ANNEXE N° 3
COMPTES-RENDUS DES AUDITIONS de votre commission des finances

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

12.2.1.1.1.1.1.1.1 Audition de M. Jean-Louis BEFFA,
Président-directeur général de Saint-Gobain

(15 mars 2005)

La commission a procédé à l' auditio n de M. Jean-Louis Beffa, président directeur général de Saint-Gobain , auteur d'un rapport « Pour une nouvelle politique industrielle ».

M. Jean Arthuis, président, a tout d'abord rappelé le contexte dans lequel intervenait cette audition, indiquant que la commission avait décidé d'entendre des grands acteurs de la vie économique dans le cadre de sa réflexion sur les délocalisations et comme suite à deux études commandées, par ailleurs, à des cabinets d'experts extérieurs. Il a rappelé que M. Jean-Louis Beffa avait remis récemment au Président de la République un rapport intitulé « Pour une nouvelle politique industrielle », qui soulignait les signes d'un décrochage industriel de la France, en raison des fragilités de la spécialisation française et de la faiblesse des outils en faveur d'un redéploiement industriel. Il a précisé que ce rapport préconisait la relance de grands programmes industriels de vocation européenne. Puis il a ajouté qu'à l'occasion de la remise de ce premier rapport, le Président de la République avait chargé M. Jean-Louis Beffa d'une nouvelle étude, portant sur l'Agence de l'innovation industrielle, dont la création avait été annoncée lors des voeux aux « forces vives », le 4 janvier 2005. Il a précisé que, dans ce cadre, M. Jean-Louis Beffa était, notamment, chargé de définir les modalités de sélection des grands programmes de passation des appels d'offres et de suivi des programmes sur leur cycle de vie.

M. Jean Arthuis, président, a ensuite ajouté que M. Jean-Louis Beffa était aussi entendu par la commission en tant que chef d'entreprise. Il a souhaité que cette audition puisse montrer que la « disparition » de l'industrie française, évoquée par d'aucuns, n'était pas une fatalité.

M. Jean-Louis Beffa a tout d'abord indiqué qu'en sa qualité de président de Saint-Gobain depuis 1986, il avait dû conduire la mutation d'un groupe confronté à la mondialisation. Il a précisé que ces transformations avaient encouragé une place accrue des activités de distribution, ainsi qu'une implantation mondiale élargie au fil des années.

M. Jean-Louis Beffa s'est interrogé, en premier lieu, sur les causes des délocalisations, estimant que la disparition des régimes communistes à compter de 1989 avait entraîné l'intégration, dans un contexte d'économie de marché, de travailleurs dont les compétences étaient équivalentes aux nôtres, tandis que leurs salaires étaient, eux, beaucoup plus bas. Il a précisé que, tandis que le salaire horaire moyen charges comprises était de 23 euros en Europe de l'ouest et aux Etats-Unis, il était de 18 euros en Espagne, de 4 euros en Pologne et en République tchèque, de 2 euros au Brésil et au Mexique, de 1,4 euro en Russie et, enfin, de 0,7 euro en Chine et en Inde. Il a ajouté que, dans ces pays, les rémunérations des cadres et chercheurs s'élevaient, environ, au quart des rémunérations pratiquées en France. Il a également ajouté que la Chine possédait déjà plus de chercheurs que la France et l'Allemagne réunies.

M. Jean-Louis Beffa a ensuite indiqué que, face à cette réalité économique, certaines activités étaient toutefois protégées du fait de la géographie ou de l'automatisation des usines, qui constituaient des freins à la délocalisation. Toutefois, dans le cas où ces barrières ne jouaient pas, il a ajouté que la seule solution lui semblait être de disposer d'une avance technologique garantissant la compétitivité de notre pays, ce qui impliquait d'encourager l'innovation, à l'image du Japon qui avait réussi à maintenir, avec la Chine, des relations commerciales très favorables.

Il a ensuite indiqué que les délocalisations ne donnaient pas lieu, en elles-mêmes, à des pertes d'emplois impressionnantes, mais qu'elles s'accompagnaient de la perte de nombreux services et PME associés, ce qui les différenciait fondamentalement des pertes d'emploi provoquées, dans les années quatre-vingt, par l'automatisation.

