CHAPITRE III : LA CRISE DE GRANDE AMPLEUR LIÉE À UNE ACTION VOLONTAIRE : L'EXEMPLE DU BIOTERRORISME

« La peste sévissait ailleurs malgré l'arrêt du Conseil d'Etat daté du 14 septembre 1720 qui avait interdit de franchir le Verdon, la Durance, le Rhône sans certificat sanitaire. En outre, les ports de Marseille et de Toulon étaient bloqués. Pour la première fois en France, l'Etat prenait donc en main une question d'ordre sanitaire en postant jusqu'à 30 000 hommes armés, civils et militaires, aux limites des provinces menacées : Languedoc, Roussillon, Vivarais, Comtat Venaissin, Dauphiné. Entre mars et août 1721, un mur long de 100 Km, haut de 2 m et précédé d'un fossé de 2m, fut édifié depuis Bonpas sur la Durance jusqu'à Sisteron. Cet énorme dispositif de surveillance fut totalement levé en février 1723, un glorieux Te Deum résonna alors dans toutes les cathédrales »

Ne serait-ce pas le sort de notre pays en cas d'attentat bioterroriste ?

Section 1 : Le risque d'attentat bioterroriste n'est pas virtuel

L'emploi des gaz de combat durant la première guerre mondiale a constitué un choc. Les belligérants n'ont pas, au cours de la seconde guerre mondiale, osé réitérer ce type d'action. L'utilisation des armes chimiques, comme des armes biologiques est un pallier significatif dans l'escalade de l'horreur ; l'emploi d'agents infectieux à des fins d'homicide est rare dans l'histoire. Si les alliés ont employé de la toxine botulique, au cours de l'attentat à la grenade contre Reinhar Heinrich, durant la seconde guerre mondiale, nous aurions du mal à multiplier les exemples.

Les armes bactériologiques ont été étudiées dès 1926 mais elles sont très difficiles à manipuler et à militariser. En effet, le but est d'inoculer des bactéries ou des virus, une des voies possibles est d'atteindre le poumon profond par la voie de l'aérosol qui est une technique très difficile à mettre en oeuvre. Il faut disposer de particules extrêmement fines capables de supporter les contraintes électrostatiques, celles liées à l'explosion et celles de nature environnementale ; de plus, beaucoup d'agents infectieux sont fragiles, par exemple celui de la peste est inactivé par la chaleur et la dessiccation. Une autre voie pouvant servir de vecteur à une action bioterroriste est l'utilisation des réseaux d'eau potable. En outre, l'impact des agents infectieux et la réponse de l'individu face à ce dernier est variable et il est très difficile de quantifier l'impact d'une action bioterroriste de grande ampleur sur la population.

L'intoxication collective malveillante de plusieurs centaines de personnes aux Etats-Unis, en septembre 1984, a montré, sur un agent heureusement bénin (salmonelle), l'étendue des effets qu'une action terroriste pourrait avoir en utilisant des agents très pathogènes.

Au-delà des premières tentatives de la secte AUM dans les années 90, la menace bioterroriste s'est aujourd'hui renforcée. A l'automne 2001, aux Etats-Unis, la crise des enveloppes au charbon a montré que des actes de malveillance pouvaient causer une forte désorganisation à l'échelle mondiale, même avec un mode opératoire ne cherchant pas à faire un grand nombre de victimes. En effet, avec la même quantité d'agents et d'autres modes de dispersion, le bilan aurait pu être sensiblement plus lourd.

Néanmoins, ce sujet inquiétant est récurrent, ce qui nuit à sa crédibilité, car les attaques terroristes par ce moyen ont été à l'heure actuelle très limitées et il ne faudrait pas qu'à force de parler d'un risque qui ne se produit pas, nous baissions la garde.

D'autant qu'aujourd'hui des agents infectieux obtenus grâce au génie génétique sont probablement plus à redouter que les agents naturels infectieux militarisés.

A) Les attaques bioterroristes ont été peu nombreuses

La question des menaces biologiques représente un risque important qui s'est déjà réalisé aux Etats-Unis avec l'anthrax à l'automne 2001.

Si Al Qaïda s'est intéressée à ce type d'attentat, cette organisation n'est pas passée aux actes. Les informations recueillies ont montré un fort intérêt de cette organisation pour l'utilisation de spores de la maladie du charbon (« anthrax »). Cette maladie existe à l'état endémique dans le Tiers-monde et il est relativement aisé de se procurer les souches indispensables et d'en effectuer la culture. Les lettres au charbon ont également montré que le processus de production d'une poudre très efficace n'était pas hors de portée d'individus, pour peu que l'on dispose d'un minimum de connaissances dans ce domaine.

