12.2.1.1.1.1.1.1.2 Audition de M. Jean-Claude KARPELES,
Délégué général de la
Fédération des industries électriques,
électroniques et de communication (FIEEC)
(mercredi 23 mars 2005)
Après avoir énuméré les productions relevant de la fédération dont il était délégué général, M. Jean-Claude Karpeles a préalablement distingué, du processus même de délocalisation, celui de la régionalisation, correspondant aux déplacements d'unités de production qui avaient lieu au sein d'un même Etat, comme on pouvait l'observer en Chine, en Inde, ou au Brésil, qui disposaient d'un vaste territoire.
D'après M. Jean-Claude Karpeles , les délocalisations s'expliquaient par une pression croissante sur les prix de la part des acheteurs ; en effet, une entreprise voulant améliorer sa productivité avait le choix entre deux démarches : soit diminuer le poids de ses achats, qui représentait de 10 % à 50 % du chiffre d'affaires, soit se restructurer, ce qui était généralement difficile, l'entreprise étant ainsi tentée de peser d'abord sur ses achats. Il a expliqué que les consommateurs qui cherchaient à acheter au plus bas prix incitaient donc les entreprises à s'installer ailleurs, lorsqu'elles ne pouvaient plus agir sur les achats ni se restructurer, ce qui supprimait des emplois et initiait une « spirale d'appauvrissement collectif » pour les consommateurs salariés.
Puis il a indiqué que ces entreprises délocalisées connaissaient, ensuite, un véritable « nomadisme industriel », engendré par la recherche systématique des coûts salariaux les plus bas, ainsi que cela pouvait être observé actuellement au Mexique, pays que beaucoup d'entreprises précédemment délocalisées quittaient en raison d'une augmentation des coûts salariaux.
Pourtant, d'après M. Jean-Claude Karpeles, cette spirale d'appauvrissement n'était pas inéluctable, la part de la main-d'oeuvre dans le coût des produits en représentant entre 5 % et 25 %. Ainsi le problème était bien, selon lui, de réconcilier le salarié et le consommateur, malgré une difficulté supplémentaire résultant du Traité de Rome, qui faisait de la défense du consommateur un élément central de la politique communautaire.
M. Jean Arthuis, président , a alors estimé que si la procédure des « class actions » devait se développer en France, il faudrait alors faire peser les responsabilités non pas sur les producteurs, mais sur les distributeurs.
Puis M. Jean-Claude Karpeles a abordé les problèmes posés par les délocalisations industrielles dans les secteurs dont il avait la charge. Il convenait, selon lui, de distinguer les marchés mondiaux, où les délocalisations pouvaient être massives, le même produit étant susceptible d'être fabriqué et vendu partout, des marchés régionaux. Il a indiqué que les marchés mondiaux (tels que celui des composants électroniques), pour lesquels le progrès technique était très rapide, favorisaient une forte concentration assortie de délocalisations massives afin de pouvoir amortir suffisamment les coûts liés à un renouvellement fréquent de l'offre, notamment pour l'électronique destinée au grand public.
Il a constaté que le petit électroménager constituait un marché typiquement mondial, contrairement au grand électroménager qui connaissait un certain nombre de contraintes sanitaires, de sécurité, d'efficacité énergétique, et, plus récemment, environnementales, précisant au sujet de cette dernière contrainte que le consommateur devait contribuer au financement de la récupération des « déchets historiques », lors de la reprise d'un appareil usagé, à leur prix coûtant, via une sorte de mutualisation. M. Jean Arthuis, président , a alors précisé qu'il s'agirait d'une fiscalité pesant, en dernière analyse, sur le consommateur.
M. Jean-Claude Karpeles a insisté sur le problème de la surveillance du marché en vue de vérifier que les produits obéissaient aux diverses contraintes légales et réglementaires, problème d'ailleurs en partie lié à celui de la contrefaçon. En tout état de cause, selon lui, bien que le contrôle du respect des contraintes fût indispensable pour éviter les délocalisations dans le domaine industriel, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne disposait pas de moyens suffisants. En outre, il s'avérait, selon lui, qu'en l'absence d'identification des acheteurs, quand bien même la DGCCRF s'était trouvée en situation de pouvoir agir avec diligence, il n'était pas possible de contacter ces derniers. Enfin, il a évoqué le « marquage CE » qui signifiait que les produits importés étaient conformes aux réglementations européennes, mais ne donnait pas de garantie quant au contrôle de cette conformité, ni d'information sur l'origine de ces produits.