M. Jean-Louis Beffa a ensuite mis en évidence le caractère vulnérable de la spécialisation française, estimant que l'Allemagne était mieux placée, en raison de ses compétences dans les moyennes à hautes technologies (chimie, mécanique, biens d'équipement). Il a précisé que la France était, quant à elle, plutôt spécialisée dans les technologies faibles à moyennes, hormis ce qui concernait les grands programmes lancés par l'Etat dans les années soixante (nucléaire, aéronautique, spatial...) et quelques autres compétences, notamment dans les domaines des semi-conducteurs et des télécommunications. Il a regretté que la France ait négligé la révolution des technologies de l'information et celle des biotechnologies. Il a craint, en définitive, que ce mauvais positionnement n'entraîne une accentuation des délocalisations, sans que notre pays réussisse, par ailleurs, à attirer sur son territoire des activités créatrices d'emplois à haute valeur ajoutée. Dans ce contexte, il a jugé qu'il fallait revenir sur l'idée d'un Etat non-interventionniste, les politiques en faveur des PME innovantes et du crédit impôt-recherche ayant d'ailleurs eu, selon lui, des résultats encourageants, même si elles avaient rencontré quelques limites.

Dans ce contexte, M. Jean-Louis Beffa a souhaité la création de l'Agence de l'innovation industrielle (AII), dans le cadre de la discussion prochaine du projet de loi sur les PME, la participation et le financement de l'économie. Il a indiqué que la mise en place de cette Agence pourrait être très rapide, dans la mesure où le texte du décret d'application était déjà quasi rédigé. Il a précisé que cette Agence, qui emploierait une trentaine de personnes, serait chargée d'identifier de grands programmes innovants en s'appuyant sur les grandes entreprises, à qui reviendrait l'initiative de présenter et réaliser des projets de haute technologie, de nature à procurer un avantage comparatif, dans un esprit de coopération avec des PME et des laboratoires de recherche et avec, à la clef, des emplois créés au sein de l'Union européenne. Il a ajouté que les effets de cette nouvelle politique de soutien à l'innovation ne seraient pas immédiats, dans la mesure où les phases de recherche-développement avaient vocation à durer au moins cinq ans. Il a également précisé que l'Agence attribuerait des subventions et des avances remboursables selon une démarche contractuelle, l'entreprise assumant pour sa part la moitié du financement, et donc du risque. En définitive, il a rappelé qu'une telle politique volontariste était indispensable, dans la mesure où les marchés financiers introduisaient, par nature, un biais « court-termiste », ne favorisant pas la prise de risque.

M. Jean Arthuis, président, a remercié M. Jean-Louis Beffa pour ces propos qu'il a jugés encourageants, dans la mesure où ils tendaient à montrer que la désindustrialisation n'était pas une fatalité, à condition de « passer à l'acte » d'un point de vue politique. Il a rappelé que la commission des finances avait d'ores et déjà formulé des propositions, notamment dans le domaine fiscal (« TVA sociale »), à l'occasion du débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution qui s'était tenu, au Sénat, en novembre 2004.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Philippe Marini, rapporteur général , s'est demandé, en premier lieu, comment seraient organisés les travaux de prospective de l'Agence et quelles seraient ses relations avec le tissu de la recherche universitaire, qu'il a jugé varié et quelque peu inégal. En deuxième lieu, il s'est demandé comment serait assurée la coordination entre les différents éléments du dispositif de soutien public à la recherche et à l'innovation, et s'il ne conviendrait pas de simplifier ce dispositif qui comprendrait, outre l'AII, l'agence de la recherche d'une part, et l'agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), fusionnée en 2004 avec la banque du développement des PME (BDPME), d'autre part. Enfin, en troisième lieu, il s'est demandé comment l'agence s'adapterait à des programmes dans les domaines des technologies de l'information ou des biotechnologies, dans la mesure où leur développement devait différer de celui des grands programmes de l'industrie traditionnelle.