La dislocation du bloc soviétique a fait naître des inquiétudes, suscitées par les restes de l'organisation soviétique de guerre biologique « Biopreparat », que plus de la moitié des ses effectifs (20 000 sur les 40 000 employés des années 80) ont dû quitter, faute de paiement de leurs salaires. Ces inquiétudes sont renforcées également par de forts soupçons visant des scientifiques des domaines NRBC de pays proliférants, qui seraient susceptibles d'aider des groupes terroristes à accroître le pouvoir de destruction des agents dont ils disposent. Ce sont ces inquiétudes qui font redouter des actions utilisant le virus de la variole, dont on considère comme probable que des souches restent détenues illégalement par certains pays proliférants ou par des personnels ayant travaillé sur ces questions.

Il existe une interrogation sur le fait que certains terroristes pourraient peut-être disposer de l'expertise de personnels scientifiques des Etats ayant disposé d'armes biologiques ou continuant à s'en doter en dépit des conventions internationales.

B) Les agents traditionnels

L'OTAN recense 14 agents, qui présentent des dangers inégaux, à partir d'une liste basée sur des faits historiques (le Japon avant la seconde guerre mondiale, l'URSS, l'Irak des années 80, peut-être certains pays occidentaux et des groupes terroristes ayant cherché à acquérir ces agents).

Quatre agents sont dits prioritaires mais présentent des risques d'usage à des fins terroristes plus que militaires :

_ La variole :

Nous ne disposons pas de traçabilité des stocks soviétiques, la vaccination a été arrêtée en 1984 et la population jeune n'a jamais été protégée. Il est difficile de diffuser une épidémie de variole aussi rapidement qu'un virus grippal et aujourd'hui les stocks de vaccins permettent de vacciner la totalité de la population. La principale interrogation porte sur le champ de la vaccination qui, diffusée sur une grande échelle, risque de causer plus de dégâts que l'attaque elle-même.

_ Le charbon

Il s'agit une arme biologique du pauvre, facile à produire mais peu transmissible en dehors de conditions particulières. La diffusion de cette bactérie sous forme d'aérosol pour en faire une arme de destruction massive est peu aisée.

Il convient de noter qu'un vaccin contre le charbon pourrait être réalisé rapidement si la Direction générale de l'armement était en mesure d'obtenir les crédits nécessaires à l'achèvement des travaux conduits avec l'Institut Pasteur. En effet, la phase d'expérimentation d'un vaccin, plus efficace que celui disponible au sein des armées américaine et britannique, pourrait débuter immédiatement. Cela devrait constituer une priorité pour la défense nationale.

_ La peste

Ce virus est fragile mais extrêmement contagieux et pathogène.

_ La toxine botulinique

Elle est facile à produire et à introduire dans les circuits hydro alimentaires. Si l'on considère généralement que la ricine serait essentiellement une arme visant un nombre limité de personnes, les évaluations réalisées ont montré qu'une attaque utilisant la toxine botulique pourrait, dans certaines situations, faire un très grand nombre de victimes. Les indications recueillies dans le cadre des enquêtes ont aussi montré un fort intérêt de l'organisation Al Qaïda pour la toxine botulique et la ricine, dont l'usage faisait partie de l'enseignement dispensé en Afghanistan.

En dehors des quelques virus, bactéries ou toxines évoquées précédemment, de nombreux autres pourraient être utilisés. D'où une difficulté majeure qui réside dans l'impossibilité de prévoir ce que pourra être une attaque terroriste, d'autant qu'il est exclu de pouvoir vacciner toute la population contre l'ensemble des risques connus.

C) Une grande inquiétude : le recours au génie génétique

Si le risque biologique agressif, à l'aide d'agents bien connus, est limité, la vigilance est nécessaire car demain des agents extrêmement virulents pourraient être plus accessibles. Par exemple, il est concevable de rendre résistant et dangereux un staphylocoque par le génie génétique. (cf. extrait du rapport de Jean-Yves Le Déaut ci-après).

Il existe une palette de types de risques liés en particulier à l'apparition de virus obtenus par manipulation génétique. Ceci a conduit le SGDN à demander au Premier ministre de renforcer les contrôles destinés à éviter la prolifération des souches virales et bactériennes, en particulier de la variole, du charbon, du botulisme, de la peste et de la fièvre hémorragique.

Le problème du vecteur d'une telle arme est probablement la question la plus difficile à régler.

