très volontaire pour faire de la mixité partout sur le territoire, aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbain.

M. Yves DAUGE

Vous avez mille fois raison, et je souhaite ajouter un mot, sur ce point. La loi SRU modifiée a mis en avant, dans les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d'urbanisme, cette idée de plan d'aménagement et de développement durable et c'est une vraie réflexion politique qu'il faut conduire. J'appelle donc les régions, les départements, les collectivités locales à financer avec les agglomérations, les territoires ; il y a là une commande potentielle énorme.

Monsieur Marc Pigeon, vous me faites signe que êtes obligé de partir, mais donnez-nous, rapidement, votre sentiment, en guise de conclusion. Etes-vous plus satisfait que tout à l'heure de ce que vous avez entendu ?

M. Marc PIGEON

Moi, je suis très content parce que j'aime bien mon travail, que je conçois en partenariat avec les architectes, voilà ! Même s'il y a des petites difficultés sur les extrêmes, en général ça se passe plutôt bien. Pourvu que ça dure !

M. Yves DAUGE

Merci beaucoup, Monsieur. On prolonge un petit peu car normalement on devrait arrêter, mais on prend M. François Pélegrin, Mme Laurence Croslard.

M. François PÉLEGRIN

Sur la réglementation, je trouve que M. Philippe Grand est un peu rapide quand il nous dit : Messieurs les architectes, apprenez à bien respecter toutes les réglementations qui sont, je vous cite : « parfois un peu contradictoires les unes entre les autres ».

Moi je retourne le compliment à l'État : commençons à parler ensemble et nous pourrons vous indiquer lesquelles sont difficilement empilables et même contradictoires. Comme nous sommes effectivement sur les chantiers et à la concession, à l'articulation de toutes ces réglementations, nous savons exactement où les difficultés surgissent !

Je me souviens d'un temps, il y a 15 ou 20 ans, à chaque fois qu'on se réunissait, il y avait toujours un représentant de l'administration pour dire : « ah oui, c'est une bonne idée effectivement ; mais, ce n'est pas possible parce qu'elle contrevient à telle ou telle disposition. »

La réglementation, c'est vous qui la faites mais c'est nous qui la subissons ; on a donc effectivement des choses à vous dire là-dessus, ne serait-ce que pour vous en indiquer les dysfonctionnements.

En matière de logement -je ne parle pas d'aménagement, je parle de logement et d'architecture- je souhaite que le PUCA (plan urbanisme, construction, architecture) reprenne le rôle et la place qu'il a eus dans les années passées, parce que c'est lui qui a permis à de nombreux jeunes talents de se révéler ; c'est lui qui a permis à des maîtres d'ouvrage, à des concepteurs de se retrouver, sur des sujets choisis, dans des équipes concertées et animées des mêmes ambitions. Mais depuis six ans ou huit ans, le PUCA s'est réfugié dans la sociologie, dans les études réalisées au CNRS et ailleurs, ce n'est plus l'expérimentation et là on se prive d'un très, très beau levier pour faire bouger les idées.

Un architecte dans la salle

Je suis architecte et je voulais donner un petit éclairage, puisque j'ai eu la chance de devenir architecte urbaniste et de faire une formation à l'IPAA -l'Institut de programmation en architecture et aménagement- et je trouve ce que disait mon confrère sur le rapport des architectes avec les « programmistes » intéressant sur le plan de la qualité.

Je crois que ce qu'il y avait d'intéressant dans cette intervention, c'était la dimension intuitive de l'architecte présenté comme quelqu'un qui a la capacité de projeter des environnements qui n'existent pas encore ; et là on comprend bien qu'une programmation que je qualifierais d'ancienne formule, qui construit les cahiers des charges, en parlant de choses qui existent déjà, se trouve en complète contradiction avec cette dimension de l'architecte qui est très importante ; et je pense qu'il y a un autre type de programmation que j'ai rencontré à l'IPAA et qui a constitué pour moi une grande découverte.

C'est une programmation qui est aussi faite d'intuition et cette dimension intuitive de la programmation, elle se manifeste et se traduit par des cahiers des charges complètement différents et beaucoup plus légers et qui donnent beaucoup de liberté à l'architecte pour imaginer, justement, des pratiques sociales différentes. Je pense que le dialogue entre l'architecte et cette programmation « intelligente » est très important pour permettre à l'architecte d'inventer des projets qui sont à même de répondre aux nouvelles demandes et il est nécessaire de développer ce dialogue entre programmation et architectes.

M. Yves DAUGE

Merci beaucoup. Madame Cristina Conrad...

Mme Cristina CONRAD, Vice-Présidente du Conseil régional de l'Ordre des Architectes d'Ile-de-France

Je voudrais répondre enfin, ou interpeller M. Philippe Grand, sur le rôle de l'État et en particulier puisqu'il nous a parlé des projets Robien de défiscalisation, sur ce que j'ai pu en voir à travers mon expérience d'architecte conseil DDE. Ce sont des opérations la plupart du temps hors-sol, c'est-à-dire qui nient le texte ; et c'est tout à fait le retour de la politique des modèles, ce qui invite à se poser beaucoup de questions sur la qualité de ces opérations qui sont la plupart du temps complètement repliées sur elles-mêmes.