En réponse, M. Jean-Louis Beffa a indiqué que la méthode de l'agence consisterait à demander aux grandes entreprises de susciter des programmes innovants et qu'il travaillait actuellement avec une équipe de cinq ingénieurs généraux des grands corps techniques de l'Etat, qui sollicitaient les grandes entreprises françaises dans le but d'identifier quelques « programmes mobilisateurs pour l'innovation industrielle » (PM2I), se caractérisant par une rupture technologique, la perspective de viser une part significative du marché et de créer des emplois en Europe. Dans ce cadre, les entreprises constitueraient donc, elles-mêmes, un réseau dont elles géreraient les interfaces. Il a jugé que la structure d'une agence n'était justifiée en particulier qu'en raison de la lenteur du dialogue interministériel. S'agissant de la coexistence de plusieurs agences de soutien à la recherche et à l'innovation, il a expliqué qu'elles avaient chacune une fonction différente, l'ANVAR étant, par exemple, un organisme plus important et transversal que l'AII, dont la vocation serait purement stratégique. Il a indiqué, en outre, que cette politique de soutien à l'innovation s'inscrivait dans le cadre européen, comme en témoignait la communication au Conseil européen du président et du vice-président de la Commission européenne en date du 2 février 2005 (paragraphe 3.3.3). Il a également proposé que deux parlementaires soient présents au Conseil de surveillance de l'AII.

M. Jean Arthuis, président, s'est demandé si la présence de parlementaires dans les organismes extraparlementaires était compatible avec l'exercice, par le Parlement, de sa fonction de contrôle.

M. Eric Doligé a jugé que les pôles de compétitivité présentaient des similitudes avec la démarche de l'AII et il s'est demandé quelle serait l'articulation entre ces deux approches. Il a évoqué l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII), qui ne pouvait, selon lui, que constater l'état de la situation existante, alors qu'il conviendrait que l'AII ait une approche plus dynamique. Enfin, il s'est demandé s'il était encore possible que la France rattrape son retard dans certains nouveaux métiers, évoquant en exemple le secteur des biocarburants.

M. Jean-Louis Beffa a indiqué qu'une réponse économique lui paraissait tout à fait envisageable dans le domaine des biocarburants, de grands groupes ayant, d'ores et déjà, créé des unités et engagé des projets en ce sens. Il a jugé que l'AFII était efficace, mais que ses difficultés résultaient de la diminution de l'attractivité du territoire français. Enfin, il a estimé que les pôles de compétitivité pourraient être complémentaires des PMII, dans la mesure où ces pôles, correspondant aux « réseaux» américains, visaient à dynamiser les interfaces entre recherche et industrie à l'échelon régional.

M. Paul Girod a craint que les petites entreprises innovantes ne puissent financer leur développement sur leurs fonds propres, ce qui conduisait les entrepreneurs à vendre, parfois à des sociétés étrangères, avec comme conséquence une déperdition industrielle.

M. Jean-Louis Beffa a jugé que la législation américaine (« Small business act ») comportait des idées intéressantes. Il a estimé utile la relance de la BDPME, mais a jugé qu'il serait sans doute possible d'aller plus loin, notamment sur un plan fiscal. A cet égard, il a jugé favorablement la proposition de la commission des finances visant à favoriser l'investissement dans les PME grâce à une réduction de la cotisation à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

M. Jean Arthuis, président, a ajouté que l'action de l'Agence risquait en effet de se révéler insuffisante, en l'absence de changements dans l'environnement réglementaire et fiscal des entreprises.

M. Philippe Adnot a jugé que le problème principal était moins celui des délocalisations que celui de la conquête de nos parts de marché par des entreprises étrangères. Dans ce contexte, il a estimé que la réponse des pôles de compétitivité était insuffisante et inadaptée, dans la mesure où il aurait fallu identifier, d'abord, une quinzaine de secteurs porteurs, avant de chercher à localiser ces pôles.

M. Jean-Louis Beffa a estimé, pour sa part, que les pôles de compétitivité étaient prometteurs, mais qu'il conviendrait en effet d'être rigoureux dans leur sélection.

M. Roger Besse s'est demandé, à partir de l'exemple d'une usine du groupe située dans son département, s'il y avait encore place pour des unités industrielles significatives dans les milieux ruraux.