Extrait du rapport N°2046 AN ; 158 Sénat de M Jean-Yves Le Déaut, Député, « La place des biotechnologies en France et en Europe »

L'analyse de Jean-Yves Le Déaut sur le« bioterrorisme »

L'arme biologique fait déjà partie de l'arsenal des moyens susceptibles d'être utilisés par des terroristes. Dans ce cas, on craint la dissémination de bactéries ou de virus pathogènes comme la peste, la variole ou l'anthrax. Mais l'utilisation des biotechnologies pourrait permettre d'intégrer, par exemple, le gène d'une toxine dans un microorganisme utilisé dans l'agroalimentaire et d'ajouter ce microorganisme pathogène dans des processus de fabrication. Depuis le 11 septembre 2001, les gouvernements ont compris qu'ils peuvent être confrontés à de nouvelles formes de menaces terroristes.

L'utilisation de ces techniques se caractérise par la simplicité d'acquisition des savoir-faire et par leur faible coût. Tout étudiant en biologie moléculaire maîtrise au bout de quelques années d'université les techniques de transgénèse ou celles de la fermentation. La fabrication d'une bactérie produisant de la toxine botulinique est d'une grande simplicité, la multiplier également, même si les terroristes devront, pour en produire en quantité, disposer de gros fermenteurs.

Les biotechnologies pourraient donc aussi être détournées de leurs fins, au même titre que d'autres techniques, machines ou équipements utilisés pour répondre aux besoins civils des populations et qui peuvent être transformés en engins de mort.

Parce que les biotechnologies sont destinées à satisfaire des besoins fondamentaux, leur diffusion est inévitable et les transferts technologiques sont fortement revendiqués, ce qui rend difficiles le contrôle et les restrictions à la circulation des produits, des technologies et des connaissances.

A quelle échéance ce risque est-il susceptible de se produire, sachant que d'ores et déjà des agents biologiques non génétiquement modifiés ou des toxines constituent une menace avérée ?

A cette question sur les conséquences à moyen ou long terme des progrès des biotechnologies et du génie génétique, M. Pierre LANG, dans son rapport, apporte une réponse pondérée, en soulignant notamment que, si des inquiétudes légitimes existent, « il n'est pas certain que de tels organismes génétiquement modifiés ou hybrides survivent très longtemps une fois disséminés dans l'environnement » .

Si à l'avenir, le risque d'une manipulation génétique de microorganismes à des fins terroristes ou militaires ne peut être écarté, « seule une recherche développée dans les pays démocratiques permettra de conserver les capacités d'anticipation et de réaction adaptées face à des menaces précises » , comme le suggérait le Professeur Didier RAOULT, dans son rapport.

Face au bioterrorisme, les biotechnologies modernes offrent en effet de multiples possibilités pour détecter la présence d'agents pathogènes, diagnostiquer une infection, voire, à terme, la traiter...

Section 2 :
Les efforts français de préparation à une attaque bioterroriste

Les plans élaborés par le Gouvernement pour faire face à une attaque bioterroriste constituent une approche intéressante car ils ont permis d'engager une réflexion qui va au-delà de l'attaque terroriste, sur la conduite qu'il faudrait tenir en cas de survenue d'une épidémie grave dans notre pays. En effet, il est très difficile de préparer une riposte à un danger inconnu.

Le champ des intentions terroristes est largement ouvert car le but recherché n'est pas forcément un nombre élévé de pertes en vie humaine ; cela peut être également une volonté de désorganisation et vos rapporteurs redoutent que ce dernier objectif ne soit assez facile à atteindre.

S'agissant du terrorisme, le plan Vigipirate a été revu en mars 2003 pour définir des caractéristiques nouvelles intégrant l'évolution des menaces.

Il comporte quatre niveaux d'alerte avec des objectifs de sécurité adaptés et 13 domaines sont couverts.

Le plan Biotox a été révisé à l'automne 2003 pour tenir compte des changements dans l'organisation institutionnelle et les outils disponibles.

Le Secrétariat général de la Défense nationale a élaboré une présentation du plan Biotox dont vos rapporteurs ont retenus les quelques extraits suivants.

A) Les plans « Biotox »

1) Présentation du plan gouvernemental Biotox

Contrairement à l'attentat chimique, dont la nature malveillante pourra généralement être affirmée rapidement, les effets des attentats biologiques, en l'absence d'indices ou de revendications, ne permettent pas toujours d'apporter une certitude sur la nature, malveillante ou fortuite, de l'incident. Au-delà des premières réactions le plus souvent communes, les particularités du risque biologique (période d'incubation, contagiosité éventuelle, caractère insidieux) appellent des dispositions et font appel à des moyens souvent différents de ceux qui visent à répondre au risque chimique. Le plan Biotox a pour objet de contrer des actes de terrorisme biologique, consistant en l'emploi malveillant ou la menace exprimée d'emploi malveillant d'agents biologiques infectieux ou de toxines contre les personnes, les animaux, l'environnement ou les biens. Les contaminations provoquées des réseaux d'eau potable, des chaînes agroalimentaires et pharmaceutiques sont donc également prises en compte.