Deuxièmement, le rôle de la Foncière : la Foncière a été mise en place pour réaliser un tiers des logements qui vont remplacer les logements démolis ; donc ça représente environ 70 000 logements.

Là aussi, je suis très inquiète dans la mesure où, d'une part, la Foncière a évoqué le fait de mettre en place des concours conception-réalisation et, d'autre part, elle intervient sur des sites en proposant de la maison toujours moins dense, avec des parcelles toujours plus grandes sur tous les sites. Je travaille sur plusieurs sites en rue, et à chaque fois que la Foncière est passée sur le terrain, elle a demandé à ce que ce soit du logement classique allant même jusqu'à remettre en cause ces projets PUCA expérimentaux d'habitat individuels denses.

Je pense donc que l'État devrait proposer à la Foncière d'avoir un secteur expérimental, ou en tout cas, d'expérimenter des opérations avec une certaine densité même si c'est de la maison individuelle.

Troisièmement, par rapport au logement social, nous avons mis en place au sein du Conseil régional Île-de-France, un forum de maîtrise d'ouvrage/maîtrise d'oeuvre, où un débat s'est instauré entre organismes HLM et architectes et on est arrivés au constat qu'il est impossible d'agir dans le cadre des réglementations et des financements actuels.

On prépare actuellement différentes formes d'actions pour interpeller M. le secrétaire d'État au logement, dans la mesure où on se rend compte que les architectes ne veulent plus faire du logement social puisqu'ils ne peuvent plus arriver à faire de la qualité dans les contraintes actuelles.

On peut se poser alors la question de la pertinence de la démolition des grands ensembles dans la mesure où on n'est pas capable de faire du logement de meilleure qualité aujourd'hui.

Un architecte dans la salle

En tant qu'architecte, je reviens un peu sur le thème de la rémunération des architectes. Pour qu'il y ait de l'architecture, il faut bien sûr qu'il y ait des architectes, je pense que là-dessus tout le monde est d'accord. Il y a également un système assez génial, c'est le système du concours, c'est la multiplication des architectes et de leur façon de faire et des propositions qui peuvent être faites aux populations.

Dans le public, il y a au moins un système qui est très intéressant qui est l'indemnité faite à hauteur de 80 % des tâches demandées et ça c'est très important. Il n'en est pas ainsi dans le privé, qui représente actuellement la plus grande part de l'architecture en France. Souvent l'architecte travaille en soi-disant partenaire avec le privé, donc il s'agit de concours privé ; ce n'est pas tout à fait équitable parce qu'en fait l'architecte investit à peu près 20 % de sa mission complète uniquement en concours, quelquefois pour zéro euro ; alors qu'en fait le promoteur en question, c'est dommage qu'il soit parti, encaisse effectivement la totalité à la sortie ; donc ça serait bien qu'il y ait une réglementation dans ce sens qui protège les architectes.

M. Yves DAUGE

Merci. Monsieur Bernard Roth a un mot à ajouter...

M. Bernard ROTH, président de l'Association architecture et maîtres d'ouvrage

Je voudrais reparler une seconde des enfants, parce que si on ne forme pas les enfants, et si on ne les sensibilise pas, eh bien, nous aurons après nous, une nouvelle génération d'élus qui ne sauront pas lire l'architecture, de maîtres d'ouvrage qui ne sauront pas lire l'architecture nonobstant ce que nous disait Marc Pigeon tout à l'heure, qui était évidemment très rassurant. Je lui ai dit qu'il faudrait quand même qu'on vérifie tous les deux si on parle bien de la même chose, parce qu'étant moi-même maître d'ouvrage privé, je ne suis pas tout à fait convaincu ; et je pense que ça mérite une analyse un tout petit peu plus précise.

C'est certainement difficile de compléter la formation des enfants par une formation architecturale, mais c'est une question vitale, car tout passe par là.

Bien évidemment, il ne s'agit pas de leur apprendre l'histoire de l'architecture, il s'agit par exemple de réfléchir à ce qu'a fait, je crois, le rectorat de Montpellier : une expérience pilote sous forme de concours de cabanes. Quelle façon formidablement intelligente, extrêmement douce et légère de faire entrer dans le monde de l'architecture !

M. Jacques VALADE

Je voudrais remercier non seulement Yves Dauge qui a inspiré la tenue de cette table ronde, mais également vous tous, mesdames et messieurs, pour votre participation.

Comme je le disais dans l'intervalle entre les deux tables rondes, tous les propos qui ont été tenus ce matin, et les discussions auxquelles ils ont donné lieu, feront l'objet d'un compte rendu que nous vous ferons parvenir. Par ailleurs, je souhaite que nos débats de cette matinée puissent initier une concertation approfondie entre les pouvoirs publics et les différents acteurs de la maîtrise d'oeuvre pour nous permettre de dépasser le sentiment qui prévalait au début de nos échanges de ce matin de partenaires séparés, tentés de se reprocher mutuellement les carences du dispositif général.

C'est ce qu'a souhaité faire la commission des affaires culturelles, à l'initiative d'Yves Dauge, dans le cadre de nos travaux d'information et je vous remercie d'y avoir contribué.

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