M. Jean-Louis Beffa a indiqué que le groupe Saint-Gobain possédait 150 usines en France, y compris en milieu rural, où il était parfois un gros employeur. Il a indiqué que ce type d'usine était susceptible d'être conservée, à condition de continuer de répondre à une logique de proximité et de qualité. Il a ajouté que l'innovation commerciale développée par l'usine précitée avait permis à cette entreprise du groupe Saint-Gobain de bien se développer dans son secteur.

Répondant à M. Jean Arthuis, président, qui se demandait si les activités de distribution ne prenaient pas progressivement le pas sur l'industrie, en raison de leur rentabilité supérieure, M. Jean-Louis Beffa a jugé qu'il avait fallu, au sein d'un groupe comme Saint-Gobain, trouver un équilibre entre les différentes activités, en dehors de toute volonté de contrôle ou d'intégration de filières.

M. Maurice Blin s'est félicité que l'Agence s'insère dans un dispositif au sein duquel l'Etat ne serait que le financeur, et pas l'opérateur. Il s'est demandé si l'Etat aurait les moyens de contrôler véritablement les programmes qu'il financerait. Il s'est également demandé si l'action envisagée serait suffisante, eu égard à l'ampleur des écarts de coût salariaux mentionnés plus tôt par M. Jean-Louis Beffa. Jugeant que la recherche privée française était aujourd'hui médiocre, il s'est ensuite interrogé sur les causes de ce déclin. Enfin, il a regretté que les ingénieurs ne s'éloignent progressivement de l'industrie pour se tourner vers les services.

En réponse, M. Jean-Louis Beffa a jugé que l'Etat ne devait pas abandonner sa fonction de prospective, trop de priorité ayant été donnée, au cours des dernières années, à un capitalisme financiarisé. Il a estimé qu'à son avis, la recherche privée n'était pas aussi médiocre que l'avait laissé entendre M. Maurice Blin, mais que la France, en raison de sa spécialisation industrielle inadéquate, manquait sans doute d'un tissu d'entreprises investissant une part significative de leur chiffre d'affaires dans la recherche. Enfin, il a jugé l'effort de recherche fondamentale publique indispensable et a regretté le manque de moyens alloués à celle-ci, tout en reconnaissant qu'elle pourrait parfois être mieux gérée. Il a estimé nécessaire, en outre, de donner une priorité aux organismes de recherche publique, en particulier au CNRS.

Mme Nicole Bricq a interrogé M. Jean-Louis Beffa sur les raisons qui avaient motivé Saint-Gobain à aller s'implanter en Chine. Elle a indiqué partager l'idée qu'une politique industrielle était possible, et s'est demandé si le Japon, avec ses grandes entreprises organisées en réseau par l'Etat, pouvait constituer une référence. Relevant que l'AII serait financée par le produit des privatisations, elle a jugé que ce financement n'était pas pérenne, mais aléatoire et s'est demandé, par ailleurs, si un tel financement par la vente de parts d'entreprises françaises était compatible avec la volonté de financer des projets de dimension européenne. Enfin, elle a estimé nécessaire de multiplier les supercalculateurs qui permettaient de diminuer les coûts de la recherche.

S'agissant du financement de projets européens, M. Jean-Louis Beffa a souhaité que l'effort de recherche réalisé par les consortiums d'entreprises européennes soit financé, dans chaque pays, selon le dispositif national de soutien à l'innovation existant. Il a également souhaité que la France ait un rôle moteur pour initier ce mouvement. Il a jugé, par ailleurs, que le Japon avait mis en place une méthode coopérative séduisante, lui permettant de conserver un grand nombre d'activités sur son territoire. Il a ajouté qu'il existait sans doute aussi un phénomène de localisation préférentielle de la recherche sur le territoire national, pour des raisons liées à la stratégie des entreprises et au secret industriel. Enfin, s'agissant de l'implantation de Saint-Gobain sur le marché chinois, il l'a jugée indispensable pour ne pas laisser, à moyen terme, les entreprises chinoises acquérir un avantage concurrentiel trop déterminant.

Remarquant que la spécialisation internationale était évolutive par nature, M. Yves Fréville s'est demandé si la France pourrait s'adapter suffisamment rapidement aux changements. S'interrogeant sur les taux de change au niveau mondial, il s'est demandé si des rectifications n'étaient pas souhaitables. Enfin, il a jugé nécessaire que l'AII accepte, le cas échéant, les échecs qui étaient inhérents à toute prise de risque.