2) Le plan gouvernemental et ses déclinaisons

II comprend une partie opérationnelle précisant les premières mesures à prendre au niveau gouvernemental et des fiches de première réaction correspondant à une dizaine de situations considérées comme vraisemblables. Il intègre les dispositions tenant compte du « plan variole » et du plan de distribution en urgence d'antibiotiques. Il tient compte de l'expérience acquise dans la lutte contre le SRAS (pneumonie atypique).

La seconde partie, visant à faciliter la mise en oeuvre du plan, comprend des fiches décrivant les principaux dispositifs interministériels permettant de répondre, en première intention, à une menace ou à un attentat avéré de nature biologique :

- le réseau de conseillers-experts Biotox-Piratox ;

- le réseau des laboratoires Biotox-Piratox ;

- les bases de données à usage interministériel ;

- le dispositif « plis, colis et substances suspectés de contenir des agents biologiques, chimiques ou radioactifs dangereux » ;

- le détachement central interministériel d'intervention technique, chargé d'intervenir sur des engins improvisés de nature présumée nucléaire, biologique ou chimique;

- les dispositifs nationaux d'intervention et de secours, avec la localisation des grands équipements d'évacuation des personnes et de décontamination ;

- le dispositif hospitalier spécialisé ;

- le protocole intérieur-défense relatif à la mise à disposition de moyens de lutte NRBC ;

- les dispositifs et accords internationaux.

Le plan prend en compte les événements se produisant dans un pays étranger et mettant en cause un agent infectieux contagieux, dans le double but d'apporter une assistance à nos ressortissants et de protéger notre territoire.

Le plan Biotox est décliné par les différents ministères concernés, par les zones de défense et, chaque fois qu'il y a lieu, par les départements.

3) Chaînes d'alerte

Toute information relative à un acte ou à une suspicion d'acte de terrorisme de nature NRBC est transmise immédiatement par l'autorité qui la détient aux cabinets des ministres de l'intérieur et de la santé (le cas échéant de la défense, de l'agriculture, de l'industrie, de l'environnement, de l'outre-mer ou des affaires étrangères), au cabinet du Premier ministre, au COGIC et au SGDN ...Les Préfets de département tiennent informés les zones de défense et le COGIC des évolutions de la situation. Le COGIC répercute systématiquement les informations dont il dispose vers le Premier ministre (cabinet et SGDN), le ministre chargé de la conduite opérationnelle de l'action gouvernementale, les autres ministres concernés ainsi que vers l'ensemble des zones de défense.

4) Pré-alerte et déclenchement du plan

Sur proposition d'un ministre ou du SGDN, le cabinet du Premier ministre peut demander à ce dernier d'émettre un message de préalerte. La préalerte permet de prendre les premières mesures conservatoires dans des situations initiales où règne encore l'incertitude ...

Afin de ne pas retarder l'action, tout ou partie des mesures spécifiques du plan Biotox peut être pris sur l'initiative du Premier ministre, des ministres et des préfets, sans déclenchement formel des plans.

Le déclenchement du plan gouvernemental Biotox et sa levée sont décidés par le Premier ministre sur proposition d'un ministre ou du SGDN.

Le message de déclenchement précise le cas échéant les zones et départements où le plan Biotox est appliqué.

Le déclenchement d'un plan Biotox zonal ou départemental est subordonné au déclenchement du plan Biotox gouvernemental.

La pré-alerte et le plan Biotox peuvent être déclenchés quels que soient l'état d'activation et le niveau d'alerte en vigueur du plan Vigipirate. A ce titre, toute mesure spécifique du plan Vigipirate qui n'aurait pas encore été activée mais s'avérerait nécessaire pourrait être déclenchée sans délai dès la pré-alerte.

Les efforts des autorités pour prévenir les effets d'une attaque biologique sont réels et peuvent être illustrés par quelques exemples.

B) Les politiques de prévention se déclinent activement sur le terrain

1) L'exemple de la variole

Les outils de gestion d'une épidémie de variole ont été mis en place au niveau des DDASS et des hôpitaux. Vos rapporteurs se sont rendus sur le terrain pour examiner très concrètement la préparation des mesures prises.

En effet, l'objectif est de vacciner en 14 jours l'ensemble de la population du territoire selon des modalités qui sont exposées par une circulaire «  relative à la préparation de l'organisation sur l'ensemble du territoire d'une éventuelle vaccination collective contre la variole » intervenue le 29 avril 2003.

