CHAPITRE IV :
LA CRISE DE GRANDE AMPLEUR D'ORIGINE NATURELLE : L'EXEMPLE DE LA GRIPPE

Décrite dès l'Antiquité et au Moyen-âge, la grippe a été identifiée comme une cause d'épidémies au fil des siècles.

Section 1 :
La nature des virus grippaux

Si l'on ne sait pas vraiment quand les virus sont apparus chez l'homme, on est aujourd'hui en mesure d'expliquer l'origine et la cause de la ré-émergence périodique des pandémies de grippe.

La grippe est due à trois groupes de virus, A, B et C. Tandis que le virus de type C est relativement stable, les virus de type A et B évoluent sans cesse.

Un premier mécanisme de variation est appelé « glissement antigénique » : des mutations de gènes codant pour des protéines de surface provoquent des modifications mineures du virus. Le nouveau variant reste très proche du précédent, si bien que l'immunité conférée par une grippe contractée précédemment peut protéger contre le nouveau variant.

Cependant l'accumulation de ces modifications entraîne une différence antigénique qui aboutit à une moindre reconnaissance du nouveau virus par les systèmes immunitaires qui ont rencontré ces virus dans le passé. Ce phénomène impose le changement des souches vaccinales plus ou moins régulièrement. L'aspect progressif de ces changements explique que la plupart des épidémies sont souvent mineures ou de moyenne importance.

Pour les virus de type A, il existe un deuxième phénomène de variation, appelé « recombinaison génétique », qui peut être plus grave. Des changements radicaux des protéines antigéniques du virus, avec le remplacement d'un gène par un autre, donnent naissance à un nouveau virus, totalement différent de celui qui circulait jusque-là. Brutalement ce nouveau virus apparaît et gagne tous les continents. C'est la pandémie. L'immunité pré-existante ne protège pas et un vaccin préparé avec les souches précédentes est inefficace.

Les virus grippaux présentent la caractéristique redoutable d'être hautement contagieux et il existe des types de virus causant des pandémies dramatiques : grippe espagnole en 1918 (40 millions de morts), grippe asiatique en 1957 (4 millions de morts) et grippe de Hong-Kong en 1968 (2 millions de morts).

Une recombinaison génétique impliquant le gène de la protéine majeure de surface du virus, l'hémagglutinine, constitue le point de départ d'une pandémie potentielle, après laquelle une période de circulation dans l'espèce humaine s'installe, avec des épidémies saisonnières « normales ».

Depuis vingt-cinq ans, les virus en circulation sont des descendants du virus Hong-Kong (1968). Les vaccins légèrement modifiés chaque année sont efficaces.

A ces deux mécanismes, il faut ajouter la possibilité de ré-émergence d'un virus ancien. Ainsi, un sous-type disparu depuis 1957 est réapparu en 1977, causant « l'épidémie de grippe russe » et les virus qui en sont dérivés circulent toujours aujourd'hui. Ce qui explique l'inquiétude née récemment de l'envoi par erreur de souches de virus par un laboratoire américain.

Cela est également le cas de la grippe aviaire : nous pouvons estimer qu'une centaine de personnes ont été touchées depuis deux ans. Il convient d'être prudent sur le taux de létalité qui n'est probablement pas de 70% mais de 30 à 40 %, ce qui est déjà considérable et explique les craintes devant l'apparition d'une forme qui serait transmissible d'homme à homme. D'où la nécessité pour les pouvoirs publics de se préparer à cette hypothèse.


La menace de la grippe aviaire A (H5N1)

Huit pays d'Asie ont été touchés fin 2003-début 2004 par une épizootie de grippe aviaire due au virus A(H5N1) : Cambodge, Chine, Indonésie, Japon, Laos, Corée du Sud, Thaïlande et Vietnam. En janvier 2004, l'OMS lançait l'alerte : le virus aviaire en circulation était déclaré transmissible à l'homme. Plusieurs cas humains mortels avaient alors été recensés au Vietnam, la plupart des personnes infectées faisant partie de familles de fermiers, avec des élevages familiaux de volailles. De fait, entre le 30 décembre 2003 et le 17 mars 2004, 12 cas humains d'infection due au virus A(H5N1) avaient été confirmés en Thaïlande, et 23 au Vietnam, provoquant au total 24 décès. Pendant cette période, 100 millions de poulets étaient morts de la maladie ou avaient été abattus. Une résurgence de l'épizootie en juin 2004 dans certains pays et quelques cas sporadiques chez l'homme avaient suivis.

Mais c'est surtout depuis fin décembre 2004 que la situation s'est à nouveau aggravée, avec la découverte de nouveaux foyers chez les volailles au Vietnam et plusieurs décès chez l'homme, puis les premiers cas humain au Cambodge, et une recrudescence de l'épizootie dans certaines provinces en Thaïlande. A ce jour*, le bilan global des cas humains touchés par la grippe aviaire est de 74 cas, dont 49 décès, recensés au Vietnam (55 cas), en Thaïlande (17 cas) et au Cambodge (2 cas).
Bien que des cas de transmission d'homme à homme aient été suspectés, le virus ne fait pas aujourd'hui l'objet d'une transmission interhumaine efficace. Mais la rencontre entre le virus aviaire et le virus humain est actuellement redoutée: elle pourrait conduire à des échanges génétiques entre les deux types de virus et déboucher sur un virus réassortant susceptible de s'adapter plus facilement à l'homme. Un tel virus pourrait alors diffuser sur un mode épidémique voire pandémique. A l'heure actuelle, l'abattage massif des élevages de volailles et la mobilisation d'un réseau international de laboratoires, dont un à l'Institut Pasteur, font partie des moyens mis en oeuvre pour prévenir une éventuelle pandémie. Des candidat-vaccins humain contre le virus A(H5N1), mis au point par différents laboratoires en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, devraient entrer en phase d'essais cliniques début 2005.