M. Jean-Louis Beffa a approuvé ce point de vue, jugeant que l'échec était une étape qui pouvait se révéler inévitable, dans un processus d'innovation. Il a ajouté que l'Agence devrait avoir l'indépendance suffisante pour arrêter à temps de subventionner des programmes voués à l'échec. S'agissant des taux de change, il a jugé qu'il existait une bien meilleure concertation entre l'Asie et les Etats-Unis qu'entre ces deux pôles et l'Europe. Enfin, il a remarqué que les pays européens étaient dans des situations hétérogènes du point de vue de leur spécialisation internationale : ainsi le Royaume-Uni était spécialisé dans les services financiers, ce qui l'encourageait à soutenir vigoureusement le libre-échange, la Finlande et la Suède s'étant fortement mobilisées, pour leur part, en faveur des nouvelles technologies, tandis que l'Espagne et l'Italie étaient dans une situation qu'il a jugée plus grave que celle de l'Allemagne ou de la France, car leur modèle économique était profondément atteint.

M. Denis Badré s'est demandé si la France ne devrait pas proposer une coopération renforcée en Europe sur ce sujet de l'innovation industrielle. Il a suggéré de favoriser le maintien et l'implantation de jeunes chercheurs en France.

Jugeant que le départ de post-doctorants à l'étranger était un véritable problème, M. Jean-Louis Beffa a estimé qu'il conviendrait effectivement de se pencher sur cette question. S'agissant d'une éventuelle coopération renforcée en matière de recherche au niveau européen, il a jugé qu'il s'agissait d'une question politique, mais que de nombreux éléments lui semblaient converger vers cette voie.

En conclusion, M. Jean Arthuis, président, a remercié M. Jean-Louis Beffa pour l'intérêt et la qualité de son propos, conduisant à penser que l'Etat devait conserver un rôle d'anticipation et de définition des stratégies économiques. Il a ajouté que l'ensemble des réflexions sur le soutien à l'innovation ne devait pas dispenser de réformes structurelles plus globales portant sur l'environnement des entreprises.

Audition de M. Guillaume SARKOZY,
Président de l'Union des industries textiles

(mardi 22 mars 2005)

M. Jean Arthuis, président , a rappelé en préambule que cette audition s'inscrivait dans le cadre du programme de travail de la commission des finances relatif aux délocalisations.

Dans cette perspective, M. Guillaume Sarkozy a présenté le contexte dans lequel évoluait l'industrie textile française, mettant en exergue la mutation profonde imposée par la fin, au 1 er janvier 2005, de l'accord multifibres, qui reposait sur un système de quotas d'importations. Rappelant que l'industrie textile française et européenne était favorable à l'ouverture des marchés, il a néanmoins montré que les conditions dans lesquelles avaient été ouverts les marchés textiles étaient incohérentes et mal préparées. Il a noté une grande inquiétude des PME sur l'ensemble du territoire, indiquant que, dans cette situation, les débats actuels sur les résultats des entreprises et la hausse du pouvoir d'achat paraissaient « surréalistes ».

Il a ensuite souligné que l'Europe, face à la mondialisation, avait procédé à un désarmement unilatéral de ses tarifs douaniers, marquant, quant à lui, sa préférence pour la réciprocité des baisses de droits de douane. Il a fait valoir que les droits de douane s'établissaient pour les produits textiles, en Europe à 7 %, en Inde à 60 %, aux Etats-Unis entre 15 et 30 % et, en Chine, entre 12 et 15 %. S'il s'est déclaré favorable à la décision d'accepter la Chine au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il a remarqué que cette entrée avait mal été anticipée, considérant que les conditions de la concurrence n'étaient pas équitables, le yuan était, selon lui, sous-évalué de 40 à 50 % et les droits de propriété intellectuelle étant trop peu respectés. Il a expliqué que les conséquences sur le marché textile français étaient majeures, relevant que, pour des produits comme les parkas, la part de marché des produits chinois en France était passée d'un sixième à cinq sixièmes entre 2001 et 2003. Il a observé que, depuis la fin de l'accord multifibres, au 1 er janvier 2005, les importations de certains produits textiles chinois avaient augmenté de 600 %, avec des baisses de prix pouvant atteindre 40 %.