Vos rapporteurs ont pu constater sur le terrain les efforts conduits par les DDASS pour mettre en place la distribution des 80 millions de vaccins contre la variole qui ont été stockés.

Toutefois la mise en oeuvre d'une vaccination généralisée de la population contre la variole est difficilement concevable car les effets de ce vaccin sont redoutables. Cette action entraînerait plusieurs milliers de décès et d'encéphalites graves. D'autre part, la variole n'est pas très facilement transmissible.

Toute la stratégie consisterait, en cas d'atteinte de variole, à isoler un périmètre où la population serait vaccinée, et à garantir des entretiens préalables limitant les cas d'incompatibilités.

Il est donc probable que les plans mis en place actuellement sont assez pertinents car ils accompagnent la réflexion sur la faisabilité de traiter, dans un délai très court, un grand nombre de personnes mais que l'achat d'un aussi grand nombre de vaccins soit probablement peu utile.

Le plan de réponse à une menace de variole prévoit une stratégie de réponse graduée selon cinq niveaux d'alerte (source SGDN) :

- Aucun cas dans le monde

Vaccination d'une équipe nationale d'intervention pluridisciplinaire capable de mener toutes les actions nécessaires sur le terrain. Cette cellule, constituée par décret n° 2003-109 du 11 février 2003, comprend du personnel médical, des magistrats, policiers et gendarmes. Cette équipe dédiée interviendra au plus vite sur le terrain face à ce type de menace. Elle fait l'objet d'une vaccination obligatoire.

- Menace avérée (en l'absence de variole)

Vaccination d'au moins une équipe hospitalière dans chaque zone de défense.

- Survenue d'un cas de variole dans le monde (hors du territoire national)

Vaccination des intervenants de première ligne.

- Apparition d'un cas sur le territoire national

Vaccination des équipes zonales et des intervenants de première ligne si cela n'a pas déjà été fait, mais également de l'ensemble des sujets contacts du cas et des personnes exposées.

- Survenue de nombreux cas simultanément sur le territoire français

Vaccination en anneau autour des cas, isolement des malades et recours à la vaccination de l'ensemble de la population s'il était impossible de contrôler l'épidémie par ces mesures.

La France a décidé de constituer un stock de vaccins permettant de vacciner l'ensemble de la population résidant en France soit 60 millions de personnes en 14 jours sur un délai d'activation de 24 heures. La vaccination collective serait réalisée dans plus de 4500 unités de vaccination de base réparties sur le territoire. Les conditions de mise en oeuvre de la vaccination sont définies dans la circulaire interministérielle DGS/SD5B/n° 2003/210 du 29 avril 2003.

Un dispositif technique de vaccination a été arrêté par le ministère en charge de la santé. Il conviendrait de prendre en compte l'évaluation sanitaire (balance bénéfice/risque comparé des victimes potentielles de l'épidémie et de celles des effets secondaires du vaccin), sans pouvoir exclure des troubles de l'ordre public. La décision du Premier ministre, qui nécessiterait alors un décret, pourrait donc être prise sur proposition du ministre de la santé et, le cas échéant, saisine du ministre de l'Intérieur.

Le schéma de vaccination proposé par la direction générale de la santé tient compte de cette problématique bivalente : nécessité de bloquer rapidement l'extension de l'épidémie et besoin de rassurer la population. Il prévoit la vaccination en deux semaines de la totalité de la population ne présentant pas de contre-indications. Le schéma présenté s'appuie sur plus de 4 500 équipes qu'il conviendra de former dès à présent, réparties dans 1 000 centres de vaccination.

Le stock français actuel de vaccins, détenu par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, est suffisant pour vacciner la totalité de la population. 78 Il n'est donc pas utile de diluer le vaccin pour obtenir un nombre accru de doses.

Le ministère de la santé considère qu'un vaccin de seconde génération ne présenterait pas d'avantage significatif, notamment en termes d'effets secondaires. Par contre, il semble urgent d'entreprendre sans tarder le développement d'un vaccin de troisième génération dont les effets secondaires seraient très réduits.

Il était important de faire ces exercices variole, de mettre en place des structures au niveau des départements et des préfectures car ces mesures serviront pour les prochains agents. Ce n'est pas de mettre des moyens sur des maladies que l'on ne connaît pas ou particulières qui importe. Il s'agit, au niveau de la détection, d'avoir une meilleure organisation entre les rares forces qui existent en France de détection d'urgence, car il existe une dispersion complète qui nécessite un réel effort de coordination, notamment entre civils et militaires. Sans que cela soit une critique particulière, le constat que les divers intervenants ont tendance à demeurer dans leur pré carré et ne s'occupent guère ou très peu des autres, devrait conduire à revoir le rôle confié à chacun et à garantir une coordination rigoureuse et efficace, ainsi que la mise à disposition des ressources de l'Armée.