* bilan au 31 mars 2005, depuis le 28 janvier 2004. Ces cas humains sont apparus en trois phases : de janvier à mars 2004 (35 cas, dont 24 mortels), d'août à octobre 2004 (9 cas, dont 8 mortels) et de décembre 2004 à aujourd'hui (30 cas, dont 17 mortels).

Source : Institut Pasteur

Section 2 :
Le plan de lutte contre les épidémies grippales

Nous nous situerions, en cas de pandémie grippale grave, devant les problématiques que nous venons d'évoquer. Les moyens mis en oeuvre et les procédures seraient quasiment les mêmes qu'en cas d'attaque bioterroriste.

Le plan gouvernemental contre les pandémies grippales a été adopté le 7 octobre 2004, à partir du plan construit, en 1999, par l'Organisation Mondiale de la Santé dont il reprend la structure.

Si une pandémie de type virus H5N1 apparaît sous une forme qui n'est pas contagieuse d'homme à homme, l'isolement pourrait se faire à domicile; par contre si nous entrons dans une phase pandémique contagieuse d'homme à homme, nous devrons lutter contre une telle épidémie par trois méthodes :

- La mise en place de barrières physiques. Cette méthode qui est très efficace implique la possibilité de fermer les écoles, d'interdire les rassemblements de limiter les transports collectifs dans les grandes aux agglomérations ; elle implique aussi que les personnes en contact avec le public puissent disposer de masques adaptés à la pandémie

- La deuxième barrière implique la distribution de médicaments antiviraux. Le ministère de la santé a acheté 13 millions de doses de traitement Tamiflu (oseltamivir) qui est un produit cher (8 euros pièces) ; il doit être administré sous contrôle médical par les médecins traitants. Il faut éviter le déplacement en pharmacie et envisager la possibilité de faire distribuer ces médicaments au domicile à des patients. Cette action est extrêmement coûteuse puisque l'achat, le traitement et le stockage de 16 millions de doses impliquent un budget de 175, 4 millions d'euros.

- S'agissant des vaccins contre un virus de type H5N1, un appel d'offres, annoncé par le ministre de la Santé lors de l'audition publique, a été publié pour l'achat de 2 millions de doses et la mise à disposition dans des délais rapides de 20 millions de doses si l'Organisation Mondiale de la Santé déclare que la pandémie est mondiale, ainsi que la mise à disposition de 20 autres millions de doses en fonction de l'évolution de la pandémie.

Le problème qui n'est pas réglé aujourd'hui est la mise en place localement de ces mesures et le risque très important de paralysie du pays : comment faire fonctionner des hôpitaux si les infirmières et aides soignantes sont bloquées à leur domicile pour garder leurs enfants car les écoles auront été fermées ?

Ce plan comporte trois niveaux d'alerte. Aujourd'hui nous nous situons sur une échelle deux.

A ce niveau, cela signifie que nous sommes menacés par des virus hautement pathogènes transmissibles de l'animal vers l'homme (la grippe aviaire n'est pour le moment transmissible que des animaux vers l'homme et non entre humains).

Au niveau trois, nous nous situons en présence de transmission interhumaine avérée ; il est nécessaire d'éviter qu'une épidémie parvienne à se diffuser, ce qui implique l'intervention de mesures restrictives en matière de liberté de déplacement.

Ce plan suscite exactement les mêmes difficultés et interrogations que le plan biotox : à savoir le risque de paralysie du pays et les difficultés de communication vis-à-vis d'une population stressée pour ne pas dire plus .

Un des moyens de rassurer la population serait de mettre à sa disposition des masques de protection. Les autorités interrogées par vos rapporteurs pensent que des masques classiques, de type masques de chirurgien, n'offriraient qu'une protection extrêmement limitée. Il serait souhaitable de disposer de modèles extrêmement efficaces mais relativement coûteux. Une réflexion est engagée au ministère de l'économie et des finances pour examiner les conditions dans lesquelles des accords pourraient être passés avec des industriels afin que ces derniers se dotent des machines outils nécessaires à la fabrication, dans un délai extrêmement rapide, de plusieurs millions de masques.

Il est prévu de réserver, dans un premier temps, les masques produits aux personnels d'intervention les plus exposés au risque épidémique. Vos rapporteurs considèrent que la réflexion mérite d'être développée sur ce point. La mise à disposition de masques en nombre suffisant aurait certainement un coût très élevé mais, en même temps, aiderait à limiter la paralysie du pays. Vu sous cet angle, il convient de relativiser le coût. Cette dimension de mise en place de barrières physiques pour protéger individuellement chaque personne mérite d'être étudiée très attentivement.

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