M. Guillaume Sarkozy a considéré que l'ouverture du marché français aux produits chinois intervenait au moment où l'industrie textile française subissait, par ailleurs, à l'échelle de l'Union européenne, le choc de l'élargissement. Il a regretté que cet élargissement ne se soit accompagné d'aucune étude d'impact sur l'emploi, s'étonnant que les fonds structurels soient attribués uniquement selon des critères géographiques et ne puissent bénéficier à certains secteurs économiques en difficulté. En ce qui concernait la politique monétaire européenne, il a montré le paradoxe consistant, pour l'économie la plus forte, celle de la Chine, à avoir la monnaie la plus faible, et pour l'économie la plus faible, celle de l'Europe, à avoir la monnaie la plus forte, soulignant l'ambiguïté des relations monétaires entre la Chine et les Etats-Unis. Dans ce contexte, il a jugé que le passage en France aux 35 heures et l'augmentation de 17 % du SMIC en trois ans, s'étaient traduits par des ajustements en termes d'emplois, faisant le lien avec le chômage élevé dont souffrait la France.

Il a souhaité, dès lors, un renforcement de l'Europe politique, appelant de ses voeux une politique monétaire dynamique. Il a appelé, de plus, à une réforme de la gouvernance commerciale européenne, soulignant l'urgence de la mise en place de clauses de sauvegarde pour l'industrie textile. Il a estimé que l'Europe devait privilégier sa zone de proximité, et non l'Asie, en matière de politique commerciale, indiquant que l'industrie textile du Maroc ou de la Tunisie, qui entretenait des liens anciens avec l'Union européenne, souffrait très fortement de la concurrence chinoise.

A l'échelle française, il a montré, sur un plan macroéconomique, que les impositions et charges sociales représentaient 42 % de la valeur ajoutée, les salaires nets 41 % et l'outil de travail 18 %. Il a expliqué que la compétitivité des entreprises dépendait, dès lors, d'une part, de la compétitivité du système de redistribution, et d'autre part, des décisions du gouvernement en ce qui concernait l'évolution du SMIC. Sur un plan microéconomique, il a jugé que l'adaptation des PME ne serait possible, dans un contexte de bouleversement des circuits de distribution et de baisse des prix, que par un effort de formation des chefs d'entreprise, en matière notamment de marketing. Il a fait valoir tout l'intérêt en matière de financement des PME des aides et des prêts du groupe Oséo et montré l'effet de levier significatif de la SOFARIS (Société française de garantie des financements des PME).

En conclusion, il a jugé que les entreprises du textile français pourraient tirer partie de la mondialisation, à condition d'avoir la « culture du consommateur », de profiter de la segmentation des marchés, de développer la création et la recherche et d'investir dans l'innovation, notamment en matière de services, soulignant l'intérêt majeur de leur insertion dans les pôles de compétitivité créés par le gouvernement.

Un large débat s'est alors engagé.

M. Eric Doligé , évoquant sa propre expérience au sein d'une entreprise textile d'une centaine de personnes, a jugé que l'industrie textile, face à la mondialisation, devait à la fois opter pour une attitude défensive, en luttant contre les contrefaçons, et faire un choix offensif, en innovant. Il s'est interrogé sur les raisons qui avaient permis à l'Italie de mieux préserver sa production textile que la France.

En réponse, M. Guillaume Sarkozy a estimé que l'Italie avait tout d'abord bénéficié d'un répit face à la concurrence mondiale du fait de la dévaluation de la lire, de 15 %, en septembre 1992. Il a montré que le système de distribution italien avait préservé le « petit commerce » en matière textile, alors qu'en France, sept articles sur dix étaient vendus par la grande distribution ou par les entreprises de vente par correspondance. Il a jugé que la grande distribution, en favorisant les gros volumes, permettait aux usines d'Asie, citant un exemple au Pakistan, d'investir dans la qualité et la création tout en mettant en avant la faiblesse de leurs coûts de production.