2) L'organisation sanitaire

a) Les soins aux malades

L'organisation des soins aux malades se fonde sur un réseau d'établissements de santé de référence (un ou deux par zone de défense). En collaboration avec le délégué de zone pour les affaires sanitaires et sociales, ces établissements définissent actuellement l'organisation zonale de la réponse à une réapparition de la variole : réseaux d'experts, participation des médecins généralistes, circuits d'information, désignation des hôpitaux d'accueil, modalités de transport des malades, etc...

Des équipes pluridisciplinaires prendraient en charge les premiers cas suspects.

Ces équipes auraient pour mission de prendre en charge les premiers cas signalés, de vérifier le diagnostic et d'appliquer les mesures d'accompagnement visant à éviter ou ralentir l'extension de l'épidémie : hospitalisation, analyses, traitement, surveillance et désinfection des lieux contaminés, enquête pour retrouver les personnes ayant été en contact, vaccination, enquête et procédure sur l'acte de malveillance proprement dit.

Une équipe pluridisciplinaire est en cours de constitution dans chaque zone de défense. La vaccination des intervenants, au stade actuel, serait limitée à l'équipe zonale de Paris, agissant dans un premier temps comme « Equipe nationale dédiée projetable ».

Le dispositif hospitalier s'appuie sur un réseau d'«établissements de santé de référence », chargé à la fois d'une mission de planification et de gestion de crise. Vos rapporteurs ont rencontré à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière les responsables de la mise en oeuvre de ces dispositifs. Il est très important que le système sanitaire soit préparé à identifier et traiter rapidement toute épidémie, due ou non à une attaque.

Les plans Piratox et Biotox 79 précisent la nature et la composition du réseau des laboratoires Biotox-Piratox. Ils ont vocation à intervenir pour traiter des prélèvements d'environnement ou des prélèvements biologiques en cas de découverte d'indice, de menace, de suspicion, ou d'acte de malveillance de nature chimique ou biologique.

Au sein de ce réseau 80 , il est défini un sous-ensemble, appelé « dispositif de traitement des plis, colis et substances suspectées de contenir des agents biologiques, chimiques ou radioactifs dangereux ».

Le réseau des laboratoires Biotox-Piratox comprend :

- des laboratoires du dispositif «plis, colis et substances suspects » ;

- des laboratoires d'analyses d'eau potable ;

- des laboratoires associés pour les prélèvements d'environnement ou les prélèvements biologiques, ainsi que des réseaux associés (DGCCRF, DGDDI, AFSSA, laboratoires vétérinaires départementaux).

- des Centres nationaux de références sur des agents biologiques spécifiques.

b) Les stocks de médicaments

Le gouvernement a constitué des stocks d'antibiotiques pouvant être efficaces contre différents agents bactériologiques 81 .

Le but de cette organisation est que le traitement soit remis à l'ensemble de la population exposée en moins de 24 heures, dans des points de distribution de médicaments qui doivent être répartis de manière homogène et permettre d'accueillir en une journée la plus large partie de la population.

La distribution des médicaments se fait obligatoirement sous la responsabilité d'un pharmacien. Les établissements de santé ne doivent pas être impliqués dans la distribution afin d'être plus disponibles pour traiter les personnes ayant développé la maladie.

c) Le dispositif de lutte contre les agents bactériens (charbon, peste....)

L'objectif est de répondre à une attaque par un agent bactérien, et en particulier le bacille du charbon, face auquel, dans l'incertitude sur les personnes contaminées, il conviendrait d'en traiter préventivement un très grand nombre. En effet, face au charbon pulmonaire, il est trop tard pour agir dès lors que les symptômes sont apparus.

Au regard des recommandations formulées par l'AFSSAPS (l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), le Gouvernement a constitué des stocks d'antibiotiques (des fluoroquinolones).

Un stock de première urgence est prépositionné dans chaque établissement de santé de référence. Chaque stock garantit 80 000 journées de traitement (soit, par exemple, 40 000 personnes pendant deux jours, dans l'attente des stocks nationaux).

Le stock principal, géré par le ministère de la santé (DOS), est mis en place sur deux sites. Il permet d'assurer le traitement préventif d'une population d'un million de personnes pour une durée de huit semaines.

Enfin le Ministère de la défense dispose, pour ses besoins propres, d'un million de comprimés de ciprofloxacine (500 000 journées de traitement) et, à terme, de 280 000 boîtes de 15 comprimés de doxycycline (100 000 étant déjà disponibles fin juin 2003).