En conclusion, M. Jean-Claude Karpeles, après avoir dressé le constat d'une certaine banalisation de l'origine et de la qualité des produits par la grande distribution, a souhaité une meilleure mise en valeur de cette qualité, laquelle nécessitait une « éducation du consommateur ». Par ailleurs, il a estimé que le respect des contraintes en matière de sécurité et de santé ne pouvait reposer exclusivement sur l'Etat, et qu'il serait probablement utile de susciter certaines alliances objectives entre professions, telles que celle existant en Allemagne entre les assureurs et les installateurs ; d'autres incitations, telles qu'un certificat de conformité électrique au moment de la vente d'un bien immobilier, pouvant également être envisagées. Enfin, il a souligné qu'après les biens de consommation, les biens d'équipement étaient, aujourd'hui, particulièrement menacés par la délocalisation en raison d'une pression croissante des acheteurs, notamment publics et semi-publics, sur les prix.
Après que M. Maurice Blin eut remercié M. Jean-Claude Karpeles pour la clarté de sa présentation et en eut retracé les grandes lignes en insistant sur la pression des grands distributeurs sur les producteurs pour diminuer les prix, un débat s'est instauré.
M. Jean-Claude Karpeles a précisé que les distributeurs étaient devenus des producteurs pour une partie croissante de leurs ventes, et que la future « loi Jacob » devrait éviter de franchir le seuil de revente à perte. Il a également indiqué, en réponse à M. Jean Arthuis, président , que le secteur des industries électriques, électroniques et de communication était relativement peu familier de la pratique des « marges arrières ».
M. Jean-Jacques Jégou s'est déclaré convaincu de l'existence du phénomène de « spirale d'appauvrissement collectif » qui traduisait bien une véritable « schizophrénie » des consommateurs, dont la recherche des plus bas prix portait un préjudice direct aux salariés qu'ils étaient par ailleurs. Selon lui, il convenait de mettre ce scénario en perspective avec les mesures prises par le gouvernement afin de favoriser la consommation, laquelle portait essentiellement sur des produits d'importation, au moment même où les revendications salariales se faisaient plus pressantes. Au total, il a jugé que se posait un véritable problème d'organisation de la société.
M. Jean-Claude Karpeles a alors indiqué que les produits industriels, tels que ceux issus de l'agroalimentaire, ou l'électroménager, s'étaient banalisés et qu'il convenait de profiter de la phase actuelle de réhabilitation de l'industrie pour redonner à ces produits toute leur « noblesse ».
M. Eric Doligé, après avoir attiré l'attention sur le fait qu'en France, un quart des salariés étaient des fonctionnaires (population a priori moins sensible à la problématique des délocalisations), a douté de l'opportunité d'un certificat de conformité électrique qui se serait ajouté aux nombreux certificats déjà exigés pour revendre une maison. Puis il s'est interrogé sur la façon dont nos voisins européens étaient confrontés aux délocalisations, et dénoncé le volume excessif des emballages qui résultaient d'acheminements lointains consécutifs à ces dernières, tandis que M. Jean Arthuis, président , évoquait, alors, l'opportunité d'une taxe sur les emballages à proportion des coûts résultant de leur traitement et de leur destruction.
En réponse, M. Jean-Claude Karpeles a indiqué que les consommateurs des autres pays européens avaient des comportements spécifiques ; ainsi, le consommateur allemand était globalement plus responsable et proche de son industrie, alors qu'en Grande-Bretagne, les industries nationales avaient déserté le territoire, ce qui traduisait naturellement de grosses différences de mentalité. Enfin, répondant à M. Paul Girod , il a précisé que le poids de la grande distribution face aux producteurs était moindre en Allemagne qu'en France.