Précisant sa position sur la grande distribution, à la suite d'une question de M. Jean Arthuis, président , relative aux abus de position dominante de celle-ci, et d'une interrogation de M. Eric Doligé , il a relativisé l'impact des « marges arrière » en matière textile et jugé indispensable que les PME françaises trouvent de nouveaux systèmes de distribution et s'adaptent par une segmentation du marché. Il a souhaité, par ailleurs, que la Commission européenne prenne conscience, dans les négociations commerciales internationales, qu'elle avait une industrie à défendre.

M. Jean-Jacques Jégou a considéré que les intérêts de l'industrie textile avaient été, par le passé, insuffisamment défendus à l'échelle nationale et à l'échelle française, indiquant avoir suivi plusieurs cycles de négociations du GATT et de l'OMC, durant lesquels la défense de l'agriculture française et européenne avait été privilégiée, au détriment d'autres secteurs.

M. Guillaume Sarkozy a jugé que chaque pays de l'Union européenne avait opté pour une réponse différenciée face à la mondialisation et que l'absence de réaction européenne face à la concurrence chinoise n'excusait pas l'absence de réformes structurelles en France, rappelant que les prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises étaient de 8 points supérieurs à la moyenne de l'Union européenne.

En réponse à Mme Marie-France Beaufils soulignant la pression salariale exercée par les entreprises, M. Guillaume Sarkozy a convenu que les salaires nets avaient été contenus, mais dans un contexte où le coût salarial global, intégrant les prélèvements sociaux, restait élevé.

M. Philippe Adnot s'est félicité de la prise de conscience, récente en France, de la nécessité de sauvegarder l'appareil industriel. Evoquant une visite récente à la mission économique française de Shanghai, il a indiqué que celle-ci considérait que la fin des accords multifibres avait eu plus d'impact sur l'industrie textile du Maghreb que sur l'industrie française.

M. Guillaume Sarkozy a contesté cette analyse, rappelant la progression très forte des importations chinoises en France depuis le début de l'année 2005. Il a estimé, par ailleurs, que l'Union européenne ne pouvait se montrer insensible à la situation de l'industrie textile du Maghreb.

En réponse à une question de M. Philippe Adnot sur la TVA sociale, il a jugé que ce sujet ne pouvait rester tabou, car il consistait à s'interroger sur les modalités de financement de la protection sociale.

M. Serge Dassault a jugé que la présentation de la situation de l'industrie française faite par M. Guillaume Sarkozy était réaliste, appelant à une prise de conscience française liée à la montée fantastique de la concurrence chinoise, s'interrogeant dans ce contexte sur l'opportunité d'augmenter les salaires. Il a insisté sur la nécessité d'une plus grande flexibilité et d'une baisse des prélèvements obligatoires.

En réponse, M. Guillaume Sarkozy a jugé qu'une prise de conscience commune aux syndicats, au patronat et au gouvernement était indispensable.

M. Gérard Longuet , après avoir souligné la qualité de la présentation faite, a souhaité savoir si des entreprises françaises avaient pu émerger à l'échelle internationale, citant les exemples étrangers de grandes firmes spécialisées dans l'habilllement.

En réponse, M. Guillaume Sarkozy a fait valoir l'importance des investissements nécessaires pour une PME qui voudrait développer un réseau de distribution. Citant les exemples d'entreprises connues en France, il a montré que l'adaptation de ces entreprises était passée, pour la première, par une délocalisation significative de ses activités et, pour la seconde, par la mise en oeuvre de séries très courtes, une flexibilité de son organisation, reposant notamment sur des partenariats extérieurs en matière de production.

En réponse à M. Adrien Gouteyron , il a indiqué que l'industrie italienne avait une culture du produit plus forte que l'industrie textile française, qui avait par le passé investi dans un textile « plus industriel ». Il a montré que ce modèle français, qui s'était traduit, dans les Vosges notamment, par des investissements massifs en termes de productivité, trouvait ses limites face à la concurrence chinoise. Il a indiqué que les garanties de la SOFARIS étaient utiles, même si, pour des raisons de restriction budgétaire, ces interventions étaient plus limitées.

M. Jean Arthuis, président, a rappelé, à ce sujet, que les conseils généraux pouvaient passer des conventions avec la SOFARIS.

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