C) Analyse des plans Biotox

Il est probable qu'aujourd'hui les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de promouvoir la lutte contre le bio terrorisme.

1) La nécessité d'organiser une alerte rapide

S'agissant de l'organisation des secours, il n'existe pas de définition axée sur le biologique mais des plans sectoriels (variole, plis suspects).

Le premier problème est d'assurer l'information des pouvoirs publics. Des moyens ont été définis : mise en place d'un réseau de laboratoires organisés pour connaître rapidement les agents et de réseaux d'experts ; l'objectif est de savoir à quel agent on a à faire car la saturation peut être le moyen de cacher une véritable attaque.

S'agissant des experts du risque chimique et biologique, il en existe une quarantaine qui sont joignables à tout moment.

Toutefois la difficulté de diagnostic est inégale entre le simple charbon qui peut être diagnostiqué par un laboratoire important et le botulisme où la difficulté essentielle réside dans le fait qu'il faut des biologistes ayant une pratique fréquente.

Un problème majeur réside dans l'identification de la souche.

La difficulté des laboratoires est qu'il faut faire très vite alors qu'il existe un délai technique demandé par les laboratoires de référence.

D'où la mise en place du réseau de conseillers-experts Biotox-Piratox qui a pour mission d'apporter une assistance technique aux autorités gérant la crise aux différents niveaux de l'Etat.

Il s'agit d'un réseau national, toutes régions confondues, qui comporte quelques dizaines d'experts choisis dans des domaines variés pour leurs seules compétences techniques sur les questions de lutte antiterroriste NRBC en milieu civil (médecine, biologie, chimie, technique des équipements, secours, etc.). L'appel à ces conseillers implique qu'ils n'ont pas à participer, à un autre titre, au dispositif opérationnel mis en place. Un annuaire est tenu à jour par le Détachement central interministériel d'intervention technique qui anime le réseau. Aucune astreinte n'est organisée, mais chaque expert fournit l'ensemble des moyens qui permettraient de le joindre en cas d'urgence.

Le premier exercice sur la mise en oeuvre du plan variole a eu lieu récemment.

Le principal enseignement qui peut en être tiré est qu'il est nécessaire que cette action soit reconnue par le corps médical et qu'il faut gérer la communication.

Une des difficultés est la préparation psychologique des intervenants à affronter ce type de menaces. Il faut faire tout un travail très précis de secours et d'intervention.

Dans une ambiance de propagation rapide de l'épidémie, ce genre de crise implique de disposer des équipements et d'une panoplie complexe de mesures à mettre en place car la propagation peut avoir lieu par l'eau, l'air, les aliments (problème de la restauration collective).

2) La nécessité de doper la recherche

Dans le cadre du G8, il existe une coopération avec la Russie et Singapour pour essayer de créer un souchier de classe 4 recensant les principaux agents infectieux pouvant être utilisés à des fins de bioterrorisme. Il existe néanmoins une difficulté de mise en oeuvre car le souchier appartient aux pays d'origine qui disposent de la propriété intellectuelle des souches.

Les équipes de recherche fondamentale ne sont pas toujours organisées et il faut également des techniciens. La France manque cruellement de recherche en épidémiologie.

Un dispositif de recueil épidémiologique par symptôme est à l'essai en Guyane.

En effet, beaucoup de pathologies ne sont pas identifiées ; il existe une insuffisance épidémiologique car, si nous connaissons la grippe, nous ne sommes pas capables d'identifier rapidement les autres infections respiratoires.

Nous ne disposons d'aucun moyen pour lutter contre la ricine et il est indispensable de lancer des programmes.

Dans le cas de la variole, il faudrait concevoir un vaccin de troisième génération et évaluer ce programme.

3) La protection sectorielle

Il existe plusieurs niveaux d'intervention.

La protection de l'eau est difficile à faire, les concessionnaires ont des plans de sûreté mais, cela est difficile, long et coûte cher.

La détection s'effectue par la modification du taux de chloration dans le cadre du plan vigipirate. La difficulté est que les moyens de détection ne sont pas suffisamment élaborés.

4) L'information de la population

Cette tâche est la plus difficile à réaliser car il est nécessaire d'informer exactement la population pour signaler les troubles et lui indiquer quand elle doit saisir le système de santé, sans pour autant provoquer une panique qui déborderait très rapidement les services des urgences.

Le problème majeur est celui de la capacité des hôpitaux à réagir en fonction du nombre des victimes. Par exemple, en cas de pandémie de grippe, il faudrait que la population reste chez elle car nous ne pouvons pas hospitaliser plusieurs millions de patients et aucun plan ne peut organiser cela.

Il n'existe aucun moyen de traiter la toxine botulique, ce qui implique de disposer de lits de réanimation ; or leur nombre est limité.

5) Une problématique particulière : la crise de grande ampleur

Nous avons besoin de constituer des stocks de produits très importants mais, dans la mesure où il est peu probable que tous les Etats de l'Union européenne soient agressés en même temps, il serait opportun de disposer de stocks au niveau de l'Union européenne.

Dans la perspective d'une épidémie de grippe, il y aurait, dès la première vague, 30 à 50% de personnes contaminées.

Il faut réfléchir aux conditions de protection de la population. Il faudrait garder les enfants à la maison, interrompre les transports collectifs et le pays serait désorganisé.

S'agissant des masques, tout dépend du niveau de protection recherché, une protection optimale implique la consommation de 4 à 6 masques par jour.

Or, les réflexions sur la protection des populations avec des masques adaptés n'ont pas abouti. Si nous voulons éviter la paralysie du pays, il faut offrir une protection à ceux qui se déplacent.

Il convient également de réfléchir au mode de distribution des produits car, pour éviter la diffusion d'une épidémie, il est absolument indispensable d'éviter la concentration des populations, ce qui implique que les produits soient distribués à la population et non qu'elle aille les chercher.

Il convient de faire un inventaire à partir du risque et d'estimer ce que nous sommes capables de faire.

6) La nécessité d'une réaction rapide proportionnée à la menace

En l'état actuel des connaissances, l'intérêt du bioterrorisme, pour tuer le maximum de personnes, serait aujourd'hui assez limité. Par contre, l'objectif de désorganisation rapide d'un pays pourrait être plus facilement accessible.

La difficulté des responsables politiques est de ne pas tomber dans un travers maximaliste qui les conduirait par exemple à fermer les écoles où à retreindre l'usage des transports en commun.

Il convient d'essayer d'anticiper les crises futures et la réflexion doit être étoffée, même si des cercles de réflexion sont aujourd'hui assez actifs.

Il faut également réfléchir aux conditions de protection de la population.

Les exercices qui ont été faits, et les plans qui ont été établis ces dernières années pour la grippe et la variole serviront pour les maladies futures encore inconnues.

Mais vos rapporteurs demeurent inquiets car les outils en place ne sont adaptés qu'à des germes que nous connaissons aujourd'hui. D'autre part, la population n'est pas familiarisée aux gestes élémentaires de prévention de la contagion.

Du côté de la recherche, c'est un problème de méthode, d'orientation vers certains problèmes sur lesquels il convient de mener des actions particulières. En particulier, il faut renforcer la recherche en ce qui concerne les agents d'aujourd'hui et surtout de demain.

Il faut identifier de nouvelles cibles et mieux connaître les réactions prévisibles de la population.

La mutualisation des moyens est nécessaire et, pour cela, il est indispensable de rapprocher la recherche militaire de la recherche civile ; à l'instar des Etats-Unis, il faut développer des recherches mixtes.

Il faut également avoir des éléments d'alerte plus précoces, mieux huilés, davantage ancrés sur des médecins généralistes, comme cela est fait avec le réseau des Grog.

Dans cette perspective, il convient d'avoir une réflexion sur la mise en oeuvre d'un système de déclaration des symptômes permettant d'alerter les pouvoirs publics avant même que le diagnostic ait été clairement établi. Il faudrait pour cela mettre en place des marqueurs par symptôme, l'un de ceux-ci pourrait être, par exemple, la consommation de médicaments. Aujourd'hui le diagnostic de la variole risquerait de prendre du temps car la quasi-totalité des médecins n'a jamais eu à diagnostiquer cette maladie.

Sur le plan militaire, une expérience fort intéressante, analysée sur place en Guyane par vos rapporteurs, est la surveillance épidémiologique qui se fait en temps réel par un appareil portable de type « palm » permettant de déclarer les symptômes.

S'agissant de la formation et de la sensibilisation, l'Education nationale doit s'impliquer dans les questions de défense civile à travers les programmes scolaires ; en effet, il ne faut pas oublier que la population doit avoir des comportements adaptés par une éducation à la défense car les terroristes recherchent l'impact psychologique.

D'autre part, la coopération européenne est indispensable et doit s'exercer sans arrière-pensée. Tous les pays doivent collaborer, par exemple, à la mise au point de vaccins, surtout lorsqu'il s'agit de produits dépourvus de débouchés commerciaux et ne pouvant qu'être stockés à des fins de lutte contre le terrorisme.

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